Enseigner l’histoire dans un contexte de crise des institutions, remise en cause territoriale, et perte de l’autorité

Dans la nuit de l’absolu, tous les chemins qui mènent à la mémoire sont gris. Le professeur d’histoire intercepte le temps dans l’espace et piège le fluide par le dur : entre quatre murs. Mais cela tourne ensuite au dialogue de sourds dès qu’il s’agit de savoir comment le transmettre. On n’entend pas la même chose sous l’appellation « enseigner l’histoire » : contingence culturelle, conduite forcée des mémoires, prétention messagère, outil de propagande de l’examen. C’est que la transmission des savoirs, et en particulier ceux liés à l’histoire, est fondée à l’instar de toute société politique sur un invariant symbolique qui conjugue les nécessités d’une institution, d’une autorité et d’un territoire dont on peut aujourd’hui interroger les bien-fondés. L’élève fait la chasse au différé tout en ne supportant pas les contraintes et les errements du direct. Ce qui peut domestiquer le temps est désormais flou. L’histoire est abandonnée à un brouillage imaginaire des pistes. Entre nos moyens de maîtrise de l’espace, réalité visualisable et reproductive et nos moyens de maîtrise du temps (l’imagination et le discursif) se situe un hiatus involontaire mais grandissant. On ne cesse d’apprivoiser l’espace et l’actuel précède l’inactuel. L’espace avale le temps. Qu’allons-nous devenir, que « cette heure arrêtée au cadran de la montre…que ce balbutiement » ? (Aragon)

