La querelle du moins et du plus se joue chaque jour dans nos établissements. On a nos pauvretés copieuses à la lecture des popotes officielles où l’on tente de nous imposer le moins par le plus, tout autant que des ivresses formulaires dans les bulletins trimestriels comme : « félicitations ! » « Doit progresser »… Il est vrai que l’École n’exige rien au dessus du strictement cognitif, au-delà de l’apport de savoirs évalués sous forme de notes puis de moyennes, puis de moyennes de moyennes, déterminant l’orientation des élèves. Continuons donc à faire du chiffre. Tout va pour le moins. Réduction des têtes – notamment les fortes- allègement des horaires, des programmes, des cartables, projets d’établissements accommodants, consignes bio de correction des examens light,… La miniaturisation des modèles n’a pas de limites et le modèle disparaît au profit de sa représentation. Mais le moins tourne mal dès lors qu’il cesse de nous délivrer de la comédie pour en devenir une lui-même. Il n’est plus de domaine où le moins n’ait pas sa logique. La pédagogie n’y échappe pas. Face aux tourments de la classe il nous faudrait aujourd’hui encore plus réduire, enseigner à coups de marteau. Ce qui transformerait le poseur en ascète. « Agir de façon logique, simple, catégorique, se faire loi » (Nietzsche). Il est traditionnel dans l’enseignement de réduire, de chercher à simplifier lorsque l’élève démuni ne semble pas capable de réaliser une tâche. Cela produit des résultats, en langue par exemple, mais ce n’est pas souvent le cas. Le pédagogue d’aujourd’hui, soucieux des besoins et attentes de ses élèves, attaché à la notion de progrès, sensible à la demande sociale et professionnelle, alerté par les résultats actuels, hésite à se satisfaire de cette diététique. Il sera toujours tenté de vouloir faire plus avec le souci du mieux. Hélas, l’École ne rend rien à ceux qui veulent faire plus. La moindre pratique pédagogique qui ne s’identifierait pas d’une façon ou d’une autre à un exercice de consolidation relève de la nage à contre-courant. Il n’y a que des coups de bâtons à prendre, à innover dans un contexte environnemental toujours marqué par la démagogie du peu. A quel diable se vouer ? Quelques exemples vont pourtant tenter ici de montrer que l’on ne résout pas le problème du « Comment faire apprendre ? » en simplifiant, ni en réduisant, mais en complexifiant. Ce qui revient à affronter le défi qui sans être nouveau devient urgent : celui du passage de la scolarisation à la formation du tous, autrement dit à la subtile évolution de la transmission des savoirs vers la formation. Ainsi naît un des profils que suggère aujourd’hui le lent processus de professionnalisation des enseignants : l’enseignant-formateur.
De la distinction à la convergence
Enseigner et former. C’est concrètement cette mitoyenneté entre enseignement et formation qui porte à réflexion au sens de l’intersection, et non plus au sens plus défensif du mur mitoyen qui, chaque propriétaire le sait, n’attire que des ennuis. A priori les deux registres paraissent distincts. Alain Bouvier écrit « Ingénierie (conception, stratégie, planification), négociation, régulation, évaluation, compétences sont considérés comme les mots clés du discours et de la pratique des formateurs….programmes, classe, connaissances, notation, moyenne, orientation ceux de l’enseignant ». Enseigner désigne une éducation intentionnelle, une activité qui s’exerce dans une institution. Au sens premier, ma collègue a raison : c’est la transmission des connaissances. Les buts sont explicites, les méthodes les plus codifiées possible. Au sens large et plus moderne, c’est un processus d’organisation de situations d’apprentissage (De Ketele, 1989) qui nous rapproche singulièrement des objectifs de formation surtout si ce processus est mis en place de façon systématique. Former est analysé comme « un développement systématique de connaissances, aptitudes et compétences que demande l’exercice d’une tâche spécifique » (Marchand, 1981). Former consiste en la préparation, l’adaptation, la conversion d’un individu à une fonction sociale. Le but n’est pas l’élève lui-même mais l’intégration à la société. N’est-ce pas non plus le rôle de la transmission des savoirs ?
