D’où vient cette conviction ?
Cette conviction nous est venue principalement à partir d’une initiative de formation-insertion menée par Le Grain en 1993 avec un public de femmes peu qualifiées. Les formations-insertion pour adultes sont en quelque sorte des dispositifs de formation de la dernière chance pour les publics peu ou pas qualifiés. Il était apparu évident, à l’observation des réactions de ce public, que pour atteindre une formation professionnelle qui soit plus que la simple assimilation de procédures ou de gestes techniques, une formation qui vise l’intelligence du métier, il était nécessaire que ces personnes puissent apprendre à résoudre des problèmes. Et pour pouvoir résoudre des problèmes, il était tout aussi évident qu’il était nécessaire d’être intelligent, autrement dit d’être capable d’exercer les capacités cognitives qui permettent l’exercice de l’intelligence. Le développement cognitif devint ainsi pour nous un enjeu social et un objectif pédagogique à part entière.
Cette conviction était d’autant plus évidente qu’un travail mené avec ce public sur sa vie privée faisait apparaître qu’une série de difficultés vécues ne pouvaient être dépassées par manque de capacité à bien les cerner, à poser un bon diagnostic et à trouver les ressources pour tenter de les surmonter. L’enjeu du développement cognitif ne concerne donc pas seulement la formation professionnelle mais l’ensemble de la vie des personnes en position dominée.
Cet enjeu couvre encore une autre dimension de la formation professionnelle : la formation du travailleur critique. Celle-ci était au programme de cette formation-insertion mais rencontrait les mêmes difficultés de compréhension et de raisonnement que la formation professionnelle au sens strict. En effet, si être un travailleur critique c’est entre autres comprendre sa positon au sein d’un collectif de travail, dans une division du travail et dans une organisation du travail et donc aussi, pouvoir avoir accès à des analyses qui permettent cette compréhension, comment y parvenir si l’intelligence fait défaut[1].
Nous nous sommes attelés à donner une définition plus rigoureuse du développement cognitif et à mettre au point des démarches susceptibles de l’atteindre.
En parallèle, un membre du Grain, enseignant en section professionnelle de l’enseignement secondaire, observait les mêmes phénomènes chez les jeunes gens et jeunes filles, doubleurs à répétition, qui avaient du mal à tirer profit de l’enseignement qui leur était proposé. Les échecs successifs rencontrés avaient même un effet contraire à une éducation émancipatrice des jeunes en question : ils renforçaient ces derniers dans leur image négative d’eux-mêmes et dans la conviction de leur nullité.
Une troisième interpellation nous est venue du terrain. Il a été demandé à un formateur du Grain d’assurer une formation approfondie de formateurs d’organismes d’insertion socioprofessionnelle dans le domaine des TIC. Certaines associations pratiquaient déjà en partie des ateliers de méthode et voulaient aller plus loin. D’autres se demandaient comment dépasser les blocages rencontrés dans l’apprentissage, même chez des personnes motivées. Cette formation-recherche a été l’occasion d’affiner les notions, d’enrichir les démarches, de mieux cerner les besoins et de décoder les réactions des personnes en formation lorsqu’elles étaient confrontées à de telles démarches.
Petite histoire pédagogique de l’objectif « apprendre à apprendre »
Savoirs, savoir-faire, savoir-être
Traditionnellement, on apprenait des connaissances établies, identifiées aux « savoirs ». Bientôt il fut admis que ces savoirs constitués recouvraient non seulement des connaissances abstraites, mais aussi des procédures pratiques. Il fut reconnu que l’apprentissage ne concernait pas que des savoirs intellectuels ; on apprenait aussi les habiletés, celles des hommes de métier, par exemple, que l’on a appelées les « savoir-faire ». Mais la notion de savoir-faire, à son tour, révéla une ambiguïté. Si l’on songeait d’abord aux savoir-faire manuels, il existait aussi des savoir-faire intellectuels, mobilisés par celui qui exerce son intelligence. Enfin, le concept de savoir-faire fut complété par celui de « savoir-être ».
