Les apports de Henri Mintzberg : l’approche systémique pour mieux comprendre les organisations

l'approche systémique pour mieux comprendre les organisations

Henry Mintzberg est une figure de référence internationale dans le domaine de la sociologie des organisations. Les modèles qu’il a élaborés permettent de mieux comprendre le fonctionnement d’une organisation.

Le canadien Henri Mintzberg est apparu depuis les années 70 et 80 comme le théoricien de référence dans le domaine de l’analyse des organisations. Mintzberg s’est nourri du concept moderne de système qui est né dans les années 40 et l’a intégré dans son étude des organisations, initiant ainsi le courant systémique en sociologie et management. Le paradigme systémique a bouleversé l’approche classique d’un l’objet d’étude. En effet, le systémisme, pour décrire le fonctionnement d’un système, privilégie l’analyse globale des échanges entre ses parties à l’analyse de chacune d’entre-elles.

Au fur et à mesure des essais de Henri Mintzberg s’est profilée une théorie qui est depuis lors abondamment utilisée, commentée et soumise à la critique et qui s’avère d’un intérêt fondamental pour analyser une organisation avant d’envisager la manière d’y opérer un changement. Les organisations d’éducation peuvent donc, elles aussi, tirer profit de ces travaux.

L’apport majeur de Mintzberg est d’avoir élaboré une typologie permettant de catégoriser les diverses composantes internes d’une organisation. Nous allons dans un premier temps passer en revue ces variables, après quoi nous verrons les différents profils d’organisations déterminés en fonction de la combinaison de ces dimensions.

1. Les variables organisationnelles

Mintzberg distingue en effet trois composantes essentielles des organisations, étroitement coordonnées entre elles :

  • la coordination des opérateurs et la division du travail ;
  • les buts organisationnels ;
  • La distribution du pouvoir.

1.1. Division et coordination du travail

Selon Mintzberg, toute organisation définit sa structure par les moyens utilisés pour la division et la coordination du travail et des tâches.

La première nuance à poser est la distinction entre les opérateurs, à la base de la structure c’est-à-dire le personnel en contact avec le produit ou le client, et l’instance qui conçoit le travail à réaliser.

1.1.1. Division des tâches

Mintzberg répartit la division du travail en deux dimensions : la dimension horizontale et la dimension verticale

  • La dimension horizontale On parlera de division horizontale forte lorsque les opérateurs effectuent un nombre limité de tâches répétitives, ou de division horizontale faible s’‘ils réalisent beaucoup de tâches très diversifiées.

Exemple : le travail d’un professeur d’université qui enseigne des matières très spécifiques est davantage divisé horizontalement que la tâche d’un instituteur primaire qui enseigne des matières plutôt variées.

  • La dimension verticale

La division verticale sera forte si il existe une séparation claire entre la conception des tâches à réaliser et leur exécution ; faible si les opérateurs qui réalisent le travail sont aussi ceux qui le conçoivent. Exemple : le professeur d’université conçoit son programme d’enseignement avec plus d’autonomie (division verticale plus faible) qu’un instituteur, soumis à un programme, aux inspections (division verticale plus forte).

1.1.2. Coordination des tâches

Parallèlement, il est nécessaire de concevoir des mécanismes de coordination assurant l’articulation entre ces différentes tâches et personnes. Mintzberg identifie les modes suivants.

  • L’ajustement mutuel : la coordination se réalise au travers d’une communication informelle entre les travailleurs.
  • La supervision directe : une personne donne des instructions à plusieurs autres qui travaillent en inter-relations.
  • La standardisation des procédés : chaque poste de travail est défini en précisant les tâches que l’opérateur doit effectuer. Généralement ce sont les analystes de la technostructure qui conçoivent les postes de travail. L’exemple le plus illustratif est le travail à la chaîne.
  • La standardisation des résultats : des standards sont définis par rapport aux caractéristiques et au volume de la production attendue des opérateurs.
  • La standardisation des qualifications : la coordination se fait par le biais de la formation spécifique de celui qui exécute le travail.
  • La standardisation des normes : ce sont des normes, des valeurs établies pour l’organisation dans sa globalité, qui dictent le travail et auxquelles les membres adhérent. Ce mode de coordination apparaît notamment dans certains ordres religieux.

Mintzberg relève ainsi que chaque organisation intègre plusieurs mécanismes de coordination mais que dans de nombreux cas, il existe un mode dominant qui constitue le ciment de l’organisation.

