1. La Maison des Compagnons du devoir de Bruxelles
Guillaume DELONCA est le jeune prĂ©vĂ´t de la Maison des Compagnons du devoir de Bruxelles. Après s’être inscrit comme compagnon apprenti menuisier Ă l’âge de 17 ans et Ă avoir obtenu son diplĂ´me deux ans plus tard, il est devenu prĂ©vĂ´t. « Divers aspects de cette formation m’ont personnellement marquĂ©, explique-t-il : l’esprit de communautĂ©, de partage et de fraternitĂ©, l’âge de mon professeur (vingt-trois ans) et les voyages que j’ai effectuĂ©s Ă Cuba, en Corse, en Suisse, en Australie ou encore en France ».
Devenu prévôt, il cherche à transmettre les points forts de sa formation. A la Maison des Compagnons, il assure l’accueil et le suivi des jeunes compagnons, soit soixante-cinq à septante jeunes par an. Il les aide à définir un projet personnel et les accompagne tout au long de leur parcours.
Spécificités de l’accompagnement des jeunes à la Maison des compagnons
L’apprenti est accueilli, hĂ©bergĂ©, nourri, mais aussi appuyĂ© administrativement (gestion du portefeuille, gestion des papiers, etc.). Il est donc intĂ©grĂ© dans une institution qui le prend en charge intĂ©gralement, y compris dans sa vie matĂ©rielle. Il y est Ă©galement instruit. Les cours du soir sont donnĂ©s par d’autres jeunes ayant davantage d’expĂ©rience du mĂ©tier : les compagnons. L’accès au savoir de la profession est donc assurĂ© par des professionnels appartenant Ă la mĂŞme communautĂ© et ayant connu le mĂŞme cheminement que les nouveaux apprentis.
L’apprentissage initial dure deux ans. Il alterne des temps passĂ©s dans une entreprise (six semaines) et des temps de formation (deux semaines). Le prĂ©vĂ´t accompagne le jeune tout au long de ce processus. Il assure la mĂ©diation entre le jeune et le patron. Il n’est pas rare qu’il remotive un jeune qui ne se sent pas bien dans son emploi.
La formation est efficace. D’après une recherche menĂ©e par Guillaume DELONCA sur la dĂ©motivation des jeunes, 94% des Ă©lèves d’une classe de vingt Ă trente jeunes qui terminent leurs Ă©tudes Ă la Maison des Compagnons du devoir travaillent dans le secteur de leur mĂ©tier de formation. Qualifiante, cette formation garantit donc un emploi.
Après deux ans, le jeune est diplĂ´mĂ©. Il part alors Ă©ventuellement Ă l’Ă©tranger pour se perfectionner. Il n’est pas rare cependant que des jeunes s’arrĂŞtent Ă cette Ă©tape du cursus de formation. Certains aspirent en effet Ă devenir indĂ©pendant, Ă gagner leur vie, Ă s’installer en couple, Ă vivre dans un appartement ou encore Ă accĂ©der Ă la consommation de masse : Hi-fi, ordinateur, meubles IKEA, … Ils s’arrĂŞtent lĂ dans le compagnonnage mais ils peuvent s’insĂ©rer dans la vie. D’autres (une dizaine sur le groupe de 30) poursuivent le compagnonnage en allant se perfectionner. Ceux qui partent ont l’opportunitĂ© de dĂ©couvrir, voyager, avoir une ouverture d’esprit, continuer Ă se former eux-mĂŞmes au travers du contact avec d’autres compagnons. Le perfectionnement Ă l’Ă©tranger forme leur caractère car il leur demande aussi d’accepter de vivre en communautĂ© ainsi que de se soumettre Ă des horaires drastiques (soirĂ©es et week-end). Sur le plan individuel, cette Ă©tape est très formatrice. En moyenne un seul des dix jeunes termine le perfectionnement.
De son côté, le prévôt ne cherche pas l’insertion professionnelle du jeune à tout prix. Il donne beaucoup d’importance au plaisir du jeune. De plus, la patience dont il doit faire preuve permet au jeune en recherche de ne pas se sentir stigmatisé.
