Des référentiels de compétences destinés à améliorer l’employabilité

le cas du RECTEC

Dans cette analyse, Francis Tilman nous expose son approche critique de l’usage des référentiels de compétences, et ce en réaction à la présentation du référentiel RECTEC[1], destiné à améliorer l’employabilité des demandeurs d’emploi. Elle constitue un intéressant complément à l’étude Le GRAIN 2019,  intitulé Les capacités des individus en contexte : une revue de la littérature sur les notions d’empowerment et de compétences [Manon Bertha], diffusée en cette fin d’année 2019.

Le 13 juin de cette année avait lieu à Bruxelles,  un colloque pour présenter le référentiel RECTEC (Reconnaître les compétences transversales en lien avec l’employabilité et les certifications). Il s’agit d’une typologie de compétences génériques regroupées par pôles :

  • Organisationnel (organiser son activité, prendre en compte les règlements, travailler en équipe) ;
  • Communicationnel (communiquer à l’oral, communiquer à l’écrit, prendre en compte les usages sociaux) ;
  • Réflexif à usage actionnel (gérer des informations, agir face aux imprévus) ;
  • Réflexif à visée personnelle (construire son parcours professionnel, développer ses savoirs et ses modes d’apprentissage).

Les compétences pour chacun de ces champs sont précisées pour 4 niveaux de complexité (les 4 premiers niveaux du Cadre Européen des Certifications) en fonction de leur exigence en autonomie et responsabilité et constituent ainsi une échelle de progression dans la maîtrise des compétences[2].

Pour quel usage ?

A quoi peut servir un tel référentiel[3] ? L’usage principal, à la base de la confection du RECTEC, est d’aider à découvrir ce qui manque au candidat à l’emploi dans les différents domaines retenus pour atteindre l’employabilité. Cette identification permet d’établir un plan de formation sur mesure. En principe, car les choses ne sont pas aussi simples que cela.

Une première difficulté vient de la notion d’employabilité et de la conception du référentiel d’emploi.

En effet, qu’est-ce que l’employabilité ? Voilà un mot-valise qui semble faire consensus tant qu’on ne cherche pas à regarder de plus près ce qu’il recouvre concrètement.

Admettons pour la suite de notre réflexion que l’employabilité est le référentiel d’emploi[4].

Identifier les besoins pour une employabilité

Pour identifier l’écart entre les compétences d’un individu et un métier, il y a concrètement deux démarches à faire.

La première consiste à dégager des référentiels d’emploi les exigences en termes de compétences, dans notre problématique, transversales (on peut aussi dégager les compétences techniques, les savoir-faire manuels, les savoirs pour l’action, etc.) La chose n’est pas si aisée dès que l’on regarde de près ces référentiels. En effet, la plupart des référentiels d’emploi décrivent les activités et les tâches que le travailleur est censé pouvoir exécuter pour un poste donné. La formulation n’est pas toujours celle d’une compétence parce que le descriptif ne dit pas ce que la personne doit maîtriser comme aptitudes précises, savoir et savoir-faire, pour réaliser sa tâche. Ainsi, la tâche  pouvoir « accueillir des clients, s’enquérir de leur demande et les orienter vers le service ad hoc » nécessite la maîtrise de quels savoirs, capacités, habiletés, attitudes[5] ?

Les employeurs sont conscients que le descriptif des tâches ne donne pas d’office la liste des compétences et spécialement des compétences transversales attendues. Aussi adressent-ils souvent des messages aux formateurs insistant sur la dimension de savoir-être et autres comportements sociaux que requiert le travail. Mais à part des formulations générales, ils sont bien en peine de dire de façon précise ce que le travailleur doit maîtriser en termes de compétences transversales (à part quelques poncifs comme arriver à l’heure, …)

Si on les regarde attentivement, on peut observer que les référentiels de compétences transversales, dont le RECTEC fait partie, ont une certaine tendance à glisser du savoir-agir (fonctionnel) vers la norme sociale et comportementale attendue dans l’entreprise (morale).

