Les stratégies d’apprentissage : quelques présupposés

Le texte qui suit se présente comme un ensemble de postulats, qui ne prétendent pas être irréfutables, contrairement à une démarche scientifique. Ils ont été choisis parce qu’ils fonctionnent et qu’il nous semble que des prérequis efficaces, même non-vérifiés, sont préférables pour fonder une pratique pour autant qu’ils permettent d’atteindre l’effet recherché.

Se baser sur des idées prometteuses d’efficacité, c’est-à-dire génératrices de pratiques nouvelles, d’actions et de changements, même si elles ne sont pas (encore) rigoureusement prouvées, cela ne signifie pas ignorer la recherche ni faire ses délices de l’obscurantisme. Au contraire, quel bonheur de voir confirmés par la recherche scientifique ces postulats qui balisent une pratique et que l’on pourrait considérer comme prospectifs ou, disons, « préscientifiques ».

1. Deux premiers postulats

1. L’apprenant apprend. Le formateur forme. Postulons qu’il ne s’agit pas de la même chose, voir même que les deux actes sont radicalement différents. Apprendre est sur le versant de celui qui – non pas reçoit – mais construit ses apprentissages. C’est à partir de l’apprenant que Meirieu, dans « Apprendre oui, mais comment », réfléchit et dégage des conduites à tenir pour enseigner. C’est une fameuse rupture, car le plus souvent, on déduit les conduites à faire adopter aux apprenants à partir de l’acte de former, donc de ce que fait le formateur et de ce qui est écrit dans les manuels pédagogiques.

2. Autre renversement de perspective : en partant du présupposé que l’apprenant n’est pas un simple réceptacle, ni une « page blanche », mais auto-construit ses apprentissages, nous en déduirons que le rôle du formateur est d’organiser les situations d’apprentissage, adaptant sa pédagogie aux stratégies des apprenants. est de chercher les meilleures stratégies pour « faciliter » la tâche de l’apprenant (et non d’exiger que celui-ci adopte les comportements qui faciliteront la tâche d’enseigner.) Donc en réalité, le rôle du formateur est d’organiser les situations d’apprentissage, adaptant sa pédagogie aux stratégies des apprenants.

2. Un troisième postulat: Tous n’apprennent pas de la même façon

Ceci nous conduit tout naturellement à un troisième postulat : tous n’apprennent pas de la même façon. On peut chercher, comme Piaget, des lois universelles valables pour tous les enfants. Nous ferons l’inverse. Nous irons rechercher les différences et en quoi chaque enfant, et donc ultérieurement, chaque apprenant, est différent des autres. Appliquons la logique du « constructivisme », pour inverser la démarche de Piaget : si chacun construit sa maison, il n’y aura pas deux maisons exactement les mêmes. Postulons donc que la construction même de l’intelligence et de la structure cérébrale de chacun est unique, et donc ce que chacun retirera d’un cours sera également unique. Et il en va de même pour les connexions et stratégies d’approche et d’appropriation qu’il sollicitera lors des séances d’apprentissage.

Ceci nous mène à la rencontre de la Sémantique Générale (de Korzibsky) qui affirme que chacun se construit sa propre carte du monde. La PNL (Programmation Neuro-linguistique) s’approprie cette prémisse de base et donne des clés pour repérer cette « carte mentale » et les stratégies, plus ou moins efficaces, que chacun s’est donné pour construire, étendre et affiner sa carte mentale.

3. Chacun apprend à sa manière !

De là , découle un quatrième postulat : non seulement chacun apprend – et s’apprend – à sa propre manière, mais il est possible de découvrir comment il fait.

Et c’est ce qu’Antoine de la Garanderie affirme dans la « Gestion Mentale ». Il va même plus loin. Les compétences, les aptitudes, dit-il, ne sont que des « gestes mentaux » appris. Il n’y a pas d’apprenant non intelligent, il n’existe que des apprenants démunis des bons gestes mentaux, parce qu’ils n’ont pas eu l’occasion de se les construire. Albert Jacquard va dans le même sens quand il dit que les dons, ça n’existe pas et que le seul don que les hommes reçoivent à la naissance, c’est celui de surmonter tous leurs handicaps. Donc, posons que l’élève dit « doué » ou « intelligent » n’est autre que celui qui s’est construit – avec l’aide de son entourage (il s’est « auto-socio-construit ») – ses gestes mentaux, ses outils mentaux ou ses stratégies lui permettant d’apprendre, de mémoriser, de se motiver plus facilement, etc.

