Pour retenir, il faut le vouloir
Si nous n’accordons pas une attention particulière à des événements, à des faits, à des connaissances, à l’activité d’apprentissage elle-même, si nous ne leur attribuons pas une valeur émotionnelle, nos souvenirs seront peu nombreux, flous et éphémères. Pour fixer une information dans la mémoire à long terme, il faut lui accorder une importance subjective. Soit on peut compter sur le support d’un ressenti affectif spontané et inconscient, soit il faut lui attribuer une valorisation de manière volontaire et consciente. Et c’est là le cas le plus fréquent en situation d’apprentissage. Autrement dit, en règle générale, mémoriser suppose une motivation préalable.
On distingue la motivation intrinsèque qui naît du plaisir et de l’intérêt de l’activité elle-même, et la motivation extrinsèque qui provient d’un facteur extérieur (recherche de récompense, évitement d’ennuis, volonté de faire plaisir, etc.). L’effort de mémorisation sera plus facile pour les activités s’inscrivant dans une motivation intrinsèque. Mais nous sommes souvent amenés à devoir retenir des informations par obligation. Cela exige donc de mettre en œuvre une volonté plus forte et, sans doute, de se reprendre régulièrement en vue de conserver l’assiduité dans notre effort. Dans le cas d’une motivation extrinsèque, lorsque l’effort doit se prolonger, il est utile de doser le travail et de s’accorder soi-même de petites récompenses.
La capacité de concentration, c’est-à-dire la capacité de garder son attention fixée sur un objet, est particulièrement mobilisée dans le travail de mémorisation. Cette capacité peut s’entraîner et se développer par ailleurs.
Clarifier son intention et préciser l’objet de la mémorisation
Au départ de tout travail de mémorisation, il convient de clarifier son intention : qu’est-ce que je cherche à retenir ? Dans quel but ? Pour quel usage ? … On ne retient pas les mêmes données selon l’utilisation qu’on prévoit d’en faire, à plus ou moins long terme.
En lien avec la clarification de son intention, il est nécessaire de distinguer la nature de ce qui doit être retenu. S’agit-il de données sans articulations entre elles (noms, dates, formules, …) ? De raisonnements ? D’enchaînements d’événements ? De procédures ? De synthèses, de plans, de schémas, d’images ? Etc. Dois-je les connaître absolument par cœur ? Dois-je savoir où et comment je peux retrouver les informations ? Etc. La réponse à ces questions conduit à choisir des stratégies différentes.
Ainsi on donne du sens au travail de mémorisation. Ce sens peut être accru en replaçant l’information dans un contexte. D’où vient-elle (par exemple, comment est-on parvenu à la construction d’une formule) ? Qu’est-ce qui en découle (par exemple, comment des lois peuvent-elles s’appliquer à des cas pratiques) ? Ce questionnement favorise la création de repères, d’indices qui faciliteront l’accès aux informations lorsqu’elles auront été stockées dans la mémoire.
Il est recommandé par ailleurs d’établir des liens entre les nouveaux contenus à apprendre et ce qu’on connaît déjà. Cette règle s’applique aux informations qui ont du sens, mais pas aux listes de données brutes (liste de noms, de dates, de chiffres, formules, nomenclatures, termes techniques) dont la mémorisation requiert l’usage de moyens mnémotechniques (voir plus loin).
Planifier son travail de mémorisation
Puisque la mémoire de travail ne permet d’emmagasiner qu’un nombre limité d’informations, il convient de découper le contenu à retenir en petites unités. Le contenu de chacune sera enregistré avant de passer à la suivante.
Pour pouvoir planifier l’enregistrement de ces données, il faut préalablement en prendre la mesure. Ceci suppose qu’on a exploré l’ensemble de ce qu’il faut retenir. Alors il devient possible d’organiser la matière, de la structurer en sous-ensembles, de définir des éléments à mémoriser en priorité, de préciser ce qui relève de l’essentiel et du plus général et ce qui, au contraire, apparaît comme illustratif ou de l’ordre du détail, de distinguer ce qui doit être retenu « par cœur » et ce qui peut se déduire de données déjà mémorisées. C’est ce travail préparatoire qui permet ensuite de découper les informations à retenir en petites unités et d’adapter la stratégie de mémorisation aux caractéristiques de chacune.
La mémorisation de chaque unité devient un objectif en soi. Il importe de répartir ses efforts dans le temps, de manière réaliste, pour atteindre l’ensemble de ces objectifs.
