La scolarisation des enfants roms à Bruxelles: la voix des médiateurs culturels roms

[1] En Belgique, tout comme dans le reste de l’Europe, on a vu émerger au cours de ces dernières années une préoccupation croissante concernant les Roms. Elle s’est centrée essentiellement sur l’aspect le plus visible de leur présence dans notre pays, à savoir une mendicité majoritairement pratiquée par les Roms originaires des pays d’Europe de l’Est, et le fait que les enfants, mineurs d’âge et soumis à l’obligation scolaire, soient parfois associés à cette mendicité plutôt que d’être sur les bancs de l’école. Ma rencontre avec les médiateurs culturels roms du Foyer m’a permis de mieux comprendre les raisons de ce faible taux de fréquentation scolaire des enfants roms et le rapport ambivalent et complexe qu’entretient, encore aujourd’hui, cette communauté à l’égard de l’école. Identifier les « obstacles à la scolarisation » m’a ensuite permis de mettre en avant quelques pistes de travail pour permettre une meilleure communication et rétablir un lien de confiance entre la communauté rom et l’institution scolaire.

Ils interpellent le passant, assis sur un trottoir ou dans un couloir du métro, souvent un enfant endormi sur les genoux, un gobelet ou un berlingot posé devant, qui attend une petite pièce… Leur présence suscite compassion, agacement, parfois même agressivité de la part de certains, mais aussi et surtout beaucoup d’incompréhension et de questions : Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Que veulent-ils ? Pourquoi ne travaillent-ils pas ? Et surtout…, pourquoi leurs enfants ne sont-ils pas à l’école ?

1. Les Roms, des citoyens européens invisibles

Depuis les années 2000, et plus encore depuis l’élargissement de l’Union Européenne à 27 Etats membres (dont la Bulgarie, la Hongrie et la Tchéquie en 2004, et la Slovaquie et la Roumanie en 2007), de nombreux Roms d’Europe centrale et orientale ont migré vers les pays d’Europe occidentale pour des raisons économiques et politiques. On estime actuellement à 8 à 10 millions le nombre de Roms qui vivent en Europe, dont 7 millions en Europe Centrale et en Europe de l’Est, devenant ainsi la plus importante minorité ethnique de l’Union Européenne. Alors que sur le papier, ce sont aujourd’hui des citoyens d’Europe à part entière, leur situation sociale et politique reste très précaire. A quelques exceptions près, ils vivent dans des conditions de vie très en deçà des niveaux de vie moyens des pays dans lesquels ils se trouvent. Discriminés dans leurs pays d’origine, indésirables dans les pays « d’accueil » jusqu’à être fichés dans certains pays, peu de solutions s’offrent à eux et il leur est toujours aussi difficile d’exercer leurs droits les plus élémentaires. En principe, la déclaration de Copenhague (1993) oblige tous les États membres de l’Union Européenne à protéger les minorités nationales. Pourtant, en réalité, une majorité écrasante de Roms continue de vivre dans une extrême pauvreté, en particulier dans les pays d’Europe de l’Est, où ils sont exclus de secteurs essentiels de la société tels que l’éducation, l’emploi et le marché de l’immobilier.

Partant de ce constat peu réjouissant, les gouvernements des pays les plus concernés ainsi que plusieurs organisations intergouvernementales et non gouvernementales[2] ont créé, en 2005, l’opération « La Décennie de l’intégration des Roms (2005-2015) », qui présente une approche d’intégration globale à long terme, censée améliorer le sort des Roms en Europe. L’idée est que les plans d’action destinés à améliorer de façon ciblée les conditions de vie des Roms doivent dépasser les frontières nationales. Cette initiative a été lancée en février 2005, en Bulgarie, où les premiers ministres des gouvernements participants ont signé la Déclaration de la Décennie, avec l’engagement de « travailler pour éliminer la discrimination et combler les écarts inacceptables entre les Roms et le reste de la société »[3]. Le programme vise à supprimer les barrières interdisant aux Roms d’accéder à l’éducation, au logement, à l’emploi et à la santé. La prise de conscience des réalités vécues par ce peuple fut tardive, mais la « question tsigane », ainsi que la nomment certains spécialistes, saute aujourd’hui aux yeux des Européens.

C’est dans ce contexte de prise de conscience des discriminations et de l’exclusion auxquelles est confrontée la communauté rom depuis toujours qu’il m’est apparu opportun de s’interroger aujourd’hui sur l’avenir de cette minorité, ainsi que sur les moyens réels mis en œuvre pour faciliter son insertion dans la société, tout en respectant ses caractéristiques. Partant de l’idée que la scolarisation de ces enfants peut être un des moyens forts de briser le cercle vicieux de l’exclusion, je me pencherai plus spécifiquement, dans le cadre de cet article, sur les questions liées à l’éducation et à la scolarisation des Roms, en Europe, mais aussi chez nous, en Belgique, où leur nombre n’a cessé d’augmenter ces dernières années.

2. L’accès à l’éducation des Roms en Europe

La Cour Européenne des droits de l’Homme a noté, en 2005, que les enfants roms étaient encore victimes de discrimination en matière d’accès à l’éducation dans plusieurs pays européens, et plus particulièrement dans les pays d’Europe de l’Est. Des statistiques du PNUD (2006)[4] montrent que les enfants roms sont quasi inexistants dans l’enseignement maternel et que le pourcentage d’élèves inscrits et terminant le cycle d’études primaires est moindre chez les Roms que chez les non-Roms : 38 % d’entre eux ne termineraient pas l’enseignement primaire contre 4 % pour le groupe majoritaire. Dans l’enseignement secondaire et supérieur, ce pourcentage baisserait encore drastiquement puisque les jeunes roms ne seraient que 8 % à achever l’enseignement secondaire contre 64 % pour le groupe majoritaire. Les filles seraient davantage touchées : ainsi 3 filles sur 4 ne termineraient pas leurs primaires et 1 sur 3 serait illettrée (contre 1 sur 20 dans la population majoritaire). Les enfants roms passeraient ainsi deux fois moins de temps à l’école que les autres enfants.

