En effet, parmi les lectures dichotomiques (eux et nous) des phénomènes liés aux migrations anciennes ou plus récentes, celle que nous présentons ici nous paraît porteuse d’un travail sur ce qui fait espace « commun » entre « eux et nous ». Soit une sortie collective du carcan de la pensée toute faite, en guise d’émancipation. Le GRAIN a déjà traité la question de la radicalisation[2]. Fabienne Brion nous permet d’affiner notre approche afin de mieux fonder nos actions. Comment une société peut-elle quitter les postures d’auto-défense et accueillir de manière positive de nouveaux arrivants et les générations qui les suivent? Pourquoi tant de jeunes quittent-ils le pays où ils ont grandi, pendant que de nouvelles familles s’y précipitent pour demander l’asile ?
DH – Madame Brion, ce qui m’a frappée dans votre exposé, c’est que vous vous penchez sur notre société dans son ensemble et vous détectez ses contradictions, mises en lumière par le phénomène de la radicalisation. C’est un point de vue original.
FB – J’avais commencé mon exposé par une phrase extraite du « Pouvoir psychiatrique », une phrase qui dans le cours de Michel Foucault se rapporte non pas à la naissance de la radicalisation, mais à celle de l’hystérie. C’est une phrase que le philosophe place dans la bouche du personnage de l’hystérique : « (…) dans vos injonctions il y a quelque chose que vous ne formulez pas, mais que, moi, j’entends bien, une certaine injonction silencieuse à laquelle mon corps répondra* ». Et le manuscrit ajoute : « J’écouterai ce que tu ne dis pas, et j’y obéirai, te fournissant des symptômes dont tu seras bien obligé de reconnaître la vérité, puisqu’ils répondront sans que tu le saches, à tes injonctions non dites ». Il me semble que les jeunes qui s’engagent dans la voie du jihâd[3] armé répondent non seulement à l’injonction des prédicateurs dont ils se font les disciples, mais également, comme l’hystérique de Foucault, à nos injonctions non dites – il me semble qu’ils nous fournissent des symptômes répondant à une certaine injonction silencieuse, qu’il nous faut décoder si nous voulons leur éviter de se précipiter dans le piège qui leur est tendu et de courir à la mort, donnée ou reçue.
Si Foucault me passionne, c’est parce qu’il est un explorateur infatigable de notre inconscient social. Il a souvent ce geste : partir de la marge pour interroger le centre ; partir de ce qui est mis à l’écart pour interroger ce qui met à l’écart. Par exemple, il n’étudie pas le droit pénal pour comprendre ce qu’est la prison ; il part de la prison pour comprendre ce qu’est le droit pénal. Ou encore, il fait l’histoire de la folie pour cerner ce qu’on appelle, a contrario, la raison – la raison comme principe d’exclusion. L’exploration se nourrit de questions très pratiques, très concrètes : « Que fait-on avec les fous ? On les met où ? On les considère comme des criminels, comme des malades ? » Il ne m’est possible d’être criminologue qu’à la condition d’opérer – ou de tenter d’opérer – un mouvement analogue. Je me demande ce que les centres fermés pour illégaux nous apprennent à propos de la démocratie, ou ce que la radicalisation – ce refus de certains types d’assujettissement, ce choix de s’assujettir autrement – nous apprend sur la société où elle se produit. Pourquoi le discours des partisans du jihâd armé fait-il mouche ? Comment comprendre que tant de jeunes, aujourd’hui, veuillent quitter le pays où ils ont grandi, et que l’un ou l’autre – rares – se retournent contre lui ?
DH – Lors de votre exposé, vous avez parlé de trois « passions » qui animent notre société… Et qui placent les jeunes musulmans dans un filet d’injonctions paradoxales… Vous les nommez « passion de la Nation », « passion de la Démocratie » et « passion des Lumières »…
FB – Oui. J’ai repris la notion de « passion de la Nation » à Abdelmalek Sayad, sociologue algérien dont l’œuvre m’importe tout particulièrement. Comme Foucault, il explore notre inconscient social pour comprendre nos assujettissements. Dans le dernier grand texte qu’il a écrit avant de mourir, il étudie ce qu’il appelle la « pensée d’Etat »[4]. Nous sommes, écrit-il, des « enfants d’Etat » – en l’occurrence, les enfants d’Etats qui, longtemps, se sont pensés comme des Etats-nations. Et, en tant qu’enfants de ce type-là d’Etat, nous pensons l’immigration à travers des catégories qui sont « objectivement (c’est-à-dire à notre insu et, par suite, indépendamment de notre volonté) des catégories nationales, voire nationalistes ». L’opposition national/étranger, qui structure notre société, structure aussi notre manière de coder/décoder la réalité. Nos structures mentales sont donc tout à la fois « structurées » (elles sont « socialement et historiquement déterminées ») et « structurantes » (la réalité ne nous est jamais donnée que toujours-déjà interprétée).