La patience et la persévérance sont des attitudes nécessaires pour arriver à bout d’un gros travail de mémorisation. Cette répartition de l’effort est plus facile si l’apprenant dispose de temps devant lui et ne travaille pas dans l’urgence ou la précipitation. Le stress s’avère contreproductif dans un effort de mémorisation de longue haleine
La mémorisation sera plus efficace si le travail est ponctué régulièrement de périodes de révision : des brèves révisions, après chaque unité, par exemple ; des révisions longues, après une série d’entre elles ; une révision globale, au terme de l’ensemble de la matière vue.
La révision globale s’appuie sur une méthode que nous pourrions appeler la technique du zoom. Si les données à mémoriser sont abondantes, il n’est pas possible de tout retenir dans le détail, de manière linéaire. On retiendra les éléments-clés (voir ci-dessous, à propos de la structuration des informations). En outre, il apparaît nécessaire de pouvoir se focaliser sur chacun de ces éléments-clés pour passer en revue les détails ou les illustrations qu’il englobe. Si au cours de ces différentes révisions, des lacunes sont constatées, il faut pallier aux déficiences. Faire preuve de lucidité et ne pas se mentir à soi-même, voilà les attitudes requises à ce moment-là !
Répéter
La répétition est la clé de la mémorisation. Pour bien retenir, il faut répéter inlassablement, jusqu’à ce que l’évocation devienne automatique. Même des informations fixées et mobilisables à moyen terme s’estompent à long terme. Elles exigent alors d’être rafraîchies par la répétition ou par l’usage. Notons que des informations déjà fixées une première fois et oubliées se re-mémorisent ensuite plus facilement.
La répétition est plus particulièrement requise pour la mémoire kinesthésique, la mémoire procédurale ainsi que la mémorisation d’informations isolées. Elle est moins nécessaire pour des informations qui sont reliées entre elles par des relations de sens et par des raisonnements (démonstration, récit d’événements, par exemple).
La répétition consiste souvent en l’autorépétition (on se récite les informations à soi-même). Ce faisant, des trous peuvent apparaître et on peut identifier les données à remémoriser. Mais parfois la mémorisation est incorrecte à l’insu du sujet. C’est pourquoi il est nécessaire, au fur et à mesure de la répétition, de vérifier l’exactitude et la précision des données mémorisées, en retournant régulièrement à la source
La répétition peut être encouragée par l’expression des contenus mémorisés à un tiers.
Enfin, il est intéressant de restituer les contenus mémorisés dans le désordre. En effet, la mémoire à tendance à fixer les longs apprentissages de manière linéaire, les éléments s’appelant mutuellement dans un ordre donné. En outre, on se souvient généralement mieux du début et de la fin d’un long apprentissage. Ce fonctionnement linéaire de la mémorisation ne facilite pas la mobilisation isolée d’un élément partiel de la chaîne. Il faut alors, pour pouvoir le retrouver, re-parcourir tout le cheminement. Il peut donc s’avérer efficace d’autonomiser les unités à mémoriser. Cette dissociation en unités peut commencer déjà au moment de la première mémorisation et s’entraîner ensuite en restituant chacune d’elles selon un ordre aléatoire, en vue de casser la logique linéaire.
La technique des signaux d’appel
La technique des signaux d’appel consiste à associer certains contenus à mémoriser à des images frappantes plus faciles à retenir. En voici quelques exemples.
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Vous ne pouvez rater un rendez-vous. Pour retenir la date et l’heure, imaginez la tête de votre interlocuteur si vous ratez la rencontre.
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Les noms à retenir sont déformés en des mots familiers.
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Les raisonnements sont théâtralisés comme sur une scène ou transformés en récit.
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Etc.
C’est sur la technique des signaux d’appel que sont construits la plupart des trucs mnémotechniques. (Voir plus loin) Il s’agit donc de créer des associations, des analogies, des visualisations.
Multiplier les canaux
Des informations enregistrées en transitant par plusieurs codes (sensoriels ou moteurs) sont plus facilement mémorisées que celles qui ne sont traitées que par un seul.
Associer une activité motrice à la mémorisation des données, augmente l’efficacité de cette dernière. On peut, par exemple,
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réciter ou expliciter tout haut le contenu à mémoriser ;
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écrire le plan des idées ;
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souligner ou noter les notions-clés ;
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apprendre en marchant, en se balançant, sur un rythme ;
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sauter à chaque énoncé d’une énumération ;
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etc.