4. Échange des stratégies

La PNL avance et expérimente le cinquième principe de base : il est non seulement possible de repérer ces stratégies d’apprentissage, de motivation, de mémorisation, de concentration, de créativité, etc., mais aussi de SE LES APPRENDRE les uns aux autres. L’apprenant faible en informatique pourra apprendre la stratégie de son voisin plus doué dans ce domaine (qui verra, par exemple, un logiciel comme un ensemble de formes a assembler comme un puzzle, ce qu’il fait en s’amusant beaucoup) et lui « communiquer » sa stratégie pour être fort en comptabilité.

5. Éducation nouvelle: un nouveau concept à la croisée de deux chemins ?

Enfin, cet autre courant de réflexion et d’action pédagogique, qu’est l’Éducation Nouvelle, postule :

  • que tous sont capables de réussir.
  • que c’est le dispositif mis en place qui va faciliter ou freiner cette capacité. Des démarches d’auto-socio-construction seront par elles-mêmes porteuses de réussite pour le plus grand nombre : défi provoquant, certes, mais producteur de pratiques audacieuses, stimulantes, efficaces qui accrochent les apprenants et les conduit à des prouesses, à des performances inespérées, imprévisibles. La clé en est un effet Pygmalion : « si je les crois potentiellement capables, et qu’ils n’y arrivent pas, qu’est-ce que JE dois changer dans ma manière d’enseigner pour cesser de faire mentir ce « tous capables » auquel j’adhère ? »
  • que les différences sont des atouts… Ceci nous permet d’apporter une nuance supplémentaire, et non des moindres, à notre modèle. Une pédagogie qui s’appuie sur les différences et les fait inter-agir entr’elles s’enrichit de ces différences et gagne en efficacité grâce à elles.

Ici encore la PNL peut se révéler éclairante puisqu’elle puise dans la cybernétique et la sémantique générale cette fameuse boucle rétro-active qui est le fondement même de la flexibilité pédagogique : « si j’ai des objectifs clairs et précis, que je sais donc exactement où je veux en venir ; si j’ai développé la capacité de repérer finement (sensoriellement) les signes que me renvoient les apprenants, par exemple pour me signaler qu’ils décrochent, ou qu’ils sont ou en phase de tâtonnement, ou en difficulté, ou en échec ; si enfin j’ai à ma disposition toute une panoplie d’outils, de dispositifs, de démarches alternatives, je pourrai m’adapter avec flexibilité aux différentes situations rencontrées et différencier ma pédagogie en fonction des élèves que j’ai en face de moi ».

Dans ce champ encore quasi neuf et peu exploré, nous avons cherché des convergences entre deux courants bien différents : l’Éducation Nouvelle met l’accent sur les dispositifs fondés sur des partis pris idéologiques comme le « tous capables » ou le « faites-en vos égaux pour qu’ils le deviennent » (J.J. Rousseau), tandis que les avancées récentes de la recherche en neurologie du cerveau – ce que Hélène TROCME-FABRE appelle la « neuro-pédagogie »- insiste sur les bonnes stratégies d’apprentissage, ou les bons « gestes mentaux » qui favorisent la réussite.

Alors, apprendre de bonnes stratégies aux apprenants ou mettre en place les dispositifs qui font réussir ? Évidement les deux vont de pair, étant entendu que l’un et l’autre courant se basent sur les mêmes concepts :

  1. tous les apprenants ont des possibilités (souvent bien plus grandes qu’on ne croit).
  2. tous s’auto-socio-construisent leurs connaissances et leurs savoirs.
  3. tous peuvent apprendre à apprendre et à réussir.
  4. tous peuvent bénéficier d’une pédagogie adaptée à leur tournure d’esprit, à leur « carte mentale ».
  5. tous apprennent mieux en interaction avec leurs pairs.

Une nouvelle perspective – enjeu de lutte sociale !