1.2. Les buts

Mintzberg est également très attentif à une deuxième composante essentielle des organisations : les buts poursuivis par chaque organisation, qu’il distingue en buts de mission et buts de système.

Les buts de mission ont trait aux produits, aux services ou encore aux clients de l’organisation. Exemple : Un groupe d’alphabétisation veut améliorer les apprentissage de la lecture et de l’écriture au premier niveau.

Les buts de système se rapportent aux caractéristiques de l’organisation ou de ses membres, indépendamment des biens ou services qu’elle produit. Exemple : Un Conseil d’Administration décide de fusionner deux associations, pour atteindre les normes.

1.3. La distribution du pouvoir

Mintzberg relève les acteurs fondamentaux suivants entre lesquels se répartit le pouvoir dans les organisations.

  • Le centre opérationnel constitué par les travailleurs, qui réalisent l’activité de production des biens ou services proposés par l’organisation. Si ces travailleurs sont faiblement qualifiés on parle d’opérateurs, si leur degré de qualification est élevé on parlera plutôt de professionnels.
  • Le sommet stratégique, composé par la direction et ses adjoints directs. C’est là que se prennent généralement les décisions stratégiques pour l’organisation.
  • La ligne hiérarchique intègrant les cadres intermédiaires. Elle représente une hiérarchie d’autorité entre le centre opérationnel et le sommet stratégique.
  • Les analystes de la technostructure représentant ceux qui sont chargés de la standardisation du travail : recrutement, formation du personnel, règlements, programmes de travail…
  • Le personnel de soutien logistique, ceux qui aident les opérateurs : nettoyage, restauration, service juridique.
  • Les propriétaires de l’organisation, qu’ils soient financiers (actionnaires d’une entreprise privée) ou légaux (ministre ayant la responsabilité d’un organisme d’état).
  • Les associations d’employés : syndicat pour le personnel peu qualifié et corporations professionnelles pour le personnel qualifié.

Enfin chaque organisation est traversée par une idéologie, certains préfèrent le terme de culture.

Selon les types d’organisation ces différents acteurs détiendront plus ou moins de pouvoir c’est-à-dire influenceront, à des degrés divers, les prises de décisions stratégiques de l’organisation.

2. Les configurations organisationnelles

L’articulation entre toutes ces modalités permet de construire une typologie des configurations des organisations, qui sera particulièrement utile dans une étude de changement organisationnel.

2.1. La configuration entrepreneuriale

Il s’agit d’une organisation dirigée par une seule personne qui centralise les prises de décisions stratégiques.

Au niveau de la structure, la division horizontale est généralement faible puisque les opérateurs effectuent des tâches variées. La division verticale, quant à elle, est plutôt forte car l’entreprise fonctionne par supervision directe de la hiérarchie sur des travailleurs peu qualifiés.

Ce type d’organisation se développe quand le marché est plutôt instable ce qui explique le modèle de supervision directe, le plus apte à réagir rapidement en fonction des fluctuations du marché, qui peuvent donc représenter une menace pour l’organisation. La survie de celle-ci est donc prioritaire, ce qui explique la centralisation de pouvoir et des ressources entre les mains du sommet stratégique : le directeur, également fondateur et propriétaire, occupe une position dominante.

2.2. La configuration missionnaire

Les buts prédominants dans ce type d’organisations sont les buts de mission c’est-à-dire les buts qui ont trait aux clients-mêmes de l’organisation. Les buts de système ne sont donc réalisés que pour pouvoir assurer les buts de mission.

Pour ce qui est de la structure, la coordination des opérateurs fonctionne par standardisation des normes : ce sont les normes, les valeurs de l’organisation qui dirigent le travail à accomplir. Les travailleurs adhèrent donc à ces buts et s’impliquent pleinement dans le fonctionnement de l’organisation. Il arrive fréquemment dans ce genre d’organisations que des membres travaillent bénévolement.

Outre cette standardisation des normes les travailleurs opèrent également par ajustement mutuel.

Sur le plan vertical, la division est faible puisque chacun dispose d’une certaine liberté pour concevoir et réaliser ses tâches tandis que la division horizontale est également faible car les tâches réalisées sont le plus souvent variées.

Le marché au sein duquel évolue ce type d’organisation est stable et peu hostile car la standardisation des normes ne permettrait pas de travailler dans un environnement instable.

Le pouvoir reste relativement centralisé : les dirigeants définissent les missions de l’organisation et prennent les décisions stratégiques, même si les acteurs, qui ont assimilé ces valeurs, peuvent prendre certaines décisions moins importantes.

