Tous à l’école !

Un projet innovant d'accroche en alphabétisation pour les parents dans une école

Comment toucher des personnes qui n’entrent pas spontanément dans une logique d’apprentissage ? Le projet innovant « Tous à l’école » y répond en proposant des ateliers à des parents (surtout des mamans) qui ne parlent pas ou peu le français. Au travers de cette analyse, l’auteure traite des perspectives émancipatrices qu’il offre tant aux mamans, qu’à leurs enfants, à l’école et à notre société.

L’innovation, c’est aussi être là où cela a du sens

Les démarches de formation pour l’apprentissage du français sont nombreuses et ce, d’autant plus que l’on se situe en ville. Néanmoins, aujourd’hui encore, il reste des personnes ayant des difficultés avec le français et ne faisant pas le premier pas. Pour un centre de formation comme le Centre d’Information et d’Education Populaire (CIEP), la volonté d’aller à la rencontre de ce public potentiel est une priorité. Mais la mise en œuvre de cette démarche ne va pas de soi. En effet, où aller ? Comment toucher des personnes qui n’entrent pas spontanément dans une logique d’apprentissage ? Ce sont ces questions qui ont sous-tendus la mise en place du projet « Tous à l’école ».

Ce dernier est la résultante de rencontres, de circonstances qui ont permis à des envies communes de prendre forme, et ce dès mars 2009. A cette époque, le CIEP est contacté par une institutrice de première primaire de l’école Sainte Ursule de Namur qui constate, au sein de l’école, une présence importante de mamans ne parlant pas le français et désireuses de s’investir dans la scolarité de leurs enfants. L’ensemble de l’équipe éducative met en avant de nombreuses difficultés de communication, liées à la barrière de la langue, mais aussi aux différences culturelles (l’école accueille des enfants issus de pays très différents).

En conjuguant nos idées et nos connaissances, nous proposons un projet innovant inscrit, depuis lors, dans les nombreux projets de l’école[1]. Celle-ci reste un des premiers lieux de socialisation des enfants au sein d’un quartier. Il nous paraît indispensable de permettre à tous les parents d’en comprendre le fonctionnement. L’émancipation de chacun passe par une attention spécifique des personnes les plus fragiles et les plus isolées.

Dès lors, dans une logique d’ouverture, de dialogue et de rencontres, nous proposons donc des ateliers autour du français à des parents (surtout des mamans), ne parlant pas ou peu le français. Cette idée a pu se concrétiser dès septembre 2009. L’ensemble de la démarche repose sur une volonté de construire ce projet en partenariat avec l’école et les enseignants. C’est pourquoi les animations se donnent au sein de l’établissement, en lien avec la vie de l’école et des enfants.

Les objectifs

  • Faciliter la communication au sein de l’école (direction, secrétariat, corps enseignant, parents)
  • Développer et mettre en œuvre un réseau de parents au sein du quartier et de l’école
  • Accompagner le groupe de mamans dans la rencontre des autres personnes actives dans et autour de l’école

Permettre aux mamans:

  • de s’impliquer dans une dynamique collective par une participation aux activités de l’école (comité de parents, comité des fêtes, …)
  • de mieux comprendre le système scolaire et l’établissement qui s’y réfère
  • d’acquérir plus d’autonomie en tant que mère et femme
  • de s’impliquer dans la scolarité des enfants en découvrant et appréhendant une dynamique d’apprentissage semblable à celles des enfants
  • de travailler la confiance en soi et l’estime de soi par la participation active et la mise sur pied de projets collectifs à destination de l’école (projet de lecture de contes, de visite de la bibliothèque, …)
  • d’améliorer leur maîtrise du français au quotidien

En bref, nous travaillons le vivre ensemble, dans une optique de lien social, en lien avec un quartier, une école. Les participantes souhaitant s’inscrire dans une logique plus intensive d’apprentissage du français, pourront le faire par la suite, dans d’autres lieux et avec d’autres objectifs. Nous aurons pu alors servir de relais et de tremplin vers une démarche d’insertion plus large.