Quelques facteurs de réussite de cette forme d’accompagnement
- Tout au long du compagnonnage, le prĂ©vĂ´t reprĂ©sente un repère pour le jeune. Il sert de substitut Ă la famille manquante. L’internat qu’est la Maison des compagnons du devoir, et dont il a Ă©tĂ© question plus haut, facilite cette sĂ©curisation du jeune[2]. Ce rĂ´le exige du prĂ©vĂ´t d’apprendre Ă connaĂ®tre les problèmes familiaux des jeunes et leurs soucis de santĂ©, Ă rencontrer leurs compagnes/compagnons, … Le jeune est envisagĂ© dans l’intĂ©gralitĂ© de sa personne et il n’est pas seulement vu comme un apprenti travailleur.
- La relation anciens/nouveaux est dĂ©terminante. A la Maison des compagnons du devoir, il n’est pas rare d’observer que des anciens y reviennent, quelques annĂ©es plus tard, pour montrer aux nouveaux que cette formation est garante de rĂ©ussite professionnelle. Il existe un système d’Ă©change et de transmission des savoirs entre les plus aguerris et les apprentis. Au-delĂ du savoir-faire professionnel, c’est toute une culture professionnelle qui est transmise : passion pour le travail et plaisir du travail bien fait, au point de ne plus compter ses heures, engagement gĂ©nĂ©reux de sa personne, bonne humeur, bonheur de se lever le matin.
- Le compagnonnage offre aussi une construction identitaire forte : être compagnon c’est être un travailleur d’élite, appartenant à une communauté fière de ses valeurs et de ses compétences, héritière d’un riche passé. Il s’en dégage une dynamique de socialisations construite sur un sentiment fort.
Nomadisme compagnonnique / logiques institutionnelles
Tout n’est cependant pas rose. En effet, la formation compagnonnique ne s’inscrit pas dans la forme institutionnelle de l’enseignement technique et professionnel, ce qui peut poser des problèmes. Pour rappel, la formation par le compagnonnage repose sur le nomadisme des travailleurs. Il n’est pas rare de constater que les logiques institutionnelles belges ralentissent l’obtention d’un numĂ©ro de registre national (trois mois parfois). Il n’est pas rare non plus de constater que certaines communes bloquent les inscriptions sur base de quotas. Cette situation empĂŞche certains jeunes de travailler ou les conduit Ă Ĺ“uvrer en noir.
On le voit, le compagnonnage offre une stratégie d’accompagnement efficace, basée sur des pratiques anciennes qui ont fait leur preuve. Une question toutefois : la forme prise par la formation compagnonnique n’est-elle exigeante au point de ne pouvoir être qu’exceptionnelle ? Si tel est le cas, plutôt qu’être imitée telle quelle, cette expérience ne peut-elle pas livrer des enseignements qui pourraient inspirer, moyennant adaptation, d’autres dispositifs ?
2. Le Centre d’Éducation et de Formation en Alternance (CEFA)
Geneviève LARDINOIS est coordinatrice du CEFA d’Ixelles. Elle a commencĂ© Ă travailler dans ce secteur en 1989 afin de s’occuper de l’insertion de jeunes. La date de son engagement correspond Ă peu près au dĂ©marrage du CEFA en Belgique en 1984. Elle a donc connu toute l’évolution de ce secteur Ă©ducatif. Elle expose ici les meilleures pratiques d’accompagnement des jeunes qu’elle propose dans son cadre professionnel.
Les jeunes s’orientent vers le CEFA via les conseils des centres PMS, le bouche à oreilles ou encore les conseils d’orientation vers l’alternance émis par les équipes pédagogiques des établissements scolaires lorsqu’elles identifient des jeunes qui éprouvent des difficultés à rester en classe pendant huit heures.