Associés aux savoirs, les savoir-faire et les savoir-être composaient ensemble le célèbre triptyque des trois grandes catégories d’objectifs pédagogiques. Que la notion de savoir-être ait un contenu plus flou que les deux autres types de savoirs ne semblait pas faire problème. Elle recouvrait en quelque sorte une rubrique « divers », regroupant tout ce qui relève des comportements sociaux.
Avec la notion de projet qui, à partir des années 1970, occupa le devant de la scène pédagogique, émergea un quatrième type savoir, le « savoir-devenir ». Cette dernière notion n’eut qu’un succès tout relatif. Il n’était pas évident, en effet, d’en identifier la spécificité par rapport à certains savoir-faire intellectuels comme, par exemple, la capacité d’anticiper ou de se projeter dans l’avenir. De plus, où s’arrêter ? Pourquoi ne pas parler alors, pour les plus âgés, de « savoir-avoir été » ? Ou encore, pour les hommes d’action, de « savoir-mobiliser des savoirs », etc.
Quatre types d’objectifs pédagogiques
Pour clarifier la définition des catégories d’objectifs pédagogiques, nous proposons de distinguer les connaissances, les capacités cognitives, les habiletés et, enfin, les attitudes. Précisons à présent ces quatre grands domaines et les types d’objectifs qu’ils englobent[2].
1. Le domaine des Connaissances
Les Connaissances sont les informations, les notions, les procédures établies, qui sont fixées et peuvent être reproduites grâce à la mémorisation par un individu, situé dans un contexte donné.
On peut distinguer :
- Les Connaissances d’informations.
- Les Connaissances de procédures.
2. Le domaine des Capacités
Les Capacités sont les opérations mentales, les mécanismes de la pensée que l’individu met en œuvre quand il exerce son intelligence, dans un contexte donné.
On peut distinguer :
- Les Capacités de compréhension. Ce sont les opérations mentales produites pour saisir la logique d’un énoncé, d’une procédure. Elles portent donc sur les « inférences » qui construisent des liens logiques (induction, déduction, …) entre deux énoncés. Ces capacités sont requises notamment pour l’acquisition des connaissances (et leur mémorisation).
- Les Capacités d’application. Elles permettent de « mettre en application », de mettre en pratique, dans un contexte donné, des informations ou des procédures connues. Ces capacités s’appuient donc sur des connaissances.
- Les Capacités d’adaptation. Elles consistent à « adapter », c’est-à-dire à ajuster, traduire, faire convenir des informations ou des procédures connues par rapport à un contexte donné. Les capacités d’adaptation comprennent donc une part d’analyse pour estimer quel savoir constitué (informations et procédures) ou quel fragment de ce savoir apparaît le plus pertinent par rapport à la situation.
- Les Capacités de création. Elles sont mobilisées en vue de la résolution de problèmes au sujet desquels l’individu n’a pas de représentations claires de la question de départ, de la solution à appliquer ou de la procédure à suivre pour y arriver.
Le domaine des Habiletés
Les Habiletés désignent les perceptions, les mouvements, les gestes qui sont fixés et peuvent être reproduits grâce à l’incorporation par un individu, situé dans un contexte donné. Les habiletés s’avèrent efficaces pour atteindre certains buts dans le domaine gestuel (physique et manuel).
On peut distinguer :
- La Discrimination perceptive. Utilisation efficace des sens permettant de recueillir des informations.
- Les Aptitudes physiques. Dispositions, « qualités » du corps, de l’organisme (force, résistance, souplesse, adresse,…).
- Les Habiletés motrices. « Tours de mains », savoir-faire manuels précis, mouvements du corps,…, devant produire un résultat physique ou matériel déterminé.
- La Communication non-verbale. Utilisation du corps, hormis la voix, pour faire passer des messages.