Une démarche en plusieurs étapes

La prise de contact

Pouvoir établir une relation de confiance et constituer un groupe, prend du temps et nécessite des précautions. Nous avons donc choisi de considérer la prise de contact comme une étape indispensable pour laquelle il importe d’avancer pas à pas. En début de cycle, durant les mois de septembre et octobre, la formatrice est présente lors de moments clés (accueil le matin, sortie des classes, moments d’échanges en classe, …) pour expliquer le projet. Nous pouvons également compter sur le soutien des parents relais, qui aident et soutiennent ceux ayant des difficultés avec la langue. L’équipe pédagogique propose également le projet, notamment lors de l’inscription ou lors de rencontres formelles ou informelles.

Progressivement, il est proposé aux mamans de prendre un peu de temps pour discuter et échanger, et des rencontres avec les mamans avec l’apprentissage du français comme accroche tout en étant en lien avec l’école, se mettent en place pour s’organiser en ateliers hebdomadaires (souvent à partir de novembre).

La dynamique du projet

Le projet de « Tous à l’école » s’inscrit dans une perspective dynamique. Il s’agit pour nous d’aller à la rencontre de personnes fragilisées, dans un lieu qu’elles ont l’habitude de fréquenter. Notre but est de les toucher, leur donner goût à l’apprentissage, leur donner confiance en elles pour ensuite leur permettre d’entrer dans le circuit « classique » des centres d’alphabétisation. Ce projet a pour objectif de permettre une implication des mamans dans la scolarité de leurs enfants, d’associer des mamans issues des milieux populaires à la vie de l’école et de travailler le français comme outil de communication entre les mamans et l’école. A plus long terme, il s’agit de permettre la participation des mamans dans l’école (comité de parents, conseil de participation, échanges dans les classes, …), mais aussi de développer leur autonomie et de les inciter à s’inscrire en formation dans les centres d’alphabétisation reconnus.

Aujourd’hui, la logique d’une offre de formation en français pour adultes, intégrée à l’école primaire est innovante ; tout comme la mise en œuvre de démarches pédagogiques en parallèle de celles des enfants et la réflexion sur la place de ces parents « isolés » dans le monde scolaire.

L’émancipation sociale et la lutte contre les discriminations au cœur du projet

L’alphabétisation reste encore un enjeu majeur de société aujourd’hui. Nous vivons dans un monde où la maîtrise de la langue véhiculaire est objet de sélection, entraînant exclusion sociale et exclusion du marché du travail. Le projet « Tous à l’école ! » s’inscrit dans cette volonté de lutte contre les discriminations et d’émancipation sociale.

De manière plus spécifique, il est porteur de sens pour tout un chacun.

Pour les parents

Si l’on souhaite permettre aux personnes d’origine étrangère de s’intégrer dans notre société, il est indispensable de leur proposer des lieux adéquats pour travailler avec eux autour de la langue. Notre projet, atypique, permet de rencontrer des personnes qui n’entrent pas dans une démarche classique de formation. L’approche par le biais de la scolarité et des enfants permet de rassurer l’entourage sur les retombées de l’apprentissage du français et progressivement d’ouvrir les personnes, principalement des femmes à d’autres perspectives.

En effet, souvent le public analphabète éprouve des difficultés à communiquer avec l’extérieur sur son quotidien. Que ce soit pour des raisons culturelles, familiales ou autres, faire le premier pas pour sortir de son isolement n’est pas chose aisée. L’entrée en formation ne va pas de soi pour tout le monde. Le projet « Tous à l’école » offre de nouvelles perspectives et possibilités pour entrer en contact avec l’extérieur, mais aussi aider à décloisonner les relations et à élargir le tissu social en s’ouvrant à d’autres réalités.

