Définir les compétences transversales pour les enseigner

Peut-on faire apprendre des compétences transversales ? Pour répondre à cette question, il faut pouvoir en priorité s’entendre sur ce qu’est une compétence transversale.

Qu’est-ce qu’une compétence ?

La compétence transversale est d’abord une compétence. Si on a beaucoup glosé sur la notion de compétence[1], il semble que la définition minimale suivante pourrait rallier la majorité des points de vue. Une compétence est une aptitude à réaliser efficacement une action donnée. Autrement dit, il s’agirait de ce que certains ont appelé un « savoir-agir ».

Ce savoir-agir requiert la maîtrise d’un certain nombre d’aptitudes (connaissances, capacités cognitives, habiletés manuelles et attitudes socio-affectives) et la faculté de les mobiliser dans la résolution de problèmes.

L’accent est mis d’abord sur le potentiel à acquérir pour pouvoir réaliser une tâche. Nous distinguons[2] :

  • les connaissances, c’est-à-dire les informations, les notions, les procédures acquises mémorisées et reproductibles par un individu dans un contexte donné ;
  • les capacités, c’est-à-dire les opérations mentales, les mécanismes de la pensée que l’individu met en œuvre quand il exerce son intelligence ;
  • les habiletés, c’est-à-dire les perceptions, les mouvements, les gestes acquis et reproductibles dans un contexte donné, qui s’avèrent efficaces pour atteindre certains buts dans le domaine gestuel (physique et manuel) ;
  • les attitudes, c’est-à-dire les comportements sociaux ou affectifs acquis par l’individu et mobilisables dans des domaines de la vie domestique ou professionnelle.

Un « pouvoir agir » n’est donc jamais dissocié des potentialités qui en permettent l’exercice. Pour être compétent, il faut maîtriser des matériaux de chacun de ces domaines.

Notre définition postule encore l’existence d’un savoir-faire particulier : le pouvoir de mobiliser des ressources pour résoudre des problèmes. Derrière l’apparente facilité à réaliser quelque chose, dont font preuve les personnes que nous jugeons compétentes, se cachent beaucoup de « savoirs », de « savoir-faire », de savoir-être », dont nous venons de parler, mais aussi de « savoir-mobiliser ».

Savoir mobiliser requiert d’avoir appris à combiner les savoirs mentionnés plus haut dans certaines proportions et selon un certain ordre pour disposer d’une procédure de résolution de problème. C’est ce qu’on appelle en langage savant disposer de procédures heuristiques.

Pour mobiliser les procédures heuristiques connues, il faut encore pouvoir analyser une situation qui pose, qui fait problème pour la transformer en problème tout court, c’est-à-dire en question à résoudre. Il s’agit de pouvoir énoncer ce qui fait difficulté en des termes qui renvoient à un schéma connu. Une fois ce travail fait, il est possible de puiser dans le répertoire des procédures heuristiques, choisir celle qui est la plus adaptée au problème et l’appliquer rigoureusement.

Autrement dit, la compétence, c’est donc aussi pouvoir établir un diagnostic face à une variété de situations-problèmes, pouvoir disposer d’une réserve de schémas heuristiques pour interpréter les faits observés dont le sens n’est pas évident, les rendant ainsi intelligibles et permettant dès lors de mobiliser des procédures connues par ailleurs, celles qui apparaîtront les plus indiquées en réponse au diagnostic réalisé.

Une telle conception de la compétence montre que cette dernière est toujours « contextualisée ». On n’est pas compétent, en général, mais dans tel ou tel domaine. Et ces domaines se rencontrent dans des contextes, des cadres déterminés. Un plombier compétent est un plombier qui peut résoudre des problèmes de plomberie. Ce savoir résoudre n’en fait pas pour autant quelqu’un de compétent pour résoudre des problèmes d’électricité. Il peut éventuellement être aussi compétent en électricité, mais il s’agit là d’une nouvelle compétence. Mais s’il est compétent en plomberie, il doit pouvoir solutionner avec efficacité tous les cas de plomberie qui peuvent se présenter. Ces derniers ne sont jamais les mêmes mais ils ont en commun des caractéristiques similaires, un air de famille pourrait-on dire. C’est pourquoi on parle de « famille de situations »pour parler de l’ensemble des situations dans lesquelles une compétence peut s’exercer. On peut faire la même illustration pour le chirurgien, l’expert comptable, le chiropracteur, le chercheur, l’étudiant, etc. En résumé, le contexte est toujours un champ d’action défini socialement et connu des intéressés.