Accompagné dès l’accueil
Le moment de l’inscription consiste en un temps au cours duquel les formateurs portent une attention au projet du jeune : ils interrogent ses intentions, ses envies, … Souvent, le jeune ne sait pas ce qu’il veut faire. La mission des accompagnateurs tend alors Ă dĂ©terminer avec lui un projet, Ă identifier un mĂ©tier vers lequel il peut s’orienter. Après l’inscription vient la phase d’accueil au cours de laquelle les offres du CEFA et les personnes de rĂ©fĂ©rences avec qui le jeune peut Ă©tablir un lien, ĂŞtre pris en charge et accompagnĂ©, lui sont prĂ©sentĂ©es. Dans un CEFA, le jeune est fortement entourĂ©. Il bĂ©nĂ©ficie de l’encadrement d’un accompagnateur, d’un centre PMS mais aussi d’associations qui collaborent directement avec le CEFA.
L’accompagnement consiste Ă aider le jeune Ă dĂ©finir son Ă©volution et ses dĂ©sirs mais aussi Ă identifier des ressources qu’il ignore lui-mĂŞme et les meilleures solutions qui lui correspondent. Parallèlement, le CEFA propose diverses formations spĂ©cifiques. Certains jeunes particulièrement perdus peuvent aussi ĂŞtre dispensĂ©s de frĂ©quenter l’entreprise afin de rĂ©aliser leur recherche de projet.
Préciser le projet du jeune
DĂ©finir le projet d’un jeune consiste en des rencontres au cours desquelles il s’entretient avec un accompagnateur. Ce dernier Ă©coute son histoire et prend le temps de dĂ©terminer ses envies. Il n’est pas rare que ses perspectives ne soient pas toujours claires. Souvent, l’accompagnateur Ă©value le projet du jeune en Ă©quipe. Un temps lui est accordĂ© pour rĂ©aliser un curriculum vitae et une carte d’identitĂ©, ce qui permet souvent au jeune de mieux se situer. L’accompagnement consiste aussi Ă faire Ă©merger ce que le jeune a dĂ©jĂ fait pour, ensuite, l’aider Ă poursuivre son parcours ou, si c’est nĂ©cessaire, Ă le rompre pour le rĂ©orienter. A-t-il envie de travailler dans une librairie ou dans un magasin avec un patron qui va pouvoir le prendre rĂ©ellement en charge ou va-t-il travailler chez Delhaize comme rĂ©assortisseur ? Quand un jeune a dĂ©terminĂ© son parcours, le CEFA l’aide Ă trouver le patron et l’entreprise qui rĂ©pondent au mieux Ă ses attentes.
Mais l’accompagnement ne consiste pas à donner au jeune une adresse pour qu’il s’y présente. Accompagné, le jeune doit cependant faire ses propres démarches afin de trouver par lui-même son insertion, tout en bénéficiant de l’expertise des accompagnateurs, en termes de connaissance de la législation propre aux entreprises et des conditions contractuelles. Les jeunes qui éprouvent des difficultés sont davantage pris en charge par les professionnels sans pour autant être assistés ou maternés.
La pédagogie des CEFA veille à insérer les jeunes dans un processus d’insertion progressif
Les jeunes débutent habituellement leur formation dans le cadre de l’insertion socioprofessionnelle. Il est impossible qu’un jeune débute par un contrat tel qu’un Win-Win offrant des revenus importants. Les jeunes doivent toujours avoir en perspective un objectif réaliste. Ils commencent donc par une convention d’insertion socioprofessionnelle d’une année ou deux. Lorsqu’ils sont âgés de 18 ans et sont inscrits depuis deux ans dans un CEFA, les jeunes peuvent prétendre à un contrat de travail qui leur garantira de meilleurs revenus. Si beaucoup de jeunes de CEFA aspirent à l’obtention d’un revenu et au bénéficie d’une reconnaissance professionnelle, le processus d’insertion socioprofessionnelle offert par les CEFA s’inscrit dans un cursus de formation devant répondre à l’accomplissement d’exigences pédagogiques, ce qui n’est pas toujours bien compris par les jeunes.