Tableau synthétique des différences
ENSEIGNEMENT |
FORMATION |
1. Tendance à viser l’équilibre entre cognitif, affectif et gestuel | Développement inégal des trois |
2. Compétences transversales, sans lien particulier avec une tâche spécifique | Compétences ciblées, en lien avec une tâche spécifique |
3. Structuration des acquis de base | Orienté vers le développement de compétences socioprofessionnelles |
4. Préoccupation d’autonomie et d’intégration | Préoccupation de sensibilisation, reconversion, perfectionnement |
On enseigne quelque chose à un élève, on forme un élève à quelque chose. Nuance. Mais, on le sait, aucune des missions ne peut requérir à elle seule l’exclusivité de nos efforts. La contrainte majeure, surtout en France, concernant une rénovation de nos pratiques, c’est qu’il ne peut y avoir rénovation que dans la transmission des savoirs, faute de quoi cette rénovation risque de se réduire seulement à des réorganisations temporelles, structurelles ou se contenter de modifications périphériques par rapport à cette fonction centrale de l’École de la transmission. Les professeurs ne pourraient y adhérer. Vouloir tout faire serait inévitablement les amener à retomber dans ses anciennes habitudes et provoquer le statu quo. C’est le risque d’additionner, alors qu’on propose ici de faire converger. Ne serait-ce pas possible, dans notre classe (faute de mieux) de relier les deux missions, enseigner et former, dans le cadre de notre autonomie ? Celle-ci n’est autre que la contrepartie naturelle de la responsabilité qui ne doit pas se dessaisir d’un objectif d’efficacité au sens d’une meilleure adaptation aux réalités et aux besoins du terrain. « Il existe une forte imbrication entre formation, attentes scolaires et économiques, avec des exigences explicites en direction du rapport à l’emploi et aux registres professionnels » nous dit encore Alain Bouvier. On entre ainsi dans ce qu’on appelle le processus de professionnalisation qui suggère autonomie et responsabilité au sens où l’enseignant puisse résoudre les situations-problèmes rencontrées dans sa classe en sortant d’un rôle d’exécution lié à l’application des procédures détaillées conçues par d’autres, avec ses propres moyens, mais toujours dans le cadre d’objectifs généraux définis par l’institution et d’une éthique.
Tout enseignant n’est pas formateur même s’il s’en réclame au titre qu’instruire c’est former l’esprit, et tout formateur n’est pas enseignant pour autant. Cette subtilité n’a pas encore touché les préposés aux choix des formateurs académiques par exemple qui confondent allègrement les deux. C’est plus simple. Pour eux, il n’y a pas de différences notables entre faire la classe et animer des groupes d’adultes. L’important est la transmission d’un contenu à enseigner, et que cela se déroule entre un professeur face à des élèves ou entre un baptisé formateur et un groupe d’adultes est du pareil au même. On comprend alors que l’on fasse appel à l’élite des enseignants, les faiseurs serviles bien toisés, pour devenir formateur. Le retournement du discret en pompeux vire quelquefois au comique. Le paradoxe se retrouve aussi dans le fait de confier à des « pédagogues » (Recteur, I.A, chefs d’établissement) le soin du pilotage administratif territorial. Le cadre administratif ne communique pas, il fait cours. Les stagiaires de la formation continue sortent le plus souvent dépités et frustrés. Ils n’ont pas été formés, mais informés. Le rendement est inévitablement faible. Quant au véritable contenu de l’information, elle propose le plus souvent un perfectionnement de ce que les stagiaires savaient déjà. Le module proposé aux professeurs d’histoire-géographie (P.A.F, 2008) : « Étudier la ville en classe de 4ème » par exemple reviendra à recevoir un avis sur la question, rien d’autre. En quoi la formation « Comment enseigner la révolution française en collège ? » relèverait d’autre chose que d’une hypothèse ? Le mot formation est