Cela signifie que « tout naturellement », nous faisons des discriminations (ce « tout naturellement », bien sûr, est une illusion : la nationalité est tout au plus une « seconde nature » ; en d’autres mots, ce n’est pas une nature, mais une culture, « incorporée »). Sayad donne l’exemple de la délinquance. Certains juges pensent, et disent, qu’un infracteur étranger ou d’origine étrangère est un délinquant « au carré », parce qu’il a enfreint la loi pénale et les lois de l’hospitalité : « On vous a accueillis et voilà comment vous nous remerciez». Sont-ils xénophobes ? Un des problèmes des qualificatifs qui disqualifient, c’est qu’ils ne prédisposent guère à l’auto-analyse. Or, comme la clinique philosophique de Foucault, c’est là ce que la clinique socioanalytique[5] vise : stimuler et accompagner un travail de soi sur soi qui produise, au-delà de la prise de conscience, des effets de déprise[6].Enfants d’Etat, nous vivons sous l’emprise de la passion de la Nation – nous nous identifions à une image de la Nation que nous voudrions complète, parfaite. Comme Foucault, Sayad veut desserrer les lacets identitaires qui nous enserrent, et déstabiliser les assujettissements qui sont le relais de notre gouvernement…
La passion de la Nation divise les enfants d’Etat que nous sommes en deux groupes : pour filer la métaphore proposée par Sayad dans le titre d’un texte plus ancien, il y a d’une part les « enfants légitimes », qui y sont sujets, et qui se targuent de n’être pas « issus de l’immigration » ; et d’autre part, les « enfants illégitimes », que les « enfants légitimes » appellent, étrangement, des « immigrés de deuxième ou troisième génération », et qu’ils somment de « s’intégrer » alors qu’ils sont nés et qu’ils ont grandi ici. Voyez les forums, à propos du foulard et de la burqa. Des gens écrivent : « Retournez chez vous » ; « Ici, on montre son visage ». Autrement dit : « Il y a nous et il y a vous, chez nous et chez vous ; et Ici, c’est chez nous, ce n’est pas chez vous ». Or, c’est ici que les héritiers de l’immigration sont « à la maison » – ils sont « de la maison ». Oserais-je dire que ce qui est difficile à « intégrer », c’est, pour les « enfants légitimes », cette réalité ? Vous pouvez militer contre le racisme et vous surprendre à penser : « Il ne faudrait pas qu’ils exagèrent – ‘ils’ : ces étrangers ou ces ‘faux nationaux’ que sont les binationaux et les nationaux d’origine étrangère ».
La passion de la démocratie, c’est une notion que j’ai avancée dans le frayage des travaux de Sayad quand j’étudiais la criminalisation de l’immigration[7]. Vous le savez, les étrangers sont surreprésentés en prison[8] (aux Etats-Unis, où la population est structurée racialement, ce sont les Afro-Américains). Les publications sur cette question sont interpellantes ; plus précisément, ce qui interpelle est leur quantité, leur pauvreté et leur répétitivité. Il y a dans les bibliothèques des kilomètres d’étagères chargées de livres dont le propos est d’expliquer que si les « immigrés » et leurs (aux Etats-Unis, les « Noirs ») sont surreprésentés en prison, c’est parce qu’ils sont manifestement « plus délinquants » ; et des kilomètres d’étagères couvertes de livres attribuant la surreprésentation au racisme des agents du système pénal. L’explication se limite à ces gestes – criminaliser ou pathologiser. Dans les deux ca, quelque chose est épargné : les contradictions de notre ordre politique ne sont pas analysées ; on ne se demande pas ce qu’elles doivent à la loi qui les a instituées et légitimées. D’où la question : « Que protégeons-nous, en criminalisant et en pathologisant ? »
Nous protégeons un idéal – une représentation idéale de ce que devrait être la démocratie ; nous protégeons aussi une réalité – la réalité d’une forme de hiérarchisation que nous dénions. Suivant Sayad, nous sommes des « enfants d’Etat » – d’Etats qui se pensent ou qui se sont longtemps pensés comme des Etats-Nations (les cadres mentaux, disait Braudel, sont des « prisons de longue durée »). Mais ces Etats se pensent aussi comme des Etats démocratiques : La criminalisation de l’immigration transforme la question politique de la place en une question morale, celle de la faute ; ce faisant, elle nous permet de continuer à nous réclamer de l’égalité sans renoncer à hiérarchiser.
Les « enfants d’Etat » que nous sommes sont sujets à deux passions, la passion de la Démocratie et la passion de la Nation. L’une est une passion de l’égalité ; l’autre, une passion de la différence et de la préférence ; toutes deux ont leurs exigences. Comment, entre ces exigences, résoudre la contradiction ? Nous ne sacrifions pas une passion à l’autre : nous sacrifions ceux que nous criminalisons et pathologisons à nos passions et à notre désir d’ignorer nos contradictions.
La passion des Lumières est à l’islamophobie ce que la passion de la Nation est à la xénophobie. J’ai proposé la notion de passion des Lumières à l’occasion d’une recherche sur les processus de marginalisation des femmes d’origine turque ou marocaine sur le marché du travail, quand j’ai rencontré la question du foulard[9]. Là encore, ce qui m’intéresse, c’est d’examiner les modalités concrètes de l’articulation entre les deux passions et de tenter d’en rendre raison. Plusieurs jeunes femmes interviewées avaient fait des études d’assistante sociale. Travailler pour un public issu de l’immigration sans porter le foulard était recommandable ; le faire en portant le foulard était permis ; travailler pour un public qui n’était pas issu de l’immigration sans porter le foulard était blâmable (effet de la passion de la Nation) ; le faire en le portant était interdit (effet de la passion de la Nation conjuguée à la passion des Lumières ). La passion des Lumières voulait les affranchir de la tutelle familiale – « joug » parental ou « joug » conjugal ; la passion de la Nation s’inscrivait volontiers en relais d’une volonté parentale supposée pour mieux les renvoyer dans leur foyer, et réserver aux « vrais nationaux » les postes de travail…
Nous croyons être cohérents. Ce n’est pas le cas : la passion démocratique et la passion des Lumières sont subordonnées à la passion de la Nation, dont parfois elles ne sont que le relais ou l’instrument. Aujourd’hui encore, certains « enfants illégitimes » ont le sentiment de devoir s’excuser d’exister – le sentiment qu’ils doivent, pour être « acceptés », le « mériter ». Faut-il s’étonner si, sommées de « mettre les voiles » (c’était, en 1989, lors de la première affaire du foulard, le slogan d’un parti d’extrême-droite), des adolescentes ont répondu en se couvrant les cheveux ? Si, condamnés à raser les murs, leurs frères ont fini par porter la barbe ?