A l’origine de cet écart entre Roms et non-Roms, les diverses pratiques ségrégationnistes qui ont eu lieu un peu partout en Europe durant de nombreuses années[5]. Dans le contexte des politiques d’assimilation de l’époque, l’intégration par le handicap a été, et continue à être dans une moindre mesure, une tendance forte de l’institution scolaire à l’égard des Roms. Notamment ceux dont la langue maternelle n’est pas la langue de l’école, dont le comportement est considéré comme atypique pour une classe ordinaire ou dont les âges ne correspondent pas à ceux des autres enfants. Ces enfants, considérés comme des « handicapés sociaux » ont été et sont encore parfois orientés comme des « retardés » mentaux ou physiques, s’appuyant sur les résultats de tests totalement inadaptés à ces élèves. Dans de nombreux États européens, les proportions des enfants roms envoyés dans ces classes sont bien supérieures à celles des autres enfants et atteignent parfois 80 % des enfants roms scolarisés. La scolarisation des élèves roms dans les classes spéciales durant plusieurs décennies a favorisé l’absence de résultats scolaires, leur stigmatisation, la culpabilisation des parents, l’image négative des enseignants, des autres élèves et des parents de ces derniers vis-à-vis d’eux. L’intégration erronée et abusive de ces enfants dans les filières banalisées d’un enseignement spécialisé est un effet pervers important des structures scolaires communes.

Dès la fin des années 90, des mesures ont commencé à être prises pour examiner les procédures de test et de placement en prenant davantage en considération les normes, les pratiques et les valeurs culturelles des enfants roms[6]. Néanmoins, malgré la mise en place de mesures de déségrégations et d’approches interculturelles en éducation en faveur des minorités, le niveau éducatif de la population rom en Europe demeure inférieur à celui de tout autre groupe socioculturel. Les adultes sont massivement analphabètes, à commencer par les femmes, ce qui pose de sérieux problèmes concernant l’accès à la formation professionnelle et ultérieurement à celui de l’emploi. Si leur scolarisation s’est progressivement généralisée et améliorée, les problèmes d’absentéisme subsistent, ainsi que des difficultés pour suivre certaines « routines » et pour obtenir des diplômes scolaires. Les relations entre les familles roms et l’école sont souvent difficiles ou n’ont pas lieu. Il apparaît que c’est durant la fin de la scolarité obligatoire, vers 12-16 ans, que la plupart des enfants roms encore scolarisés quittent définitivement l’école. Sans diplômes et devant l’absence d’alternatives éducatives leur permettant de se préparer à l’accès au marché du travail, ils se trouvent alors dans une situation critique. De plus, l’école est perçue encore souvent de manière coercitive par les Roms, comme une obligation de plus, un instrument d’assimilation forcée présentant le danger d’une déculturation, même si elle peut aussi former. En effet, si l’école permet d’apporter à chacun les instruments et les moyens de son autonomie au-delà de l’éducation familiale, la noblesse de ses objectifs tend aussi à masquer le travail sournois de mise en conformité par assimilation auquel elle contribue.

3. Réflexion du Conseil de l’Europe: vers une éducation interculturelle

Si l’école participe à l’acculturation des enfants en influençant leur processus éducatif global, notamment quand ils sont issus d’une minorité, elle leur donne également les moyens de s’adapter à la société dans laquelle ils vivent. Néanmoins ce processus d’acculturation se développe assez souvent dans le sens d’une déculturation en s’opposant à l’éducation familiale ou communautaire. Quand ces deux types d’éducation se développent simultanément, cela entraîne une juxtaposition d’expériences et de connaissances difficiles à vivre pour l’enfant, ainsi que des contradictions favorisant le rejet de l’école par la famille ou la déculturation de l’enfant. Pour répondre à cette catégorisation ethnocentrique, les solutions préconisées visent à passer à un pluralisme pédagogique, à ouvrir l’école à la participation des parents, à prendre en considération l’ensemble de la situation au lieu de se limiter au structurel ou aux aspects didactiques, et donc développer une politique interculturelle globale avec des approches pédagogiques qui en relèvent.

Une importante évolution a eu lieu après l’adoption de la Recommandation sur l’éducation des enfants roms en Europe (2000) par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Le projet « Education des enfants roms »[7] a débuté en 2002 dans le but de donner effet à ce texte officiel. Ce projet résulte de la volonté politique de mettre un terme à l’exclusion et aux souffrances endurées par les Roms, de construire une Europe plus humaine et plus inclusive, et de favoriser l’égalité d’accès à l’éducation par des traités, des déclarations et des recommandations. Les principaux chapitres de la Recommandation ont trait à : la reconnaissance des Roms en tant que minorité, la formation des enseignants et autres personnels éducatifs roms, la mise au point et la diffusion de matériels pédagogiques, l’enseignement de la langue, les études et la diffusion d’informations sur l’histoire et la culture rom, la participation des familles, la mise en valeur des expériences positives, l’élaboration d’un programme d’étude européen, etc. Différentes mesures dans le domaine de l’éducation ont été prises un peu partout en Europe, et la plupart des pays concernés ont introduit dans la pratique la présence de médiateurs roms pour faciliter les relations entre l’école et les familles et la communauté roms, en instituant un rapport de confiance et de communication ouverte et efficace.