Enfin, on peut dire que cette conception de la compétence la voit comme fonctionnelle, comme utilitaire. La compétence sert à résoudre des problèmes !

Dans cette approche, la compétence est propriété de l’individu. Cependant, la vie sociale est organisée de telle façon que certaines catégories de personnes rencontrent des problèmes d’un même type. Ainsi par exemple, toute une série de problèmes liés à l’éducation ne concernent que les parents, les enseignants, les formateurs ; ceux liés au soin des maladies, les médecins, les infirmiers et le personnel soignant en général ; ceux liés à la communication de la synthèse de l’actualité, les journalistes, etc. On peut observer que chacune de ces catégories sociales a en commun un ensemble de compétences qui se sont révélées indispensables pour résoudre certains types de problèmes courants, propres à son univers (dans certains métiers on parle des « règles de l’art »). La conscience de ce patrimoine commun contribue à donner une identité sociale, créer une culture commune et un sentiment d’appartenance. Si la compétence est une propriété personnelle, elle est aussi un bien collectif. Être reconnu compétent, ce n’est donc pas seulement pouvoir résoudre personnellement des problèmes. C’est aussi appartenir à un groupe et s’inscrire dans une vie collective. La compétence est donc aussi une condition de l’intégration sociale. Autrement dit, on peut chercher à acquérir des compétences pour être efficace, mais aussi pour appartenir et participer à une communauté.

Les compétences transversales

Si la compétence transversale existe, elle doit posséder les caractéristiques des compétences en général. Mais en quoi consiste alors sa spécificité, son caractère transversal ?

Dans le langage pédagogique courant, la compétence transversale renvoie à ce que nous avons appelé plus haut les capacités, les mécanismes cognitifs. On retrouve alors des opérations mentales comme déduire, induire, synthétiser, comparer, par exemple ou encore les mécanismes intellectuels qui figurent dans la taxonomie de Bloom (comprendre, appliquer, analyser, transposer, interpréter, extrapoler, synthétiser, évaluer, …). Dans la même veine, on appelle aussi compétences transversales, des savoir-faire méthodologiques (prendre des notes, structurer un discours, manipuler des concepts et, d’une manière générale, maîtriser l’abstraction)[3]. Dans un registre connexe, on appelle également compétences transversales, ce que nous avons appelés attitudes, les savoir-être (pouvoir travailler un groupe, participer aux institutions de citoyenneté, réaliser des projets personnels ou professionnels, écouter un interlocuteur dont on ne partage pas les idées, être assertif, oser parler en public, avoir de l’entregent, …)[4].

Ainsi conçue, la compétence transversale donne lieu à un débat parmi les didacticiens : la compétence transversale existe-t-elle en elle-même, c’est-à-dire est-ce une compétence identifiable et stabilisée (dont on peut établir un référentiel comme dans le cas d’un cuisinier ou d’un chauffeur de poids lourds, par exemple) ou est-ce un potentiel général susceptible de s’exprimer dans diverses circonstances ?

Pour dépasser cette discussion, travaillons la notion de transversalité, en prenant appui sur la définition de la compétence proposée plus haut.

Tout d’abord, une première observation : une compétence ne peut être réduite à une capacité ou une attitude. En effet, si des capacités sont utilisées dans certaines situations, ce n’est pas le fait du hasard, ni n’importe lesquelles. En effet, elles seront utilisées selon une procédure spécifique, celle requise pour résoudre un problème donné. Si on reconnaît une dominante du registre des capacités dans la gestion de certaines conjonctures, ces capacités ne suffisent pas en elles-mêmes pour y répondre efficacement. Répétons-le, la compétence transversale mobilise les capacités selon des procédures et un agencement de telle sorte que les personnes adoptent une réponse efficace à la situation problématique. Autrement dit, les capacités deviennent des procédés. De même pour les attitudes.

Tentons une première définition. Une compétence transversale serait une compétence qui s’exprime dans un grand nombre de domaines, apparemment non apparentés. C’est pourquoi on leur accorde un statut de généralité, distinct de la conception générale de la compétence qui elle, est contextualisée.

À regarder de plus près, on se rend compte que, tout comme la compétence en général, la compétence transversale est elle aussi liée à des contextes donnés. En conséquence, nous définirons plus précisément le caractère transversal de la compétence du même nom, en disant que ce sont des compétences spécifiques exercées dans des contextes différents de ceux dans lesquels ils ont été construits ou pour lesquels ils ont été produits (donc bien au delà des familles de situations, même élargies).

