Formation et insertion professionnelles : quels enjeux ?

entretien avec Paul Timmermans

Formation professionnelle, formation technique, formation en alternance, formation continue… Actuellement former semble être LA solution pour lutter contre le chômage et favoriser l’accès à l’emploi. Qu’en est-il au juste ? Paul Timmermans[1], initiateur de la mission locale de Charleroi dont il fut le premier directeur, nous aide à y voir plus clair.

  • La plupart des politiques d’employabilité ne jure plus que par les formations en tous genres, à tel point que l’on assiste aujourd’hui à une véritable « industrie de la formation »[2].

Or, si la formation a un impact positif sur l’économie d’un pays en favorisant la concurrence et donc l’emploi, il n’existe cependant pas de lien direct entre formation et création d’emploi.

Paul Timmermans définirait plutôt la formation comme un ensemble de dispositifs qui visent à développer et consolider les compétences. « Faire peser tout le poids de l’insertion professionnelle sur la qualification des chômeurs revient à sous-entendre qu’ils seraient responsables de leur non-emploi ! ».

  • La formation ne constitue donc un facteur dynamisant l’intégration sociale que si elle s’articule avec d’autres stratégies en faveur de l’emploi. Il apparaît en effet qu’une formation n’influence positivement une trajectoire que combinée à d’autres éléments personnels, connotés positivement sur le marché du travail, tels que le niveau d’études initial, l’existence d’une expérience professionnelle ou non, le sexe, etc. Jouant un effet de relance dans ce genre de cas, elle serait cependant inefficace pour redresser le parcours des moins favorisés[3].
  • Selon Paul Timmermans, le débat tourne fondamentalement autour du rôle de l’entreprise dans la formation. « Se soucier prioritairement de l’entreprise plutôt que de l’individu est un leurre : l’entreprise change perpétuellement sa demande. Un exemple de ce problème : nous proposions dans l’école où je travaille une formation en électromécanique en 5°-6° techniques. Il a été décidé sous pression d’une grande entreprise, mais avec l’accord des réseaux qui relayaient la demande, de scinder la formation (électricien-mécanicien) en 2 options spécialisées. Chaque école a donc changé son option, ses programmes, l’équipement de son atelier… Et aujourd’hui l’entreprise préfère sous-traiter car elle a finalement besoin de travailleurs spécialisés ambivalents ! Donc si l’on suit cette logique, l’école court sans fin derrière les entreprises qui ont le plus de crédit ».
  • D’où l’importance, souligne le directeur d’école, du concept d’employabilité. L’insertion se joue comme une interaction, un ajustement entre trois variables : le demandeur d’emploi, l’employeur et un contexte donné. Il s’agit avant tout d’un rapport de forces où les enjeux de la formation ne sont pas les seuls en présence !

Ainsi par exemple, certaines personnes sont très qualifiées mais seront plus employables à Bruxelles qu’à Charleroi. Certaines sont qualifiées mais ont une autre couleur de peau, un nom à consonance particulière, qui les freinera dans leur insertion. Mais si en revanche une personne de couleur différente est hyper qualifiée dans un créneau très pointu, l’entreprise l’engagera quand même.

« C’est donc à la croisée entre les capacités de l’individu et les contraintes de l’entreprise que doit se négocier le processus d’employabilité et ce de deux manières. Soit on tente de diminuer les contraintes de l’entreprise, par la discussion sur les compétences réellement exigées au poste de travail, soit on influence le contexte, par des aides à l’emploi. La formation articule tous ces axes pour renforcer les compétences des gens et accroître leur capacité d’adaptation » insiste P.Timmermans.

Il existe effectivement plusieurs modèles[4] d’insertion socioprofessionnelle selon que l’on privilégie tel ou tel aspect.

  • Le modèle social

Le modèle social envisage l’emploi comme un objectif parmi d’autres du parcours de réinsertion : intégration sociale, citoyenneté, élaboration d’un projet, etc. Cette approche suppose que les compétence de l’individu et celles requises par l’entreprise vont s’ajuster d’elles-mêmes par la suite. Le point faible est de ne pas tenir compte des contraintes inhérentes au monde de l’entreprise (politique de recrutement ; gestion des compétences, etc.).

