Configurations de Mintzberg appliquées à l’organisation scolaire et au rôle de l’enseignant en son sein

synthèse proposée par Dominique Grootaers

Cet article propose une synthèse du cadre d’analyse construit par H.Mintzberg pour analyser le fonctionnement des organisations. Ce texte provient d’un cours donné à l’Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique) par Dominique Grootaers, dans le cadre du programme préparant les futurs professeurs de l’enseignement secondaire supérieur (diplôme d’agrégation). Divers extraits d’ouvrages (dont les références sont citées en note de bas de page) composent le texte. Cette présentation synthétique complète les deux articles déjà publiés sur ce site et pourra rendre service aux formateurs et intervenants sociaux qui souhaitent s’approprier la typologie des configurations organisationnelles de H. Mintzberg.

A. Les éléments caractérisant l’organisation[1]

1. La structure de l’organisation et les catégories d’acteurs

« Dans son étude des organisations, Mintzberg a relevé six parties fondamentales qui permettent de catégoriser les diverses composantes internes d’une organisation. Ces six parties ne sont bien entendu pas toujours présentes dans chaque organisation, mais elles ont pour ambition d’être suffisantes pour catégoriser à peu près toutes les composantes de toutes les organisations.

  • Le centre opérationnel est constitué par les opérateurs, c’est-à-dire ceux qui réalisent le travail de production des biens ou services proposés par l’organisation.
  • Le sommet stratégique est intégré par la direction et ses adjoints directs. C’est là que se prennent généralement les décisions stratégiques pour l’organisation.
  • La ligne hiérarchique intègre les cadres intermédiaires. Elle représente une hiérarchie d’autorité entre le centre opérationnel et le sommet stratégique.
  • Les analystes de la technostructure représentent ceux qui sont chargés de la standardisation du travail : recrutement, formation du personnel, règlements, programmes de travail,…
  • Le personnel de soutien logistique correspond à ceux qui aident les opérateurs : nettoyage, restauration, service juridique,..
  • Enfin, chaque organisation est traversée par une idéologie – certains préfèrent le terme de culture -, « L’idéologie se nourrit des traditions et des croyances d’une organisation et c’est ce qui la distingue d’une autre et c’est ce qui insuffle une certaine existence à travers le squelette de sa structure”. (Mintzberg H., “Le management, voyage au centre des organisations”, Editions d’organisation, Paris, 1990, p. 154). »

Les 6 parties de base de l’organisation (Mintzberg, 1990, p. 155)

2. Les mécanismes de coordination et les systèmes d’influence interne

« Dans toute organisation, il existe une division du travail et des tâches. Parallèlement, il est nécessaire de concevoir un mécanisme de coordination qui assure l’articulation entre les différentes tâches et personnes. Les mécanismes de coordination proposés par Mintzberg (1990) sont les suivants :

  • L’ajustement mutuel : la coordination se réalise au travers d’une communication informelle entre les travailleurs.
  • La supervision directe : une personne donne des instructions à plusieurs autres qui travaillent en interrelations.
  • La standardisation des procédés de travail : chaque poste de travail est défini en précisant les tâches que l’opérateur doit effectuer. Généralement, ce sont les analystes de la technostructure qui conçoivent les postes de travail. L’exemple le plus illustratif de ce mode de coordination est le travail à la chaîne.
  • La standardisation des résultats : des standards sont définis par rapport aux caractéristiques et au volume de la production attendue des opérateurs.
  • La standardisation des qualifications : la coordination est obtenue par le biais de la formation spécifique de celui qui exécute le travail.
  • La standardisation des normes : ce sont des normes générales qui dictent le travail et sont établies pour l’organisation dans sa globalité. Ce mode de coordination apparaît notamment dans certains ordres religieux.

Mintzberg relève aussi que chaque organisation intègre plusieurs mécanismes de coordination, mais que, dans de nombreux cas, il existe un mode dominant qui constitue le ciment de l’organisation. Dans l’enseignement, le mode de coordination dominant pour les professeurs est bien sûr la standardisation des qualifications : ce qui définit les tâches de chaque enseignant et garantit la qualité de son travail, c’est la formation reçue, sanctionnée par un diplôme. Ce mode de coordination implique une division du travail à priori et n’est évidemment guère propice à des échanges entre les travailleurs pour réunir un projet commun”.

N.B. : Ajoutons que l’enseignement, en tant qu’organisation, est également régi par le mode de contrôle bureaucratique. En effet, les procédés de travail sont standardisés à travers les programmes, les grilles-horaires, etc. Les résultats de travail sont contrôlés à travers les règles de passage de classe, les conditions d’octroi des diplômes, etc.