2.3. La configuration bureaucratique

L’entreprise de type bureaucratique se caractérise par une division horizontale et verticale forte. Les opérateurs, peu qualifiés, effectuent un nombre restreint de tâches et ne participent pas à la conception du travail. La coordination s’effectue par standardisation des procédés ou des résultats.

Pour ce genre d’organisation, le marché se doit d’être stable et prévisible, et l’organisation est régie par des buts de système.

Le pouvoir est fortement centralisé au niveau du sommet stratégique et les opérateurs, démunis de toute prise de pouvoir à cause de la standardisation des procédés et des résultats, se regroupent en associations exerçant une influence importante.

2.4. La configuration professionnelle

Dans ce type d’organisation, les travailleurs possèdent un haut niveau de qualification et utilisent donc abondamment leurs savoirs acquis au cours de leur formation pour accomplir leur travail.

Sur le plan de la structure, la division du travail au niveau horizontal est forte. Les travailleurs, de par leur formation spécifique, opèrent dans des créneaux très étroits.

Au contraire, sur le plan vertical, la division est faible : ayant une qualification poussée les membres conçoivent eux-mêmes leur travail et effectuent leurs tâches en toute autonomie.

Quant à la coordination, elle fonctionne par standardisation des qualifications. De par leur formation, les opérateurs sont jugés qualifiés pour coordonner et accomplir leurs tâches efficacement.

Le marché se doit d’être relativement stable étant donné le mécanisme de coordination, tout en étant complexe au vu des savoirs élaborés demandés aux professionnels.

Les buts apparaissent flous et peu opérationnels dans ces organisations : chaque professionnel poursuit un but spécifique et est mu plus par des préoccupations professionnelles que par les missions propres à l’organisation.

Il en résulte, évidemment, un pouvoir décentralisé où les professionnels exercent beaucoup de pouvoir et orientent les décisions les plus importantes.

2.5. La configuration adhocratique

Le terme adhocratique provient du latin « ad hoc » : les travailleurs travaillent en groupes de projet pour répondre aux besoins spécifiques des clients.

Ce genre d’organisation fonctionne par ajustement mutuel : les opérateurs, même s’ils sont très qualifiés, se réfèrent plus aux formations complémentaires et aux capacités développées dans le cadre de leur travail, notamment par échange entre professionnels.

La coordination entre unités fonctionne par des mécanismes de liaison.

La division du travail est faible tant au niveau vertical (les projets exigent une autonomie des opérateurs) qu’horizontal (importance d’une polyvalence puisque les tâches varient selon les projets).

Le marché de ce genre d’organisation est complexe pour répondre aux demandes des clients qui nécessitent des savoir-faire élevés, et instable puisque les demandes de la clientèle sont très variables, exigeant des professionnels des compétences variées et mises en œuvre simultanément.

Au vu de la complexité des tâches des travailleurs et de l’imprévisibilité du marché, les buts seront assez peu opérationnels.

Le pouvoir se localise dans les équipes de projets, entraînant une certaine décentralisation. Mais la direction doit cependant assurer la coordination des différents unités et détient les prises de décision stratégiques.

Conclusion

Il s’agit là de formes théoriques. Dans la réalité, on rencontre peu d’organisations pures. Le plus souvent les organisations concrètes sont hybrides. Dans certains cas, on peut trouver une organisation ou une partie d’organisation concrète correspondant à une seule de ces configurations. L’éventualité la plus fréquente est celle des organisations qui correspondent à plusieurs configurations, habituellement à deux. Très fréquemment une organisation hybride est en pleine phase de transition d’une configuration à une autre.

Le modèle de Mintzberg, on l’aura compris, se révèle extrêmement éclairant pour mieux comprendre les organisations et y envisager des changements. La notion de configuration, en proposant une analyse du contexte organisationnel, est aussi d’une grande utilité pour préparer l’action en permettant de clarifier les enjeux des interventions.

Le lecteur peut s’interroger sur ce qu’il advient des représentations qu’il se fait de son organisation (de son fonctionnement, de sa raison d’être, de son évolution et de l’orientation qu’elle prend pour le moment, de sa place en son sein, etc.), quand il réalise une analyse mobilisant les concepts de Mintzberg.

Bibliographie

Nizet, J., Huybrechts, C., « Interventions systémiques dans les organisations », De Boeck Université, 1998.

Pichault, F., Nizet, J., « Les pratiques de gestion des ressources humaines », Seuil, 2000.

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