  • Le modèle économique

À l’opposé demeure le modèle économique qui prend l’entreprise comme référence. Des opérateurs élaborent des formations en réponse aux demandes des entreprises. L’embauche au terme de la formation est dans ce cas-là presque assurée. Soulignons cependant que les formations données dans ce cadre sont assez courtes car l’entreprise ne peut se permettre d’attendre longtemps, et limitées aux compétences exigées pour des postes définis. Cette démarche ne garantit donc aucune transferabilité des capacités du travailleur vers une autre entreprise. Un autre risque est celui de déplacer la sélection des portes de l’entreprise à celles de l’accès à la formation.

  • Le modèle socio-économique

A mi-chemin de ces deux approches, nous trouvons un troisième modèle : le modèle socio-économique, à visée plus participative. Ce type d’insertion tente en effet d’élaborer des profils professionnels qui correspondent à des exigences définies pour accéder à l’emploi, sans forcément passer par une élévation des compétences. Le but est ici est d’atteindre une mise à l’emploi des moins qualifiés par « une aspiration des travailleurs sur l’échelle des compétences favorisant, par l’abaissement des seuils de compétences exigés lors du recrutement, l’accès à l’emploi des moins qualifiés, quitte à recomposer avec la participation de l’entreprise l’organisation du travail »[5]].

Cette démarche a le mérite de lutter contre un problème majeur qu’est le phénomène de désajustement : en période de crise de l’emploi, les chômeurs les plus faiblement qualifiés se retrouvent exclus puisque les demandeurs les plus qualifiés acceptent des postes pour lesquels ils sont surqualifiés. Il convient donc de créer de l’emploi non seulement peu qualifié mais également qualifié.

En ce sens il s’avère nécessaire de mettre en place des mécanismes pour que l’entreprise s’engage en assumant le rôle formatif qui est aussi le sien plutôt que de participer à son appréciation[6]] : la formation constitue un coût ainsi qu’un investissement à partager. « Ces dernières années, crise économique aidant, les entreprises se sont massivement déchargées de leurs contraintes de formation sur les pouvoirs publics.(…) Une telle situation n’est pas tenable. Il importe que chacun reprenne pleinement le rôle qui est le sien, de manière à sortir du marasme actuel[7]]. » Paul Timmermans renchérit : « rencontrer les besoins de l’entreprise est illusoire car l’entreprise est dans l’impossibilité de les définir et ne pratique que très peu la gestion prévisionnelle de main d’oeuvre. Culturellement, en Wallonie en tous cas, ça ne marche pas. »

  • Un constat s’impose donc : pour réduire efficacement et durablement le chômage, il faut agir à la fois sur l’offre et la demande en combinant la formation à des politiques de création d’emplois, notamment des plus qualifiés. C’est en effet un développement général de l’emploi qui permettra l’insertion des moins qualifiés. Enfin le développement d’emplois peu qualifiés sans perspective professionnelle ne serait qu’un moyen d’augmenter les parcours d’insertion précaire.

Avec des programmes d’employabilité ne tenant pas compte de ce constat fondamental la formation ne serait qu’un moyen de gérer la file d’attente du chômage où les premiers servis seraient les mieux qualifiés, et donc de déplacer la sélection ailleurs. Si l’on veut éviter une hiérarchie de l’insertion, il est vain de contraindre les opérateurs à des obligations de résultats et surtout de développer une politique de répression et de contrôle.

Paul Timmermans d’insister : « la qualification des demandeurs d’emploi en Wallonie est un vrai problème. Il ne sert à rien de forcer et contrôler des personnes qui sont en refus scolaire. La formation professionnelle n’est intéressante que si elle s’accompagne du développement personnel. Car tout le monde a envie de faire des choses même si c’est dans son quartier. Les gens ont besoin de reconnaissance sociale et il faudrait greffer tout le reste autour de ce constat fondamental : il faut rendre aux gens le goût du projet. Donc ne donnons pas dans la répression mais tentons plus de mises en projet et de propositions ».

  • Elaborer avec les demandeurs d’emploi un bilan des acquis et ensuite reconstruire avec eux un véritable projet professionnel, telle semble être la solution pour remotiver profondément les personnes en phase de réinsertion.