Le domaine des Attitudes
Les Attitudes sont des comportements sociaux et/ou affectifs qui sont fixés et peuvent être reproduits grâce à l’intériorisation par un individu, situé dans un contexte donné. Les attitudes sont mobilisées dans le domaine relationnel.
On peut distinguer :
- Les Attitudes d’intégration. L’individu « reconnaît » (intellectuellement et affectivement) une réalité pour ce qu’elle est ; il accepte d’appliquer des normes, des règles, des valeurs établies. Cette acceptation suppose une capacité d’identifier « l’objet » à accepter et de mesurer l’enjeu de l’acceptation comme condition d’intégration ou d’évolution aisée dans un contexte donné.
- Les Attitudes de communication. Elles consistent à vivre efficacement les interactions (échanges, productions communes,…) entre les personnes.
- Les Attitudes d’initiative. Elles permettent de prendre des décisions, d’effectuer des actions non prévues, à bon escient. Elles comportent une dimension de risque, d’audace et d’anticipation.
Chacun de ses 13 types d’objectifs pédagogiques peut encore être démultiplié[3].
Vers la compétence comme objectif pédagogique
Pour peu que l’on réfléchisse de manière concrète à ces catégories d’objectifs pédagogiques, on s’aperçoit qu’elles présentent certaines limites. Ainsi, aucun des objectifs de connaissance, de capacité, d’habileté ou d’attitude ne s’utilise et ne s’exerce seul. Ils se combinent entre eux pour être mobilisés dans des actions, elles-mêmes situées dans un contexte. Les didacticiens ont proposé le concept de compétences, notion à géométrie variable, mais dont la définition peut cependant être résumée ainsi : une compétence permet à un individu de résoudre un problème, ayant une certaine complexité, dans une situation donnée.
De fil en aiguille, il est apparu que l’acquisition de la compétence et son usage font certes appel aux quatre types objectifs pédagogiques définis plus haut et les combinent selon des formules variant en fonction du contexte où s’exerce la compétence, mais aussi qu’ils mobilisent des mécanismes cognitifs laissés le plus souvent dans l’ombre. Nous songeons, en particulier, à la capacité de décoder et d’interpréter une situation pour la transformer en un problème à résoudre. C’est cette capacité cognitive de problématisation qui rend possible ensuite de sélectionner et de mobiliser les connaissances, capacités, habiletés et attitudes qui semblent les plus appropriées à la nature du problème. Bien que reconnu et jugé essentiel à l’acquisition et à l’exercice de la compétence, ce savoir-faire intellectuel à part entière a fait l’objet de très peu de recherche pour le circonscrire et pour élaborer des méthodologies susceptibles de le développer. Ce champ reste donc encore largement à déchiffrer.
Le développement cognitif : apprendre à apprendre
Venons-en à une notion-valise qui connaît un grand succès dans le domaine des objectifs pédagogiques : « apprendre à apprendre ». S’inscrivant dans le prolongement de l’ancienne préoccupation de « faire acquérir des méthodes de travail intellectuel » et dans la nouvelle injonction d’« apprendre toute au long de la vie », l’objectif d’apprendre à apprendre vise le développement de l’efficacité personnelle dans l’apprentissage intellectuel et rejoint ainsi la notion de développement cognitif que nous pouvons définir à son tour.
Le développement cognitif vise le développement d’un ensemble de compétences (relevant de manière dominante des capacités cognitives) requises pour s’approprier des connaissances en vue de les mobiliser
- pour la compréhension du monde ;
- pour l’échange et la communication avec les autres ;
- pour la résolution de problème.
L’examen de la littérature pédagogique nous révèle que le développement cognitif recouvre un contenu diversifié. Dans un autre article, nous nous proposons d’en dresser l’inventaire. Cette clarification devrait nous permettre ultérieurement de proposer des pistes méthodologiques correspondant à différentes dimensions du développement cognitif.