galvaudé. L’enseignement et en particulier celui de l’histoire-géographie se goûte après longue mise en bouche, madérisé. Or, directement visé par le passage d’une société de transmission à celle de la communication, la suprématie de l’instant écrasant sur le recueillement séculaire, impuissant au choc des images estompant le poids des mots, il est difficile de ne pas le repenser tout autant que son accompagnement en modules de formation continue. Jacques Nimier le dit : « C’est dans la mesure où l’on introduira de nouveaux modèles de transmission de connaissances plus complexes auprès des enseignants qu’ils pourront ensuite complexifier leur façon d’enseigner ». Toute formation qui ne viserait pas une préparation à un autre domaine d’intervention, à un nouveau champ de compétences, relève à mon sens du conseil pédagogique. La corrida en milieu hispanique offre peut-être un exemple, certes osé, de ce que serait a contrario la formation. Le matador doit préparer le taureau à un châtiment rapide qui ne s’inscrivait pas de façon aussi précipitée pour lui jusque là. Le matador ne peut y parvenir en se contentant de faire des tours de passe-passe profitant de la course du taureau tout en prenant des poses sensuelles. Il doit dévier la charge du taureau, en avançant la jambe à chaque passe, s’engager, lui faire baisser la tête, réduire son terrain. C’est plus difficile, plus risqué, mais plus formateur si on peut dire. La formation, c’est ce qui déforme. Au sens où l’on modifie une façon de pensée, mais surtout d’agir sans en changer le cadre opératoire, sans perdre de vue les objectifs finaux. Faire converger n’est pas confondre. Nous sommes appelés à devenir enseignant-formateur, dans l’âme pour commencer. Reste à passer aux actes.
Pour une formation initiale plus formatrice
La formation professionnelle a montré l’exemple. La marge est étroite entre continuité de l’enseignement et besoin de formation. Partons de l’enseignement de l’ECJS, montrée du doigt dans le quartier, car accusée d’avoir conçu de nombreux enfants, tous différents les uns des autres. Soit le programme d’ECJS de classe Terminale où il est difficile de motiver des élèves sur des contenus qui ne seront pas spécifiquement évalués à l’examen. Au mieux, on peut continuer à organiser une fois par mois un forum-débat où chacun pourra contribuer à la démocratie d’opinion sur des sujets où le déni de transmission ne s’accoquine pas trop avec l’amour du prochain. Le pointu devenant pointillisme. Transformons cet enseignement en un exercice plus formateur, sans déroger aux objectifs généraux. Les thèmes d’étude présentant les contenus à transmettre sont à articuler autour de la construction du projet personnel, scolaire, ou professionnel de l’élève. Il faut d’abord lui permettre de se mettre en situation de projet. C’est l’objet des premières séances où l’élève est invité grâce à une série de tests (un peu de formation enseignante s’impose) à identifier, évaluer ses ressources, prendre en compte ses limites et ses besoins, apprendre à mieux se connaître. Une étude de documents et un débat éventuel autour du don d’organe ou l’état de la recherche actuelle en psychothérapie sert alors de ressource pour les aider à mieux se connaître (thème du programme : citoyenneté et progrès des sciences et des techniques). Il s’agit ensuite de tenter de les aider à mieux cibler leur projet. Différentes études sur les perspectives de formation en France et en Europe (thème du programme « citoyenneté et construction européenne ») amène des éléments de réflexion. Une dernière partie de l’année se doit d’être réservée à un travail personnalisé, en Atelier Pédagogique Personnalisé (A.P.P) selon les méthodes de la formation continue, où l’enseignant-formateur apporte son aide individualisée sur un CV ou une lettre de motivation (deux exercices intéressants en terme de transfert et de mobilisation des ressources), un dossier de candidature, une recherche d’information via les