Introduction
Les routes qui mènent à la fonction enseignante sont variées en Communauté française. Cette diversité se déploie tant au niveau du public visé par les lieux de formation (de l’adulte au jeune étudiant) qu’au sein des parcours empruntés par celles et ceux qui ambitionnent de « devenir prof ». Master complété par une Agrégation, poursuite d’un Bachelor en Haute École voire même entrée dans la profession sans aucune formation pédagogique[1]… Le spectre des « permis d’accès » à la salle de classe est large. C’est l’une de ces « voies d’entrée » qui est éclairée ici : le Certificat d’aptitude pédagogique (souvent identifié par l’acronyme CAP). Plus précisément, c’est une présentation des modalités et enjeux de la formation qui est proposée.
La description sera volontairement sommaire et parcellaire, la focale étant intentionnellement portée sur les éléments jugés les plus utiles à l’enseignant qui souhaite faire coïncider sa pratique avec les volontés d’une pédagogie se voulant émancipatrice.
Le CAP constitue un terrain propice à une action orientée de la sorte : les finalités, le public et le programme autorisent d’activer nombre de leviers aptes à provoquer des changements favorisant un accroissement de la justice sociale à l’école. L’ambition ici est de souligner ces lieux sur lesquels il pourrait s’avérer favorable de porter une attention particulière. Et une réflexion accrue.
Un public directement en contact avec les milieux défavorisés
Même si une tendance à l’inscription d’étudiant(e)s fraichement diplômé(e)s du secondaire est observée depuis peu, le CAP accueille majoritairement des adultes désireux de se repositionner professionnellement ou d’acquérir une formation afin de favoriser leur insertion sur le marché du travail. Trois « types » de cursus d’une durée différente sont le plus souvent proposés :
- Trois ans de formation : Entament un tel parcours celles et ceux ne détenant pas de certificat de l’enseignement secondaire supérieur. Les cours composant la grille de la première des trois années viseront ici l’acquisition de compétences en lien avec la maitrise de la langue française.
- Deux ans de formation : A destination des diplômés de l’enseignement secondaire supérieur, ce parcours inclut également en première année, dans des proportions significativement moindres, des situations d’apprentissage ciblant l’expression orale et écrite.
- Un an de formation : Souvent, celui-ci peut s’étaler sur une durée plus longue (18 à 24 mois). Il est destiné aux détenteurs d’un diplôme de l’enseignement supérieur.
Quasi systématiquement, les étudiants de ces trois cycles se destinent à exercer au sein des filières techniques et professionnelles[2]. En Belgique, ce sont très majoritairement les élèves issus des couches les moins favorisées socialement qui constituent le public de cette forme d’enseignement. Il s’apparente souvent, d’ailleurs, davantage à un lieu de relégation scolaire qu’à un espace de formation/socialisation. Les Unités de formation[3] que le formateur du CAP conçoit et anime sont donc destinées à celles et ceux qui exerceront auprès des victimes de la forte ségrégation scolaire observée en Belgique francophone. Dit autrement, le formateur influe sur les conceptions du métier d’un nombre important de futurs enseignants qui entreront directement en contact avec le public que souhaite toucher les partisans de la pédagogie émancipatrice : les milieux populaires.
Des habitudes génératrices de ségrégations
Plusieurs logiques implantées de longue dates dans l’action quotidienne des enseignants sont interprétées par les spécialistes de l’éducation comme des variables explicatives de cette « hyper concentration » de jeunes en difficulté sociale au sein de certains établissements scolaires. Citons, par exemple, la croyance en l’efficacité du redoublement, les pratiques d’orientation précoce ou encore l’attachement aux points, à la « note »… Le programme de la quasi-totalité des unités de formation autorise, enjoint parfois même, à briser nombre de ces habitudes. Le formateur dispose donc d’un espace qui lui permet de persuader les futurs profs d’adopter des pratiques différentes de celles auxquelles ils ont été confrontés en tant qu’élèves et/ou qu’ils observeront chez leurs futurs collègues une fois détenteurs du CAP. Des pratiques nouvelles qui tendront cette fois à favoriser justice sociale et épanouissement plutôt qu’inégalité et ségrégation. Par son travail, le praticien peut ainsi espérer concourir à une réduction de la transformation par l’école des inégalités sociales de départ en inégalités scolaires. Notons tout de même que la modification de ces croyances sera pour le formateur un défi ambitieux : même coulées dans des bases légales, les thématiques de l’inutilité du recours systématique aux points, du redoublement ou de la constitution réfléchie des classes rencontrent un écho très faible, parfois même une franche résistance, sur le terrain[4].
Quelles finalités ?
Sur le plan juridico-légal, le CAP s’apparente à de l’enseignement supérieur pédagogique de Promotion sociale. Deux missions principales sont dévolues par voie décrétale à cette dernière : « Concourir à l’épanouissement individuel[5] » et « Répondre aux besoins et demandes en formation émanant des entreprises, des administrations, de l’enseignement et d’une manière générale des milieux socio-économiques et culturels[6] ». Afin de faire coïncider l’action entreprise avec les visées de la pédagogie émancipatrice et de garantir l’efficacité de la démarche, il est pertinent (si pas impératif) que le formateur soucieux de la justice sociale se penche sur les spécificités des enjeux complexes présents derrière ces deux objectifs attribués à la promotion sociale :
Favoriser l’épanouissement personnel
Le premier (le souhait de concourir à l’épanouissement de l’individu), peut être lu comme la volonté de permettre à certains de s’affranchir d’un certain déterminisme via la participation aux formations organisées en promotion sociale[7]. S’il interprète cet objectif de la sorte, le formateur qui souscrit aux visées de la pédagogie émancipatrice peut y percevoir une certaine concordance avec les valeurs en fonction desquelles il a décidé d’orienter son action de praticien. Selon cette lecture, les étudiants souhaitent dépasser une condition aliénante et le rôle de l’enseignant (e) est de faciliter une telle libération.