Les relations entretenues par les CEFA avec les entreprises ont Ă©voluĂ© avec le temps. Le monde de l’entreprise n’est pas un monde fermĂ© Ă la formation. Aujourd’hui, les accompagnateurs ont l’opportunitĂ© de dialoguer d’égal Ă Ă©gal avec les patrons afin de dĂ©finir le meilleur accompagnement pour chaque jeune. La formation est placĂ©e au centre des discussions. Ce qui permet de prĂ©senter chaque jeune avec ses forces et ses faiblesses. Aujourd’hui, les patrons ont conscience que le jeune est en formation et qu’il doit apprendre un mĂ©tier. Reconnu dans sa formation, le jeune est alors considĂ©rĂ© comme quelqu’un qui n’est pas directement rentable, qui a besoin d’être mis en valeur, d’être amenĂ© Ă prendre conscience de ses compĂ©tences. Les accompagnateurs le guide en ce sens. Le monde de l’entreprise n’est pas un monde hermĂ©tique Ă la formation, mĂŞme si ce n’est pas toujours Ă©vident.
En résumé, l’accompagnement en CEFA consiste à d’abord travailler le projet du jeune, en le replaçant dans un curriculum personnel et en lien avec ses désirs. Ce projet est confronté aux offres de formation, afin d’amener le jeune à un choix professionnel. Le jeune est incité à trouver une entreprise lui offrant la formation correspondant à sa décision. Dans cette démarche, le jeune est soutenu par l’accompagnateur, tant psychologiquement qu’administrativement. L’enjeu est de trouver des entreprises et des patrons conscients du rôle éducatif que l’entreprise peut offrir à certains jeunes par l’initiation au travail.
3. Le Service d’accrochage scolaire (SAS) et Aide en milieu ouvert (AMO)
Marc de KOKER est Coordinateur de l’AMO Rythmes. Il a dĂ©couvert le SAS (Service d’Accrochage Scolaire) il y a près de 4 ans, après avoir enseignĂ© pendant quelques annĂ©es et avoir rĂ©alisĂ© des spectacles avec des adolescents dans le cadre de projets Ă discrimination positive. Son intĂ©rĂŞt pour le SAS s’est dĂ©veloppĂ© lorsque il a dĂ©couvert que les actions qui y sont dĂ©veloppĂ©es prĂ©conisent l’emploi d’outils d’expression en vue de permettre Ă des adolescents en difficultĂ©s scolaires de poser leurs valises et de prendre du recul par rapport Ă leur situation. Il s’est souvent demandĂ© pourquoi l’œuvre de quelqu’un doit spĂ©cialement ĂŞtre liĂ©e Ă sa rĂ©ussite professionnelle. L’école est-elle lĂ pour fabriquer des gens qui sont opĂ©rationnels dans le monde du travail ou pour former des gens qui sont des citoyens responsables ?
L’AMO travaille avec une majorité de jeunes en situation de rupture scolaire. Une part d’entre eux est fâchée avec l’école ; certains l’ont quittée en claquant la porte, d’autres ont tout fait pour ne plus y être, même inconsciemment. Ces jeunes subissent non seulement des pressions externes mais aussi, et surtout, une très forte auto-pression et une auto-stigmatisation. Même s’ils expriment le contraire, ces jeunes ne se sentent pas bien lorsqu’ils ne participent pas au système.
Beaucoup de ces jeunes rêvent d’argent et de consommation (voiture, piscine, etc.). Or, peu d’entre eux réalisent vraiment qu’en plus d’être une obligation légale, l’étape scolaire, sans répondre directement à leurs aspirations, peut consister un passage intéressant pour l’accès à leurs désirs.
L’AMO n’essaie pas de les remettre Ă l’école. Elle tente de leur permettre de faire des choix. IdĂ©alement, il s’agit d’un retour Ă la scolaritĂ© mais ils ne veulent plus aller Ă l’école. Il n’est pas rare de rencontrer des jeunes qui veulent s’orienter vers les CEFA en espĂ©rant que ce sera plus facile qu’Ă l’Ă©cole. Ceux-lĂ ne vont pas aux cours, se rendent chez les patrons pendant trois jours et n’y retournent plus. Le but poursuivi est de permettre aux jeunes de sortir de la situation de panique dans laquelle beaucoup se sentent. Ce travail peut prendre plusieurs mois.