DH – Lors du colloque, vous avez exprimé l’idée qu’on était passé d’un racisme lié à la nationalité à un racisme lié à la religion. Ce serait lié notamment à la montée de la théorie du « choc des civilisations ». Pouvez-vous expliquer cela ?
FB – A l’échelle nationale, on observe deux évolutions. Depuis 1984, les conditions d’attribution et d’acquisition de la nationalité belge ont été élargies à plusieurs reprises : la Belgique a cessé d’être un pays où, sauf à demander et obtenir la naturalisation, les migrants et leurs descendants étaient étrangers de père en fil-le-s, de génération en génération. Dans le même temps, les héritiers des dernières vagues d’immigration organisées dans le cadre de conventions – les immigrations turque et marocaine – ont été redéfinis comme musulmans, qu’ils soient ou non nés dans cette religion, et soient ou non croyants. En 1984, Dassetto et Bastenier publient L’islam transplanté. Vie et organisation des minorités musulmanes en Belgique[10] : pour les sociologues de l’immigration, c’est l’amorce d’une reconversion ; dans le champ qu’ils investissent, c’est l’indice d’une nouvelle problématisation. Ethnicisation, islamisation : à mesure que l’extranéité recule, l’étrangeté avance. Bientôt, l’Islam sera associé au terrorisme et à la délinquance : les « immigrés » étaient pensés comme des travailleurs étrangers. « Musulmans », ils deviennent des ennemis de l’intérieur.
Un choc des civilisations ?
A l’échelle internationale, depuis la révolution qui a donné naissance à la république islamique d’Iran, en 1979, l’Occident craint les musulmans.
Avec la chute du mur, en 1989, et l’implosion de l’URSS, en 1991, il a perdu l’ennemi contre lequel il était uni.
En 1993, Samuel Huntington, professeur à Harvard et conseiller de Bush, écrit un article intitulé The Clash of Civilizations ?.En 1996, c’est devenu un livre dont le titre a des connotations plus « performatives »[11] qu’interrogatives : The Clash of Civilizations and the Remaking of the World Order. La thèse est qu’au conflit entre les deux blocs idéologiques qui définissait le modèle d’un monde bipolaire, succèdent des conflits entre des groupes religieux ou ethniques.
Il faut attendre Who Are We ? The Challenges to America’s National Identity, publié en 2003, pour y voir une solution au problème identitaire que pose le modèle d’un monde unipolaire : ce n’est plus contre l’URSS, mais contre l’Islam que l’Occident se lit et s’allie. Une caricature d’Islam, brossée à larges traits, symétriques à ceux qui définiraient l’Occident : religion vs science, soumission vs liberté, excès vs mesure, folie vs Raison, passé vs modernité, obscurité vs Lumières…
Personne en Belgique ne s’est dit : « On cesse de discriminer à partir de la nationalité, et on discrimine à partir de la religion… ». Les transformations du droit de la nationalité et la refonte de l’ordre mondial sont, à des échelles différentes, des processus distincts. Mais, dans notre pays comme dans d’autres, des séries de « paniques morales » ont peu à peu construit l’image d’une civilisation incompatible avec la nôtre. Il y a la série de l’ennemi de l’allié américain : en 1986, la flambée médiatique qui a suivi la manifestation dénonçant le bombardement de Tripoli par les Etats-Unis, étudiée dans Media u Akbar par Bastenier, Dassetto et El Achy[12] ; en 1991, la suspicion devant la circonspection des héritiers de l’immigration face à la couverture médiatique de la première guerre du Golfe ; en 2001, l’indignation face à leur refus d’observer trois minutes de silence après les attentats de New York. Il y a la série de l’égalité des femmes et des hommes, avec les affaires du foulard et, en mineur, celles du mariage arrangé et du crime d’honneur ; la série du refus de la liberté d’expression, avec les affaires Rushdie, Van Gogh, Jyllands-Posten et Charlie-Hebdo ; la série du terrorisme, avec les attentats de 1995, 2001, 2004, 2005, 2012, 2014, 2015…
Par ailleurs, dans tout ce processus, on peut aussi mettre en avant l’influence de la construction européenne. En grec ancien, il y a plusieurs manières d’exprimer la notion de « peuple » : démos, laïos, génos… Génos c’est la communauté basée sur la « race », laïos, c’est la communauté d’opinion, et démos, c’est le peuple basé sur un territoire. Dans l’Etat-nation, on a bien un peuple sur un territoire uni par un ensemble de lois qui l’obligent. C’est notre cadre politique. Mais l’union européenne défait un peu cela. On a des citoyens européens, qui ne sont pas des nationaux et qui circulent sur un territoire plus vaste que ceux des Etats nationaux. Donc, quelque chose est en train de se défaire au niveau des démos et la nationalité devient moins importante. La religion devient ce qui va définir le peuple plus que l’unité définie par le territoire et la loi.