nouvelles technologies (largement utilisées en formation continue sous le titre d’alternance) qui ne sont pas ici utilisées pour pasticher un cours classique, donnant un sens pratique au thème « citoyenneté et exigence d’égalité et de justice »… Car où est l’égalité des chances entre ceux qui maîtrisent les outils de l’insertion et les autres à qui on ne l’a pas appris, sachant que la majorité des élèves ne feront pas de grandes études. Ici l’élève vit sa préparation citoyenne. Les ressources transmises sont placées au service d’un projet et pour une pratique sociale. Les élèves se révèlent demandeurs. Les résultats appréciables : pas d’absentéisme, quelques modifications de parcours qui étaient pourtant programmés de longue date, intérêt pour le coaching personnalisé final, un apprentissage de savoirs et de savoir-faire à dimension pratique et concrète. Et pour le professeur d’histoire-géographie et donc de science sociale, la perception d’un champ possible d’intervention, actuellement délaissé, celui de l’orientation et de l’entrée dans la vie active. Mais on peut continuer à faire de l’orientation dans le style féodal : obscur, fragmentaire, éclaté. Se refuser aux liaisons, aux lourds enchaînements plébéiens. L’orientation continuera alors à être déterminée par des notes qui excluent la légitimité de beaucoup de qualités individuelles qui déterminent la capacité à s’insérer. La pratique habituelle de l’orientation resterait procédurale, sinon procédurière, et non processuelle. Mais tellement consensuelle… « L’enjeu pour l’école est de passer d’une fonction tri-classement-placement à une fonction développement, et donc pour les enseignants de transiter d’une pédagogie de l’écart au modèle d’une pédagogie du développement centrée sur l’élève acteur de son projet » (Jouvenet, 1996).
En histoire-géographie, le dédain pour les sciences de l’éducation – il est vrai que leur langue particulièrement enflée leur nuit beaucoup – et le faible niveau de la formation continue font que l’évolution des pratiques pédagogiques reste marginale. Pourtant la professionnalisation dont il est question ici, en filigrane, vise le remplacement de savoir-faire intuitifs ou traditionnels par des savoirs plus scientifiquement posés. La pédagogie par objectifs a résisté à toutes les recherches qui en ont montré toute l’inconsistance en termes de culture comme en termes de vie. Née dans les années 70, son principal intérêt est toujours de placer l’enfant au centre de ses apprentissages, de structurer la réflexion autour de ce que doit maîtriser l’apprenant. Splendeur et misère de la soustraction, elle le place aussi en dehors de ce que fait l’enseignant et de ce qu’il enseigne. « C’est une pédagogie qui n’existe pas » (D.Hameline). Elle focalise l’attention sur une parcellisation des tâches entretenant la myopie de l’usager, le prive du sens et finit par ruiner la motivation tout en produisant de l’échec scolaire. L’enseignant clarifie ce qu’il attend de chaque leçon en prévoyant ce que l’élève doit acquérir à son issue : c’est de la simplification extrême. C’est le degré zéro de la compétence : l’élève est acteur soumis. La visée s’épuise dans un comportement tout indiqué et maintes fois répété. La pédagogie par objectifs cherche à faire comprendre et non à agir, à réguler, à pouvoir évaluer facilement, à finir les transmissions prévues dans les programmes. La perte de sens des apprentissages qu’elle occasionne la rend aujourd’hui intenable. On tente bien alors d’introduire l’audiovisuel, la BD, l’analyse de pubs, au sens de se mettre au niveau de la masse enseignée, pour faire peuple tout autant que faire passer la pilule. Mais cette offre se fait demande désespérée de demande. Et ça doit se voir. Ce qui devrait se voir, c’est l’apprentissage de l’élève : le portfolio peut y contribuer. Actuellement, c’est le cours que l’enseignant cherche à rendre visible et évaluable, en exigeant par exemple une prise de notes et une trace écrite.