Les compétences transversales ont ainsi tous les attributs généraux de la compétence, mais présentent la caractéristique supplémentaire de ne pas être mobilisées dans des contextes circonscrits et limités mais, au contraire, applicables dans un grand nombre de situations, y compris nouvelles.

Ces situations sont-elles pour autant quelconques ? Non, parce que sinon, on ne pourrait pas construire une compétence. La compétence est applicable à diverses situations parce que ces situations présentent des analogies, autrement dit on peut leur trouver des traits communs. Si l’analogie est identifiée, alors l’heuristique d’une compétence vérifiée efficace dans un autre contexte peut être pratiquée avec succès dans la nouvelle situation. Si je suis inventif pour trouver des idées de projet, alors je peux l’être également si je lis une difficulté de disposer des meubles dans un espace biscornu, comme un exercice de créativité dont je connais les règles.

Tout l’art consiste donc à pouvoir repérer dans de nouvelles situations, dans des contextes non familiers, des similitudes avec des situations connues, pour y adopter des comportements efficients, connus. Nous pouvons appeler cette attitude « transférer ».

Ce sont essentiellement des compétences faisant appel à des dimensions cognitives ou socio-affectives qui se prêtent le mieux aux transferts.

Une compétence n’est transversale que potentiellement. C’est l’activité d’identification de la situation nouvelle et l’activité de transfert qui en font une compétence effective. Certains comportements sont cependant socialement reconnus comme étant d’application dans des contextes divers et la démarche est explicitement formalisée pour ces différents contextes. On pense ici, par exemple, à l’activité du résumé ou de la synthèse. Dans ces cas là, la compétence transversale est clairement identifiée et son apprentissage est possible.

Apprendre des compétences transversales

Observons comment on apprend des compétences transversales standardisées telle résumer ou synthétiser. On pratique d’abord la compétence dans un domaine particulier, par exemple, on apprend à résumer un texte. Cette activité peut être circonscrite en quelques règles (rechercher les mots-clés, établir les liens entre les idées, …). Autrement dit, on modélise les agissements. Ensuite, on étend le modèle, éventuellement en l’adaptant : résumer un exposé, un raisonnement de mathématique, une explication en biologie, etc. Ces dernières activités plus scientifiques ne se synthétisent pas exactement comme un article, mais les principaux mécanismes à l’œuvre pour le texte écrit sont d’application pour ce type de discours.

Nous en savons assez maintenant dégager les principes d’une pédagogie de l’apprentissage des compétences transversales. Nous le ferons très succinctement puisque la méthodologie qui en est issue est exposée ailleurs sur ce site et illustrée pour la compétence : « faire preuve de solidarité ». Il s’agit

  • d’abord de définir une compétence à dominante cognitive ou socio-affective dans un contexte familier, c’est-à-dire de pouvoir la formaliser, la modéliser (préciser les comportements qui la caractérisent) ;
  • ensuite de repérer dans de nouveaux domaines, non familiers, des situations qui peuvent être lues comme analogiques ;
  • enfin d’appliquer les attributs de la compétence à cette nouvelle situation.

Modéliser et transférer sont donc les maîtres-mots de cette didactique. Autrement dit, il s’agit de construire une métacognition(connaissance que l’on a de son fonctionnement intellectuel) à partir de l’exercice efficace d’une compétence dans une situation donnée. Si le transfert est largement pratiqué, la posture explicite va devenir familière et la compétence sera standardisée et incorporée, c’est-à-dire que la personne analysera « spontanément » les situations en y cherchant des analogies avec des savoir-agir qu’il connaît et qu’il maîtrise, par ailleurs. L’apprentissage sera alors pleinement atteint.

Références

[1] On peut se faire une idée de ces discussions en consultant l’abondante littérature que ce sujet a suscitée. Un tour d’horizon général de cette thématique dans l’article Les compétences. Éléments de bibliographie, sur ce même site.

[2] Typologie développée par F. Tilman et D. Grootaers dans Les chemins de la pédagogie. Guide des idées sur l’éducation, la formation et l’apprentissage, Chronique sociale/Couleur Livres, 2006, p.30 et sq.

[3] C’est, par exemple, la conception sous-jacente à la définition qu’en donne le Décret définissant les missions de l’école : « attitudes, démarches mentales et démarches méthodologiques communes aux différentes disciplines à acquérir et à mettre en œuvre au cours de l’élaboration des différents savoirs et savoir-faire ». Article 5, 9°.

[4] On trouvera un essai de typologie générale de toutes ces compétences, dans T. Sojic et F. Tefnin, De l’intérêt de classer les capacités et les compétences transversales, Cahier du SeGEC, n°12, janvier 2000.

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