Certains d’entre eux utilisent des animations Reflect dans des groupes en alphabétisation, d’autres dans des expériences de travail communautaire, dans la coordination et la supervision d’équipe.
En alphabétisation, l’approche se focalise sur les préoccupations des apprenants, leurs ressources, leurs intérêts, le respect et la valorisation de leurs expériences et savoir-faire. Elle est renommée pour son potentiel à susciter l’intérêt des participants pour le processus d’apprentissage lui-même. Mais Reflect-Action est aussi utilisé dans le cadre d’apprentissage à la citoyenneté, de médiation ou de résolution des conflits, d’approche interculturelle et d’analyse de genre.
Les effets des ateliers Reflect-Action organisés avec les apprenants peuvent se faire sentir à courts, moyens et longs termes, c’est-à-dire même à la fin d’un atelier. Par exemple, quelques mois après avoir participé à un atelier, des participants ont proposé des changements dans la gestion de leur association et des réunions d’équipe en vue de développer un esprit critique sur leur fonctionnement.
Une autre caractéristique de Reflect-Action – la rendant particulièrement intéressante pour l’alphabétisation – est l’utilisation d’outils d’analyse, créés par les participants, qui permettent de visualiser le processus en œuvre dans le groupe, de voir où on en est dans le cheminement et d’apporter une méthode qui permet de structurer d’une certaine manière le travail. Les diagrammes, les tableaux à double entrée, les schémas plus créatifs permettent ainsi de se poser des questions d’analyse qu’on ne se poserait pas spontanément au vu de leur caractère visuel.
La pratique de Reflect-Action en alphabétisation, permet aussi de développer une réflexion politique sur l’illettrisme et d’analyser en quoi l’illettrisme est davantage un problème politique et structurel que personnel et éducationnel et comment agir sur celui-ci. En quoi les associations d’alphabétisation, les formateurs et les participants peuvent véhiculer et renforcer les représentations dominantes ou au contraire en promouvoir d’autres ? En permettant l’émergence d’un contexte favorisant le changement, Reflect peut être un lieu de réflexion et d’action dans les associations d’alphabétisation. Cela se fera par le changement de nos pratiques de formation, en favorisant l’ouverture d’espaces démocratiques, l’expression des minorités exclues, la prise de conscience des discours dominants sur l’illettrisme. En amenant les participants à élaborer leur propre discours sur l’analphabétisme et l’exclusion, et ce par la socialisation de leurs vécus individuels, en les reliant, et en élaborant une analyse critique de leur situation et de la réalité dans laquelle elle s’inscrit. C’est à partir de là qu’il sera possible d’agir collectivement sur cette réalité.
Résumé de l’approche Reflect-Action
Reflect-Action est un processus qui vise la participation de tous, lettrés et non lettrés, à la vie démocratique, à la prise de parole et de position. Chacun est mis en capacité de communiquer et d’analyser les relations de pouvoir.
Le déroulement et les principes régissant les ateliers sont identiques quels que soient les publics qui y participent. Leur mise en œuvre s’adapte au groupe. Cependant, il n’existe pas de méthode type ni de manuel, mais des références méthodologiques inspirées de Paolo Freire[1]. Il s’agit de vivre et d’analyser des situations individuelles et collectives vécues et apportées par les participants et les animateurs-facilitateurs. L’essentiel du travail tient dans le processus mis en place qui est au centre de l’approche Reflect-Action.
Le processus passe par plusieurs étapes. Les animations proposées visent à toucher le groupe et les individus dans leurs valeurs et leurs émotions.
Ces étapes constituent la globalité de la démarche et ne sont pas des étapes successives, c’est à dire qui s’inscrivent dans un processus linéaire ; elles constituent donc une spirale qui permet d’aller d’une étape à l’autre tout au long du processus quel que soit la thématique abordée. La démarche est donc transversale.
- Le groupe se constitue: représente tout ce qui touche à la constitution du groupe, l’établissement des relations avec les participants, la confiance, la manière dont chacun prend sa place. Ceci permet aux participants de définir leurs attentes, au groupe de se mettre d’accord sur ses principes de vie et de fonctionnement.