4. La scolarisation des enfants roms en Belgique

« Comment amener ces nouveaux citoyens européens sur le chemin de l’école ? »

« Comment mieux intégrer les enfants roms dans notre système scolaire ? » …

On compte aujourd’hui près de 25.000 Roms sur tout le territoire belge, et plus de 7.000 à Bruxelles. Ce travail d’accompagnement et d’intégration des enfants roms dans les écoles a bel et bien été entamé chez nous aussi, et des dispositifs sont déjà mis en place depuis quelques années pour permettre cette scolarisation. Ainsi, dans l’idée de s’adapter au terrain, plusieurs services bruxellois ont commencé à engager des médiateurs d’origine rom au sein de leurs équipes. Ces derniers, ayant le plus souvent réalisé ce parcours de vie, de leur pays d’origine à la Belgique, et qui par leur culture et leur connaissance de la langue peuvent aider à comprendre les réalités de cette population, sont aujourd’hui amenés à travailler en partenariat avec les écoles, pour créer des liaisons entre les familles roms et l’école :

« Notre expérience nous montre qu’il est capital qu’il y ait une personne de confiance qui entre en contact avec les familles roms car la confiance de ces dernières dans les institutions est inexistante. La nécessité d’une bonne communication interpersonnelle est primordiale sans quoi le décrochage s’installe très vite » (Koen Geurts, collaborateur du Service Roms et Gens du voyage au Centre régional d’intégration le Foyer).

Parmi ces différents services et dispositifs d’aide et d’accompagnement, le Centre régional d’intégration « Le Foyer » est, sans aucun doute, le service le plus actif et le plus connu de la communauté rom à Bruxelles. Dans le cadre de cet article, j’ai eu la chance de pouvoir intégrer ce service durant quelques mois, ce qui m’a permis de rencontrer la communauté rom de Bruxelles et d’observer le travail des médiateurs au quotidien.

5. « Le Foyer » : Service Roms et Gens du voyage

Présent depuis près de 40 ans au sein d’un des quartiers les plus populaires et multiculturels de Bruxelles, ce service est actif au niveau communal, régional et international dans la problématique globale de l’intégration des populations d’origine étrangère. Depuis 2003, l’association a développé un service de médiation de première ligne qui s’adresse spécifiquement aux Roms et aux Gens du voyage, au sein duquel travaillent actuellement trois médiateurs culturels roumains et roms : Ioana, Cristina et Nicolae. Leur travail consiste essentiellement à jouer un rôle d’entre-deux, entre la communauté rom et les différentes institutions belges (CPAS, tribunal, écoles). Aujourd’hui, leur terrain d’action prioritaire est la scolarisation des enfants roms : permanences sociales, visites à domicile, mais aussi accompagnement des familles dans les rendez-vous en lien avec la scolarité de leurs enfants. Leur objectif est de sensibiliser enfants et parents à l’importance de l’éducation, en impliquant au maximum les parents roms dans la scolarité de leurs enfants.

Mes rencontres avec les différents médiateurs et les familles roms m’ont aidé à mieux comprendre l’ambivalence de la communauté rom à l’égard du milieu scolaire et à identifier les raisons pour lesquelles certains parents ont encore parfois des réticences à envoyer leurs enfants à l’école. Ioana, Cristina et Nicolae m’ont tous trois partagé leur propre rapport à l’école au travers de leur histoire personnelle, mais aussi leur travail au quotidien, leurs réflexions et leurs espoirs de (re)mettre les enfants roms sur le chemin de l’école. C’est, au travers de leur regard et de leur savoir que j’ai pu mieux comprendre certaines logiques de la communauté rom. Cette expérience m’a permise de mieux saisir les subtilités du rapport qu’entretient la communauté rom à l’égard de l’institution scolaire. J’ai ainsi pu mettre en évidence trois types d’ « obstacles à la scolarisation ». Il s’agit, tout d’abord, des difficultés sociales et administratives que connaissent encore grand nombre de Roms en Belgique. Mais aussi du poids de l’Histoire et du vécu et de l’expérience scolaire des parents eux-mêmes au pays d’origine, ainsi que des réalités socio-culturelles de la communauté rom, parfois très éloignées des nôtres. Ces différents « obstacles » influencent encore aujourd’hui négativement le rapport des Roms à l’école, et expliquent en partie pourquoi il est encore si difficile pour certains parents d’accorder leur confiance à l’institution scolaire et d’en faire une priorité pour leurs enfants.

5.1. Aspect social et une situation de séjour précaire

Citoyens européens aux mesures transitoires multiples[8], les Roms sont aujourd’hui les citoyens européens les plus invisibles de tous. Ils en ont aujourd’hui les devoirs, ils n’en ont pas encore pour autant les mêmes droits. Ces personnes, à qui on exige de scolariser leurs enfants et de s’intégrer dans la société n’ont, par exemple, pas accès au marché du travail en Belgique, et ne peuvent séjourner légalement sur notre territoire que pour une durée de 3 mois. Cette situation de séjour précaire induit d’une part, une précarité matérielle et financière importante, d’autre part, une vie dans l’instabilité et dans l’incertitude, avec la peur permanente d’être expulsé. Ainsi, beaucoup de Roms se trouvent dans une logique de survie, qui leur permet difficilement de se projeter dans des projets à long terme, telle que la scolarité.