DH – D’après vous, la passion de la Nation, la passion de la Démocratie et la passion des Lumières enserrent les jeunes d’origine immigrée dans un faisceau de contradictions qu’ils décodent très bien et nous renvoient à la face ? Comme quand il est question, par exemple, de déchoir les terroristes de leur nationalité jusqu’à la troisième génération ?
FB – Il faut distinguer les causes, qui sont impersonnelles et objectives[13], et les raisons, personnelles et subjectives. Si Foucault observe le pouvoir du côté des individus sur lesquels il s’exerce, s’il examine comment il agit sur leurs actions, c’est qu’il tient qu’il passe, notamment, par leur assujettissement. Sur ce point, le philosophe reprend, comme Sayad, la thèse d’Althusser : « Ce qui constitue un individu en sujet est une interpellation dans laquelle il se reconnaît ». Par « interpellation », il faut entendre des actes et des pratiques matériels, réglés par des procédures et des rituels matériels, au sein de l’appareil répressif et des appareils idéologiques d’Etat (selon Althusser), ou d’un réseau intra-étatique d’institutions d’assujettissement (selon Foucault). Dans cette perspective, les questions qui importent sont celles de savoir comment les jeunes qui veulent faire le jihâd ou la hijra ont été « interpellés », dans quelle « interpellation » ils se sont (ou non) reconnus, ou – et le problème de nos contradictions vient de là, comme celui des promesses non tenues – si, s’étant reconnus dans une « interpellation », ils ont eu le sentiment de ne pas l’être par ceux qui les avaient « interpellés ».
La déchéance de la nationalité est, en droit belge, une mesure exceptionnelle : instituée en 1934, elle a été prononcée quatre fois avant 1940, trente-quatre fois dans l’immédiat après-guerre (on se souvient de Léon Degrelle), et une douzaine depuis 2008. Envisager, comme l’ont fait plusieurs membres du gouvernement, de l’appliquer « jusqu’à la troisième génération », à des jeunes qui sont nés en Belgique de parents nés en Belgique, c’est donner toute leur consistance aux thèses de Sayad sur la passion de la Nation. C’est « interpeller » les Belges qui sont issus de l’immigration en « enfants illégitimes » ; leur indiquer qu’ils sont toujours en nationalité conditionnelle, donc en citoyenneté conditionnelle, donc – si leur seconde nationalité n’est pas celle d’un Etat membre de l’Union – en liberté(s) conditionnelle(s) (je parle des libertés de séjourner, de circuler et de travailler associées à la citoyenneté européenne) ; leur indiquer que, même s’ils sont belges, ils restent des étrangers ; au-delà des lois pénales, les renvoyer aux « lois de l’hospitalité » ; leur signifier qu’entre les « enfants légitimes » et les « enfants illégitimes », il n’y a pas d’égalité.
Le « cas Jean-Louis Denis »
Ce quadragénaire converti, qui avait ouvert un « resto du tawhîd », est poursuivi pour avoir convaincu d’aller combattre en Syrie des adolescents qui l’aidaient à récolter de la nourriture pour les démunis. Supposez qu’il soit condamné : n’étant pas issu de l’immigration, il n’est pas binational ; n’étant pas binational, sa nationalité ne peut lui être retirée[14]. Certaines de ses recrues sont issues de l’immigration ; d’autres, non. Si ces adolescents ne sont pas tués et qu’ils rentrent en Belgique, les premiers pourront être déchus de leur nationalité ; pas les seconds. Or, une peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction ou à la dangerosité de l’infracteur[15]. Les dispositions du Code de la nationalité combinées à la Convention européenne sur la nationalité instituent une forme inédite d’inégalité des citoyens belges devant la loi. La déchéance est, littéralement, « démesurée ».
D’aucuns objecteront que, s’il était légitime de retirer sa nationalité à Degrelle, qui avait trahi son pays et qui avait prêté allégeance aux nazis, il est légitime de la retirer à des jeunes jihadistes qui se disent prêts à « détruire la Belgique » et qui ont prêté allégeance à l’Etat Islamique.
L’argument aurait davantage de poids si, comme du temps de Degrelle, la bi nationalité n’était pas une condition de la déchéance de la nationalité. Ce n’est pas le cas. Avec ce résultat : si, en termes de prévention spéciale, l’efficacité de la mesure est nulle – elle n’ôte aux jihadistes ni la possibilité, ni le désir, ni le courage de faire le jihâd –, en termes de prévention générale, il y a des raisons de penser que non seulement elle ne dissuade pas les jeunes musulmans de partir, mais qu’elle les y encourage[16].
En Belgique comme en France, les candidats au jihâd et à la hijra sont, pour la plupart, des jeunes qui ont grandi dans le discours du choc des civilisations. Depuis qu’ils sont petits, on les « interpelle » en tant que musulmans – ce qui ne va pas de soi : la plupart des habitants ne sont pas « interpellés » en tant que croyants. Et, de mille et une façons – medias, lois, droit… –, on leur répète que l’Islam est un danger pour la démocratie. Pensez au foulard : l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme dispose que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, droit qui « implique (…) la liberté de manifester sa religion (…) individuellement ou collectivement, en public ou en privé (…) ». Les seules restrictions autorisées sont celles qui constituent « des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé et de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Que signifie, dans ce cadre, l’interdiction du foulard ? Au mieux, que les musulmans sont dangereux ; au pire – puisque la liberté de religion est un droit attribué aux êtres humains – qu’ils ne sont pas tout à fait humains.