Attardons-nous y un instant. Prendre des notes est un apprentissage en soi. L’élève doit instantanément comprendre l’exposé d’une pensée qu’il découvre et la reformuler dans des termes qui lui évoqueront à la relecture l’essentiel du contenu du cours. Mais cet apprentissage ne se justifie que dans une logique de transmission des savoirs de façon magistrale. L’élève n’est pas sollicité de façon intellectuelle, où est donc la formation ? Encore une fois, on travaille des capacités qui n’ont d’intérêt qu’uniquement dans la sphère scolaire. Le champ d’exercice est rigoureusement limité. Cette prise de note constitue la trace écrite du cours. Celle – ci est vouée à un oubli cuisant sans un effort répété de mémorisation, car elle n’est pas le fuit d’une démarche personnelle de l’élève, mais d’une application, d’une mise en pratique d’un savoir-faire qui a été présenté précédemment par le professeur. La mémorisation n’est pas inutile mais en termes de formation de l’élève, c’est léger. Au final, comme le dit Bernard Rey « présentation du savoir, méthode pour le reproduire, et conseil pour qu’il puisse être évalué constituent l’essentiel du temps scolaire pour réussir à l’école ». Ce qui est peu, et qui n’est pas incontestable. L’apprentissage est renvoyé à la sphère familiale, quand elle est capable de l’assumer. De cette façon, l’école fabrique des inégalités voire de l’échec scolaire. En conclusion, ces capacités qui ont but assignable en soi à l’école primaire ne peuvent avoir de sens qu’au sein d’une transformation dans le secondaire en une compétence qui hélas n’est jamais travaillée ensuite. On en reste à des capacités (savoir résumer, savoir étudier un document…) qui se complexifient, mais pour quel progrès ? Le savoir ne se construit pas par cumulation ou par stratifications successives mais par transformations successives dans une spirale inachevée de déséquilibrations-rééquilibrations. « Writing is rewriting ». Ceux qui tentent d’écrire des articles le savent bien. Et heureusement, qu’à un moment donné ils sont éventuellement publiés, sans quoi, ils seraient encore à rayer des lignes ou à en ajouter. Mais quel exercice formateur ! Il s’agit aujourd’hui de passer d’une pédagogie de transmission des connaissances (enseignement) à une pédagogie de construction des savoirs et de développement de compétences, terme pris au sens de savoir mobiliser ses acquis pour répondre à une situation problème. La tâche est plus complexe. On appelle situation-problème un ensemble contextualisé d’informations à articuler en vue d’exécuter une tâche dont l’issue n’est pas évidente au départ. Un exemple : « A partir des documents ici présentés élaborez une série de quatre questions dont les réponses permettront de les expliquer tout en faisant la preuve de vos connaissances sur le sujet ». Travailler à partir de situations-problème complexifie mais développe, comme d’autres, une situation d’intégration des acquis qui contribue au « faire apprendre ». La résolution de la situation problème appelle une déstabilisation constructive. Apprendre n’est pas redire ou refaire, mais réutiliser dans un autre contexte (scolaire et hors scolaire) que celui du moment de son acquisition. On ne retient que ce qu’on apprend, jamais ce qu’on vous enseigne » (Maryse Quéré, 2004). L’innovation couvre les trois pôles du triangle didactique : support (qui devient support-problème)-élève-enseignant. Ce dernier exige le meilleur de ses élèves mais en accepte aussi l’imprévu afin que ses anticipations ne soient pas des prédéterminations. Articuler transmission des savoirs et formation s’effectue sur le plan pédagogique en deux temps :
- Les apprentissages ponctuels- qui préparent une compétence – ont été développés dans le cadre d’un chapitre du programme, en veillant à lui donner le plus de sens possible (voir mon article des cahiers pédagogiques mars 2008). Le brainstorming oral ou écrit, en début de chapitre est une bonne entrée en matière pour celui qui travaille la mobilisation des acquis.
- On présente à l’élève plusieurs de ces situations complexes pour exercer sa compétence (apprentissage de l’intégration) ou pour évaluer sa compétence (évaluation). Chacune des situations peut donc être exploitée indifféremment dans l’apprentissage (pour apprendre l’élève à intégrer les acquis) ou dans l’évaluation (pour évaluer les acquis). On le voit, la transmission des savoirs fait partie intégrante du dispositif. On ne peut intégrer que ce qui nous a déjà été transmis. Il n’y a pas de différences pour le pédagogue de préparer aux études longues ou de préparer à la vie. Les contenus diffèrent mais pas la façon de mener les apprentissages. Les résultats sont intéressants quand l’élève est convaincu d’accepter « la rupture » avec la pratique courante de notre enseignement et donc de rentrer dans un processus de formation.
