La force de la mémoire I

le fonctionnement de la mémoire

La mémoire une condition de l’émancipation intellectuelle

La mémoire un atout pour penser

La mémorisation a été décriée comme étant une violence néfaste qui encombrait le cerveau de choses inutiles. Des critiques moins radicales ont défendu l’idée qu’il était possible de vivre sans devoir tout connaître par cœur pour peu qu’on sache comment accéder aux sources d’informations. Nous défendons ici une thèse inverse : il n’y a pas moyen de penser sans mémoire et il n’y a pas moyen de se documenter sans mémoire. Ainsi, plus quelqu’un d’intelligent a mémorisé de choses, plus puissante et performante sera son activité intellectuelle.

Prenons le problème par l’hypothèse inverse et imaginons quelqu’un qui ne dispose d’aucune mémoire. Nous pouvons en voir le résultat chez les personnes amnésiques ou souffrant de la maladie d’Alzheimer. Les victimes de ces maladies illustrent douloureusement que la mémoire, c’est la vie. Dieu merci, elles conservent encore une mémoire procédurale, celle des savoir-faire routiniers, qui leur permet de poser les actes de la survie physique comme se déplacer, manger, etc. Imaginons qu’il faille tout redécouvrir à chacune de nos actions. C’est le retour à l’état végétatif. Autrement dit, pouvoir mobiliser, dans le cadre de nos activités diverses, des informations et des procédures constituées, qui préexistent et que nous avons acquises, que nous pouvons mobiliser sans devoir y réfléchir, facilite les actes quotidiens.

Mais plus encore, la mémoire est la condition de l’exercice de l’intelligence, y compris pour la résolution de problèmes. Devant une réalité à saisir, la possibilité de faire appel à des notions, à des concepts, à des grilles d’analyse qui ont été compris et qui sont mobilisables facilement donne les moyens de comprendre rapidement cette réalité et donc de pouvoir poser des choix plus judicieux à son égard. Plus la mémoire est riche, plus l’analyse en est facilitée.

Plus fondamentalement encore, la mémoire est une condition indispensable de maîtrise de la langue, support de la pensée, à travers la mise en réserve d’un vocabulaire étendu et précis, ainsi que des règles syntaxiques, d’expressions suggestives, de tournures de phrases, de styles, d’expression, etc.

Ce qui n’est pas appréhendable directement par un savoir mémorisé peut être trouvé dans des sources documentaires. Cependant, l’usage de celles-ci requiert à son tour la mémoire puisqu’il faut pouvoir accéder rapidement à la bonne source, ce qui suppose que l’on sache de quoi il s’agit, à quel corpus de connaissances ces informations appartiennent et où on peut les trouver. Ceci suppose la possession d’une foule de repères mémorisés qui vont guider la démarche de recherche.

Ce réservoir d’idées qu’est la mémoire sert aussi lorsqu’il s’agit de trouver des solutions face à un problème. Plus l’éventail des références est large et varié, plus riches seront les ressources exploitables devant une situation problématique.

La résolution de problème et la construction de savoir s’imposent face aux thématiques et aux problématiques pour lesquelles le savoir constitué n’offre pas encore de réponse satisfaisante. Mais, même dans ce cas, une observation attentive du fonctionnement humain nous révèle que les procédures et les méthodes utilisées pour ces démarches créatives sont connues et par conséquent ont été mémorisées. On peut les mobiliser soit directement, en cherchant dans des savoir-faire intellectuels éprouvés, soit indirectement, en cherchant, par analogie, dans d’autres domaines du savoir-faire intellectuels.

La mémoire, condition d’une identité

L’absence de mémoire signifie la mort, la mort sociale et la mort identitaire.

Le besoin d’identité

Personne, ni aucune société ne peut échapper à la recherche d’une définition de soi. Dans la recherche identitaire, il est donc nécessaire de comprendre qui on est, tant sur le plan personnel que sur le plan sociétal. C’est en réponse à ce besoin qu’apparaît la nécessité du savoir mémorisé.

Qu’est-ce que l’identité ?

L’identité est un construit social. Elle n’a donc rien de naturel. Cette construction identitaire ne se pose pas non plus dans l’abstrait mais de manière située, par rapport à une culture donnée et à un moment particulier de l’histoire d’un groupe. Il y a toujours une dimension sociale ainsi qu’historique à la recherche de l’identité.