Les héritiers de l’immigration font l’objet d’injonctions paradoxales. On leur dit « Tu es d’ici mais tu n’es pas vraiment d’ici… tu es un national mais tu n’es pas vraiment un national, tu es l’égal mais tu n’es pas l’égal – à orthographier comme on veut –, tu as les mêmes droits mais tu n’as pas les mêmes droits, tu vis en démocratie, mais souviens-toi que le demos, tu n’en fais pas tout à fait partie.» Les idéologues qui appellent au djihâd armé ont un discours qui va à la rencontre de leur malaise. Ils leur disent : « La démocratie est une idole. Ils l’adorent, mais ça ne veut rien dire… Ils parlent de droit et disent que le « takfir » – tuer des gens au prétexte que ce sont des mécréants –, ça ne va pas. Mais tu verras qu’en Méditerranée, ils laissent mourir les migrants !.. Où est leur cohérence ? Ils disent que la loi protège, mais va voir à la prison de Forest, tu verras bien qu’il y a beaucoup plus d’étrangers… ». Ou : « tu verras bien qu’il y a beaucoup plus de musulmans… ».Certains jeunes ont très bien compris les contradictions dans lesquelles ils sont placés. Ils ne sont pas dupes. Ils évoquent des libertés « à géométrie variable »… Ils disent : « On nous parle de liberté d’expression, mais si on refuse de faire une minute de silence, ce qui est quand même une manière de s’exprimer, là ça va pas… ». Ou bien : « On nous parle de liberté de manifester ses convictions, mais si on porte le foulard, ça ne va pas ». Ces jeunes nous placent face à nos contradictions et appuient là où ça fait mal. « On nous dit que si on a un parcours d’excellence à l’école, ça va aller, mais après il n’y a pas de travail, et s’il n’y a pas de travail on nous dit de retourner dans notre pays ».
S’assujettir « autrement »
Se sentir inutile ou déplacé ; avoir le sentiment que votre vie est sans valeur…
Avoir, comme vos parents, la nationalité du pays où vous êtes né et vous vivez, et vous entendre dire et répéter qu’il faut vous intégrer… Cela prédispose à douter de la démocratie, de la loi, et d’institutions qui sont vraiment centrales. Les idéologues du djihâd armé appuient là où ça fait mal… Ils les appellent à partir ailleurs, à se constituer comme sujets d’une autre loi et d’un autre Etat, à transformer leurs assujettissements – Althusser aurait dit : ils les « interpellent » autrement.
Au sein du gouvernement, le ministre de la Justice, Koen Geens fait valoir que la déchéance de la nationalité n’était pas une bonne idée, mais l’effet d’annonce a été un séisme. Les Belges d’origine turque ou marocaine se sont dit « On est des citoyens de seconde zone ».
DH – Lors du colloque, vous avez également parlé de l’influence de l’économie sur notre rapport aux migrations et, par transitivité, de l’influence de l’économie sur notre Droit…
FB – En effet, on voit que le nombre de détenus varie en fonction inverse des cycles économiques longs : les prisons ont une fonction de drainage du surplus relatif de la population ; aux « creux » des crises économiques et politiques qui marquent le passage d’un cycle à l’autre correspondent des « pics » de détention.
En Belgique, l’évolution des chiffres des prisons définit trois périodes, correspondant à trois formules de gouvernement, trois définitions de la citoyenneté, trois définitions de la « société » – cette « entité» dont, comme le remarque Foucault, il se dit qu’il « faut [la] défendre » –, trois divisions de la population et trois formes de racisation : celle des « sous-prolétaires » ; celle des « immigrés » ; et celle des « musulmans ». Ces périodes, il faut les penser dans leurs relations avec l’histoire du capitalisme. Avec les cycles économiques longs[17] ou les ondes longues qui rythment son histoire.
Ainsi que Charlotte Vanneste l’a montré, de 1831 à 1919, le nombre de détenus varie en fonction inverse des cycles économiques longs : les prisons ont une fonction de drainage du surplus relatif de la population ; aux « creux » des crises économiques et politiques qui marquent le passage d’un cycle à l’autre correspondent des « pics » de détention.
En somme, la transformation du racisme – la redéfinition de ses cibles – n’est pas indépendante des restructurations de la population, lesquelles ne sont pas indépendantes de l’histoire des cycles longs ou des ondes longues ou des phases du développement capitaliste. Quand il cesse de concerner les sous-prolétaires pour se concentrer sur la main-d’œuvre étrangère, le racisme est le signe et le résultat des restructurations de la population qu’opèrent, entre autres, les lois électorales successives[18]. Il en va de même quand racisme cesse de cibler les « immigrés » pour se concentrer sur les « illégaux » et les « musulmans » ; là encore, c’est le signe et le résultat des restructurations opérées par les traités européens, d’une part, et par diverses lois[19], d’autre part.
Cycles économiques et discriminations
Longtemps, la citoyenneté est conditionnée par le cens[20] : elle est, autrement dit, un attribut de la classe dominante. A cette époque la nationalité n’a pas d’importance : la classe dominée est divisée par la délinquance ; la « société qu’il faut défendre » rassemble la classe dominante et la classe laborieuse, à l’exclusion de la classe dangereuse ; le support de la racisation est la notion de dégénérescence.