A l’autre bout, il y a le problème de l’identification des compétences possédées par le postulant. Connaît-il les compétences qu’il possède ? La plupart des personnes ignorent leurs talents en dehors de quelques domaines d’activités familières. C’est encore plus vrai pour des personnes qui manquent de confiance en elles suite à une trajectoire sociale heurtée ou qui sont en reconversion, par exemple. Il y a donc un travail à faire pour rendre conscient et mettre des mots sur les compétences possédées. Cette identification est un travail inductif. Il faut interroger les réalisations de tâches concrètes réussies par des personnes dans différents domaines de leur vie pour qualifier ces réussites d’un terme plus général et remonter à ce qui les a permises. Les répertoires  que sont les référentiels, ici de compétences transversales, facilitent ce repérage en proposant des notions pour caractériser des compétences. Mais ils ne sont d’aucune aide pour la démarche d’indentification elle-même.

Qualifier une compétence transversale

Il y a encore un autre problème. Conceptuellement, pour identifier une compétence, il faut des indicateurs. A quoi voit-on qu’une personne maîtrise une compétence ? Quels sont les actes qu’elle pose qui sont révélateurs de son savoir-faire efficace ? Pour repérer chez une personne certaines compétences, il faut avoir, au moins implicitement, une définition de ces compétences qui consiste à compléter sa formulation par des « attributs », des indices caractéristiques. Les stagiaires qui n’ont jamais réfléchi aux compétences qu’ils mobilisaient dans la réalisation de telle ou telle tâche ou projet, ne peuvent directement reconnaître leurs compétences. Ils doivent être coachés par un « formateur », un tuteur, qui, lui, a réfléchi sur la réalité de la compétence et qui peut aider une personne à déceler chez elle-même l’expertise dont elle dispose. Si le formateur veut se servir d’un référentiel, il doit y repérer les compétences qui lui semblent être possédées par ses stagiaires à travers l’ensemble de leur vie et travailler cette formulation pour définir les indicateurs révélateurs de leur exercice. Les compétences recherchées peuvent être tous azimuts quand le but est de donner à son public confiance en lui ; plus ciblées quand il s’agit de se situer par rapport à un programme de formation et ses objectifs à atteindre.

Le travail de reconnaissance chez des personnes de leurs compétences effectivement possédées parce qu’appliquées dans de multiples activités de leur vie, peut se faire en entretien formateur-stagiaire ou dans une réflexion collective. Dans cette dernière démarche, les participants ont l’intuition de « Pourquoi Untel, dont on examine le cas, se montre efficace ». On peut ainsi formuler, par tâtonnements, la formulation d’une compétence à travers les indices qui y ont fait penser et s’interroger sur l’existence de cette compétence chez d’autres membres du groupe.

Que faire pour qu’une compétence soit transversale ?

Quand on parle de compétences « transversales », les choses se compliquent encore. En effet, qu’est-ce qu’une compétence transversale ? D’autres mots sont parfois utilisés (compétence générique, compétence transférable, compétence transdisciplinaire, compétence interprofessionnelle, savoir-être, compétence psychosociale, savoir-faire comportemental, compétence relationnelle, …) qui se veulent équivalents mais qui à l’examen ne couvrent pas tous la même réalité. Pour moi, est transversale, une compétence mobilisable dans des contextes et des situations différentes du contexte dans lequel elle a été acquise ou celui dans lequel elle s’exerce habituellement. Les notions de compétence générique et transversale renvoient, semble-t-il, à la même définition.

On n’est cependant pas sorti de l’auberge avec cette définition. En effet, une compétence, par définition, et il y a là-dessus un relatif consensus, est un pouvoir-agir efficace, une capacité de résoudre un problème formel, technique, manuel, relationnel, dans un contexte donné. Une compétence s’exerce toujours en situation spécifique. Ainsi, une personne peut faire preuve de créativité pour trouver des solutions à des imprévus dans des travaux de plomberie mais n’avoir aucune initiative dans le registre de la cuisine et inversement. De même, un jeune peut très bien « travailler en équipe » pour monter un tournoi de football mais ne sera pas aussi efficient dans l’aménagement collectif d’un local.