L’AMO privilégie le travail au cas par cas. Les jeunes y sont individuellement accueillis, sans leur famille afin de les aider à définir leurs propres projets. Nombre d’entre eux sont déstabilisés car ils attendent qu’une solution leur soit proposée. Or, c’est à eux de définir leur propre projet. Une difficulté identifiée sur le terrain de l’AMO est que les jeunes ont souvent plusieurs envies qui ne sont pas toujours réalistes. Lorsqu’un projet est réalisable, l’équipe se mobilise pour qu’il puisse se concrétiser. Une autre mission de cette AMO consiste à valoriser l’expérience vécue par le jeune. Un projet qui échoue est évalué et valorisé. Cela permet aux jeunes d’avancer.
L’AMO a créé un SAS et le gère depuis 10 ans. Le SAS est un collectif qui accueille des jeunes vivant dans une situation d’exclusion depuis parfois une très longue durée. Certains d’entre eux ne vont plus à l’école depuis deux ou trois ans. Les observations de terrain ont montré qu’il est illusoire de proposer à ces jeunes de s’inscrire dans un travail de réflexion directe sur leur propre parcours. L’approche qui est préconisée par le SAS consiste à mettre les jeunes en action plutôt que de les conduire à s’exprimer au sujet de leur parcours scolaire.
Pour y parvenir, le SAS organise des ateliers de théâtre, de chants, de marionnettes, d’écriture ou d’arts plastiques. Tous ces ateliers ont un point commun : ne pas parler de l’école. Leur contenu est défini par les jeunes eux-mêmes. La pratique montre qu’en laissant des adolescents de quatorze à seize ans s’exprimer, ceux-ci ne parlent que d’une seule chose : d’eux mêmes. Les ateliers leur permettent d’entendre et d’être confrontés aux expériences d’autres mais aussi à leur propre parole. Le recours à la technique du miroir permet aux jeunes impliqués de prendre du recul par rapport à leur parcours personnel.
L’AMO collabore également avec le CEFA de Bruxelles pour un module de formation individualisé. Les jeunes y suivent des cours de français et de mathématiques. Ils ne doivent pas choisir de section et, en plus, ils travaillent. L’AMO leur propose des ateliers artistiques qui ne leur donnent pas l’impression d’être à l’école. Ce procédé leur permet de « repartir » dans le système. L’AMO les oriente vers les métiers de construction, la maçonnerie, l’horticulture, les métiers de la vente, les auxiliaires administratifs, l’hôtellerie, la restauration. Les formations proposées dépendent de l’offre des écoles, ce qui révèle parfois une inadéquation entre l’offre d’emploi et la demande du jeune.
Le fait d’essayer concrètement un métier, une activité, est preuve d’une remobilisation du jeune, d’une insertion dans un processus que l’AMO tend à inscrire dans le long terme.
A ce jour, il existe une incohérence institutionnelle au niveau de l’orientation scolaire car l’offre de formation proposée est appropriée pour des jeunes qui n’ont pas un projet déterminé et qui éprouvent des difficultés à se projeter dans l’avenir. Il existe un gros problème de coordination et de pilotage des politiques publiques. A ce jour, il semblerait qu’un enjeu primordial soit de parvenir à faire davantage confiance aux jeunes.
Cette expérience nous enseigne principalement qu’avec un public en difficulté, un détour s’impose pour que ces jeunes apprennent à se connaître, à s’aimer, à vouloir et à croire qu’il est possible de réussir ses projets. Les activités d’expression semblent des outils précieux pour cet objectif. La rencontre avec les institutions d’enseignement doit elle aussi être indirecte : l’expérience de la réussite d’activités d’enseignement ou de formation doivent être vécues pour elles-mêmes.