Crise des institutions

Les institutions sont des « appareils capables de transformer des valeurs en normes et des normes en personnalités individuelles » (Dubet et Martuccelli). Les normes s’identifient à des principes, explicites ou implicites, qui prescrivent des conduites aux individus. Elle a aussi pour fonction de faire incorporer ces normes aux individus au point que celles-ci deviennent naturelles. L’idéal scolaire est que l’élève en vient à apprendre par lui-même, en humaniste. Cet ordre fondu dans les esprits et dans les corps est celui de l’institution. L’éducation a son côté totalitaire. L’institution entre autre trait spécifique, est un héritage de l’histoire. Et l’histoire a son pendant institutionnel. « Si l’écolier n’emporte pas avec lui le vivant souvenir de nos gloires nationales…s’il ne devient pas citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui n’aime pas son fusil, l’instituteur aura perdu son temps. » Ernest Lavisse, 1912. Elle semble avoir existé de tout temps, elle est légitime, ne se discute pas, ne suscite aucune interrogation, aucun doute, et pourtant…L’enseignement de l’histoire a traduit cette prescription depuis l’Antiquité en inscrivant le rapport au savoir dans la tradition des fondements : s’imprégner de la parole de celui qui droit à la parole comme pour en inclure toute la sagesse (sagesse et connaissances se disent de la même façon : sophia). Apprendre en écoutant dire. C’est ce qu’entretient le bon cours d’histoire à l’ancienne. « L’élevage des poussières » diraient certains. Il fait peu de cas de l’aspect esthétique. L’intérêt désintéressé qui se manifeste pour les ruines n’est pas lié à une plus-value nationaliste ni à une religion patrimoniale. Les traces des autres (cultures, époques, pays) ne sont valorisées en quelque sorte que pour elles-mêmes. La dramatisation est de rigueur. L’enseignement de l’histoire se trouve inféodé au « devoir de mémoire », tarte à la crème de l’officialité. C’est la pérennité de l’Etat Educateur style IIIème république, statuomane parce que sûr de sa légitimité, qui pousse encore à préempter la mémoire des générations futures en leur jetant du devoir de mémoire plein la vue. On se shoote à la trace. On entérine, reconduit, défend. Les ruines sont bien entretenues. L’obsession culturelle rappellerait pour peu la soif de savoir, mode encyclopédique. Nos capacités de saisie, stockage, traitement et compactage de l’information ont fait croître les fonds, réinventé l’inventaire, affiné le document par une sorte de boulimie de sauvegarde de la mémoire. Nos révolutions mnémotechniques successives ont démultiplié nos moyens de conservation et même quelquefois fait acte de résurrection : la silhouette de Ramsès, l’acropole d’Athènes renaissent avec le numérique. Le professeur empile les connaissances historiques en se refusant à faire un inventaire du minimum à connaître. Tout est bon dans le cochon. Le déploiement toujours plus couteux et sophistiqué de son paraître culturel ne laisse plus le choix à l’élève que dans la désaffection et le détournement. Et le paraître menace chaque fois que la culture veut faire l’impasse sur l’éducation. Car cet enseignement, savoir pour le savoir, devient énigme si personne n’est là pour le faire parler (le mégalithe breton n’exhibe que la tristesse du majestueux)… Et dans ce dédale surdimensionné de son cours, axial et central, on n’apercevrait plus dans le professeur-servant qu’un hybride ringard et rhétorique et de propagande, d’académisme et d’idéologie. Nous ne sommes évidemment pas la première génération anxieuse de perdre le fil, le continuum, le feu sacré. Cela vaut mieux que le vandalisme, mais est-ce une preuve de vitalité ou un effet d’évanescence ? L’enfant n’est-il qu’un adulte en miniature auquel on demande de consentir à un compromis momentané avec le passé ou avec la mort. L’institution dans cette acceptation historique est en crise. A plusieurs titres. Le plus grave c’est le mépris dans lequel notre société tient la culture aujourd’hui. Autrefois, du temps où les codes familiaux étaient remplacés par les codes de l’École, la culture générale constituait le viatique d’une assimilation au sens de l’intégration. Actuellement, reliée à la politique actuelle de la diversité, elle a valeur de discrimination. Le mépris dans lequel on la tient est à l’égal de celui des bolchéviks à l’égard de la culture bourgeoise il fut un temps. Certes, l’utilisation perverse d’une prétendue culture générale à des fins de sélection est discriminante quand bien même la culture importe par la réflexivité, le recul qu’elle autorise et que nous devons exiger. Ensuite, notre enseignement « institutionnel », pris dans sa pesanteur et sa lourde et locale fixité, est pris de vitesse, enfoncé par l’accélération des flux d’information, la virtualisation des références, la virevolte nomade. L’hégémonie mémoriale de cet enseignement est battue en brèche par la montée en puissance de l’ordinaire et de l’immédiat. La discipline collective, qui ne distinguerait pas l’école publique du monastère ou de l’armée, paraît aujourd’hui intolérable. Au sens où les modes de transmission et des relations entre les générations ont changé. La transmission est vue comme de nature inégalitaire et dissymétrique. Or un modèle de transmission horizontale – des pairs aux pairs, c’est-à-dire des jeunes aux jeunes – a pris la place d’un modèle vertical – des parents aux enfants – et à fortiori du professeur à l’élève, ce qui lui évoque une « crise des transmissions ».Les cartographies familiales et affectives, la légèreté de l’autorité paternelle, le recentrage sur l’enfant-roi mettent à rude épreuve les liens constitutifs de la filiation sociale et naturelle en particulier. Les médias de l’histoire sont par ailleurs obscurs et s’érodent de jour en jour : la langue écrite qui inscrit l’usager dans la suite des siècles se contracte. On commence par oublier son manuel scolaire où se placent sur le même pied d’égalité le témoignage historique, et l’article de journal -le réflexif et le l’informationnel- mais l’élève n’oublie généralement pas son portable. La langue parlée s’impose, entretenue savamment par des méthodes de questions-devinettes aux réponses hâtives et des pédagogies où l’élève n’est sollicité que pour écouter et réécrire, et finalement bavarder. La dilution du symbolique qui reliait par triangulation les sujets à eux-mêmes et entre eux par référence à un Autre, dont l’enseignement de l’histoire apportait son lot (évènements fondateurs, situation significative…,) favorise la montée des postures narcissiques que le professeur affectionne déjà pour lui même. Désormais, l’Autre, c’est moi. L’enseignement de l’histoire ne semble pouvoir survivre que dédramatisé et sociologisé. Or, la gratuité délibérée de notre enseignement exige des donateurs, des souscripteurs, pas des consommateurs. Une fois débarrassée de son sens, il ne reste de l’école que la violence par endroits et la consommation utilitariste. L’histoire comme ressource fonctionnelle « ça sert pour le bacc ». Ce qui nous rend quelque peu…invalide. L’examen est un soldat de surplomb. La signalétique déplace le symbolique. L’examen devient le seul totem de continuité. L’enseignement qui le précède prend le corps d’un édifice silencieux sans credo ni message qui se commémore lui-même et expose l’élève au risque de ne plus avoir à intérioriser de souvenir. L’enseignement de l’histoire alors ne rappelle ni n’appelle. C’est la prééminence de la société civile sur la citoyenneté.

