Petit regard en arrière
Pendant une bonne vingtaine d’années, j’ai coordonné des centres de formation réservés à des publics exclusivement féminins. Cela avait l’avantage de créer un climat spécifique d’émancipation et de travail sur l’estime de soi. De créer une connivence bien agréable, des raccourcis de pensées, des taquineries gentiment moqueuses sur les hommes. D’entretenir des comportements spontanément affectifs…, ceci pour ne retenir que le positif d’une classe uniquement féminine.
Mais l’ouverture à la mixité avec une répartition régulée hommes-femmes peut-elle avantageusement faire sortir de « l’entre soi » ? Ouvrir un espace nouveau qui change le langage et les attitudes, les représentations ? Faire émerger une nouvelle culture de parité ?
Avant de poursuivre, je dois préciser que notre asbl a été fondée à l’initiative d’Interface3 située à Bruxelles. Cependant, les deux centres sont indépendants l’un de l’autre tout en ayant des objectifs de formation et une méthodologie proches. Depuis deux ans, la grande différence est qu’à Namur, nous avons pris une orientation mixte qui se justifiait à nos yeux.
Une interpellation et une décision
Il y eut d’abord l’interrogation du Forem qui ne comprenait pas que nous n’acceptions que des femmes aux formations. Cela nous a interpellées. Mais problème : les heures suivies par les hommes ne pouvaient entrer dans le quota des heures subsidiées. En effet, le projet se situait dans le cadre d’une mesure européenne de discrimination positive au bénéfice des femmes, lesquelles sont insuffisamment représentées dans le secteur des Nouvelles Technologies.
Donc, la décision d’enregistrer quelques inscriptions masculines ne pouvait qu’être en sus et bien sûr ne pas mettre en danger le budget général. Elle se devait d’être attentivement gérée pour être clairement un plus au niveau qualitatif.
Ayant expérimenté que seule femme ou même à deux dans une discussion mixte ça ne suffit pas pour se faire entendre, nous avons conclu que la proportion de deux-tiers femmes/un tiers d’hommes permet au groupe minoritaire de pouvoir également s’exprimer. En effet, introduire la différence demande au moins trois personnes qui ensemble peuvent valoriser leur potentiel (ici de genre masculin) et ne pas se sentir écrasé ou dominé.
La grammaire secouée
Les premiers jours, les hommes sentent qu’ils sont chez les filles. Une instruction est parfois donnée au féminin comme:« vous êtes toutes là ? » ou « l’une de vous peut-elle répondre ? En général ils sont beaux joueurs et font l’exercice « pour une fois » de traduire en féminin, ce que nous, les femmes, devons faire en sens inverse tous les jours dans un monde où le masculin l’emporte grammaticalement … et bien au-delà !
« Oh la la », s’inquiètent déjà certains contempteurs du féminisme ! Je leur réponds qu’étant née et vivant dans une partie du monde qui continue à évoluer positivement vers l’égalité entre les sexes, je me situe dans un féminisme constructiviste. Nous devons, femmes et hommes, faire du commun, faire du « nous », ensemble conscients que le monde est à construire à égalité et en confiance réciproque.
Alors pour terminer ce petit témoignage réflexif, quelques trucs et ficelles que nous avons expérimentés au quotidien, mais qui créent un esprit sympa.
- D’abord les formateurs sont prévenus qu’ils doivent être vigilants sur la participation des uns et des unes de façon égalitaire, et qu’il faut susciter une question de fille quand trop de questions viennent seulement des garçons. Ceux-ci ont vite compris qu’ils avaient intérêt à encourager leurs compagnes de cours à oser, foncer, demander, prendre des initiatives s’ils voulaient avoir la parole autant qu’ils le désiraient.
- Il faut créer continuellement des chemins de communication personnelle entre les apprenants. Le premier jour, ils se placent de façon un peu aléatoire ou à côté d’une connaissance. Alors régulièrement nous tirons au sort les places pour que les voisinages changent. Cela permet de moins se laisser coincer par exemple dans un groupe fumeur, un petit clan quelconque ou d’ignorer l’autre sexe car tout cela entrave la dynamique du groupe où nous encourageons la solidarité et l’entraide mutuelle.
- L’animation des cours doit être égalitaire. Les questions sur les horaires de garde d’enfants sont adressées aux parents et non aux mères seulement. Et autant que faire se peut, essayer de ne pas « tomber » sur les hommes pour certains services (porter les ordinateurs par exemple), et sur les femmes pour d’autres (nettoyer ou ranger la vaisselle après la pause). Toutes les tâches sont également mixtes et doivent se faire dans la courtoisie.
- Il faut aussi communiquer un règlement intérieur avec des recommandations claires afin que chacun-e puisse se sentir à l’aise dans le groupe. Les blagues sexistes bêtement dévalorisantes doivent rester exceptionnelles, ainsi que les commentaires dus à des représentations féministes ou masculinistes qui font tort aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Nous visons l’enrichissement réciproque des différences dans l’entraide mutuelle.
- Et enfin, tout en ne mettant pas mon drapeau féministe en poche, je vise depuis quarante ans une culture de l’égalité qui m’a tenue en alerte tout au long de ma vie personnelle et professionnelle. Donc, je termine avec cette phrase de Mao Tsé-Toung « les femmes sont l’autre moitié du ciel » qui, toute valorisante qu’elle soit, ne me prive pas de rappeler aux hommes qu’ils sont donc responsables d’une moitié également !
A propos de l’auteure
Godelieve Ugeux est directrice à Interface3. Namur.