- Moi comme sujet: représente en quoi l’individu a été touché dans son vécu au niveau de sa subjectivité et des ses émotions ou ses valeurs en tant qu’individu. Ceci permet à chaque participant de se présenter et de se situer dans le groupe.
- Moi et mon environnement proche: ou comment l’individu a été touché dans sa subjectivité et ses émotions, ses valeurs par rapport à sa sphère familiale, professionnelle ou amicale.
- Moi et mon environnement social: ou comment l’individu est touché dans ses relations à la société, à la culture. Les animations ont pour objet de réfléchir et de se positionner par rapport aux valeurs en lien avec leur contexte socio-économique, politique et culturel.
- Compréhension du processus développé dans l’atelier: à différents moments, les participants réunis en commissions, analysent le processus sous différents angles tels que les relations de pouvoir, l’interculturel, les apprentissages réalisés… Systématiquement, après chaque animation, un temps de socialisation est institué et permet d’identifier le ressenti et les thématiques qui ont été travaillées, les apprentissages et les transferts possibles vers le contexte personnel et/ou professionnel.
- Le groupe se repositionne : petit à petit, grâce notamment au travail en commissions, le groupe prend conscience du processus de transformation mis en œuvre au sein de l’atelier et peut proposer, le cas échéant, des pistes d’action en lien avec les thématiques travaillées. C’est ici que se marque le changement.
Deux graphiques sont réalisés (voir les exemples en fin d’article). L’un mobilise l’axe conceptuel: un schéma représentant le processus et y intégrant les différentes analyses des commissions. L’autre mobilise l’axe des émotions: le tableau des sentiments, tableau à double entrée qui identifie le ressenti de chaque participant par rapport aux animations vécues dans l’atelier. Le ressenti est exprimé par un dessin, un symbole.
Au cours du processus, les participants s’interrogent sur une variété d’éléments tels que: le rapport au corps (en quoi l’activité mobilise physiquement les participants, comment ils se situent dans l’espace), les sentiments et émotions (joie, amour, amitié), le degré de participation, les relations interculturelles, la notion de genre, la nature des productions…
Reflect-Action: une approche émancipatrice
Reflect-Action vise à modifier les structures de ce monde qui nous laisse parfois en marge. Il s’agit d’une transformation collective qui s’effectue à partir de notre réalité, avec nos ressources et par l’analyse de nos relations « de » et « au » pouvoir.
Reflect-Action est une approche participative dont le processus s’appuie sur le « politique » au sens général du terme. Son utilisation en alphabétisation va de pair avec une vision où « lire, écrire, compter » n’est pas un but en soi mais, en autres, un outil d’émancipation.
Reflect-Action est utilisée pour travailler sur des thèmes comme les droits fondamentaux, les droits de la femme et les relations de genre, la violence conjugale, la planification locale, l’analyse de la politique structurelle, le travail organisationnel, la gestion et les relations de pouvoir, l’analyse budgétaire, la mobilisation démocratique, la santé, le sida, l’accès à l’eau potable, l’agriculture, l’éducation environnementale, l’épargne et les (micro)crédits, la production de revenus, la paix et la résolution de conflits, le développement organisationnel, la subjectivité, les préjugés, les relations interculturelles, l’éducation, la formation des adultes, etc.
Cette grande variété de groupes et de champs d’activités résulte du fait que Reflect-Action n’est pas une simple méthode mais une approche dont la clé se trouve, comme nous l’avons dit, non dans les contenus mais dans les processus, c’est-à-dire dans la manière dont les personnes se mettent en relation et agissent entre elles et avec la réalité. C’est l’expérience qui a permis d’identifier comment et pourquoi se font les changements individuels et collectifs.
Approche historique et références méthodologiques de Reflect-Action
Reflect est l’acronyme de « Regenerated Freirean Literacy through Empowering Community Techniques » s’inscrit dans le courant de la Recherche d’Action Participative[2].Il est inspiré des idées développées dans les années septante en Amérique latine par Paolo Freire qui met l’éducation (adulte) au centre du développement. Son point d’ancrage principal est donc la pédagogie de la libération et l’approche politique en alphabétisation. Parmi les autres influences importantes on peut citer les mouvements féministes et l’analyse du genre, l’interculturalité, l’éducation populaire. Il n’existe aucun programme Reflect-Action au sens de programme officiel ou de référentiel. Pas de niveaux à franchir, pas de tests de départ, pas d’examen ou de validation officielle des acquis. Chaque participant suit son propre parcours à partir d’un travail d’analyse individuel et collectif issu des différentes animations proposées.