Bien qu’il s’agisse d’une phase de récession, on ne constate nul « pic » de détention entre 1919 et 1939, phase de récession du troisième cycle long : pour « drainer la société de ses indésirables », L’Etat se dote de réglementations supprimant, pour les étrangers, les libertés de commercer et de travailler, et subordonnant l’autorisation de séjourner à celle d’exercer une activité. La nationalité conditionne la citoyenneté, définit la « société à défendre » et divise la classe dominée. Le racisme vise les travailleurs étrangers.
De 1945 à 1973 – durant la phase ascendante du quatrième Kondratiev, un dispositif analogue permet de gérer les « flux et reflux » des « immigrés » en fonction des cycles économiques courts. D’abord considérés comme une « main-d’œuvre d’appoint », ils deviennent, après que le rapport Sauvy de 1962 ait mis en évidence le vieillissement de la population et anticipé son incidence sur le système des pensions, des « géniteurs d’appoint » : en plus de leur contribution au système de production, ils doivent contribuer à la reproduction de la population. Quand les conventions bilatérales d’immigration sont signées avec le Maroc et la Turquie, en 1964, l’Etat encourage l’immigration de familles et le regroupement familial ; pour autant, la présence des « immigrés » n’est légitime que parce qu’elle sert les intérêts économiques et démographiques de la Belgique. Aux yeux des « enfants légitimes » – les sujets nationaux –, elle reste, autrement dit, illégitime a priori. Au-delà des travailleurs étrangers, le racisme vise les « immigrés ».
1974 marque le début de la phase de récession du quatrième Kondratiev ou, selon Maddison, de la quatrième phase du développement capitaliste. D’une part, la Belgique met un terme à sa politique d’importation de main-d’œuvre et de familles étrangères. D’autre part, la construction européenne et les réformes du droit de la nationalité transforment les ressortissants des Etats avec lesquels elle avait signé des conventions d’immigration en citoyens européens et/ou belges libres de circuler, commercer et travailler. Avec ces conséquences : le personnage de « l’immigré » recule ; celui de « l’illégal » s’avance. A la stratification nationale du marché du travail propre à la formule sociale de gouvernement, la formule néolibérale substitue son dédoublement en deux marchés, formel et informel. Sur celui-là, les héritiers de l’immigration concourent avec les « enfants légitimes » ; sur celui-ci, avec les « illégaux ». Partout, on leur reproche d’être « trop » : d’avoir trop de droits, d’être de trop. En fait et en droit, ce qui divise la classe dominée est l’illégalité, qui oppose le prolétariat informel au prolétariat formel ; dans les représentations, de plus en plus, c’est aussi l’islamité.
On voit que le mouvement est mondial : les candidats au jihâd et à la hijra partent non seulement de Belgique ou d’Europe du Nord ou de l’Ouest, mais également d’Afrique du Nord, d’Amérique du Nord et d’Australie. Donc, pour finir sur la question des cycles économiques, permettez-moi de me référer au troisième temps distingué par Braudel : non pas le temps bref ou temps long, mais le temps cyclique ou conjoncturel. Le capitalisme traverse une crise que certains macro-économistes qualifient de « systémique » ; une crise qui, sous un aspect au moins, est semblable à celle des années 1930. Cet aspect, c’est celui de la capitalisation du pouvoir : aux Etats-Unis – et, vraisemblablement, dans d’autres Etats occidentaux –, la part des revenus du travail et du capital qu’accaparent les dix pourcents le plus riches de la population est supérieure à 45% ; or, rétrospectivement, il s’avère que c’est là « l’asymptote du pouvoir capitaliste ». Plus la capitalisation du pouvoir est grande, plus les résistances qu’il suscite et les forces nécessaires pour les désarmer sont importantes. Au-delà de 45%, le système lui-même est menacé par la spirale de rébellion et de répression que génère la capitalisation.
DH – Que faire, concrètement ?
FB- On disait dans des études plus anciennes qu’il y avait trois sites de radicalisation : les mosquées, les prisons et les universités. Dans les universités, il y a notamment tout le courant des études postcoloniales, qui est très intéressant, par exemple avec le concept d’orientalisme d’Edward Saïd. Ce courant décode les contradictions des pays dominants, colonisateurs ou pays d’immigration. C’est quelque chose qui permet de comprendre, qui éclaire, mais qui peut enfermer dans un sentiment de mauvaise foi attribuée à l’autre ou de victimisation. Ca peut cultiver l’aigreur.
Quand je discute avec des enseignants, il me semble que parvenir à mettre en place des dispositifs pédagogiques qui font que les jeunes peuvent trouver une place, se sentent autorisés à parler, se sentent autorisés à ne pas faire une minute de silence, est crucial. « OK tu ne la fais pas mais on en parle ». Pourquoi ? Il ne s’agit pas de normaliser, mais d’entendre. Est-ce qu’on peut prendre le temps d’écouter ce que dit ce refus ? Ca ne veut même pas dire qu’on doit après être d’accord avec ce que ce refus signifie, mais on peut le laisser s’exprimer, c’est la moindre des choses…
Le décret « Education permanente » c’était un décret qui allait dans le sens de produire du positif plutôt que prévenir du négatif : promouvoir la citoyenneté critique, responsable, promouvoir la culture, le théâtre, l’expression… La nouvelle tendance c’est d’instrumentaliser cela en disant : « continuez à faire la même chose pour prévenir la délinquance, ou la radicalisation ». Sauf que ça ne fonctionne pas… Il est improductif d’utiliser l’éducation permanente comme outil de prévention, car l’intention est corrompue dès le départ. En ciblant on stigmatise. Comme dirait Lacan « La guérison vient de surcroît ». Et bien… la prévention vient de surcroît : si elle est l’objectif, elle invalide tout le dispositif. Si vous interpellez des jeunes en tant que « radicaux potentiels », ce n’est pas la même chose que si vous les interpellez en tant que jeunes qui ont des choses à dire…
DH – On entend souvent dire que les conditions socio-économiques des jeunes des quartiers favorisent la radicalisation, mais quand je vous entends parler je me dis que ce n’est pas le seul facteur.