« Mintzberg distingue également divers systèmes d’influence (interne) qui sont source de pouvoir dans l’organisation :

  • Le contrôle personnel : le supérieur a un regard direct et constant sur le travail de ses subordonnés ; cela n’est généralement possible que dans les petites unités de production. Ce mode de coordination est généralement présent dans les organisations où la supervision directe est le mode de coordination dominant.
  • Le contrôle bureaucratique : les mécanismes de coordination sont essentiellement de l’ordre de la standardisation des procédés et/ou des résultats. Corrélativement, une partie du pouvoir va vers ceux qui élaborent des systèmes de standardisation : les analystes de la technostructure.
  • Le système d’idéologie : La source d’influence est ici un système de croyances et de valeurs spécifiques propres à l’organisation. Une idéologie permet l’intégration des buts individuels et des buts de l’organisation.
  • Le système des compétences spécialisées : quand les opérateurs sont des professionnels, ils jouissent généralement dans l’organisation d’une marge de manoeuvre considérable. Le pouvoir qu’ils détiennent sur leur travail est lié à des compétences qu’ils ont acquises à l’issue d’une formation longue.
  • Le système des jeux politiques : les jeux politiques sont des jeux de pouvoir de nature informelle. Il s’agit généralement d’alliances entre différents acteurs de l’organisation qui constituent un groupe d’intérêt souvent ponctuel.

Dans l’enseignement, c’est le système des compétences spécialisées qui est le système d’influence dominant : la principale source de pouvoir sur l’acte pédagogique, ce sont les compétences spécialisées acquises par les professeurs lors de leur formation initiale. Cette légitimité reconnue aux enseignants leur octroie une marge de manoeuvre considérable, car ils échappent aux autres formes de contrôle.

Il faut cependant signaler que le système de contrôle bureaucratique n’est pas absent de l’enseignement : le programme définit ce que le professeur doit voir durant une période déterminée, l’inspecteur s’assure que le professeur a demandé le nombre de devoirs requis, les manuels – parfois imposés par l’établissement – indiquent les procédures à suivre et les exercices à réaliser, les normes relatives aux taux d’encadrement déterminent les possibilités de répartition des heures dans l’école,… »

3. Les buts

« Dans ses premiers ouvrages, Mintzberg accorde une place importante à l’analyse des buts d’une organisation. Dans « Le management » (1990) par contre, cette variable est en partie escamotée, en tout cas pour l’analyse des configurations.

Retenons cependant que dans l’enseignement, les buts sont vagues et nombreux. L’école doit instruire et éduquer. Elle doit apprendre à apprendre, apprendre à travailler et apprendre à devenir citoyen. Le flou qui entoure ces concepts met les enseignants à l’abri d’un contrôle extérieur strict et permet à chacun d’être toujours en concordance avec au moins un de ces objectifs.

Par ailleurs, à la suite de Mintzberg, Nizet2 distingue les buts de mission (1e but est énoncé en termes de caractéristiques du produit, du service ou du client) des buts de système (le but est énoncé en termes de caractéristiques de l’organisation ou de ses membres).

Les buts cités ci-dessus (à propos de l’enseignement) sont bien sûr des buts de mission. Mais l’organisation/établissement scolaire recouvre également des buts de système : survivre, croître, satisfaire ses travailleurs,…”

4. L’environnement

« L’environnement représente les diverses caractéristiques du contexte de l’organisation : les marchés, le climat politique, les conditions économiques et ainsi de suite.

  • Plus l’environnement est dynamique et plus la structure est organique.
  • Plus l’environnement est complexe et plus la structure est décentralisée.
  • Une hostilité extrême de son environnement amène toute organisation à centraliser sa structure de manière temporaire” (Mintzberg, op. cit., 1990, pp. 166-167).

Dans l’enseignement, on peut globalement considérer que l’environnement est stable : la demande de la société à l’école et les moyens affectés n’évoluent que très lentement. Cette stabilité permet une grande prévisibilité du travail à réaliser et facilite la standardisation du travail dans l’enseignement. L’environnement est également complexe (la demande en éducation n’est pas simple à assumer), ce qui rend nécessaire l’engagement d’un personnel professionnel qualifié : les enseignants. »

5. L’état de la coalition externe et les systèmes d’influence externe

A l’extérieur de l’organisation, il existe des acteurs qui tentent également d’influencer ses processus de décision. Citons par exemple les propriétaires d’une entreprise, les administrateurs d’une a.s.b.l., l’autorité politique ou administrative exercent la tutelle sur un service public, une congrégation religieuse, un syndicat, etc. Leurs moyens de pression sont multiples : ils peuvent être des bailleurs de fonds, imposer des normes idéologiques, exercer des contrôles directs ou indirects, etc.