La remise en cause du territoire

La mémoire doit se cheviller à des lieux alors que les élèves sont sans collier. Mémoire et sol vont de pair. Il faut des chemins à la campagne pour se rendre à l’école, se familiariser avec l’espace et le temps. Vaut mieux d’ailleurs s’y rendre à pied, il en va de la bonne santé anthropologique. Il faut des routes pour généraliser l’écrit, le journal ou le livre, en un mot transmettre le message du passé. L’enseignement de l’histoire peut aussi demander un sursis à la poussière s’il est pris comme un discours intransitif, un décodage exigible, un apprentissage. L’enseignement- message n’a d’usage autre que symbolique, la transmission d’une lettre sous enveloppe adressée par une époque à la suivante. Sans motivation éthique ou esthétique, cet enseignement n’est pas fait pour qu’on se souvienne de lui en tant que tel mais pour être utile. Sa valeur est métaphorique, il ne renvoie pas à une institution mais à un milieu, un savoir-faire. Il est mêlé au quotidien, au terrain, à la vie. Il murmure l’humilité à l’oreille. « Frères humains qui après nous vivrez, n’ayez contre nous le cœur endurci… » (Villon). Mais c’est aussi replacer, souvent inconsciemment une période tragique sous l’horizon d’un avenir meilleur. Se mettre en relation avec l’histoire passée de l’humanité, une fois assimilée, nous permet de devenir meilleurs que nous sommes. Le poilu du haut du monument sur la place du village postule que l’histoire a un sens et son enseignement une utilité en soi. L’évolution d’une culture, est d’ailleurs une suite de ruptures conjurées et de traumas surmontés, ce qui a valeur de continuité. Le professeur d’histoire semble alors perdre de sa vertu professionnelle de l’historien qui est le discernement des singularités, et moins la mise en avant des universaux. Mais le laborieux fantassin peut aussi se faire aviateur. « Il faut marcher pour apprendre et planer pour comprendre » (Claudel). Disons-le. Trop de mobilités actuelles, sous forme de déplantation de masse, de dispersions forcées, font le deuil de l’idée de nation, de socle commun. Elles coupent les humains de leur premier territoire, lieu de mémoire et de formation identitaire. La transmission cultive le génie du lieu quand notre époque développe le génie de l’instant. Ce qui finit par nuire à la socialisation imaginaire, familiale, civique des élèves. Force alors est donc de renchérir sur l’héritage au risque d’un certain intégrisme communautaire. Nos interconnexions aujourd’hui franchisent les frontières. On peut s’en réjouir, mais notre enseignement pâtit alors d’un partage très limité de la trame des dates au profit d’une perspective d’avenir commune. A défaut d’adhérence, ne nous faudrait-il pas alors transfigurer la mémoire en projet… C’est de l’enseignement sur coussins d’air, hors sol, dans lequel nous sommes confinés, comme il y a des élevages en feed-lots. Nos fêtes nationales deviennent survivances aseptisées : qu’en sera-t-il du 11 novembre sans plus aucun poilu à l’appel ? La culture-monde, l’économie mondialisée, un mode de vie planétaire nous rendront-ils demain transnationaux où sous-nationaux ? Le mythe chrétien fait exemple et parabole. Toute filière de transmission profane- de savoir, de valeurs ou de mémoire- exige des matériaux et un collectif. Des traces matérielles-documents, monuments, des plaques commémoratives…- et une institution (au sens d’une communauté) qui est là pour garantir le sens et la valeur. Il ne peut y avoir de conviction intime sans extériorisation. On ne voit que ce que l’on sait. Je suis au Musée de l’automobile de Rochetaillée, petite localité près de Lyon. Je m’arrête devant la Mercedes blindée, l’unique, la seule, qu’Adolf Hitler utilisait pour les parades. Celle que l’on voit sur les images d’archives. Elle est là devant moi. Ici, là, debout, depuis ce siège, Hitler saluait la foule. Regarder cette automobile, c’est certes, regarder l’histoire en face. Elle transmet alors une forte valeur d’émotion, d’évocation ou de restitution. Parce que je sais. Cependant, nos cours d’histoire se dématérialisent au rythme d’une forme scolaire dialoguée et du numérique. Le renvoi aux faveurs du fragile et à l’éphémère, lorsqu’on succombe à délégation de la mise en mémoire à des supports vidéo ou à des conférenciers de rencontre ou autres moniteurs de recherche plus technologiques, nous désapprend la métrique du passé. L’utilisation informationnelle des documents vidéo ou audio, ajoutée à la perte du collectif miné par un individualisme forcené ne prédispose pas à saisir les voies de la transmission culturelle, ses soubassements lourds et ses lents cheminements. L’autorité ne vient plus d’une admiration pour le savoir prodigué, on le sait déjà. Mais remplacer le travail médiateur par l’impact médiatique, c’est même sacrifier le message. La réciprocité émetteur-récepteur fait l’accolade à la symétrie entre les opérateurs, composant un horizon rassurant vu du fonds de la classe. Le message qui leur est commun est celui du « message » lui-même. Le même l’emporte sur l’altérité et le rapport d’autorité dont notre enseignement a besoin car il oblige à un processus d’initiation.