Répondre aux besoins économiques
Il convient de contextualiser cette volonté affichée de favoriser l’émancipation. A cette fin, la seconde finalité de la promotion sociale énoncée dans le décret est éclairante. Celle-ci semble faire coïncider l’enseignement de promotion sociale à un outil capable de répondre aux demandes provenant de milieux institutionnels et économiques.
Les notions d’individu et d’épanouissement évacuées, la formation correspond davantage ici à la possibilité d’une plus-value pour l’économie du pays ou du continent, et moins à un chemin tracé en vue de favoriser l’émancipation. Dans le même temps, ce n’est plus celui qui se forme qui est désigné gagnant mais bien l’entreprise ou l’organisation.
La présence dans le décret d’un tel couplage, qui met en relation plus-value et formation, n’est pas sans lien avec le souhait de l’Europe de se positionner favorablement au sein de l’ « économie de la connaissance ». Celle-ci « part du constat que certaines activités immatérielles liées à la recherche et à l’éducation tendent à prendre une place croissante dans l’économie mondiale »[8]. Une telle perspective rend nécessaire la formation « continue » : le pari de miser sur la connaissance implique de développer la formation des adultes. Suivre une formation en promotion sociale n’est dès lors plus un choix posé par les étudiants en vue d’espérer une quelconque forme d’épanouissement. C’est l’obligation de s’armer en suffisance « pour s’adapter au diktat de la compétitivité »[9] qui conditionne le choix de poursuivre une formation. Colardyn[10] rapporte une statistique illustrative de cette réalité (à propos d’une autre aire géographique : les Etats-Unis) : en 1969, un cours sur deux est lié à l’emploi et un sur deux est suivi pour le développement personnel. En 1984, ce sont deux cours sur trois qui sont suivis pour des raisons professionnelles et un sur trois pour le développement personnel.
Conclusion
Il est pertinent pour le partisan d’une pédagogie émancipatrice de porter un intérêt aux caractéristiques du certificat d’aptitudes pédagogique tant celui-ci autorise le formateur à orienter ses pratiques vers des finalités spécifiques, l’accroissement de la justice sociale à l’école, par exemple. Deux particularités du CAP sont identifiées dans ce texte comme « favorables » à l’exercice d’une pédagogie émancipatrice :
- Les individus qui poursuivent une telle formation se destinent à entrer un contact avec un lieu où sont concentrés les victimes de la ségrégation scolaire à l’œuvre dans l’enseignement belge francophone : les classes de l’enseignement technique et professionnel. Être formateur dans un tel cadre coïncide ainsi avec une position stratégique : pour l’enseignant, il s’agit d’espérer enrayer les mécanismes responsables du regroupement de jeunes faiblement doté sur le plan socio-économique dans des filières de relégation.
- Le CAP, qui relève de la promotion sociale, accueille des adultes en projet, désireux de connaitre si pas une émancipation, du moins une certaine forme d’épanouissement et de développement au travers de la formation.
Au-delà de ces deux aspects, il convient cependant de rester vigilant : l’inscription du développement de la formation continue (« Le life long Learning ») au rang des priorités dans l’agenda politique résulte aussi d’un positionnement stratégique de l’Europe. Or, dans une telle perspective, c’est moins le développement de l’individu qui est visé que son « employabilité »…
Références
[1] Ces membres du personnel éducatif en activité ne disposant d’aucune formation pédagogique exercent sous la dénomination administrative d’ « article 20 ». Les possibilités de fixation et d’évolution dans la carrière enseignante liées à ce statut sont limitées.
[2] Une telle formation mène à la possibilité d’être titulaire de cours organisés dans la forme qualifiante (cours techniques, cours de pratique professionnelle).
[3] Depuis le processus de Bologne, qui vise l’uniformisation de l’enseignement supérieur européen, une structuration modulaire des cursus s’implante progressivement au sein des curricula organisés en promotion sociale. Concrètement, les cours ne sont plus organisés de manière linéaire (de septembre à juin). L’étudiant poursuit des unités de formation (des modules) qui démarrent et prennent fin à divers moments de l’année.
[4] Quelques références à ce sujet :
- Cattonar B., Mangez É., (2000), « Les enseignants face à la redéfinition normative de leur métier », Louvain-la-Neuve, Recherches Sociologiques, vol XXXI, n°1/2000, 185-196.
- Draelants H., (2009), Réforme pédagogique et légitimation. Le cas d’une politique de lutte contre le redoublement, Bruxelles, De Boeck.
- Delvaux B., Maroy C., (2009), Débat sur la régulation des inscriptions en Belgique francophone : où se situent les désaccords ?, Louvain-la-Neuve, Les cahiers de recherche en éducation et formation, 68.
[5] Décret organisant l’enseignement de promotion sociale du 16 avril 1991 publié au moniteur belge le 25 juin 1991 (nombreuses modifications).
[6] Décret organisant l’enseignement de promotion sociale du 16 avril 1991 publié au moniteur belge le 25 juin 1991 (nombreuses modifications).
[7] Notons tout de même que l’aspect collectif du processus d’émancipation que préconise la pédagogie émancipatrice est ici absent.
[8] Amable B., et Askenazy P., « Introduction à l’économie de la connaissance ». Contribution pour le rapport UNESCO Construire des sociétés du savoir.