Pour conclure sur une nouvelle perspective d’intégration, ajoutons que ces deux courants entre lesquels nous avons cherché à établir des points de rencontre prennent une autre dimension sous une perspective systémique. Chaque aspect est ainsi en interaction avec les autres, dans un contexte institutionnel, qu’on peut approcher par les pratiques de la Pédagogie institutionnelle (organisation coopérative d’une classe d’apprenants, conseils d’élèves, gestion des conflits, établissement des lois et négociation avec les autorités et d’autres éléments porteurs issus de la pédagogie institutionnelle) car le groupe d’apprenants, les autorités, les prescrits ministériels tout comme l’environnement de la formation peuvent être eux-mêmes pédagogiques ou anti-pédagogiques. Tout cela doit donc être tenu en compte, d’une manière qui soit, si possible, elle aussi… pédagogique !

Laissons d’ailleurs le mot de la fin à Émile Creutz, qui énonçait, dans un article sur la formation, une remarque fondamentale qui concerne tout autant l’éducation que la vie économique à propos de l’essor des techniques « qui ont quitté le champ de la psychothérapie pour devenir des outils performants du développement institutionnel et organisationnel » (« brainstorming, synectique, recadrage, programmation neuro-linguistique et tant d’autres ») :

« Le grand risque du développement de ces nouvelles méthodes et techniques de gestion dites créatives dans la vie économique est de faire accréditer l’idée que le progrès social et culturel résultera de l’application technocratique de méthodes de créativité. Le progrès social et culturel restera, comme par le passé, un enjeu dialectique de luttes sociales. »

Bibliographie

  • BANDLER, Richard, Un cerveau pour changer, la Programmation Neuro-Linguistique, InterEditions, 1990.
  • BARTH, Britt-Mari, Le savoir en construction, former à une pédagogie de la compréhension, Retz Nathan, 1993.
  • BUZAN Tony, Une tête bien faite, Explorez vos ressources intellectuelles,Éd. D’organisation, 1984.
  • BASSIS Henri, Je cherche donc j’apprends, Éditions Messidor,Bases théoriques, 1984.
  • BASSIS Odette, Mathématique : les enfants prennent le pouvoir, Educ. Fernand Nathan, 1984.
  • BASSIS Odette,Se construire dans le savoir, à l’école, en formation, Esf Éditeur, 1998.
  • BUZAN Tony, Dessine-moi l’intelligence, Édition D’organisation, 1995.
  • COLL. H. S. LASCHKAR, Re/construire ses savoirs, Éditions Messidor, 1985
  • Collectif sous la dirrction de Paul WATZLAWICK, L’invention de la réalité, contributions au constructivisme, Seuil, 1985.
  • CORDIÉ Anny, Les cancres n’existent pas, Points, Seuil 1993.
  • CAYROL Alain, de SAINT PAUL Josiane , Derrière la magie, InterEditions, 1984
  • GFEN, Collectif, Quelles pratiques pour une autre école, Tous capables, Casterman E3, 1982.
  • GFEN, Collectif, Re-construire ses savoirs, chercher, agir, inventer, Messidor, éditions sociales, 1985.
  • GREBOT Élisabeth, Images mentales et stratégies d’apprentissage (gestion mentale), Esf Éditeur 1994.
  • JACQUARD, Albert, Inventer l’homme, éd. Complexe, 1984.
  • JACQUARD, Albert, Moi et les autres, initiation à la génétique, Seuil, Coll. Point virgule, 1983.
  • JACQUARD, Albert, C’est quoi, l’intelligence, Seuil, Petit Point, 1989.
  • KOURILKY-BELL Françoise, Du désir au plaisir de changer, Intereditions, 1999.
  • MEIRIEU, Philippe, Apprendre… oui, mais comment ?, ESF, 1987.
  • PRE Marie, Mandala, Outil de croissance, guide pratique et théorique, Diffusion Marie Pré, 2004.
  • TOCMÉ-FABRE,Hélène, J’apprends, donc je suis, Ed. d’organisation.
  • VESTER, F., Penser, apprendre, oublier, Delachaux-Niestlé, 1987.
  • WILLIAMS, Linda, Deux cerveaux pour apprendre, le gauche et le droit, éd. d’Organisation, 1986.

Laisser un commentaire à l'auteur.e

Recherche