Examinons maintenant en quoi le développement cognitif est une condition d’émancipation pour tous ceux qui ne fréquentent pas les « voies royales » de l’enseignement, ceux qui sont sortis du cursus scolaire sans diplôme de l’enseignement secondaire supérieur, ceux qui sont les laissés-pour-compte d’une véritable formation, ceux qui veulent sortir de ces situations de domination.
Le développement cognitif, condition de l’émancipation
Être intelligent est vital pour une vie de qualité et pour l’action individuelle et collective. L’autonomie personnelle et l’agir collectif, deux dimension de l’émancipation[4], requièrent de pouvoir réfléchir et raisonner avec rigueur.
Expliquons-le ici de manière générale. Nous préciserons plus concrètement les diverses dimensions de cette nécessité quand nous examinerons chacune des dimensions du développement cognitif.
Comment comprendre ce qui nous arrive, individuellement et collectivement, si nous ne sommes pas capables d’analyser notre situation et pour cela, de raisonner avec rigueur, de se documenter, de poser un diagnostic, de formuler ce qu’on a compris, de l’exprimer à autrui, de le formaliser en une synthèse plus abstraite ?
Comment trouver des solutions si nous ne pouvons pas cerner où est le problème, faire appel à des grilles de lecture connues, construire des stratégies avec d’autres ?
Comment pouvoir faire des choix et agir si nous ne sommes pas capables de communiquer précisément notre pensée, de formuler des hypothèses et, une fois encore, de pouvoir abstraire.
Cette « pensée en action » requiert donc la maîtrise de capacités cognitives de base, comme maîtriser le langage, mémoriser, synthétiser, structurer des discours, s’organiser dans l’espace et dans le temps, conceptualiser, rechercher des informations, etc.[5]
Le développement cognitif postule que pour utiliser efficacement son intelligence dans des situations multiples, il faut maîtriser un certain nombre de mécanismes intellectuels de base assortis d’un mode d’emploi de leur usage. En d’autres termes, l’individu doit disposer des capacités cognitives de base pour pouvoir analyser et résoudre des problèmes. C’est en ce sens que l’on peut parler d’apprendre à apprendre. En effet, ces capacités cognitives de base doivent elles aussi s’apprendre.
Le pari du développement cognitif est qu’il est possible d’entraîner ces mécanismes intellectuels de base et de développer les capacités cognitives, un peu comme un athlète fait de la musculation, travaille sa souplesse, son endurance, sa vitesse, etc., avant de travailler les gestes complexes requis par sa discipline. Le développement cognitif, l’apprendre à apprendre arment l’individu pour l’émancipation en développant chez lui les conditions de l’exercice de l’intelligence dans l’action.
Les conditions d’une Pédagogie émancipatrice du développement cognitif
La prise de conscience
Pour tirer profit d’un entraînement intellectuel, certaines conditions pédagogiques doivent être réunies.
La première est de reconnaître ses difficultés à réfléchir efficacement. Tant que cette prise de conscience et son acceptation n’ont pas été faites, un travail de remédiation n’est pas vraiment possible. Plusieurs stratégies sont utilisées par les personnes en difficultés intellectuelles pour se cacher cette réalité, stratégies qui consistent souvent à rejeter sur l’extérieur les causes des difficultés ou en minimiser la portée. Et de fait, des stratégies de compensation sont mises en place par ces personnes pour suppléer aux impasses de leurs limitations intellectuelles. Pour pouvoir changer une situation, il faut d’abord reconnaître que cette situation fait problème.
La seconde condition est que cette prise de conscience suscite une indignation, voire une révolte. Autrement dit, il faut non seulement qu’émerge la conviction que l’état constaté est injuste mais aussi que cet état ne soit pas perçu comme une fatalité. C’est-là l’un des ressorts de la motivation.
Ces deux prises de conscience nécessitent un accompagnement par un formateur qui, par des démarches actives, encouragera les personnes à regarder plus lucidement leur fonctionnement intellectuel, les aidera à dégager les représentations qu’elles se font de leur intelligence et les interrogera sur les événements qui, au cours de leur cursus scolaire ou autre, les ont conduites à leurs conceptions actuelles au sujet de leur manière de réfléchir et à leurs représentations de leur forme d’intelligence[6].