FB – Toute une série de jeunes se posent la question de leur place, et donc les mauvaises conditions socio-économiques ça n’aide pas… Mais dans ceux qui sont partis, il y a beaucoup de jeunes qui réussissent très bien scolairement, qui étaient à l’université… certains avaient un emploi. Le sentiment d’être humilié, de ne pas avoir sa place ou d’être humilié est sans doute plus important…
Au début du XXè siècle au Etats-Unis, un sociologue d’origine juive, Wirth, s’était intéressé aux débuts du sionisme. Il a montré que les sionistes étaient des jeunes en provenance du ghetto qui étaient éduqués, qui quittaient le ghetto et puis étaient brutalement confrontés à une barrière qui les renvoyait à leur judéité… C’est à ce moment-là qu’ils se tournaient vers le sionisme. Quand j’ai conduit ma recherche sur le foulard, une jeune femme voilée qui avait un parcours d’excellence au niveau universitaire m’a dit : « On a beau faire »… En gros elle voulait dire : « C’est notre être quoi, vous ne supportez pas ce qu’on est ». Je l’ai revue récemment, elle s’est fort apaisée, mais entre 18 et 30 ans, période difficile pour tous, où la question de la place se pose pour tous, elle était vraiment en souffrance, d’autant plus sans doute qu’elle avait le sentiment d’avoir fait tout ce qu’il fallait.
Bibliographie
Enfants d’ici, pas d’ailleurs. Interview de Fabienne Brion par M. Lloreda, CGé, TRACeS de Changement n°220, mars-avril 2015, en ligne sur http://www.changement-egalite.be/spip.php?article3196. [consulté le 11 juin 2015]
Brion, F. Quand l’Etat crée une logique d’enfermement de « l’étranger », in A. Medhoune, S. Lausberg, M. Martiniello, A. Rea ; « L’immigration marocaine en Belgique »- Couleur Livres, 2015, p. 135-146.
Georis V., Pour prévenir les radicalismes, la reconnaissance mutuelle, Le GRAIN, avril 2015.
Georis V., Pour prévenir les radicalismes, étayer les supports sociaux du « métissage »…, Le GRAIN, avril 2015.
Sayad A. Immigration et « pensée d’État ». In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 129, septembre 1999. Délits d’immigration. pp. 5-14.
Disponible sur http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1999_num_129_1_3299
[Consulté le 11 juin 2015]
Derrière le voile du non dit … : interview de F. Brion, criminologue UCL sur la virulence du débat sur le foulard [texte imprimé] / Fabienne Brion ; Jacques Meyers . in Agenda Interculturel > 209 (décembre 2002) . – pp. 7 – 8
Voir http://www.cbai.be/revuearticle/165/print/ [Consulté le 11 juin 2015].
Brion, F. La surreprésentation des étrangers en prison: quelques enseignements d’une brève étude de démographie carcérale, in F. Brion, A. Rea, C. Schaut, A. Tixhon (coord.), « Mon délit ? Mon origine. Criminalité et criminalisation de l’immigration », Bruxelles, Éditions De Boeck-Université, coll. Pol-His, 2001, 316 p.
Brion, F., Immigration, crime et discrimination : du doute méthodique au doute radical. in F. Brion, A. Rea, C. Schaut, A. Tixhon (coord.), « Mon délit ? Mon origine. Criminalité et criminalisation de l’immigration », Bruxelles, Éditions De Boeck-Université, coll. Pol-His, 2001, 316 p.
Notes / Références
[1] Les encadrés et mises en exergue sont de la rédaction.
[2] Lire : Georis V., Pour prévenir les radicalismes, la reconnaissance mutuelle, Le GRAIN, avril 2015 et Georis V., Pour prévenir les radicalismes, étayer les supports sociaux du « métissage »…, Le GRAIN, avril 2015.
[3] Le djihad ou jihad, également épelé djihâd ou jihâd, (جهاد en arabe) est un devoir religieux pour les musulmans. En arabe, jihâd signifie « effort », « lutte » ou « résistance », voire « guerre menée au nom d’un idéal religieux ». L’islam compte quatre types de djihad : par le cœur, par la langue, par la main et par l’épée. Le djihad par le cœur invite les musulmans à « combattre afin de s’améliorer ou d’améliorer la société ». Le djihad peut aussi être interprété comme une lutte spirituelle, dans le cadre du soufisme par exemple, mais aussi armée. Cette dernière interprétation a pu servir d’argument à différents groupes musulmans à travers l’histoire pour promouvoir des actions contre les infidèles ou d’autres groupes musulmans considérés comme opposants et révoltés. Source : Wikipédia.
[4] Sayad, A., Immigration et “pensée d’Etat” in Sayad A., “La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré”, Paris, Seuil, 1999, pp. 395-413.