Depuis ses origines, Reflect-Action est en constante évolution. Premièrement, parce que ses utilisateurs sont en recherche permanente de cohérence entre leurs pratiques d’intervention externes (travail en groupe, communautaire et social) et leurs pratiques organisationnelles internes. Deuxièmement, parce que Reflect-Action se développe et s’enrichit continuellement par l’intégration holistique de nouvelles théories et pratiques avec lesquelles ses utilisateurs entrent en contact. Et troisièmement, parce que différents groupes sociaux reprennent et réinterprètent Reflect-Action à partir de leur expérience et de leur positionnement propre, apportant de nouvelles perspectives théoriques et pratiques à son développement.
Rôle du formateur
Le rôle du formateur est de faciliter, (dans la démarche Reflect-Action, on utilise plus souvent le terme facilitateur que formateur) en permettant l’expression individuelle, la collectivisation des points de vue, des expériences de vie de chacun. Le facilitateur participe à l’atelier au même titre que les autres personnes du groupe puisque nous sommes dans un processus d’échanges où chacun vit et apprend également. Il donne son point de vue, s’implique dans le partage de son vécu et de son expérience ; il n’a pas une position d’expert, n’a pas de réponse, mais participe au processus de construction collective. En tant que facilitateur, il a pour fonction d’initier le processus d’analyse en proposant des animations, des graphiques, une méthodologie qui permet de construire des liens et une analyse critique. En ce sens il est donc un formateur – acteur. En effet, être formateur d’adultes, c’est être capable de faire prendre conscience aux participants qu’ils sont capables d’acquérir des éléments leur permettant de prendre conscience de leur condition humaine, et donc de sujet, des éléments leur permettant de comprendre le monde qui les entoure et ainsi de faire des choix et de mener des actions politiques, des actions collectives. Être facilitateur Reflect-Action c’est parcourir ce même chemin c’est être à la fois formateur et participant.
En conclusion
Vivre un processus Reflect-Action, c’est s’impliquer, s’émanciper pour agir collectivement et défendre des valeurs d’une société plus égalitaire.
S’impliquer, s’engager c’est aller au-delà de la simple participation. C’est dépasser l’explication que nous nous faisons du monde pour y entrer, le comprendre et agir ainsi sur les injustices.
S’impliquer n’est ce pas non plus faire des détours, observer, regarder avant de se lancer ou pas dans une action et réflexion visant la transformation de soi et des autres ? S’impliquer c’est sans doute aussi poser des actes au jour le jour, individuellement sans nécessairement que ceux –ci soient visibles par tout un chacun.
S’émanciper
« Si la prise de conscience ouvre la voie à l’expression des insatisfactions sociales, c’est parce que celles – ci sont des composantes réelles d’une situation d’oppression »[3]
S’émanciper, c’est prendre conscience qu’une minorité de personnes exerce une domination sur une majorité.
Prendre conscience à partir d’une situation de vie concrète que des phénomènes d’injustice et d’oppression existent, parfois depuis très longtemps, peut parfois mener à des comportements de repli, d’abandon C’est trop dur, j’y arriverais pas.
Mais la force d’un processus mené collectivement en groupe, comme au sein de Reflect-Action, montre que d’autres vivent des situations similaires ou des situations où un des points communs est de ne pas avoir été respecté, d’avoir été humilié. La prise de conscience collective facilite donc l’émancipation.
Prendre conscience des injustices c’est s’impliquer dans un processus historique, relier les éléments aux autres, dépasser son cas de vie concret pour entrer dans le monde, le comprendre
L’émancipation permet également de s’insérer dans le monde, d’en comprendre les mécanismes de fonctionnement et de faire des liens avec sa propre histoire. « Plus les masses populaires découvrent le réalité objective qui les met au défi et sur laquelle doit s’exercer leur action transformatrice, plus elles s’insèrent en elle d’une manière critique. Alors elles contribuent à accélérer consciemment le développement ultérieur de ces expériences »[4]
S’émanciper à partir de nos situations de vie c’est objectiver le monde, et placer le centre de décisions en soi même et dans les relations avec le monde. C’est prendre conscience que notre propre oppression n’est pas unique mais commune à d’autres personnes de notre entourage familial, professionnel. S’émanciper c’est aussi découvrir ce qui freine notre propre émancipation pour ensuite agir dessus.
