Pouvoir lire et comprendre des énoncés et des consignes I

pouvoir « négocier » avec elles

1. Pouvoir lire, comprendre les consignes et négocier avec elles : pourquoi ?

Se situer par rapport à des consignes est nécessaire tout d’abord pour des raisons pratiques. La vie de tous les jours exige constamment de pouvoir comprendre des énoncés et des consignes. Pensons aux nombreux documents qu’il nous est demandé de remplir, aux informations et aux injonctions apparaissant régulièrement sur les écrans de nos p.c., aux messages visuels ou auditifs dans les gares ou les aéroports, aux modes d’emploi consultés en cas de pépins ou lors d’un usage nouveau de la machine, aux instructions d’un coach ou d’un entraineur sportif, aux règles d’un jeu de société, etc. Dans le registre professionnel aussi, cette compétence est constamment sollicitée à travers les notes de services, les procédures à suivre, etc. Lire et comprendre les énoncés et les consignes représentent donc une utilité directe. Voilà la première raison de viser cette compétence.

Posséder cette compétence permet alors de dépasser la perception d’être nul et d’échapper au sentiment d’humiliation, ressentis par ceux qui paniquent devant des démarches à faire, exigeant de comprendre des instructions et de faire des choix en fonction d’elles. Cela permet de dépasser la hantise d’avoir mal exécuté une tâche ou fait une fausse manœuvre à cause d’une éventuelle mauvaise compréhension de ce qui était demandé. Cela permet de se libérer d’une dépendance à l’égard d’un plus expérimenté que nous qui pourrait se substituer à nous pour la marche à suivre. C’est là le deuxième enjeu éducatif de l’acquisition de cette compétence.

Mais lire et comprendre les énoncés et les consignes, c’est aussi une condition pour acquérir une autonomie de pensée et d’action, au-delà de la possibilité de se débrouiller seul matériellement. Il faut pouvoir « négocier » avec les consignes. Nous retrouvons ici la capacité de choix. En effet, les consignes ne sont pas nécessairement à prendre à la lettre. Elles ne sont pas non plus à prendre ou à laisser. Se situer ainsi par rapport à une consigne avec minimum de recul et d’autonomie représente l’occasion de faire l’expérience que le pouvoir, tout comme le savoir, n’est pas de type binaire, de l’ordre du tout ou rien. C’est là, la troisième raison justifiant la poursuite de cette compétence.

Concrètement, des énoncés et des consignes peuvent contenir des erreurs ou simplement des lacunes. Ces failles, si elles ne sont pas repérées, conduisent à poser des actes inadéquats ou à paralyser l’action. Comment pouvoir percevoir ces erreurs et ces lacunes si on n’est pas à même de comprendre exactement ce qui est dit ? Pouvoir poser un jugement sur la qualité des énoncés et des consignes est une première forme de liberté intellectuelle.

Cela acquis, il est alors possible de se positionner par rapport à l’énoncé et à la consigne. Comprendre des informations et des instructions ne commande automatiquement la réaction. L’acte à poser en retour de la lecture est le résultat d’un jugement. C’est ce que nous appelons « négocier avec les consignes ». Jusqu’où je tiens compte de ce qui m’est enjoint de faire ? Comment j’y réponds ? Quelle initiative vais-je prendre ? La réponse à des consignes n’est pas automatiquement l’exécution aveugle, loin s’en faut. Mais pour pouvoir décider de ce qui est préférable selon moi, je dois être informé le mieux possible et donc, comprendre les énoncés et les consignes et pouvoir anticiper le résultat attendu de leur exécution. Ma décision face aux consignes sera le fruit d’une évaluation de différents paramètres.

La compréhension des consignes est nécessaire à l’efficacité de l’action mais elle ne se limite pas à l’exécution pure et simple. Du coup, elle porte en elle les germes de l’émancipation. C’est ce qu’ont dû prendre en compte les décideurs (par exemple, dans la sphère professionnelle) qui comptaient sur l’exécution docile de leurs instructions. Dans une situation un tant soit peu complexe, l’exécution stricte des consignes amène une série de dysfonctionnements. D’où leur décision de former les exécutants à la compréhension des consignes, y compris de leur sens dans un ensemble plus complexe, pour que les tâches soient réalisées conformément à leurs intentions. Mais cette compréhension des consignes exige le recul, laissant dès lors la place au libre arbitre de l’exécutant. La lecture et la compréhension de consigne est donc émancipatrice car elle accroit l’autonomie.

Cette autonomie peut être celle d’un groupe également. Une action collective se déroule dans un contexte qui comprend des contraintes et implique des règles et des procédures. Une autonomie à l’égard de ces contraintes suppose qu’on en prenne la mesure et qu’on en fasse une lecture correcte. La capacité de compréhension des consignes et de négociation avec elles est ainsi une condition de réussite d’un projet collectif.