5.1.1. Précarité matérielle et financière

« Ce qu’ils font au début, c’est qu’ils louent un seul appartement à plusieurs familles, alors ils habitent dans des conditions parfois très graves, très difficiles. Parce qu’il faut payer le loyer, mais aussi s’habiller, manger, et puis envoyer de l’argent à ceux restés en Roumanie » (Cristina)

« Les gens, quand ils se demandent comment et ce qu’ils vont manger le soir, l’école c’est deuxièmement hein, c’est pas leur préoccupation principale. Parce qu’ils n’ont pas de travail, pas de revenus, et alors c’est souvent la mendicité. Les enfants doivent aussi parfois participer. Et si je demande “Pourquoi tu n’es pas à l’école ?”, ils me répondent que s’il n’y a rien à manger ce soir… » (Nicolae)

Sans un accès à un marché de l’emploi légal, les Roms se trouvent le plus souvent forcés de travailler en noir ou de pratiquer des activités de survie telles que la vente de fleurs ou la mendicité dans nos rues. Mendier devient alors une question de survie, liée à l’état de leur situation, de leurs moyens et de leurs droits.

Les médiateurs m’expliquent ainsi qu’une des parties majeures de leur travail consiste avant tout à accompagner les familles dans leurs démarches sociales et administratives :

« Chez nous, le but c’est de scolariser les enfants roms, aussi ceux qui sont dans la rue. Vous voyez les parents qui sont dans la rue et qui mendient avec les enfants… Mais tu ne peux pas aborder tout de suite le sujet de l’école hein, d’abord on essaye de voir quels sont les empêchements, les démarches administratives, par exemple, ou les inscriptions à la commune,… » (Cristina)

L’objectif, en améliorant les conditions d’existence, est de rendre la fréquentation scolaire bien plus concevable, aussi bien pour l’enfant que pour la famille.

5.1.2. Instabilité de la vie et incertitude du lendemain

« On a surtout des familles qui parlent de l’incertitude et qui disent qu’elles ne savent pas si elles vont rester en Belgique. Et, cette incertitude fait que pour eux, ça ne vaut pas la peine de faire toutes les démarches pour inscrire leurs enfants dans une école pour, à la fin, quitter dans quelques mois. S’ils obtiennent la possibilité de rester et les moyens de s’établir ici d’une manière légale et de gagner assez d’argent, ils vont vouloir rester, mais si ça ne marche pas, ils vont chercher ailleurs, dans un autre pays… » (Ioana)

Ainsi, le plus souvent la Belgique n’est qu’une étape parmi d’autres, un énième essai d’une vie meilleure. Si l’essai échoue, beaucoup continuent leur route en quête d’un meilleur ailleurs. Aussi, tant qu’elles ne peuvent pas s’attendre à une régularisation de leur statut, ces personnes ne développent pas de perspectives futures orientées vers le pays d’accueil : investir dans le futur en envoyant ses enfants à l’école semble un choix considéré comme inutile par beaucoup d’entre elles. De plus, ces moments de « no man’s land », d’entre-deux sont aussi des moments d’incertitude où la vie au quotidien est une vie dans l’insécurité et où la peur d’être expulsé est constamment présente. Dans ce cas, beaucoup de parents refusent d’envoyer leurs enfants à l’école car ils n’osent pas laisser leur enfant seul, dans un lieu où ils ne sont pas assurés d’être encore présents le lendemain, par crainte d’être arrêtés et expulsés sans leurs enfants. Ainsi, seules les perspectives à court terme dominent, c’est à dire la survie au quotidien, qui contraste avec les objectifs à long terme de l’enseignement.

5. 2. Une Histoire et des histoires de rejet et de discriminations

5.2.1. Méfiance et peur à l’égard du monde des Gadgés

Les événements de l’Histoire ont créé un fossé profond entre les Roms et la société civile. Sur la distinction entre Nous et Eux s’est même construite la base de leur identité culturelle. Ce rapport actuel est caractérisé par une méfiance profondément enracinée à l’égard de tout ce qui a rapport avec la société civile. L’histoire des Roms et les pratiques ségrégationnistes et xénophobes dont ils sont encore l’objet dans certains pays européens corroborent cette méfiance à l’égard du monde extérieur. Il apparaît ainsi qu’il existe certaines peurs enfouies dans le chef des parents à l’égard de l’école, des peurs relatives notamment au fait d’entrer en contact avec d’autres communautés qui pourraient adopter des comportements violents ou de rejet à l’égard de leurs enfants.

De manière plus profonde, l’école a souvent représenté un lieu de persécution dans les pays d’origine, où il fallait le plus souvent cacher ses origines roms pour ne pas être stigmatisé. Les parents qui l’ont fréquentée en gardent souvent un mauvais souvenir et hésitent à y envoyer leurs enfants. Encore aujourd’hui, bien que la situation des Roms et l’accès à l’éducation se soit quelque peu améliorés dans les pays de l’Est, et plus particulièrement en Roumanie, il apparaît tout de même que beaucoup d’entre eux ont fait l’expérience négative de l’école dans leur pays d’origine ; discrimination et racisme, sous forme de refus d’inscriptions et de vexations diverses.

Ioana insiste sur le fait qu’une expérience scolaire positive au pays d’origine peut clairement être un facteur motivant la scolarisation des enfants ici, en Belgique :

« On voit que les familles, les parents…, qui ont eu une expérience plutôt positive avec l’école en Roumanie, on voit que ça aide et qu’ils veulent stimuler leurs enfants pour aller plus loin et pour faire au moins le même trajet…, mais c’est rare… ».

De son côté, Nicolae ajoute que certains parents étaient particulièrement motivés pour envoyer leurs enfants à l’école puisque, justement, dans leur pays d’origine ils n’avaient pas eu cette chance. Ces derniers sont alors généralement très sensibles à l’intérêt marqué par les médiateurs, mais aussi par les professeurs et les équipes éducatives, quand les enfants sont absents à l’école, par exemple.