L’examen de la construction de l’identité, qu’elle soit personnelle ou collective, montre que celle-ci s’élabore à partir des représentations disponibles pour se comprendre et comprendre le monde dans lequel chacun vit. En effet, pour se définir, il faut pouvoir se donner des caractéristiques physiques, psychologiques, morales, dire ce qu’on aime et ce qu’on rejette, expliciter comment on « fonctionne », comment on voit le monde, ce que l’on veut pour soi et pour les autres, etc. Ce discours tenu sur soi et sur la société ne s’élabore pas de manière spontanée. Il puise dans la culture les matériaux permettant de façonner cette image de soi.

Parmi toutes les représentations constituant la culture, le sujet tout comme le groupe social va en sélectionner certaines (qui peuvent être tantôt des modèles de comportements implicites qui lui ont été inculqués, tantôt des discours explicites et structurés appartenant aux savoirs constitués et au patrimoine artistique qui lui ont été transmis), lui permettant à la fois de se créer un sentiment d’être unique, distinct des autres et de se construire l’image d’un sujet solide et stable dans le temps, malgré les transformations qui l’affectent au jour le jour. Simultanément, il puise dans ce même fonds les matériaux lui permettant de définir et dire une appartenance commune, une identité partagée, et ainsi de parler d’un « nous ».

Par ailleurs, l’identité requiert de pouvoir comprendre le monde et de s’y projeter. Pouvoir donner sens à sa vie exige que l’on puisse saisir le pourquoi des choses, les logiques qui organisent l’ordre du monde et l’enchaînement des évènements et à partir de là, imprimer sa marque sur le monde à travers la réalisation de projets. Cette projection dans le futur et cette lecture du présent s’enracinent à leur tour dans une relecture du passé qui implique de faire appel à la mémoire.

L’enjeu de la transmission

Pour pouvoir se dire comme sujet individuel et membre d’un groupe, pour pouvoir définir qui on est et ce qu’on veut, pour pouvoir sa place dans le monde et y poursuivre des projets (autant de conditions de la construction d’une identité), c’est la culture et donc les productions du passé qui constituent les matériaux de base d’une construction dynamique, créative et évolutive. Ainsi est posé l’enjeu de la transmission de ce qui existe avant et en dehors de l’expérience immédiate du sujet (et aussi de ce qui en subsistera après).

Par conséquent, la mémoire est indispensable à la construction d’un je et d’un nous puisque qu’elle garde à la disposition de l’esprit les modèles que le sujet individuel ou le groupe pourra mobiliser quand il voudra affirmer qui il est et ce qu’il veut.

L’inégal accès à la mémoire

Il est de plus en plus rare que la mémoire soit entraînée directement à l’école ou ailleurs. L’apprentissage par cœur de poésies ou de chansons est passé de mode. Pourtant, il faut bien reconnaître que les jeunes qui poursuivent des études poussées et qui sont issus majoritairement des milieux supérieurs, sont encore et toujours contraints, pour réussir leurs examens, de réaliser des efforts de mémorisation longs et soutenus. Même s’ils oublient ensuite rapidement l’essentiel des acquisitions faites lors de leurs périodes de « blocus » ou de bachotage, ils entraînent néanmoins intensivement, à cette occasion, leur faculté de mémorisation. Car la mémoire n’est pas un organe mais un potentiel, issu de connexions neuronales. Cette potentialité se développe avec son exercice, en même temps que s’apprennent les stratégies qui en accroissent l’efficacité. Ces jeunes sont donc outillés pour pouvoir plus tard mobiliser et exercer leur mémoire en la mettant au service des contenus qu’ils jugent intéressants ou importants pour eux. Car il reste vrai que pour retenir, il faut le vouloir. Par ailleurs, de part leur trajectoire sociale, ces jeunes vont être confrontés à des expériences de vie variées leur donnant un plus ou moins grand pouvoir sur les choses et les gens. La faculté de mémorisation leur permettra aussi de capitaliser un maximum de matériaux de ces expériences qu’ils pourront exploiter plus tard.

Les jeunes qui n’ont pas compris comment il fallait procéder pour réussir les apprentissages scolaires sont donc aussi moins outillés pour la mémorisation. Certes, la mémoire ne s’exerce pas exclusivement à partir d’activités scolaires. Elle se voit sollicitée depuis l’arrivée au monde du nouveau-né et est mise en œuvre dans les multiples circonstances de la vie quotidienne. Il n’y a personne sans mémoire. Cependant, si on n’a pas associé la mémorisation avec l’apprentissage systématique, si on n’a pas entraîné régulièrement cette faculté, si on n’a pas construit des stratégies explicites pour pouvoir se souvenir, si en somme on n’a pas pris conscience du bon usage et du pouvoir de la mémoire, on ne mémorisera que de manière fortuite et seulement des messages immédiatement intéressants, comme des paroles de chanson, par exemple. Pour ceux qui n’auront pas compris que la mémoire est un auxiliaire précieux pour le développement intellectuel global, la puissance intellectuelle en sera appauvrie pour la suite de leur vie.