Vers une évaluation plus formative
A ce sujet, le type d’évaluation certificative telle qu’on la conçoit actuellement est la plus simple à mettre en place et celui qui facilite la correction. Il est à la base de notre système. On touche là un sujet sensible. Transversale aux trois missions qui incombent à l’enseignant, instruire-éduquer-insérer, celle d’évaluateur permet d’exercer un pouvoir d’influence pédagogique et institutionnel auquel il n’est pas prêt à renoncer dans sa forme actuelle. Le problème de cette évaluation normative réside dans la prétention à mesurer ce qu’elle ne peut observer : la personnalité de l’élève et ses composantes affectives, sociales, qui influencent les capacités intellectuelles ainsi que sa compétence.
L’évaluation certificative est indispensable, surtout dans notre système de sélection. Mais elle fait réussir- et on peut parler ici de réussite abusive- en priorité les élèves que l’on peut qualifier de « faux forts » (voir Roegiers, 2007). Ce sont ceux qui maîtrisent le système scolaire, au point d’en avoir acquis des automatismes. Ils dosent leurs efforts d’apprentissage et les orientent avec succès chiffrés vers des finalités consuméristes de l’évaluation certificative. Leurs notes sont excellentes mais ils sont incapables d’investir leurs acquis dans une autre situation que celle qui a engagé leur apprentissage. C’est du cabotage appliqué. Les « vrais forts », moins bachoteurs tirent leurs forces de leur capacité à transférer spontanément leurs acquis pour résoudre des situations-problème. Une pédagogie qui perpétue le vieux dicton « en histoire-géo, y a qu’à apprendre ! » les dessert, et ils réussissent moins bien. Chacun de nous les a rencontrés. « Des capacités, mais se contente de peu », constitue la sentence qui leur est servie habituellement, alors qu’ils ont plus de chance de réussir par la suite. Selon le type de pédagogie employée et le type d’évaluation choisi, on ne fait pas réussir les mêmes élèves. Car s’il y a des « faux forts », il y a aussi des « faux faibles », ensemble d’élèves avec moins de dispositions, qui échouent parce qu’ils ne sont pas scolaires au sens où ils ne rentrent pas dans le fonctionnement de l’école. Ils ne manquent pas de ressources mais la façon d’évaluer ne révèle pas leurs forces. Ce sont des incompris du système. « Vrais forts » et « faux faibles » sont compétents mais leur compétence n’est pas reconnue, alors que ceux qui sont reconnus, ne le sont pas. C’est inquiétant et appelle un rééquilibrage, sinon plus de justice.
Un exemple
Paco, 18 ans, a été élève en classe de première en 2007-2008. C’est un « vrai fort ». Le sujet de l’évaluation du jour se rapportait à une leçon sur la Belle Époque. Je voulais vérifier le transfert des acquis en proposant une tâche inédite. En voici l’intitulé : « Vous êtes un personnage de la Belle Époque. Produisez un récit argumenté où vous décrivez votre journée, vos idées, votre mode de vie […] ». Voici un extrait de sa réponse (dactylographiée, car mes évaluations sont proposées sur ordinateur) :
Si j’avais donné un devoir classique de questions-réponses sur le cours, sa production n’aurait pas dépassé le quart de page. Il aurait été alors sanctionné pour ces manquements graves au dur labeur de l’apprentissage systématique des leçons. Avec ce type d’évaluation proposée, sa compétence a pu être révélée. On appréciera autant de lire cet exercice de style, nourri du cours d’histoire et de toutes ses ressources mobilisées pour remplir sa tâche : littéraires (profitant si c’était besoin d’un cours sur l’œuvre de Zola vue au même moment en cours de français) mobilisées dans un autre contexte, et personnelles. Son talent fait foi. On mesure tout le poids et la portée de l’évaluation en matière de réussite, de reconnaissance des qualités de l’élève et de discrimination. Le processus de résolution du problème par l’élève doit compter autant que le résultat. Nul doute que la compétence se serait révélée plus tard, mais après combien de découragements, de vexations, de rejet du système durant la scolarité ? Surtout que Paco est anglais. Il nous faut aussi penser l’évaluation dans une perspective européenne qui condamne les singularités nationales. L’essentiel des maux dont souffre l’école est intimement lié à l’évaluation des acquis. En matière certificative, les critères dits de perfectionnement sont souvent surévalués et donnent lieu à des réussites abusives (originalité, présentation, précision…). Voici quelques critères dits minimaux qui permettent de juger de la maîtrise d’une compétence à partir d’une production et déterminerait une évaluation plus juste et plus formative. Cette grille indicative doit envisager des indicateurs (3 maximum par critère). Son application permettra à Paco d’avoir la moyenne, et aux « faux forts » de maintenir la leur.