4. Insertion socioprofessionnelle (ISP) et la validation des compétences
Pierre DEVLEESHOUWER est directeur de la Fédération Bruxelloise de l’Insertion Socioprofessionnelles et de l’économie sociale d’insertion (FEBISP). C’est une fédération sectorielle patronale qui regroupe les opérateurs de l’insertion socioprofessionnelle.
L’ISP, c’est un peu l’école de la dernière chance. Pour y avoir accès, il faut avoir plus de 18 ans et être demandeur d’emploi. Les personnes qui passent par cette filière sont généralement des personnes qui ont eu un long parcours scolaire et qui sont passées par le système de domino : enseignement général, technique professionnel, puis, CEFA. A la sortie de ce long processus, ils n’ont pas les bons papiers pour pouvoir poursuivre un parcours de formation ou pour décrocher un emploi.
Une des clés de la méthodologie actuelle de l’ISP consiste à partir des forces et des faiblesses de la personne en vue de lui permettre de prendre conscience de ses acquis.  Même une personne qui a un parcours scolaire chaotique composé d’échecs scolaires, d’un passage par un CEFA possède des acquis que l’ISP tente de valoriser. Le dispositif d’accompagnement tend vers un travail d’adaptation de la personne. Beaucoup d’usagers estiment que la méthodologie développée par l’ISP leur permet de se sentir considérée comme une vraie personne, pour la première fois.
Une autre caractéristique de l’ISP est le parcours d’insertion officiellement organisé. Il permet aux personnes disqualifiées de s’inscrire à des cours d’alphabétisation et d’obtenir une formation qualifiante. Ce parcours est accompagné par un travail d’orientation pris en charge par une mission locale.
Le parcours d’insertion est organisé en différentes étapes et niveaux. Pouvant s’inscrire à l’étape qu’elles désirent, les personnes peuvent en sortir ou y revenir aisément, même si aujourd’hui, c’est un peu plus difficile qu’avant.
Les politiques d’activation des chĂ´meurs et la contractualisation limitent en effet la rĂ©alisation du parcours d’insertion. Elles rĂ©duisent la souplesse mentionnĂ©e ci-dessus. Le secteur est de plus en plus contraint par un programme de plus en plus rigide, des règles de plus en plus strictes, des orientations de plus en plus orientĂ©es dans le secteur de l’ISP. Ce qui pose une rĂ©elle difficultĂ© aux centres de formation car la pĂ©dagogie de l’ISP se centre sur l’apprentissage par la pratique. Sans ĂŞtre extraordinairement originaux, le panel de mĂ©tiers proposĂ©s est variĂ©. Il s’oriente vers les mĂ©tiers en pĂ©nurie. Chaque annĂ©e, ACTIRIS dĂ©termine les mĂ©tiers vers lesquels l’ISP peut orienter. La RĂ©gion bruxelloise porte une attention toute particulière aux emplois localisĂ©s dans le secteur du dĂ©veloppement durable. L’offre des opĂ©rateurs est donc limitĂ©e.
Depuis le mois de juin 2011, la Région bruxelloise et ACTIRIS ont mis en place la construction du projet professionnel. Ce processus contraint les publics de l’ISP via l’Activation : un jeune sorti de l’école et inscrit chez ACTIRIS est alors rapidement convoqué à un entretien au cours duquel le CPP jeune lui est proposé. Un jeune sorti de douze ans, voir quatorze ou seize ans, d’obligations scolaires n’a pas la possibilité de souffler qu’une contrainte obligatoire d’Actiris lui est imposée. La construction du projet professionnel est critiquable car peu de jeunes ont un projet professionnel concret au sortir de leur cursus scolaire. La majorité des jeunes inscrits dans l’ISP sont issus des milieux populaires. Le CPP ne correspond pas à ce qu’ils connaissent et à ce qu’ils maîtrisent. Il est alors considéré comme une contrainte.