D’un point de vue pédagogique, avec ce type de public, il importe de montrer d’abord les multiples situations dans lesquelles une bonne mémoire peut rendre des services. Il convient aussi de travailler les représentations de ce qu’est la mémoire pour évincer la représentation selon laquelle elle serait une qualité donnée une fois pour toutes et dont on serait plus ou moins doté de naissance. Certes, tous le monde ne dispose pas du même potentiel de mémorisation mais, comme pour d’autres capacités, tous le monde peut l’améliorer, la renforcer. Pour cela, il faut être convaincu que la mémoire est une potentialité qui peut se développer progressivement au moyen d’un entraînement systématique. Il faut aussi être persuadé qu’elle est une alliée pour accroître son emprise sur le réel.

Comment définir la mémoire ?

La mémoire est la capacité d’assimiler, de conserver et de restituer des informations et des procédures préexistantes.

Cette aptitude n’est pas le propre de l’homme. Les organismes vivants les plus élémentaires se transmettent des informations d’une génération à l’autre, par le biais de leur code génétique. Les individus des espèces animales plus évoluées apprennent et assimilent de nouvelles informations et procédures au cours de leur vie et s’en servent pour ajuster leurs comportements au contexte. Quant à l’espèce humaine, elle a développé cette capacité d’apprentissage à un point quasi illimité, dans une multitude de domaines, favorisant ainsi une intervention efficace dans des situations variées, complexes et changeantes.

La mémoire peut se développer à condition d’abord, de comprendre comment elle fonctionne et ensuite, de mettre en œuvre des stratégies de mémorisation déduites de cette compréhension

Différentes sortes de mémoire

Il est courant de distinguer la mémoire à court terme et la mémoire à long terme.

La mémoire à court termecomprend à son tour la mémoire de travail et la mémoire de courte durée. La première permet de maintenir présentes à l’esprit des données dont on a besoin durant la réalisation d’une tâche. Une fois la tâche réalisée, l’oubli intervient immédiatement. La seconde conserve encore des données pendant un bref délai après la fin de la tâche. Tous les tests le confirment : le volume des données de ces mémoires à court terme est limité (cinq à neuf unités d’informations quelle que soit la nature des données, chiffres, mots, phrases significatives, etc.). Si l’on veut faire basculer des données en mémoire longue, il faut faire un travail de traitement sur les informations.

Nous pouvons déjà tirer une conclusion : la mémoire ne peut assimiler qu’un nombre réduit d’éléments nouveaux, par petites doses successives. Des problèmes complexes comprenant des données nombreuses doivent être découpés en étapes ou en sous-problèmes.

La mémoire à long terme est potentiellement illimitée dans le temps. Cependant, on observe un oubli progressif lorsque les informations stockées ne sont pas réactivées.

Ajoutons que ces souvenirs ne sont pas stockés dans leur forme originelle, mais ils sont reconstruits, et donc déformés. L’enjeu de la mémoire n’est pas de reconstituer la réalité des événements passés pour elle-même, mais plutôt de répondre à des questions actuelles à l’aide des informations issues du passé. De plus, les souvenirs sont remodelés au fur et à mesure que de nouvelles données sont enregistrées. Le problème-clé de la mémoire à long terme est donc celui de l’organisation des informations en vue de leur mobilisation éventuelle.

Les chercheurs distinguent également plusieurs formes de mémoire à long terme. La première est la mémoire procédurale. Elle retient « comment on fait » pour agir efficacement dans un contexte donné. Dans cette catégorie, on peut placer des habiletés et des savoir-faire de base comme conduire une voiture, décoder le sens des mots, se repérer dans l’espace, etc. Ces routines apparaissent fortement automatisées, implicites et peu accessibles à la conscience. Elles semblent spontanées et « naturelles ». Un certain type de connaissances est souvent associé à cette mémoire procédurale : les connaissances conditionnelles qui précisent les circonstances dans lesquelles la procédure est d’application.

Les connaissances conditionnelles constituent parfois un obstacle à l’usage dans des contextes nouveaux des données mémorisées. Les connaissances conditionnelles associent, en effet, les données mémorisées avec les circonstances et le contexte dans lesquels l’apprentissage a été réalisé. Dès lors, ces connaissances empêchent de considérer une situation et un contexte inconnus comme susceptibles d’être traités avec des données connues. Les connaissances conditionnelles représentent un obstacle au transfert des connaissances.