La manière dont les acteurs de la coalition externe s’organisent entre eux pour tenter d’exercer leur pouvoir sur l’organisation détermine un système d’influence externe. Celui-ci peut prendre trois formes principales. La coalition externe peut être qualifiée de passive si son influence est très faible, voire inexistante, pour diverses raisons (nombre d’acteurs trop élevé, faiblesse de leur pouvoir, faiblesse de leur implication, etc.).

La coalition externe peut être qualifiée d’active unifiée. Dans ce cas, un seul détenteur d’influence externe exerce un pouvoir important sur l’organisation. Ce peut être aussi le cas de plusieurs acteurs externes agissant de manière convergente (on qualifie plutôt la coalition externe de « dominée » dans le premier cas et d’ »unifiée » dans le second, mais cette distinction apparaît secondaire).

Enfin, la coalition externe peut être qualifiée d’active divisée. C’est le cas lorsque un certain nombre d’auteurs externes tentent d’exercer un pouvoir sur l’organisation mais dans des sens divergents.

B. Les configurations organisationnelles

« A la lecture du point A, le lecteur aura immanquablement fait des rapprochements entre les différentes variables analysées. Il est en effet aisé de constater que les modalités de certaines variables – par exemple la standardisation des procédés comme mode de coordination avec le contrôle bureaucratique comme système d’influence – ont tendance à se compléter.

C’est l’articulation entre ces modalités qui permet de construire les configurations. »

Voir le tableau de synthèse des sept configurations organisationnelles dégagées par H. Mintzberg ci-dessous

Synthèse des 7 configurations organisationnelles

D’après H. Mintzberg (présenté et discuté par J. Nlzet, 1989, op. cit.)

Tableau 1
configuration Mode de coordination du travail Système d’influence interne
1. autocritique supervision directe contrôle personnalisé
2. missionnaire standardisation des normes et des valeurs contrôle par l’idéologie
3. bureaucratique de type instrument standardisation des procédures et/ou des résultats contrôle bureaucratique
4. bureaucratique de type système clos idem idem
5. professionnelle de type méritocratique standardisation des qualifications contrôle par les compétences spécialisées (satisfaction des clients)
6. professionnelle de type adhocratique idem + ajustement mutuel idem + coopération par projets
7. arène politique aucune coordination efficace Aucun contrôle efficace
Tableau 2
configuration Acteur interne prépondérant Environnement
1. autocritique sommet simple dynamique
2. missionnaire tous sauf les experts simple stable
3. bureaucratique de type instrument sommet + analyste de la technostructure simple stable
4. bureaucratique de type système clos idem idem
5. professionnelle de type méritocratique opérateurs (“experts”) complexe-stable
6. professionnelle de type adhocratique idem complexe-dynamique
7. arène politique conflits entre les différentes catégories d’acteurs complexe-dynamique
Tableau 3
configuration Système d’influence externe Buts Étape du cycle de vie de l’organisation
1. autocritique passif clairs = ceux du directeur ; mission ou système naissance
2. missionnaire passif clairs = partagés par tous ; missions taille↑ adolescence
3. bureaucratique de type instrument Actif unifié clairs = explicités par les analystes ; mission > système taille ↑ adolescence
4. bureaucratique de type système clos passif moins clairs ; système > mission taille ↑↑ maturité (figé)
5. professionnelle de type méritocratique passif confus = ceux des experts ; mission taille ↑↑ maturité (figé)
6. professionnelle de type adhocratique actif unifié plus clairs ; mission ou système revitalisation
7. arène politique actif unifié conflits entre les différents buts contradictoires revitallisation ou mort

Références

[1] Le texte figurant sous ce titre et marqué de  »  » est extrait de , Dupriez V., L innovation pédagogique. Analyse des conditions organisationnelles de son implantation, Mémoire de Licence, Faculté de Psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve, 1994, p.7-13. Les passages entre crochets sont des ajoutes par rapport à cette référence.

[2] Nizet I., Le modèle d’analyse des organisations de H. Mintzberg”, Présentation et discussion, Cahiers de la Faculté des Sciences économiques et sociales de Namur. Série Synthèse, n°1, 1989, réédition F.O.P.E.S./U.C.L., Louvain-la-Neuve, 1994.

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