Déclin de l’autorité

L’enseignement de l’histoire se cache parce que l’autorité politique se cache. En amont du bâti cherchez l’institution. Elle se fait invisible. Au plus près de nous, si l’on peut dire, le chef d’établissement à son corps défendant se voit assiégé par des conseils d’ordre contemplatifs, comités, instances, d’où naissent des compromis médiocres ou des remises de peine. Le technocrate et le juge sont au final les deux figures de son déchu pouvoir politique. Cette rationalité actuelle le conduit à des arrangements locaux et transitoires, des compromis instables et révocables, des ajustements faillibles, des modifications de structure. Difficile de reconnaître le sujet institutionnel capable de choisir, convaincre, de décider seul, affronter au besoin. L’hypertrophie démocratique née de la révolution apprivoise les souverains en les privant des aspects les plus agressifs de leur souveraineté La souveraineté des enseignants est par contre savamment préservée… Dans ces conditions, quelle réforme pourrait prendre des droits d’auteur sur ce qui se passe vraiment dans la classe ? La liberté pédagogique définit un cyberespace impénétrable. Aucune réforme ne franchit la porte. Alors que nous aurions tous à y gagner. Rousseau et Kant parlaient de « ruse de la souveraineté » en évoquant leur projet de République européenne. Une façon de changer de sens la souveraineté des États. Emprisonner l’État dans un cadre nouveau où sa souveraineté se dissout et qui lui permettrait d’exprimer sa puissance d’une autre manière. Traduit en langage Education nationale toute réforme d’intérêt transversal (les TPE, le sole commun dernièrement), en estompant les repères de la dramaturgie unité de temps, de lieu et d’action qui doivent encore régir l’acte d’enseigner « forcerait » les professeurs à être plus libres. Sans conduire à volatiliser complètement la liberté propre de décision de son propre enseignement. On en est loin. Il y a les situations d’apprentissages explicitement construites par l’enseignant, mais il y a surtout déconstruction par les élèves affairés à d’innombrables interactions avec leurs pairs – interactions qui leur sont imposées en partie par la forme scolaire. Les élèves opèrent une transgression de l’exercice proposé en y investissant d’autres enjeux. L’enseignant ne peut s’habituer à ces parasitages, métaphore d’une école dépassée par l’expérience de ses propres élèves. Elle se traduit par la violence latente entre eux et l’institution scolaire, incarnée par l’enseignant, puis par ses différents acteurs de leur vie en collectivité. C’est dans ces entreprises constantes de transgression de l’ordre scolaire que se trouve la crise de l’école. Notre mission ne fait plus partie de ce qui « va de soi ». Elle oblige à une perpétuelle négociation qui dit la grandeur de l’autorité au sens classique qu’elle suppose. Les élèves sont déjà en partie des citoyens, avec leurs identités et leurs revendications mais aussi leur besoin de reconnaissance et quelque part d’autorité. Ceux qui sont déjà entre les murs n’ont pas besoin d’un film pour leur rappeler. L’autorité se perd. L’enseignement de l’histoire est le premier à en souffrir. Pour les raisons déjà évoquées. Mais aussi parce que le geste de célébrer, de se retourner sur ses pas, de rendre l’invisible envisageable a toujours été un acte d’autorité et de volonté. L’enseignement de l’histoire est solidaire d’un espace temps long. Connecter les âges oubliés et leurs successeurs prend du temps. Celui-ci, de plus en plus bref, mêlé à un idéal de rapidité rappelé chaque fois par la perte d’attention des élèves sujets aux emplois du temps démesurés font que toutes nos émissions souvent patiemment programmés et construites ne durent pas. Tout ce qui négocie aujourd’hui avec le temps devient saugrenu et contre-productif. Peu à peu, une génération s’ignorant héritière demande qu’on lui soustraie davantage de mémoire avec le consentement de ceux qui n’ont gardé de l’enseignement de l’histoire que le souvenir de dates à apprendre. Et puis advient un monde qui ne se sent plus en rien dans le prolongement de l’ancien. Ce saumâtre état des lieux n’appelle pas une complainte humaniste. On ne pourra jamais se décharger de notre dette généalogique uniquement sur des monuments ou des musées, abandonnant la mémoire à une appréciation individuelle et donc subjective. La continuité fait grise mine parce qu’elle est collectiviste et collégiale et ne se dissout pas dans nos sociétés de consommation privilégiant l’individu déjà propulsé par la sclérose de nos institutions. Elle se réaliserait mieux, l’ecclésiaste dont on ne doute pas de l’autorité vous le dirait, dans les chaudes célébrations sous les voûtes, alors qu’on a de cesse de vouloir construire des établissements aériens et translucides. On attendait de la mémoire, voilà du monumental. L’intérieur se transforme en ruche d’abeilles dont la vie, on le sait est réglée par une communication codée. Il faut enfin regarder de près les processus extrêmement ritualisés de la perpétuation des secrets de métier et des tours de main de charpentier pour comprendre que la démocratisation n’est pas non plus le meilleur contexte à la réflexion. Il n’est pas improbable que, au final on ne transmette pas grand-chose dans nos enceintes, dès lors que notre enseignement général continuera de reposer quel que soit le public sur un principe connu : un adulte sait et transmet son savoir et son expérience à un élève qui ne sait rien et auquel on suppose un intérêt à priori pour le savoir de l’adulte. Considérons plutôt que l’école a, une fois de plus, des difficultés à s’adapter à cette nouvelle donne. Non pas que les enseignants n’en ai pas pris acte, loin de là. Même si la qualification s’oppose encore souvent à la compétence Mais ils ont besoin de disposer des moyens institutionnels – au sens courant – pour le faire. Le système scolaire ne s’est pas suffisamment adapté à ce nouveau public, n’a pas toujours su introduire des innovations pédagogiques, de nouvelles façons d’enseigner (ou alors on les a dédaignés) pour répondre au défi qui lui était lancé. Le collège unique par exemple s’est ainsi limité à être un prélude au lycée et son sacro-saint baccalauréat, alors qu’il reçoit un public, plus diversifié qu’auparavant dans ses attentes et ses ressources.