5.2.2. Préjugés, racisme et discrimination dans nos écoles

Force est de constater que racisme et discrimination ne sont pas que l’apanage des pays de l’Est et que chez nous aussi, même quand les parents sont motivés à envoyer leurs enfants sur les bancs de l’école, d’autres éléments peuvent jouer en leur défaveur. Ainsi, j’ai pu constater au travers des différents témoignages, mais aussi de mes observations lors des rendez-vous extérieurs avec les médiateurs, que les Roms et les Gens du voyage ont encore une très mauvaise image auprès de la société et qu’il existe encore beaucoup de stéréotypes négatifs à leur égard, qui les empêchent parfois de bénéficier de certaines possibilités à l’école, mais aussi sur le marché de l’emploi.

–    « Non, désolé, on a plus de place… » : discrimination des directions d’école

Il existe, tout d’abord, une réelle difficulté d’inscription pour les enfants roms dans certaines écoles de Bruxelles. Bien que ce problème semble avoir quelque peu diminué, beaucoup de ces enfants ont encore (trop) souvent du mal à trouver une école qui les accepte. Cette difficulté d’accès à l’école est souvent encore plus compliquée pour les familles sans adresse fixe :

« Je sais que pour les enfants roms « gens du voyage », quand je disais, pour les inscriptions, que c’était des familles roms qui habitent sur un terrain, ils ont commencé à dire dans les écoles « Oui vous savez, mais d’abord il faut voir, on est plein et on a une liste d’attente,… », parce que ce sont des gens qui habitent sur un terrain, aujourd’hui ils sont ici, demain on ne sait pas, peut être dans deux, trois semaines, ils sont repartis » (Nicolae)

« C’est vrai que parfois si les gens viennent et puis ne viennent plus, c’est embêtant pour eux… On sait maintenant ce que les directions doivent faire chaque mois, dès qu’un élève a plus que 9 demi-journées d’absence, ils doivent faire tout un dossier et prévenir, et donc c’est beaucoup de papiers à régler au niveau de l’administration pour un élève qui ne vient pas à l’école. Donc je comprends, mais en même temps il faut faire avec la réalité, on ne peut pas fermer les yeux…, c’est le droit des enfants d’aller à l’école » (Ioana)

–       Préjugés des professeurs et des directions d’école

Lors de mon entretien avec Cristina, cette dernière m’a expliqué que même dans le chef de certains professeurs, les préjugés sont encore bien présents :

« J’ai accompagné une famille dans une école pour l’inscription, c’était le premier jour et la maman attendait avec les enfants. Et l’institutrice, quand elle s’est adressée à eux, elle a dit « Vous les gitans, vous allez là-bas ! ». Et je lui ai dit « Madame, excusez moi, comment vous vous êtes adressé à eux, parce que je n’ai pas bien entendu », et puis, je lui ai dit « Je préfère croire que je n’ai pas bien entendu ». Elle a commencé à devenir toute blanche. Alors je lui ai dit « Madame comment c’est possible, quel exemple vous donnez à vos élèves si vous les traitez de cette façon ?! Comment voulez-vous qu’ils se respectent entre eux ? » Ca arrive encore souvent des choses comme ça… ».

–       Racisme entre communautés

Plusieurs écoles se sont dites confrontées à une forte pression de certains parents qui menacent de retirer leurs enfants de l’école si le nombre d’élèves roms est trop important. Il existe ainsi une attitude particulièrement négative de la communauté maghrébine à l’encontre de la communauté rom, qui peut aussi influencer la motivation de certains enfants à venir régulièrement à l’école. On note, en effet, que l’absentéisme scolaire peut parfois être une conséquence de ce rejet. Les médiateurs notent ainsi un certain repli des enfants roms eux-mêmes dans les cours de récréation et dans les classes. Ce repli serait ainsi une conséquence non seulement du rejet dont ils sont victimes à l’école, mais il serait aussi porteur d’une méfiance plus générale de la communauté rom à l’égard des autres.

Mais dans l’ensemble, la majorité des médiateurs et des équipes éducatives constatent que ces problèmes de racisme et de repli communautaire semblent avoir diminué peu à peu au cours de ces dernières années. Dans ce cadre, nous pouvons mettre en avant le travail quotidien de médiation, au travers de plusieurs projets de rencontres entre communautés, comme celui que me décrit Cristina :

« Moi j’ai une activité dans une école à Molenbeek qui s’appelle le « Café de maman ». Une animatrice avait remarqué que les femmes, les mamans des enfants, elles ne se parlaient pas ou commençaient à dire des mensonges sans connaître. Alors on est arrivé à cette idée de leur donner l’occasion d’apprendre à se connaître avant de se juger. Déjà entre les Roumaines et les Roms, il n’y avait pas un bon contact. Alors on est arrivé à cette idée du « Café de maman », pour se donner l’occasion de se parler, de se rencontrer… On a dit « On doit leur montrer qu’on a au moins trois points en commun : être femme, être mère et être immigrée ». Notre travail c’est d’être là, au milieu, entre les familles roms et les écoles ou les autres instances qui font appel à nous. Etre là pour soigner la communication, pour aider les deux côtés à mieux s’entendre, à mieux se connaître et à mieux se comprendre… » (Ioana).

–    Discrimination sur le marché de l’emploi

Une autre raison évoquée par beaucoup de parents est le manque de perspectives d’avenir quand on est d’origine Rom. Pour beaucoup, réussite scolaire et diplôme ne signifient pas pour autant un accès à un emploi.

« Pour eux, l’école c’est quelque chose de très vague et de très loin. C’est l’institution des autres, des Gadjés, et ils ne se reconnaissent pas dedans et pour eux, ce n’est pas important parce qu’en tant que Rom en Roumanie, en théorie, même si ils avaient leurs diplômes, à la fin il n’y avait pas beaucoup de Roms qui étaient vraiment employés en fait, à cause de la discrimination sur le marché de l’emploi… » (Ioana).