La mémoire à long terme comprend, d’autre part, la mémoire déclarative qui apparaît quant à elle comme explicite. Elle permet de faire accéder à la conscience des faits, des idées, des explications, des appellations, des énoncés, etc. Cette mobilisation de connaissances n’est pas automatique ; elle répond à une demande du moment.

Dans la mémoire longue, on distingue en outre la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. La mémoire épisodique se souvient des expériences vécues, des événements personnels remémorés dans leur contexte particulier, tandis que la mémoire sémantique se souvient d’explications, de concepts, de savoirs sur le monde, de connaissances plus générales et plus abstraites, en somme. Par ailleurs, certains chercheurs parlent de « mémoire autobiographique » qui regroupe l’ensemble des connaissances sur soi, à la fois épisodiques et sémantiques. La mémoire autobiographique constitue la base de la construction de l’identité personnelle (c’est-à-dire de la perception d’une continuité du moi).

Mieux connaître le fonctionnement de la mémoire pour mieux l’exercer

Le codage des informations

Pour pouvoir être stockées dans la mémoire, les informations sont préalablement codées. Ces codes sont multiples et peuvent regroupés dans trois catégories : les codes sensoriels, les codes moteurs et les codes formels.

La mémoire utiliserait autant de codes sensoriels qu’il y a de modalités sensorielles (tactile, visuelle, auditive, olfactive). Notons que les codes visuels et auditifs sont considérés comme les plus importants à cause de leur lien avec le langage.

Les codes moteurs consistent à saisir les informations par la vocalisation (articulation à voix plus ou moins haute), par le mouvement (balancements, gestes) ou par le graphisme (écriture, schématisation).

Codes sensoriels et codes moteurs sont transitoires. En dernier ressort, les données sont traduites dans des codes formels qui opèrent une modélisation par le langage, ce dernier pouvant être verbal ou imagé. Cette traduction en modèles est indispensable pour disposer de représentations à long terme de l’information. Ce sont ces représentations qui sont susceptibles d’être mobilisées dans le futur.

Le stockage de l’information

On ignore encore comment se fait le stockage de l’information. On sait par contre que la mémoire est associée à l’affectivité. Nous retenons mieux ce à quoi nous attribuons une valeur affective. Plus les événements ont été vécus comme agréables ou désagréables, plus nous nous en souviendrons après de nombreuses années. C’est ici que prend place le rôle important de la motivation pour doter d’une valeur affective l’effort requis par une mémorisation volontaire, ainsi que le support apporté par les moyens mnémotechniques dans le cas où la mémorisation ne peut être que faiblement valorisée affectivement.

Par ailleurs, plus le temps d’exposition aux données à retenir est long et plus le nombre de répétitions (évocations de l’information) est élevé, meilleure sera la mémorisation.

L’organisation des informations dans la mémoire

Le stockage des données dans la mémoire suppose leur organisation. Les associations verbales en constituent l’un des moyens. Ces associations s’accompagnent d’un travail de catégorisation. On retient des listes de mots ou des notions « qui vont ensemble », par exemple, les termes associés à telle ou telle activité professionnelle, ménagère, sportive, éducative, etc. En fait, des liens logiques sont créés entre les différentes connaissances à retenir.

Ensuite, les catégorisations font l’objet d’une structuration. Ainsi se créent des arbres hiérarchiques qui organisent l’information et facilitent la mémorisation. Une culture cinématographique, par exemple, sera disponible parce que l’individu se sera construit une typologies des genres de films, une périodisation des productions, un tableau des styles d’acteurs, etc.

L’abstraction constitue l’autre moyen décisif de la mémorisation à long terme. En effet, c’est l’information la plus générale qui est conservée le plus longtemps. Les détails peuvent être retrouvés dans la mémoire par déduction de cette information générale. La personne s’aidera en s’appuyant sur les liens logiques et les arbres hiérarchiques qu’elle a créés.

Si les connaissances s’organisent principalement autour du langage verbal, elles s’organisent aussi au moyen d’images. Langage verbal et représentations imagées sont construits à partir des sens, parmi lesquels les perceptions visuelles jouent un rôle essentiel. Si on vous demande combien il y a de pièces dans votre établissement professionnel, vous allez probablement passer en revue visuellement l’espace de l’établissement. Une recette peut se retenir à partir de l’évocation des sensations perçues lors des tests de dégustation. Dans tous les cas, ces informations sont doublement codées : elles sont perçues par les sens et ensuite formalisées par un langage.