Nouveaux regards sur l’intelligence
Cette explicitation par la personne des représentations de son fonctionnement intellectuel et de l’intelligence en général, est essentielle car elle joue un rôle décisif dans l’apprentissage. Certaines perceptions, les perceptions dominantes en milieu populaire et chez ceux qui ont connus l’échec, sont erronées et constituent dès lors des obstacles à tout véritable déblocage. Il faut donc que change l’image construite par la personne au sujet du fonctionnement de l’intelligence pour espérer remédier à un développement cognitif insuffisant.
Beaucoup de personnes en difficulté dans le champ intellectuel voient l’intelligence, en effet, comme une capacité brute, une qualité externe, dont on est plus ou moins bien pourvu et non, comme un potentiel à développer, qui peut se travailler.
La croyance en une intelligence comme capacité brute voit le savoir comme le résultat d’une découverte spontanée, globale et immédiate, du type tout ou rien (un peu comme un objet caché dans le sable qu’on déniche).
Cette croyance handicape l’apprentissage parce que les apprenants :
- pensent qu’ils doivent comprendre tout, tout de suite (compréhension intuitive) et compromettent ainsi l’usage et la recherche de stratégies pour progresser dans la compréhension ;
- ne peuvent prendre appui sur les compréhensions et acquis partiels pour progresser ;
- doutent de leur intelligence et construisent une mauvaise image d’eux-mêmes (avec l’effet paralysant expliqué plus haut) ;
- ont une image binaire du savoir (soit on sait, soit on ne sait pas).
A l’inverse, la croyance dans le savoir comme le résultat d’une construction, d’un tâtonnement favorise l’apprentissage parce que les apprenants :
- acceptent de ne pas comprendre tout, tout de suite (ils ne s’enferment pas dans le tout ou rien, ils se donnent du temps) ;
- peuvent exploiter leurs acquis partiels et leurs erreurs comme points d’appui pour avancer ;
- recherchent des stratégies pour apprendre (ils se construisent et stabilisent des procédures qui s’avèrent efficaces pour eux) ;
- dissocient l’apprentissage d’un jugement sur l’intelligence ;
- ont une vision non binaire du savoir et voient leur démarche comme un cheminement, une progression.
L’entraînement intellectuel requiert donc un travail sur les représentations de l’intelligence et l’adoption d’une vision de celle-ci comme un potentiel à travailler. La comparaison avec le développement physique et sportif aide souvent à cette mutation des représentations. Dans cette nouvelle perspective, apprendre à apprendre prend du sens puisqu’on voit les exercices comme des moyens de progresser dans les apprentissages et, partant, d’être plus efficace dans l’action.
Entraînement collectif
L’entraînement intellectuel visant le développement cognitif doit être une démarche collective et cela, dans l’intérêt même des personnes. L’apprentissage vise la transformation personnelle, certes, mais certains types d’apprentissage sont plus féconds quand ils sont réalisés dans des démarches collectives. Quelques explications.
Les démarches de l’entraînement intellectuel consistent en des activités ouvertes, susceptibles de plusieurs réponses. L’existence d’une divergence dans les réponses est un précieux point d’appui pour l’amélioration de la performance intellectuelle. En effet, en comparant les réponses, non seulement il peut apparaître que plusieurs de celles-ci soient correctes mais aussi que certaines apparaissent meilleures que d’autres. En cherchant les critères qui permettent de choisir la meilleure réponse, le groupe apprend à définir des critères de rigueur et affine ainsi sa perception de l’exigence intellectuelle.