S’émanciper c’est mettre en mot nos découvertes sur soi, sur les autres, sur le monde. Cette verbalisation, cette visualisation peut alors être déclencheuse de développement d’actions.
Agir collectivement – Être acteur – Adhérer à des valeurs
L’action collective, permet d’aller au-delà de l’apprentissage et de chercher ensemble des moyens de transformer la société dans laquelle nous vivons. L’action doit permettre de transformer le monde qui nous entoure et par conséquent nous transformer nous-mêmes.
Cette action s’inscrit dans une temporalité : par une prise de conscience du monde qui nous entoure et de son histoire, pour comprendre son présent et poser des actes pour se changer soi mais aussi agir sur le monde pour le rendre meilleur, pour diminuer les oppressions, pour comprendre les rapports de force et agir.
« Quand les opprimés découvrent clairement ce qu’est l’oppresseur et qu’ils s’engagent dans la lutte organisée pour se libérer, ils commencent à croire en eux-mêmes… Si cette découverte ne peut être faite à un niveau purement intellectuel mais doit être liée à l’action, il nous paraît fondamental que celle ci ne devienne pas pur activisme mais soit associé à un sérieux travail de réflexion »[5]
Cependant nous constatons parfois que les découvertes que nous faisons, les réflexions que nous exprimons au sein des ateliers Reflect-Action n’aboutissent pas à des actions collectives. Ce constat est – il juste ? Car si nous nous référons à Paolo Freire, les deux pôles « action – réflexion » doivent ainsi former un ensemble dont il ne faut pas séparer les éléments.
« Il peut arriver quand on fait une analyse critique de la réalité, de ses contradictions que l’on découvre qu’une forme déterminée d’action est provisoirement impossible ou inopportune. En prendre conscience c’est aussi de l’action, la réflexion est aussi de l’action. »
Ne tombons pas dans le piège de l’action pour l’action, de l’activisme, de la mise en place coûte que coûte des prescrits des décrets et autres réglementations. L’action et la réflexion sont intiment liés et donc que ce qu’on le retira d’une action deviendra l’objet d’une réflexion critique.
Le graphique de l’arc en ciel – Schéma représentant le processus

A propos de cet article
Cet article présente de manière synthétique l’approche Reflect-Action. Il s’appuie sur deux autres publications plus approfondies : le n°163 du Journal de l’alpha et la mallette pédagogique Reflect-Action éditée par le Centre de documentation du Collectif Alpha.
Le journal de l’alpha est disponible sur demande à Lire et Écrire Communauté française ou par courriel à frederique.lemaitre@lire-et-ecrire.be.
La mallette est téléchargeable sur Internet à l’adresse http://www.collectif-alpha.be/rubrique106.html.
Cette dernière permettra aux lecteurs d’appréhender le processus dans sa globalité tant dans les consignes qui sont données aux participants que dans leurs productions.
A propos de l’auteur
Frédérique Lemaître est adjointe à la direction au sein de Lire et Ecrire Communauté française (Belgique).
Notes
[1] A partir des années 60, Paulo Freire développa et théorisa au Brésil les concepts d’alphabétisation conscientisante et de pédagogie des opprimés.
[2] La Recherche d’action prend sa source dans le travail de Kurt Lewin avec des groupes défavorisés aux USA dans les années ‘1940. Dans le Tiers Monde, elle s’est transformée en Recherche d’action participative (RAP).
[3] Francisco WERFORT, préface à l’Éducation: pratique de la liberté, de Paulo Freire, Editions du Cerf, Paris 1971
[4] « La pédagogie des opprimés » Paolo Freire, Editions F. Maspero, 1980
[5] « La pédagogie des opprimés » Paolo Freire, Edictions F. Maspero, 1980