Autrement dit, si elles veulent être des compétences, les « aptitudes génériques » doivent d’abord être apprises et s’exercer dans des situations spécifiques (ou une famille de situations proches). Elles ne sont donc pas « naturellement » transversales, contrairement à ce qu’on pourrait supposer. Certains « savoir-faire » sont sans doute potentiellement transversaux (dans le référentiel RECTEC communiquer, organiser son activité, utiliser les ressources numériques, …).  Ils n’existent cependant  comme compétences transversales que s’ils peuvent effectivement et consciemment s’appliquer dans une diversité de contextes. Avoir la capacité (transversale) de repérer dans des contextes nouveaux des situations pour lesquelles on dispose d’un savoir-agir efficace appris ailleurs, n’est ni naturel, ni automatique et doit s’apprendre. Cet apprentissage passe par la conceptualisation, la modélisation de la compétence et l’examen de ce que requiert son investissement dans un autre univers[6].

Cette réalité nous permet de trancher dans une discussion didactique qui anime la sphère des formateurs : ne faut-il pas apprendre d’abord des compétences générales avant d’assurer une formation professionnelle ou spécifique ? La compétence, quelle qu’elle soit, étant toujours contextualisée,  son entrainement se fera par des mises en situation, des projets, la résolution de problèmes, ceux-ci pouvant être formels, techniques ou manuels. Les démarches peuvent prendre appui sur des situations professionnelles, de vie ou construites pour les besoins de la découverte.

Cette exigence est une limite des référentiels tels que celui du RECTEC  qui semble présenter les compétences retenues comme transversales par nature. Gare à l’illusion : je peux très bien communiquer avec mes amis mais pas aussi aisément avec mes collègues, mes supérieurs, des clients mécontents ou par téléphone.

D’autres usages

Les référentiels, tel RECTEC ou similaire, peuvent également être mobilisés pour d’autres usages que l’identification des besoins de formation :

  • l’acquisition d’une confiance en soi par la prise de conscience de posséder certains talents, certains savoir-faire[7] (on en a parlé) ;
  • la valorisation des compétences c’est-à-dire leur reconnaissance sociale par des cercles de relations de plus en plus larges ;
  • une reconnaissance par une institution, une organisation que l’on peut appeler une validation ;
  • une évaluation des exigences requises pour décrocher un diplôme, appelée certification.

Finalement, il est un enjeu décisif pour lequel les référentiels de compétences n’apportent aucune aide, c’est celui de la motivation des stagiaires pour une reconnaissance de leurs compétences et leur engagement dans l’effort pour en acquérir de nouvelles. Faire découvrir aux jeunes, aux adultes en reconversion, etc. que la possession de nouvelles compétences donne un pouvoir accru n’est pas une sinécure. Nous n’aborderons pas cette question ici, car l’approfondissement de cette thématique demande des réflexions qui dépassent l’objet de cet article.

NOTES / REFERENCES

[1] RECTEC est l’acronyme de « Reconnaître les compétences transversales en lien avec l’employabilité et les certifications. »

[2] Le guide pratique du référentiel RECTEC est disponible sur le site de l’Académie de Versailles : http://rectec.ac-versailles.fr/les-productions/

[3] Les réflexions qui suivent sont valables pour n’importe quel référentiel de compétences transversales.

[4] Les Référentiels de compétences – profils de formation et de qualification qui doivent guider la formation professionnelle dans l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, sont construits dans cette philosophie. Voir http://www.enseignement.be/index.php?page=25255&navi=298

[5] Une compétence est une combinaison de ces quatre dimensions. Voir une explication dans Darquenne R., Valoriser les compétences de jeunes. Enjeux et outils pour l’action sociale et éducative, Le GRAIN/Couleur livres, 2019, p. 19-22.

[6] Une méthode pour pratiquer ce type de démarche, dans Fourez G. (dir.), Des compétences négligées par l’école : les raconter pour les enseigner, Couleur livres, 2006. Un résumé de cette dernière dans Valoriser les compétences des jeunes …, op. cit., p. 68-70.

[7] Le livre Valoriser les compétences des jeunes, déjà cité, présente des démarches de ce type de travail avec des jeunes en difficulté sociale.

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