Les processus de récupération dans la mémoire à long terme

Une partie du processus de récupération est automatique, comme nous l’avons évoqué plus haut. Il se déclenche de lui-même, quasi instantanément, dans un contexte donné.

Ce processus offre l’avantage de la rapidité et de l’économie d’effort. Il présente, cependant aussi un inconvénient. Il impose son contenu à la conscience qui filtre la réalité à partir des souvenirs, empêchant l’intelligence de percevoir les spécificités et les nouveautés de la situation, à causes des connaissances conditionnelles qui y sont associées.

Une autre partie du processus de récupération est le fruit d’un travail volontaire de mobilisation du souvenir. En général, nous savons si nous savons déjà quelque chose sur un sujet (ce que les chercheurs appellent une métamémoire). Cette conviction première met en route un travail, qui peut être long, de recherche des informations mémorisées. Parfois les souvenirs recherchés ne nous reviennent qu’un jour ou deux après notre tentative de nous en rappeler.

Pour parvenir à des souvenirs difficilement accessibles, l’individu doit partir d’indices de récupération qu’il construit par raisonnement et par réflexion. Ensuite, il pourra rechercher les souvenirs qui ont un lien avec cet indice. Un indice de récupération puissant est, par exemple, le repère chronologique (un événement marquant à partir duquel on peut retrouver les informations recherchées). La nécessité de ce travail volontaire de récupération des souvenirs enfouis confirme l’importance de la stratégie de la structuration et de la stratégie d’appui sur des moyens mnémotechniques.

Les processus de l’oubli

Paradoxalement, l’oubli est une forme de santé de l’esprit. Imaginez-vous disposer de la capacité de vous souvenir de tout à chaque instant, de tous vos faits et gestes, de toutes vos réflexions, de tous vos ressentis affectifs ou sensoriels, de toutes les personnes rencontrées, de toutes vos lectures jusque dans le moindre détail, etc. Plus aucune place vacante dans votre esprit pour une disponibilité de la conscience et de l’intelligence… Cela n’est pas concevable !

Le premier mécanisme de l’oubli est le non-transfert des données de la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme. C’est le mécanisme d’oubli le plus important.

La mémoire à long terme est, de son côté, l’objet de mécanismes d’amnésie. Parmi ceux-ci citons :

  • Le non-usage. Aucune information, aucune connaissance ne nous est acquise pour toujours. Pour qu’elle soit consolidée dans la mémoire, nous devons l’utiliser, l’évoquer, la mobiliser.
  • Le refoulement. Nous résistons et ne désirons pas vraiment évoquer et mobiliser certaines informations associées à des émotions pénibles (souffrances, remords, culpabilité, honte, etc.).
  • Le manque d’indice. Nous ne trouvons pas l’indice de récupération, l’élément déclencheur qui nous donnera accès à une série de souvenirs que nous pensons pourtant détenir.
  • Les interférences. Si nous ne restructurons pas explicitement les notions nouvelles avec celles que nous avons déjà en mémoire, les premières entrent en concurrence avec les secondes et finissent par se confondre, se mêler, s’embrouiller avec elles, avec le risque d’un rejet dans l’oubli de l’ensemble des informations, anciennes et nouvelles. C’est le cas, par exemple, pour l’apprentissage simultané de deux langues proches ou pour les souvenirs de vacances successives passées, des années durant, dans le même lieu, etc.
  • Le choc physique altérant le cerveau et le choc psychologique. Ces chocs peuvent produire des zones d’oubli, souvent très sélectives.

Pour mémoriser, il faut le vouloir

L’expérience montre que tout le monde ne dispose pas du même potentiel de mémorisation de départ. Certaines personnes mémorisent plus facilement que d’autres. Cependant, il est rare que quelqu’un n’ait vraiment aucune capacité de mémoire.

Quelles que soient les dispositions personnelles initiales, la mémorisation ne se fait jamais spontanément. En règle générale (sauf expérience à charge émotionnelle très forte), conserver et mobiliser des souvenirs est le résultat d’une intention et d’un travail. Autrement dit, pour mémoriser, il faut le vouloir et mobiliser son énergie dans ce but. Mémoriser suppose d’effectuer une série d’opérations mentales et de mettre en place un ensemble de stratégies en vue de fixer des informations dans la mémoire à long terme. Ce sont ces opérations et ces stratégies que nous développons dans un deuxième article.

Laisser un commentaire à l'auteur.e

Recherche