Ce souci d’autonomie et de construction d’une attitude d’initiative constituera donc une préoccupation que le formateur gardera en permanence à l’esprit lorsqu’il poursuit la compétence de la compréhension des consignes. Cela l’amènera, lors des exercices pratiques d’entraînement de cette compétence, à prendre des exemples, à rechercher des analogies qui en montrent l’usage libérateur. Il soulignera aussi, chaque fois que possible, les transformations que ce nouveau savoir-faire provoque chez les stagiaires, fondant ainsi chez eux un renforcement de la confiance en soi et en son propre jugement.

2. Une stratégie en deux temps

La stratégie proposée ici pour former à la lecture et à la compréhension des consignes repose sur deux piliers. Tout d’abord, il s’agit de faire prendre conscience aux élèves en quoi consiste une consigne, quel est son impact et son sens. Ensuite, il faut créer chez eux des attitudes-réflexes efficaces face aux énoncés contenus dans les consignes et aux injonctions qu’ils expriment.

Ces deux axes sont nécessaires et complémentaires. En effet, l’acquisition durable d’attitudes pertinentes face aux consignes suppose de contrer les « mauvaises habitudes » qui conduisent à une lecture erronée des consignes, en dénonçant et en déconstruisant ces habitudes le plus souvent quasi automatiques et en en créant de nouvelles plus conscientes et plus efficaces. Elle suppose aussi de sensibiliser les formés, d’une part, aux enjeux d’une bonne compréhension des consignes et, d’autre part, aux conditions requises pour une gestion adéquate de l’information, contenue dans la consigne, qui réclame de nous une action. Le travail de « rééducation » des attitudes inefficaces des formés est facilité si l’élève a pris conscience du sens et de la portée d’une consigne.

Nous proposons les démarches suivantes pour combattre avec les formés les attitudes inefficaces et mettre en place des attitudes pertinentes, ainsi que pour leur faire saisir en quoi consiste exactement la compétence comprendre les consignes à travers son usage.

3. Contrer une mauvaise lecture des énoncés

Le questionnaire suivant contient une série d’informations dont le décodage requiert de prendre son temps pour lire toutes les données et pour s’interroger sur le sens exact des mots. Généralement, devant cet exercice, l’attitude spontanée du lecteur est de parcourir rapidement ces énoncés qui semblent faciles à comprendre. Cette lecture rapide pourrait jouer des tours à celui qu’y prend de cette façon. De même, la formulation est telle qu’elle suscite le décodage à travers une grille de lecture qui semble familière au lecteur et que celui-ci mobilise de façon quasi automatique l’amenant à déformer le contenu de ce qui est strictement énoncé.

Ce test peut être pratiqué seul ou en groupe. Il vaut mieux le présenter comme un jeu. Son intérêt pédagogique nécessite une analyse au terme de l’exercice pour dégager les attitudes et les mécanismes cognitifs inadéquats qui ont été mobilisés et qui ont conduit à l’erreur.

3.1. Lire et comprendre des questions (test)

  • Est-ce qu’il y a un 14 juillet en Belgique ?
  • Certains mois ont 31 jours, combien en ont 28 ?
  • Combien d’animaux mangent avec leur queue ?
  • Est-il légal en Californie d’épouser la sœur de sa veuve ?
  • S’il y a 3 pommes et que tu en prends 2, combien en as-tu ?
  • Un médecin te donne trois cachets à prendre toutes les demi-heures. Combien de temps dure ton traitement ?
  • Un fermier a 17 moutons, tous sauf 9 meurent. Combien en reste-t-il ?
  • Combien d’animaux de chaque sexe Moïse emmena-t-il sur l’arche ?
  • Dans une pièce, il y a quatre coins. Dans chaque coin, un chat. Devant chaque chat, trois chats. Combien y a-t-il de chats en tout dans la pièce ?
  • Tu participes à une course à pied, tu doubles le second. En quelle position es-tu ?
  • Si tu doubles le dernier, en quelle position es-tu ?
  • En se rendant à un point d’eau, un zèbre croise 6 girafes. Chaque girafe transporte 3 singes sur son dos. Chaque singe a 2 oiseaux sur son épaule droite. Combien d’animaux se rendent au point d’eau ?
  • Combien y a-t-il de paires de chaussettes dans une douzaine ?
  • Combien un homme de 20 ans a-t-il de jours d’anniversaire ?

3.2. Lire et comprendre des questions (solutions)

  • Même s’il n’est pas fêté, le 14 juillet existe en Belgique et ailleurs.
  • 12, car tous les mois ont 28 jours (même ceux qui comptent 30 ou 31 jours).
  • Tous, car aucun animal n’enlève sa queue quand il mange.
  • Si veuve il y a, c’est qu’on est mort. On ne peut donc plus se marier.
  • Les 2 que tu as prises. Tu n’as tout de même pas oublié !
  • 1 cachet → 1/2h → 1 cachet → 1/2h → 1 cachet. 1 heure en tout.
  • Il reste ceux qui ne sont pas morts, c’est-à-dire 9.
  • 0 car Moïse n’a pas construit d’arche. Tu confonds avec Noé.
  • 4 chats ! En effet, chaque chat a devant lui 3 autres chats : ceux qui sont dans les autres coins.
  • Second. Tu as doublé le second, tu as donc pris sa place
  • Sûrement pas avant dernier ! Par définition il n’y a personne derrière le dernier. Tu ne peux donc pas le doubler.
  • Un seul, le zèbre…
  • 12, car pour les chaussettes, les œufs ou tout autre chose, 1 douzaine c’est toujours 12.
  • Même à 20 ans, on a toujours un seul anniversaire par an.