1.Pertinence | adéquation par rapport à ce qui est demandé |
2.Profondeur | utilisation des notions de la discipline |
3.Extension, transfert et intégration | recours à une gamme étendue de concepts, d’outils et stratégies |
4.Autonomie | initiative, choix réfléchis |
5.Cohérence | organisation logique de production |
d’après Louise BELLAIR, 1999 |
On l’oublie mais l’objet d’une évaluation est de préparer une décision. C’est en ce sens qu’elle sera formative et c’est ce qui la différencie du jugement, du simple contrôle de connaissances. Elle est mise en œuvre par un processus intentionnel, systématique, basé sur des critères explicites et orientés vers une prise de décision (prononcer la réussite ou l’échec, surtout proposer une rémediation individualisée, commencer de nouveaux apprentissages). Une évaluation qui aurait pour but de recueillir des informations en vue de prendre une décision permet de neutraliser individuellement les cas sensibles, traiter les différences sans les transformer en inégalités. C’est plus complexe à mettre en place que le contrôle de micro-connaissances mais ce qui change en réalité, ce n’est pas le support brut, mais le support finalisé.
Quelques règles pour préparer une évaluation digne de ce nom qui ne favorisent plus uniquement les « faux forts », qui permettrait un recueil d’informations propres à la prise de décision, et non de vérifier la capacité momentanée d’assimilation de contenus-matière et de savoir-faire vides de sens.
- Créer une situation d’intégration (intégration et non juxtaposition des savoirs et savoir-faire)
- Une situation nouvelle (éviter la restitution déguisée, situation inédite mais adaptée au niveau)
- Une situation débouchant sur une production, une tâche à remplir, une résolution de problème.
- Une seule consigne au départ vaut mieux qu’une série de questions ensuite.
- L’élève est acteur. Il pilote son devoir.
- Adéquation avec les objectifs pédagogiques (éviter les dérives)
- Une situation significative pour l’élève : but opérationnel. (le contrôle permet un constat, l’évaluation produit du sens)
- Une situation valorisante : questions de l’évaluation indépendantes.
d’après X. ROEGIERS, 2007
Cette façon de procéder de surcroît :
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Valorise les éléments positifs dans les productions des élèves et ainsi d’élever les notes.
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Limite les effets pervers liés au comportement du correcteur : risques de tout ou rien lié au morcellement de la note
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Développe la créativité de l’élève : voir exemple au dessus.
Vers la professionnalisation de notre métier
Le mot fait frémir dans le milieu. Comment ? Nous ne serions pas assez professionnels ? Notre métier ne serait pas une profession ? Quelle vision technocratique se transformerait ainsi en injonction ? Notre office ne s’apparenterait-il qu’à un spectacle actuel, jouant sur une gamme élastique de coordonnées à géométrie variable : un rassemblement physique, une adhésion de plus en plus libre, un pôle actif et un autre contemplatif, une transposition fictive ou la faculté d’irréaliser ? Une amie me disait : « Mais quand est-ce que tu feras un vrai métier ? ».