On observe ainsi que si le cycle des primaires a de la valeur aux yeux des Roms et que de plus en plus d’enfants le suivent, la majorité s’y arrête sans poursuivre le cycle des secondaires où le nombre de Roms diminue sensiblement. Ceux qui continuent en secondaire sont alors pour la très grande majorité des jeunes qui font leurs parcours dans des options professionnelles et techniques où ils apprennent des compétences qu’ils pourront mettre en œuvre très rapidement :

« On voit le centre de formation du Foyer, là on voit de plus en plus de jeunes d’origine rom, filles et garçons, qui sont là. A une période, on avait même la majorité du groupe qui étaient des Roms, et il fallait même se mettre sur la liste d’attente…, parce que c’est vraiment quelque chose qui les intéressent de pouvoir apprendre un peu la langue, mais aussi un métier, et surtout dans le cas qu’il y a un jeune qui est vraiment sérieux et qui veut vraiment avancer, il peut avoir un petit contrat, et par après, ça peut l’aider sur le marché de l’emploi… » (Ioana).

6. L’école, une autre planète

« Etre et rester Rom » semble le mot d’ordre, et constitue le troisième élément mis en avant par les médiateurs, qui concerne la logique culturelle rom. Cette logique diffère sensiblement de la logique culturelle scolaire. L’école suscite ainsi des sentiments ambivalents, où les enfants se retrouvent coincés entre des valeurs et un milieu familial différents de ceux en Belgique. A l’école, les enfants sont confrontés à des normes différentes, parfois même opposées à celles qu’ils connaissent et qu’ils ont difficile à accepter ou à intégrer. Dès lors, si certaines familles sont réticentes à envoyer leurs enfants à l’école, c’est devant la crainte de la disparition de leur identité culturelle, notamment quand celle-ci n’est pas reconnue et que l’institution scolaire vise à assimiler les élèves à une autre culture, qui entre le plus souvent en contradiction avec la culture rom, tant au niveau du type de savoirs valorisés, qu’au niveau de la place de la femme et du mariage dans la société. Une grande partie des Roms souhaite que l’école n’empiète pas sur les prérogatives éducatives de leur communauté. Ils refusent que l’école aille au-delà des apprentissages scolaires, c’est-à-dire qu’elle prenne en charge les apprentissages socio-culturels. La communauté rom accepte les apprentissages de bases relevant de la scolarisation, mais tient à assurer et à assumer l’éducation en tant que telle.

6.1. Savoirs pratiques vs savoirs intellectuels

La culture du groupe axée sur la survie vise surtout la satisfaction des besoins de base et le maintien de cette situation. On suit une logique de survie qui est ciblée sur le bien-être collectif des familles et de la communauté. Et si les Roms se montrent réservés à l’égard de l’école, c’est parce qu’ils pensent qu’elle n’est pas indispensable pour réussir socialement et économiquement. Ils la considèrent comme une institution de Gadjés. L’école primaire est acceptée puisqu’elle permet d’accéder par la lecture et par l’écriture à l’univers administratif et aux questions de citoyenneté, c’est encore loin d’être le cas pour l’enseignement secondaire. En effet, certaines familles ne sont pas opposées à une scolarisation, celle-ci permettant d’acquérir des connaissances de base. Cependant, l’intérêt pour celles-ci est avant tout fonctionnel et répond aux nécessités de la vie communautaire. Celui qui sait lire ou écrire le fait pour la communauté, car celle-ci privilégie l’oralité. C’est également le cas des savoirs utiles et pratiques qui sont généralement peu reconnus à l’école.

Finalement, la plupart des Roms adoptent une attitude pragmatique en ce qui concerne l’enseignement : tant que leurs enfants apprennent des choses à l’école qui sont utiles dans leur propre milieu, ils vont faire des efforts. Ainsi, plusieurs professeurs ont remarqué l’envie avec laquelle les enfants souhaitent apprendre le français, la connaissance de cette langue étant rentable plus tard. Par contre, les enfants participent peu à des activités extra-muros comme les classes vertes ou les plaines de jeu, les parents n’y voyant pas d’intérêt direct.

6.2. Importance de la virginité des filles et du mariage comme réussite sociale

D’autres éléments importants ont été soulevés par les médiateurs : il s’agit du statut de la femme et de la place du mariage au sein de la culture rom. Chez les Roms, la transition de l’enfance vers l’adolescence se fait très tôt et la période de l’adolescence est souvent très courte. Dès 12 ans, les filles sont considérées comme des jeunes femmes qui se préparent au mariage. En Belgique, même si cela se passe plus tard, beaucoup sont gardées à la maison pour aider dans le ménage. Elles y apprennent à faire les tâches ménagères et à prendre les responsabilités qu’elles devront assumer après le mariage.

Des craintes existent quant à l’intégrité sexuelle des jeunes filles, avec le risque, au moment de la puberté, qu’elles perdent leur virginité qui représente un élément essentiel en vue du mariage : « J’ai des familles chez qui je vais et à qui je dis que leur fille de 14 ans, elle est toujours dans la scolarité obligatoire ici, mais elles me disent que « Non, elle est trop grande pour aller à l’école. C’est un potentiel danger ». Chez les Roms, elle doit rester vierge pour quand elle se marie, alors « Aller à l’école, c’est dangereux », parce que là-bas, il y a des garçons, elle pourrait rencontrer quelqu’un… » (Nicolae)

De fait, la virginité avant le mariage est encore d’une très grande importance, et l’honneur de toute la famille, un aspect très délicat et précieux dans la culture rom, en dépend. Les jeunes femmes sont ainsi très « protégées » vis-à-vis de l’extérieur par leur communauté. L’enjeu de la virginité des jeunes femmes est lié à l’identité collective du groupe. Lorsque les jeunes filles sont scolarisées, notamment en secondaire, certaines d’entre elles deviennent plus critiques quant à leurs rôles sociaux dans la communauté et notamment à l’intérieur de leur foyer. Certains parents craignent que la scolarisation éloigne leur fille des aspirations qu’ils ont pour elle et la rende moins attrayante sur le plan matrimonial.