De ce test, il est possible de dégager plusieurs attitudes requises pour une compréhension des consignes :

  • La nécessité de lire exactement qui est écrit.
  • Et donc,
  • La nécessité de comprendre tous les mots.
  • La nécessité de tout lire.
  • La nécessité de reporter à la fin de la lecture la prise de position sur le caractère familier (connu) ou non de la consigne, de la question.

4. Situer la lecture des consignes dans son usage[1]

L’hypothèse est la suivante. Pour faire acquérir une compétence transversale, c’est-à-dire une compétence qui mobilise des mécanismes similaires dans des contextes différents, il faut pouvoir caractériser les attributs de cette compétence (les caractéristiques associées à cette compétence)[2].

On commencera donc par demander au public en formation de raconter de brèves histoires dans lesquelles les personnes qui parlent ont été confrontées à des situations exigeant de comprendre des consignes et comment elles s’en sont sorties, de manière réussie ou non.

En comparant ces récits entre eux, il est possible de dégager quelques caractéristiques de la compétence « comprendre les consignes ».

Voici une liste d’exemples de situations où il est nécessaire de comprendre les consignes. Ces exemples ont été trouvés par les élèves d’une classe d’une section professionnelle. Les attributs de la compétence, dégagés par les élèves, sont donnés à la suite. Par ailleurs, on présente le résultat du même travail réalisé avec des enseignants. Avec le dernier tableau produit par un groupe d’enseignants, on dispose d’un inventaire des attitudes qu’il convient de développer pour être compétent dans la lecture et la compréhension des énoncés et des consignes.

4.1. Exemples de situation nécessitant la lecture et la compréhension de consignes, selon des élèves d’une section professionnelle

  • Les contrôles et les examens.
  • La signature d’un contrat de travail.
  • Un règlement de travail d’un lieu de stage.
  • Les lois.
  • Des panneaux d’orientation dans un hôpital.
  • Des panneaux d’orientation routiers.
  • Une procédure pour installer un programme.
  • L’explication du service d’aide pour trouver une fonction dans le programme Excel.
  • Le montage d’un meuble IKEA
  • Le retrait d’argent à un distributeur inconnu.
  • Le remplissage d’un document administratif pré-imprimé.
  • La lecture d’un mode d’emploi d’une machine.
  • La lecture d’une notice pharmaceutique.
  • La compréhension des règles d’un jeu.
  • La participation à un jeu radio.

4.2. Lire et comprendre correctement les consignes, selon des élèves d’une section professionnelle, c’est :

  • Tout lire.
  • Lire méthodiquement.
  • Comprendre tous les mots et les symboles.
  • Prendre le plus important.
  • Adopter uns stratégie pour réaliser le travail et prévoir les étapes.

4.3. Comprendre les consignes pour un groupe d’enseignant, c’est :

  • Se concentrer pour mener la lecture jusqu’au bout.
  • Contrôler ses sentiments, spécialement l’impulsivité qui conduit à rechercher tout de suite la réponse.
  • Se décentrer en cherchant à se mettre à la place de l’auteur des énoncés.
  • Distinguer, dans les énoncés, ce qui est contexte, données et instructions.
  • Comprendre le texte, c’est-à-dire,
  • Tous les mots et les symboles ;
  • Les mots liens.
  • Avoir une idée claire du savoir à mobiliser (celui qui est disponible et celui qui est à mobiliser)
  • Élaborer une planification des tâches à réaliser pour satisfaire aux consignes, avant de commencer à y répondre.

Une confrontation a lieu entre la liste élaborée par les jeunes et celle des professionnels de la formation. De cette confrontation découle une définition, à travers ses attributs, de la compétence « lire et comprendre correctement les consignes » adoptée par le groupe des jeunes, d’une part, et par celui des enseignants, d’autre part.

La fin de la méthode consiste à montrer comment ces attitudes (les attributs) sont effectivement d’application dans les exemples trouvés et dans de nouvelles situations, différentes de celles déjà évoquées. On montre ainsi le caractère transversal des attitudes associées à la compétence comprendre les consignes, à présent définie.

Il reste à entraîner les attitudes efficaces pour la lecture et la compréhension des consignes. Nous proposerons, dans un prochain article, des exercices qui visent à faire acquérir certaines de ces attitudes, en les entraînant de manière plus spécifique.

5. Références

[1] La démarche qui suit est inspirée de Fourez et alii, Des compétences négligées par l’école. Les raconter pour les enseigner, Chronique sociale/Couleurs Livres, 2006, spécialement le chapitre 2.

[2] Voir une explication de la compétence transversale, de son fonctionnement et de son apprentissage, dans Tilman Francis, Définir les compétences transversales pour les enseigner et Apprendre des compétences transversales, www.legrainasbl.org.

Laisser un commentaire à l'auteur.e

Recherche