Ne désespérons-pas pour autant. L’allègement du poids de l’histoire peut cependant être assimilé à un soulagement. Le déni de transmission s’expose en bonne humeur et en amour du prochain. Le bio est un hommage profond à la terre. Le repli sur le tangible et le visible, la frénésie de consommation portent à leur envers l’appétence antiquaire. La dictature du tout et tout de suite a son contrepoids du codé, de l’intransitif et du stable. Le marbre remonte par les flux. La circulation impérative et le transit généralisé suscitent des vides de centralité qui font appel d’air. L’enseignement de l’histoire aura droit à une seconde vie. La mutation en cours est celle de la modernité elle-même et elle n’a pas que des aspects négatifs, et ne sonne pas le glas de la vie sociale. Plutôt que de se laisser emporter par un sentiment de chute parce qu’il n’imagine pas d’autre avenir qu’un passé idéalisé, il nous faut essayer de maîtriser les effets de cette mutation en inventant des figures institutionnelles plus démocratiques, plus diversifiées et plus humaines. Les valeurs de la République n’ont de sens qu’auto réalisées par les acteurs eux-mêmes. Les élèves arrivant à se déterminer que parce qu’ils sont coauteurs, par le langage qui sied à la délibération collective. Dans cette modalité d’apprentissage, l’intention de transmettre un savoir d’autrui cède alors la place à celle de formaliser des savoirs souvent à partir d’un travail de recherche et sur l’expérience des élèves eux-mêmes. De là naîtra une nouvelle définition de l’autorité. « Est-ce le châtiment, cette fois, Dieu sévère ? Alors, parmi les cris, les rumeurs, le canon, il entendit la voix qui lui répondait : non ! » (Victor Hugo, les châtiments).

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