Pour les enfants

Les enfants ne sont pas directement concernés par le projet. Néanmoins, l’entrée dans un processus d’apprentissage de leurs parents et la mise en place d’une dynamique autour de la lecture et de l’écriture a des retombées positives sur les enfants.

En effet, les enfants sont plus actifs, participatifs et s’investissent dans leur scolarité. L’exemple relaté par une enseignante de première année primaire l’illustre bien. En effet, une petite fille turque avait énormément de difficultés à entrer dans la démarche de la lecture et l’écriture. Elle bloquait sur les lettres. Après plusieurs semaines, sa maman a rejoint les ateliers de français et a commencé à apprendre la langue. Elle a pu partager ses apprentissages avec sa fille qui inconsciemment ne voulait pas être déloyale vis-à-vis de sa mère. Ensemble, elles sont entrées dans la lecture et l’écriture. La démarche menée par la maman a pu lever les barrières de sa fille. Depuis, l’une et l’autre progressent, chacune à leur rythme.

Le projet « Tous à l’école » permet à chaque élève de dépasser ses craintes et ses blocages quand à l’apprentissage. Travailler avec les parents, montre aux enfants que la démarche d’apprendre est légitime et n’implique pas de « conflit de loyauté[2] » vis-à-vis de la famille, de la culture d’origine.

Pour l’école

Concrètement en développant une présence au sein de l’école, nous espérons mobiliser les mamans et faciliter la communication avec l’école. L’équipe éducative est notre principal partenaire dans ce projet et assure le lien avec la scolarité des enfants.

L’école Sainte Ursule développe un projet pédagogique basé sur le principe de l’enrichissement maximal des capacités de chaque enfant. Par le biais de la différenciation, l’équipe éducative l’accompagne dès l’inscription en identifiant ses éventuels besoins spécifiques. De plus, la pratique d’une pédagogie différenciée permet à chaque élève de développer ses capacités intellectuelles pour atteindre un degré de performance maximale et de bénéficier, si nécessaire, d’une remédiation avec l’aide d’une équipe qualifiée (enseignant supplémentaire dans la classe, logopède, psychomotricien, …).

L’école met en avant la plus-value du partenariat par une amélioration de la communication entre enseignants et parents, mais aussi et surtout par un autre investissement de ces derniers dans la scolarité de leurs enfants et dans la vie de l’école (participation aux fêtes de l’école, aux activités parascolaires, …).

Pour la société

Aujourd’hui comme hier, il semble important d’assurer un maximum de justice sociale par le développement, pour tous, des compétences en lecture, en écriture, en expression orale et dans l’acquisition des outils de compréhension de notre société. Mais aussi de prévenir la reproduction de ces mécanismes d’exclusion par la prise de conscience des logiques en présence.

Il paraît essentiel de permettre aux personnes les plus précarisées de (re)-prendre contact avec la réalité, de rompre leur isolement, mais aussi de reprendre goût à l’apprentissage. Par ce biais, nous espérons les aider à être les acteurs de leur vie et les mettre dans un processus de citoyenneté active.

C’est pourquoi le projet « Tous à l’école » permet d’aller vers ces personnes en difficulté, de les accompagner dans leurs difficultés de lecture et d’écriture et de les amener progressivement vers les associations d’alphabétisation actives dans leur région.

Notes

[1] Comme vous pouvez le constater sur le site de l’école: http://www.isu-namur.be.

[2] Par conflit de loyauté, on entend une logique dans laquelle se trouve une personne d’origine étrangère qui veut rester « fidèle » à sa culture d’origine. L’apprentissage des codes culturels de la société d’accueil sont alors freinés, souvent de manière inconsciente, afin de garder l’ancrage à la culture d’origine. Cela peut se traduire par un accent, des rites ou des pratiques culturelles spécifiques. Ce processus s’inscrit dans toute la complexité de la construction identitaire. Il est difficile pour certaines personnes d’entrer dans l’apprentissage du français par peur de perdre son identité, qui est intrinsèquement liée à la langue maternelle.

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