Ces constats nous montrent, par la négative, une des nécessités de l’accompagnement des jeunes en difficulté d’insertion : reconnaître l’intégralité de leur personne et les expériences qui ont construit leur personnalité. Des propositions d’insertion exclusivement fonctionnelles font fi de cette trajectoire et loin d’être des aides, constituent des occasions d’échecs supplémentaires. L’accompagnement suppose de regarder le vécu des jeunes en face et d’accepter de leur proposer une occasion de se reconstruire spécifique.
Un autre outil pour valoriser l’expérience des jeunes est la validation des compétences. Un référentiel de normes en rapport avec chaque métier est actuellement développé afin de mieux organiser les épreuves de validation des compétences. Cet outil sera ensuite mis à la disposition des centres de validation des compétences. Il existe déjà en Flandre. Il est presque similaire aux titres de compétences développés du côté francophone. Toutefois, ces deux propositions ont des portées différentes. En Belgique francophone, il équivaut à un accord de coopération, c’est-à -dire que plusieurs acteurs interviennent dans la mise en place de ce processus : les trois gouvernements francophones (La COCOF, la Région Wallonne et la Communauté Française). Ils ont mis en œuvre la validation des compétences en Belgique en 2003. Ce dispositif se développe progressivement : 55 épreuves de validation en 2005 et plus de 1500 en 2010. L’effort de communication entrepris a permis le développement de la validation des compétences.
L’ISP privilégie la validation des compétences. Elle implique dynamiquement la personne dans un projet professionnel en valorisant ses connaissances et ses compétences et en lui permettant d’en acquérir des nouvelles. Elle reconnaît les compétences formelles et informelles acquises tout au long de la vie. Ainsi, par exemple, un jeune de seize ans qui quitte l’école peut venir valider des compétences qu’il aurait acquises en travaillant avec son père carreleur. L’origine de la compétence importe peu, pour autant qu’une personne puisse réussir l’épreuve dans un centre de validation. La réussite de l’examen lui permet d’obtenir un titre de compétences.
L’épreuve se déroule devant un jury de trois personnes qui observent le candidat dans une mise en situation professionnelle. A la fin de la réalisation de la tâche demandée, le travail du candidat est évalué et validé par un comité d’agrément. Reconnu par les trois gouvernements, ce titre de compétences a une valeur officielle. Cette approche s’inscrit dans un processus de la réussite.
Le référentiel de validation des compétences envisage de diviser le métier en parties distinctes : des unités de compétences. Il définira ce qui est essentiel pour un métier. La validation des compétences permet donc de construire un parcours avec les personnes puisqu’elles apprennent à mettre des mots sur leur métier. C’est une sorte de récit de vie professionnel.
La validation s’adresse à toute personne de dix-huit ans ayant une connaissance minimale du français, libre de toute obligation scolaire, tout en sachant que ce dernier critère ne doit en rien constituer un critère d’exclusion. Le candidat doit pouvoir comprendre les consignes qui lui sont données. Une maitrise de la langue française plus exigeante est demandée pour les métiers administratifs ou d’aide-comptable.
De leur côté, Les centres de validation trouvent des partenaires sociaux qui peuvent donner l’agrément et ils impliquent les entreprises dans le processus validation des compétences.
En arrivant dans un centre de validation, une personne bénéficie d’un travail d’accompagnement au cours duquel elle est accueillie, informée, écoutée, aidée et assistée. Des moments d’échanges font partie de l’accompagnement au cours desquels un outil de positionnement leur est proposé en vue de lui permettre de s’orienter vers la validation. Le candidat qui n’est pas prêt à la validation des compétences bénéfice de pistes d’actions à entreprendre pour y accéder.
Nouvelle, la validation des compétences nécessite un développement de son réseau de l’emploi et de formation en vue de mieux se faire connaître et de pouvoir communiquer régulièrement les nouveautés. Une des dernières nouveautés est la mise sur pied d’un site Internet présentant une liste de métiers accessibles dans différents secteurs ainsi que des « success stories » racontant le parcours des personnes ayant obtenu un, deux, trois ou quatre titres de compétences et qui ont pu rebondir vers la formation qualifiante. Une personne qui possède un titre de compétences peut bénéficier de dispenses dans un parcours de formation.