A la question « comment faire alors pour combiner au mieux formation et insertion professionnelle ? », Paul Timmermans est formel : les plus gros efforts de formation de base doivent être faits sous le mode de l’éducation permanente. C’est la clé pour en faire des citoyens actifs et critiques. Tandis que l’entreprise, en collaboration avec les centres sectoriels, doit investir dans la formation qualifiante des salariés. Ainsi, en élevant le niveau général de qualification des travailleurs en fonction, on pourrait dégager des postes pour les peu qualifiés, qui entreraient dans l’entreprise pour y travailler mais aussi pour s’y former. Nul doute qu’ainsi, l’adéquation, tant réclamée, entre la formation et l’entreprise s’en trouverait renforcée.

  • Autre enjeu fondamental, la validation des compétences. « L’importance des diplômes n’est négligée que par les gens qui en ont. » La validation des compétences est un enjeu majeur pour la reconnaissance des compétences même si c’est seulement psychologique.
  • Enfin, il importe de refaire la part des choses entre ce qui relève du privé et du public : « La reconnaissance doit revenir au secteur public afin d’éviter l’intrusion du privé dans le système scolaire comme cela se passe aux Etats-Unis. Or le service public a plus que jamais un rôle de régulateur, de référence. Si une formation ou une expérience chez IBM est plus importante qu’un diplôme en informatique, c’est la preuve irréfutable que le système public ne fait pas son travail. Le rôle du secteur public est donc avant tout de produire plus d’égalités, de chances, de moyens et de résultats.

Petite histoire de la formation professionnelle en Belgique

La formation se faisait sur le tas où on « volait » les compétences. On entrait enfant en sidérurgie où on faisait tout, même le café puis on disait aux vieux « tiens je pourrais le faire moi-même ». La transmission du savoir se faisait par l’observation et la méthode d’essais – erreurs (comme le compagnonnage actuellement). Les anciens se sentaient souvent désappropriés car ils confiaient leur secret et en étaient ensuite dépossédés.

Après est venue la période de la promotion sociale via le service public et les cours du soir. Avant c’étaient les travailleurs et non les entreprises qui formaient leurs pairs. Ensuite les services publics s’en sont mêlés mais pour les gens qui travaillaient déjà (pédagogie d’adultes).

Par la suite est apparu tout le discours sur la formation professionnelle qualifiante dans les écoles. A surgi l’idée des fonds sectoriels : lors de la négociation d’une augmentation salariale, une partie était réservée à la formation, en plus des cotisations sociales. Les fonds sectoriels ont ainsi acquis de plus en plus d’ampleur.

Nous en venons à l’étape actuelle : les fonds sectoriels sont reconnus par la région wallonne. Ces centres régionaux sont donc devenus des centres d’excellence réservés aux travailleurs puis aux chômeurs (Forem). Maintenant les travailleurs représentent 80% de la fréquentation des fonds d’excellence sectoriels, les demandeurs d’emploi 20%. Ces centres se sont ouverts aux secteurs de l’école (professeurs et élèves).

Bibliographie

« Quelles politiques pour l’emploi et le travail décent des jeunes ? », Amparo Serrano Pascual, in Education ouvrière, 2004/3, numéro 136.

« Insertion professionnelle : suffit-il de former ? » Bernard Conter, Christian Hecq, Olivier Plasman, in Wallonie n°53, juillet 98.

« Augmenter la formation pour diminuer le chômage : l’équation magique ? », Marie-Hélène Ska in Démocratie, n°6, mars 1998.

Références

[1] Intéressé par la politique il fut conseiller communal Ecolo à Charleroi et siéga également en tant que député pendant une législature. Aujourd’hui revenu au milieu de l’enseignement, il est directeur d’un collège au projet pédagogique très social.

[2] « Quelles politiques pour l’emploi et le travail décent des jeunes ? », Amparo Serrano Pascual, in Education ouvrière, 2004/3, numéro 136.

[3] « Insertion professionnelle : suffit-il de former ? » Bernard Conter, Christian Hecq, Olivier Plasman, in Wallonie n°53, juillet 98.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Amparo Serrano, op.cit.

[7] « Augmenter la formation pour diminuer le chômage : l’équation magique ? », Marie-Hélène Ska in Démocratie, n°6, mars 1998.

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