Opérer une visualisation de la disposition spatiale de ses notes renforce la fixation des repères de la structure de la matière.
Structurer les informations à mémoriser
On retient mieux à long terme les données générales et abstraites que les détails et les illustrations. Pour faciliter cette organisation du savoir en données modélisées, deux démarches sont requises.
La première démarche consiste à faire le résumé, la synthèse et le plan qui dégagent l’essentiel de l’accessoire, hiérarchisent les données sélectionnées et vont au cœur de l’information. (Un article sera consacré à cette activité intellectuelle) A partir de cette formulation de l’essentiel, le détail pourra ensuite soit être retrouvé tel quel, soit être reconstitué dans les mots propres à l’apprenant. Le vocabulaire technique et les autres appellations spécialisées devront quant à eux être retenus tels quels tout en pouvant être raccrochés à une notion générale.
L’autre opération intellectuelle, indispensable quand la matière à retenir est très vaste, consiste à hiérarchiser les contenus en construisant des poupées russes logiques articulées entre elles et couvrant l’ensemble de la matière.
Divers moyens mnémotechniques
Les moyens ou « trucs » mnémotechniques sont familiers, du moins dans leur principe. Ces trucs mnémotechniques figurent dans de très nombreux manuels sur la mémoire dont beaucoup sont disponibles en livres de poche. Nous avons déjà parlé de la technique des signaux d’appel. En voici encore quelques autres, à titre illustratif.
La technique des lieux
Un procédé connu depuis l’Antiquité, largement utilisé au Moyen-âge et toujours pertinent aujourd’hui, est la technique des lieux. Dans un espace familier, évoqué mentalement, le sujet dépose des contenus à retenir, en différents endroits typiques. En re-parcourant mentalement cet espace, la personne retrouve les contenus et les notions qui y sont liées.
La technique des initiales
La technique des initiales consiste à former un nom ou une phrase (souvent cocasse) dans lesquels les lettres du mot ou les initiales de chaque mot de la phrase, renvoie à l’initiale d’un « objet » à retenir. Prenons l’exemple des planètes du système solaire. Pour les retenir dans l’ordre de proximité du soleil (Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, Pluton), on prend les initiales, soit M, V, T, M, J, S, U, N, P. On peut créer une phrase du genre Mère Vient Tantôt Mais Je Suis Un Nouveau Papa. Pour les retenir dans l’ordre de taille (Jupiter, Saturne, Uranus, Terre, Vénus, Mars, Pluton, Mercure), on retient : Je Suis Un Nouveau Tarzan Vraiment Magnifique Pour Médor. Il y a aussi la phrase connue pour retenir les mots en « ou » prenant x : viens mon petit chou, sur mes genoux, avec tes joujoux et des cailloux pour jeter sur le vilain hibou, plein de poux.
A chacun d’utiliser sa propre imagination !
La technique des images
La technique des images consiste à visualiser des images fantaisistes, surréalistes, absurdes associées aux données à retenir. Par exemple, pour une liste de courses, on se représente des personnages ou des animaux familiers, affublés des achats à faire. On peut aussi retenir par ce procédé, une définition ou des notions plus théoriques. Par exemple, pour retenir les configurations de Mintzberg (autocratique, missionnaire, bureaucratique instrumentale, bureaucratique clos, méritocratique, arène politique), on associera à chacune des configurations une scène théâtrale. Ainsi, pour la configuration autocratique, dont l’acteur prépondérant est la direction supposé exercer un contrôle direct sur toute l’organisation, on peut se représenter un boss, debout sur une table, en train d’observer avec une longue vue, tous les travailleurs présents autour de la table. Etc.
Évidemment, il ne suffit pas d’inventer un petit poème, une phrase rigolote ou une mise en scène farfelue pour retenir les données associées. Il faut encore le mémoriser et le répéter autant de fois que nécessaire à sa restitution fluide.
Pour conclure
Mémoriser, loin d’encombrer l’esprit, augmente sa puissance intellectuelle, en lui créant un réservoir d’informations mobilisables rapidement.
De plus, à cause des caractéristiques que nous avons décrites concernant le fonctionnement de la mémoire, son exercice développe, en retour, d’autres capacités intellectuelles comme le raisonnement, l’association, la synthèse, la modélisation et l’imagination.
Références
[1] Nous ne citerons qu’un site : http://cf.geocities.com/jeanreve05/ contenant des cours approfondis de mémorisation.