Les jeunes qui ont acquis des compétences chez un employeur ou en formation mais qui ont décroché, peuvent obtenir un titre de compétences grâce à la validation. Ce qui leur permet de réintégrer l’enseignement. Le titre de compétences est donc un atout.
5. Enseignements généraux
Une première dimension est l’acceptation de la personne telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être selon le cursus formel de l’évolution du jeune au sein des institutions d’enseignement. Cela veut dire qu’elle a besoin d’évoluer dans un dispositif qui répond à d’autres besoins que les institutions scolaires et donc ne doit pas être construit selon ce modèle.
Par ailleurs, l’accompagnement doit aussi tenir compte de l’ensemble de la trajectoire du jeune. En effet, son vécu familial, ses conditions de vie, etc., ne sont pas oubliés, quand il rentre dans un centre de formation.
Trois objectifs sont poursuivis dans ces dispositifs : une libération de la parole des jeunes, une valorisation de leurs acquis et de leurs ressources et la définition d’un projet personnel.
L’expression de son vécu, mais aussi de ses désirs, semble sinon plus facile, du moins plus ample quand elle passe par le détour d’une activité artistique, partagée avec des pairs. De telles réalisations permettent également de mettre en valeur des qualités personnelles peu exploitées dans l’enseignement. Mais la valorisation personnelle et la reconstruction d’une image de soi positive peuvent aussi prendre la forme plus institutionnelle d’une reconnaissance formelle des compétences professionnelles déjà acquises. Elle permet de rebondir dans un cursus de formation professionnelle évitant ainsi de devoir re-parcourir tout un curriculum avec le sentiment d’échec et de dépréciation de soi qui en découle.
Pour la définition du projet, l’identification à des anciens proches, dont le parcours personnel n’est pas sans analogies avec ceux des jeunes en recherche mais qui ont surmonté leurs difficultés, peut s’avérer efficace.
Une difficulté majeure d’un dispositif d’accompagnement d’insertion semble être la confrontation entre les désirs, le projet des jeunes et les offres de formation que les institutions proposent. Il y a souvent inadéquation. Sans doute, cet obstacle peut être dépassé par un projet de vie qui valorise le futur plus lointain et qui peut alors lire la formation professionnelle comme un moyen d’accès à un métier, lui-même condition d’accès à une vie espérée. D’où toute l’importance du temps consacré à se construire une image pacifiée et positive de soi et d’oser croire en soi-même.
L’accompagnement socioprofessionnel est, comme tout travail de relation, un art qui, s’il a ses règles et ses techniques, reste un exercice unique à recommencer à chaque fois, avec chaque personne. La capacité d’auto-évaluation des accompagnateurs et leur propre dynamisme dans la recherche des voies les plus performantes est une des qualités de ces professionnels. Les témoignages qui précèdent pourront peut-être nourrir quelque peu ces attitudes.
Commentaires
Le témoignage de Raphaël DARQUENNE, portant sur le regard des jeunes peu qualifiés face à la politique d’activation, fera l’objet d’un futur article.
Références
[1] Les intervenants Ă©taient les suivants : Guillaume DELONCA (prĂ©vĂ´t des Compagnons du devoir), Pascale KEMPINAIRE (membre du consortium validation des compĂ©tences), Geneviève LARDINOIS (coordinatrice du CEFA d’Ixelles), Marie-Jo SANCHEZ (directrice de l’AthĂ©nĂ©e Pierre Paulus), Marc de KOKER (coordinateur de l’AMO Rythmes), RaphaĂ«l DARQUENNE (chercheur FUSL, rĂ©seau MAG), Pierre DEVVLEESHOUWER (directeur FEBISP), Donat CARLIER (coordinateur CCFEE). VĂ©ronique GEORIS assurait la modĂ©ration des discussions.
[2] La Maison des compagnons s’appelait jadis « la Mère ».