Iulia Hasdeu, anthropologue d’origine roumaine, qui a travaillé sur l’articulation entre le genre et l’ethnicité, met l’accent sur la place du mariage dans la culture rom : « A l’intérieur de la communauté, l’investissement dans un bon mariage comme stratégie sociale a autant de valeur que le fait pour les Belges de pousser leurs enfants à faire de bonnes études. Il y a une hiérarchie de valeurs nettement en faveur du mariage, l’école passant au second plan ». A cela elle ajoute « Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que rom signifie homme marié, et respectivement, romni – femme mariée, ce qui fait que les Roms sont une communauté des gens mariés. L’enjeu du mariage est crucial pour l’identité rom, ce qui explique en bonne partie le fait que dans beaucoup de groupes roms, on se marie très jeune »[9].

C’est pourquoi, même quand les filles vont à l’école, il est très difficile pour les parents d’autoriser celles-ci à participer aux activités extra-murales : « Il y a des filles de 15, 16 ans qui sont au centre de formation du Foyer, et les parents voulaient absolument pas laisser partir leurs filles pour plusieurs jours en classes vertes. Mais Cristina leur a proposé de les accompagner pour que les filles puissent aller avec. C’était un super grand succès parce que toutes les filles inscrites au centre sont allées finalement. Ici on voit vraiment la confiance dans le médiateur… » (Nicolae)

Cristina, en tant que médiatrice d’origine rom, joue souvent un rôle de pont entre ces deux mondes afin de rassurer les parents tout en permettant aux jeunes filles de participer aux activités proposées par l’école. Cette dernière se dit fortement touchée par la situation des filles de sa communauté :

« Moi, ce sur quoi je vais travailler maintenant c’est avec les femmes et les filles, les adolescentes… Je suis contre le mariage précoce. Alors j’essaye de les motiver d’aller jusqu’au bout à l’école, d’obtenir un diplôme, d’être indépendante… Parce qu’il y a beaucoup de jeunes femmes qui sont mariées et qui, même si elles sont pas très heureuses, elles sont obligées de garder cette relation parce que elles croient qu’elles sont incapables de se maintenir, de se débrouiller dans la vie… Aussi moi je veux faire des formations pour les femmes qui sont analphabètes. Et aussi des formations pour apprendre un métier. Après elles pourront soit monter leur propre affaire, soit même créer quelque chose ensemble… ». Elle termine en riant : « Moi je ne suis pas un bon exemple pour eux, parce qu’ils disent de moi que je suis le record mondial chez les Roms, que je suis le record Guiness, parce que j’ai 31 ans et je ne suis pas mariée et je n’ai pas d’enfants…, je ne suis pas une vraie Rom…! ».

Enfin, Ioana, quant à elle, conclura notre entretien en déclarant :

« Il y a des aspects culturels qui sont restés très forts… Comme le fait de pas se marier avec un Roumain ou un Gadjé, on veut garder tout dans la famille, dans la communauté, ne pas avoir trop de contacts avec le monde extérieur. Même le contact avec l’école ou même avec toutes autres institutions, c’est un contact avec l’autre monde. Mais ils sont aussi pragmatiques, dans le sens où ils veulent utiliser le contact avec l’autre monde pour les choses dont eux ils ont besoin, les choses qui pour eux apportent une plus value…, mais pas tout… Ils ne veulent pas tout savoir ni tout connaître…  L’identité culturelle des Roms, c’est presque basé sur la différence entre eux et les autres, entre les Roms et les Gadjés… C’est justement ça qui fait leur identité… ».

Conclusion

Il nous faut aujourd’hui penser aux meilleurs moyens de continuer à mener ces nouveaux citoyens européens sur le chemin de l’école, et de leur donner, dès le départ, les mêmes chances qu’à tous. Mais « Tous égaux à l’école » ne signifie pas pour autant nier les différences qui existent, et encore moins considérer la diversité culturelle comme un « handicap ». Il faut, avant toute chose, s’interroger sur quelle serait l’école la plus adaptée qui favoriserait l’intégration de ces derniers et non pas leur assimilation, leur marginalisation ou leur rejet, comme ça l’a toujours été jusqu’au jour d’aujourd’hui. En effet, « intégrer » signifie-t-il « civiliser », « assimiler », « acculturer », « reconnaître », « faire participer » ? Et quel est l’objectif de cette intégration ?

Depuis quelques années, plusieurs programmes au niveau européen ont été mis en place pour améliorer les conditions de vie et l’accès à l’éducation des Roms en Europe. Parmi ces moyens, nous avons vu la présence des médiateurs culturels roms au sein de différents services d’aide et d’accompagnement. Leur présence sur le terrain et leur travail a permis, ces dernières années, de faciliter les relations entre l’école et la communauté rom, et d’impliquer peu à peu les parents dans la scolarité de leurs enfants. Les médiateurs, mais aussi les directions d’école ainsi que plusieurs familles témoignent des premiers résultats de cette mesure : dans les écoles, les enfants roms sont devenus plus réguliers et ils sont de plus en plus nombreux à réussir leur année scolaire. J’ai, ainsi, pu observer une grande évolution dans le rapport des Roms à l’école. La confiance faite aux médiateurs tant d’un côté que de l’autre a permis de faire tomber certaines barrières, et d’amorcer un début de communication entre la communauté rom et le milieu scolaire. Il semble, dès lors, que les divers programmes européens commencent à faire leur effet et que l’écart entre Roms et non-Roms diminuent peu à peu. J’ai ainsi pu constater que ce travail d’intégration, au sens de la valorisation et de la reconnaissance de la culture rom, était déjà à l’œuvre dans beaucoup d’écoles de la région bruxelloise, et ce essentiellement grâce à la présence des médiateurs. Ce travail permet également de sensibiliser les familles roms afin qu’elles soient rassurées quant à la sécurité de leurs enfants à l’école et à la bienveillance du personnel scolaire à leur égard. Par la connaissance réciproque, il favorise aussi une lutte contre les préjugés, les stéréotypes et les attitudes et pratiques racistes au sein de l’école.