En outre, il est fort utile de faire expliciter les tâtonnements et les procédures suivies par chacun dans la recherche de solutions. Il apparaît ainsi que certaines procédures sont plus efficaces que d’autres et également qu’il peut y avoir plusieurs procédures aboutissant au bon résultat. C’est l’occasion pour l’individu de se rendre compte des façons de faire dans lesquelles il est le plus à l’aise. C’est l’occasion aussi d’observer qu’il y a plusieurs méthodes pour arriver à un même résultat. Ce qui importe, c’est d’en adopter une et de la maîtriser. Autrement dit, peu importe la méthode, du moment qu’on en a une et qu’on en est conscient.
Au-delà de son intérêt pour l’efficacité de l’apprentissage, l’apport du groupe a également une vertu symbolique. Il démontre l’intérêt qu’il y a à rechercher ensemble à s’en sortir, à s’appuyer sur l’aide des autres, à faire de l’apprentissage l’occasion d’une expérience de solidarité.
La prise de conscience dont nous parlions précédemment comme condition préalable à l’entraînement intellectuel se fait également dans un cadre collectif. Celui-ci permet le constat d’une condition partagée entre les membres du groupe, ce qui aide à dépasser l’idée généralement intériorisée par le public en difficulté intellectuelle, que son cas est unique et relève exclusivement de ses caractéristiques personnelles
L’intelligence est partout
Enfin, il est une dernière dimension incontournable des démarches de formation visant l’apprendre à apprendre : la découverte que l’intelligence est partout à sa place et qu’elle est du même type dans de multiples situations. C’est la découverte de l’analogie du fonctionnement intellectuel dans maintes situations de vie ou professionnelles. C’est la découverte que les opérations mentales entraînées dans des exercices de base ont leur application dans ces situations de vie variées. C’est la découverte que des pratiques réussies de résolution de problèmes dans des situations familières et non scolaires sont des activités qui mobilisent les capacités cognitives et sont des usages à part entière de l’intelligence.
Ce souci du transfert et de la recherche de l’analogie doit être une préoccupation permanente du formateur. Elle peut s’exercer en rebondissant à partir d’une démarche ou grâce une extension de celle-ci. Elle peut aussi être considérée comme une compétence en soi et faire alors l’objet d’un entraînement systématique, comme nous l’avons montré dans un autre article . Il vaut s’en doute la peine d’y consacrer du temps, vu son importance.
Références
[1] Rappelons que pour nous l’intelligence n’est pas une fonction dont on dispose ou pas, mais une potentialité qui se développe et qui n’existe que dans l’action de réflexion, elle-même. Voir plus loin.
[2] Voir Tilman F., Grootaers D., Les chemins de la pédagogie. Guide des idées sur l’éducation, la formation et l’apprentissage, Chronique Sociale/Couleur Livres, 2006, p. 30-32.
[3] Le lecteur l’aura compris, il est possible de relier cette typologie des objectifs distinguant les connaissances, les capacités, les habiletés et les attitudes, à la classification qui distingue savoir, savoir-faire et savoir-être, ainsi qu’à celle qui distingue les domaines cognitif, sensori-moteur et socio-affectif. Les savoirs et savoir-faire intellectuels appartiennent au domaine cognitif. Ils correspondent aux connaissances et aux capacités. Les savoir-faire manuels se rapportent aux habiletés et appartiennent au domaine sensori-moteur. Quant aux savoir-être, ils renvoient aux attitudes et appartiennent au domaine socio-affectif. L’avantage du découpage en quatre catégories tel que nous le proposons est de déterminer lorsque nous parlons de savoir-faire, s’il s’agit de savoir-faire manuels, autrement dit d’habiletés, ou de savoir-faire cognitifs, autrement dit de capacités.
[4] Pour une définition précise de l’émancipation, nous renvoyons le lecteur à notre autre article disponible sur ce site : La pédagogie émancipatrice dans le cadre des formations d’insertion socioprofessionnelle.
[5] Ces capacités sont développées dans un autre article, disponible sur ce site, intitulé Les compétences du développement cognitif.
[6] Un certain usage des récits de vie, centré sur cette recherche, permet d’amener à la conscience les expériences de vie qui peuvent expliquer la vision présente de l’intelligence véhiculée par les personnes.