[5] Foucault invente une clinique philosophique du sujet ; Sayad, une clinique socioanalytique.
[6] « Déprise » s’oppose ici à « emprise » : se déprendre, c’est sortir de l’emprise d’un inconscient déjà structuré. Et c’est une forme d’émancipation.
[7] Brion, F. Etre étranger, un crime ? De la criminalité des immigrés à la criminalisation de l’immigration. Pour une reconstruction d’objet, Revue de droit pénal et de criminologie,1997, 7/8, pp. 763-775.
[8] Brion, F. La surreprésentation des étrangers en prison: quelques enseignements d’une brève étude de démographie carcérale, in F. Brion, A. Rea, C. Schaut, A. Tixhon (coord.), « Mon délit ? Mon origine. Criminalité et criminalisation de l’immigration », Bruxelles, Éditions De Boeck-Université, coll. Pol-His, 316 p.
[9] Brion, F. Cris de l’indignation, murmures de l’indignité. Blessures morales et attentes de reconnaissance, in J.-M. Larouche, “Reconnaissance et citoyenneté. Au carrefour de l’éthique et du politique, Québec, Presses Universitaires du Québec, 2003, pp. 111-131.
[10] Dassetto F. et Bastenier A., L’Islam transplanté. Vie et organisation de minorités musulmanes de Belgique, Anvers/Bruxelles, EPO/EVO, 1984.
[11] Un énoncé performatif participe à la réalisation de ce qu’il énonce. Prononcer ou écrire cet énoncé contribue à produire en même temps l’action qu’il décrit. Dans le titre “The Clash of Civilizations and the Remaking of the World Order” le projet de constituer un nouvel ordre mondial est énoncé et donc mis en chantier.
[12] Bastenier A. et Dassetto F. (en coll. avec Elachy E.), Media u Akbar. Confrontations autour d’une manifestation, Louvain-La-Neuve, CIACO, 1987, 128 p.
[13] Voir, par exemple, les causes économiques, le point développé ci-dessous.
[14] En effet, aux termes de la Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997, chaque individu a droit à une nationalité, et l’apatridie doit être évitée
[15] La doctrine pénale classique pose qu’une peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction commise. La doctrine de la défense sociale pose quant à elle que la peine doit être proportionnelle à la dangerosité de l’infracteur.
[16] Comme pour l’interdiction du port du foulard ou de la burqa, c’est ce que les théoriciens néolibéraux de la pénalité appellent un cas d’élasticité positive, dans lequel les « grandeurs-causes » (la sévérité des mesures et des peines) provoquent sur les « grandeurs-effets » des évolutions de même sens : plus la répression augmente, plus les occurrences du comportement sont fréquentes.
[17] Selon les macro-économistes marxistes Kondratiev et Mandel. Un cycle de Kondratiev est un cycle économique de l’ordre de 40 à 60 ans aussi appelé cycle de longue durée. Mis en évidence dès 1926 par l’économiste Nikolai Kondratiev dans son ouvrage Les vagues longues de la conjoncture, il présente deux phases distinctes : une phase ascendante (phase A) et une phase descendante (phase B). Selon Kondratiev, la phase ascendante s’accompagne progressivement d’un excès d’investissement réalisé par les entreprises pour faire face à la concurrence, ce qui provoque une hausse des prix, les entrepreneurs répercutant leurs coûts de production sur les produits, et des taux d’intérêt qui augmentent face à une forte demande de la monnaie. Il s’ensuit donc un déclin de l’activité économique durant lequel les prix baissent, dû à un excès de l’offre et à une baisse de la demande, ainsi que les taux d’intérêts, la baisse de la consommation et des investissements entraîne une baisse de la demande de monnaie, ce qui permet une purge du système et prépare le terrain pour une nouvelle phase de croissance. Source : Wikipédia.
Le macro-économiste libéral Angus Maddison décrivait quant à lui le niveau de développement du capitalisme au moyen de cinq variables – degré de liberté des capitaux et du travail ; degré de liberté du commerce international ; système international de payement ; priorité donnée à l’emploi ou à la stabilité des prix ou au commerce extérieur ; structuration et comportement du marché du travail.
[18] Le corps législatif dont il est question se compose des lois électorales de 1883, 1893 et 1921, les lois sur la nationalité de 1922 1926, 1927 et 1932, et les arrêtés royaux relatifs au travail et au séjour des étrangers, en 1930, 1931, 1934, 1935, 1936 et 1939.
[19] Il s’agit du code de la nationalité de 1984 et les lois de 1991, 1993, 1995, 1998, 2000, 2006 et 2012 qui le modifient ; la loi de 1981 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et les lois qui la modifient ; nombre de dispositions pénales…
[20] Le suffrage censitaire est le mode de suffrage dans lequel seuls les citoyens dont le total des impôts directs dépasse un seuil, appelé cens, sont électeurs. En Belgique, le suffrage censitaire a été utilisé depuis l’indépendance (1830) jusqu’en 1894. Initialement, le cens était variable selon les régions : il était plus élevé dans les villes que dans les régions rurales. En 1848, il fut ramené pour tout le pays à 42,20 francs (minimum prévu par la Constitution). En 1894, il fut remplacé par un système de vote plural, qui donnait entre autres une (aux législatives) ou deux (aux communales) voix supplémentaires suivant le niveau de paiement de l’impôt. En 1919 est introduit le suffrage universel pour les hommes et en 1948 pour les femmes.