Il faudrait ainsi privilégier une approche de « proximité », dont les médiateurs roms sont aujourd’hui les meilleurs « traits d’union ». Cette médiation culturelle et sociale permet ainsi, avant toute chose, la restauration d’un lien social. J’ai aussi pu mettre en avant la pertinence d’une approche globale de la situation des Roms, avec l’idée que sans la satisfaction de ses besoins primaires, la personne pourra difficilement envisager l’école pour ses enfants. La prise en charge de frais (repas, matériel, activités extrascolaires) et l’aide à certaines démarches peuvent indéniablement soutenir matériellement et renforcer le lien de confiance dans un contexte où une situation économique précaire ainsi que l’absence de statut représentent un frein important à la scolarisation. Enfin, je terminerai par l’accès à l’éducation pour les adultes. J’ai ainsi pu constater, lors des entretiens avec les familles, que beaucoup de parents ne savaient ni lire ni écrire. Analphabètes, il n’est pas facile, voire impossible d’aider leurs enfants scolarisés. L’éducation et la formation des adultes, participent à un vécu familial de la scolarisation qui peut aider par ricochet les enfants à la vivre plus sereinement dans leur famille.

Je laisse à Nicolae l’honneur de conclure cet article, par une note optimiste :

« Je pense que ces enfants qu’on scolarise maintenant.., dans les prochains 10, 15, 20 ans, à leur tour, quand ils auront des enfants, ce sont eux qui vont automatiquement envoyer leurs enfants à l’école… C’est ce que moi j’espère en tout cas et je croise les doigts pour… Ils seront plus ouverts et ils vont chercher à changer cette manière de penser… Mais, parfois, je pense que ce sera plus difficile de changer la façon de penser des institutions que des familles roms…».

A propos de l’auteure

Elsa BAILLY est psychologue de formation (ULB). Elle a travaillé dans les secteurs de l’aide à la jeunesse, de la migration et de la clinique de l’exil à Bruxelles, et ailleurs. Elle travaille actuellement au sein d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile de la Croix-Rouge, où elle accompagne au quotidien et dans leurs parcours scolaires des mineurs étrangers non accompagnés (MENA). Dans le cadre de sa réflexion et de son intérêt pour le domaine de la santé mentale en milieu interculturel, elle a suivi une formation complémentaire en anthropologie (UCL), afin d’acquérir un certain nombre d’outils relatifs à l’intervention en santé mentale dans des contextes sociaux et économiques différents. Cet article s’inspire d’un travail d’enquête réalisé dans le cadre de cette formation.

Bibliographie

BAILLY, E. La scolarisation des enfants roms à Bruxelles. Enquête auprès des médiateurs culturels roms. Travail réalisé dans le cadre de la formation « Santé mentale en contexte social : multiculturalité et précarité ». Unité d’Anthropologie de l’UCL. Bruxelles, 2010.

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Notes et références

[1] Résumé de l’article suivant: BAILLY, E. La scolarisation des enfants roms à Bruxelles. Enquête auprès des médiateurs culturels roms. Travail réalisé dans le cadre de la formation « Santé mentale en contexte social : multiculturalité et précarité ». Unité d’Anthropologie de l’UCL. Bruxelles, 2010.

[2] Les organisations internationales partenaires comprennent la Banque Mondiale, l’Open Society Institude (OSI), le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ainsi que plusieurs organisations roms.

[3] Déclaration de la « Décennie de l’intégration des Roms », consultable sur le site suivant: http://www.romadecade.org.

[4] PNUD: Programme des Nations Unies pour le Développement. At Risk: Roma and the Displaced in Southeast Europe. Bratislava, 2006.

[5] Pour toute information complémentaire au sujet des origines et de l’histoire des Tsiganes en Europe, se référer à l’ouvrage suivant: REYNIERS, A. « La population dont on parle : caractéristiques, rapport à l’école ». Ville – Ecole – Intégration Enjeux. Hors série N°4: La scolarisation des gens du voyage. CNDP. Juillet 2002.

[6] EUMC : Observatoire Européen des Phénomènes Racistes et Xénophobes, Roma et Travellers dans l’enseignement public. Un aperçu de la situation dans les États membres de l’UE. Mai 2006.

[7] CONSEIL DE L’EUROPE. Education des enfants roms. Mise en œuvre de la Recommandation 2000(4) sur l’éducation des enfants roms en Europe. Consultable sur le site: http://www.coe.int/t/dg4/education/roma/default_fr.asp.

[8] Lorsque de nouveaux pays adhèrent à l’Union, le traité d’adhésion peut éventuellement spécifier des mesures transitoires pour limiter temporairement la libre circulation des ressortissants des États entrants, dans les États membres qui en font la demande[]. Le traité d’adhésion de 2004 accueillant 10 nouveaux membres, ainsi que celui de 2007 concernant la Bulgarie et la Roumanie contiennent de telles mesures.

[9] HASDEU, I. Scolarisation des enfants roms en Belgique. Paroles de parents. Fondation Roi Baudouin, Mars 2009.

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