L’expression n’est pas nouvelle. Elle désigne l’obligation qui est faite aux enseignants de coupler compétences disciplinaires et savoirs didactiques. La loi d’orientation de 1989 marquait déjà une première évolution. Les missions y étaient redéfinies dans le sens d’une plus grande autonomie laissée aux acteurs, appelés à s’organiser en équipe au sein des établissements pour une meilleure adaptation aux contextes d’exercice. Cette nouvelle professionnalité était déjà explicitée dans des référentiels de compétences ; le statut, les modalités de recrutement, et la formation des enseignants n’ont cessé d’être réformés et unifiés. La création des I.U.F.M. symbolisait cette avancée et ces attentes : ancrage sur la recherche universitaire, dispositifs s’efforçant de former des praticiens réflexifs.
Ces instituts sont devenus le lieu unique de formation pour un corps unifié d’enseignants, les instituteurs devenant professeurs des écoles. Pour autant, ce modèle peine toujours à s’imposer et est fréquemment remis en question aujourd’hui selon les clivages entre premier et second degré, mais aussi avec l’université. L’ensemble a fragilisé la mise en place de la formation unique, la culture individualiste prime dans l’exercice au quotidien, et les conceptions des acteurs même tardent à évoluer dans le sens attendu. Aborder l’évaluation d’acquis multiples : savoirs, compétences sous forme de savoir-faire, savoir-être, et non plus uniquement de micro-connaissances est un tant soi peu révélateur. Le concept de formation tout au long de la vie s’inscrit aussi dans une lecture plus professionnalisante des carrières des enseignants. Une évolution est en marche sous l’impulsion de la loi et du terrain qui permettrait d’accorder une valeur ajoutée à notre rôle de manière adaptée et valorisante. Mais quelle liberté accorde-t-on aux enseignants dans la conception de leur mode d’exercice de leur métier ? Quel encouragement gît sous l’abrégé du rituel des appréciations administratives prodiguées par le premier pédagogue de l’établissement ? : « Professeur compétent », « professeur chevronné », « très bon professeur ». Ce qui peut signifier chaque fois que vous n’êtes rien d’autre. Et encore ne dira- t’on rien ici des rapports d’inspection pédagogique qui nous tombent des mains. On prétend résumer, et on fait disparaître…
Pensons l’élève comme une totalité quand bien même l’histoire de l’École est une histoire de mise à l’écart. Enfants- adultes, direction – enseignants, préparation à la vie-la vie elle-même, retards et absentéismes – pédagogie, apprentissage – droit à l’erreur, matière contre matière accélérant les stratégies d’élèves qui se faufilent entre les interstices…Et cherchons à articuler effet éducatif et effet formatif de l’école quand la conception ambiante évolue de l’École lieu de promotion sociale, à celui de lieu de consommation de formation. Le projet anthropologique de l’École de la République est préservé, mais la demande sociale d’éducation est étayée par la demande économique de formation. Le problème actuel porte sur l’aide nécessaire à tous les élèves pour acquérir le savoir le plus valide possible, à la fois reconnu par l’institution et par les professions. Gardons-nous cependant de croire que la professionnalisation est la réponse médicale aux difficultés rencontrées dans le milieu scolaire. D’aucuns nous diront que la pédagogie se réduit pas aux apprentissages et qu’ainsi la formation restera incomplète, que concernant les liaisons avec la vie active, l’esprit n’a pas à se confondre avec la réalité telle qu’elle est. Il ne s’agit pas de dire que tout est dans tout, ou rouvrir le conflit de préséance entre anciens et modernes, ceux-ci soi disant vendus au marché, mais de dire que la professionnalisation qui est en jeu actuellement relève avant tout d’une intention sociale. L’enseignant-formateur est convaincu que la formation initiale jouera sans doute au mieux son rôle si elle réduit l’écart entre le moment de l’apprentissage et le moment de la mobilisation des acquis et si elle provoque davantage de rencontres entre les savoirs construits. C’est dire l’enjeu et la complexité de la reconquête sociale au lieu de continuer à croire au réglage scolaire du destin social.
A propos de l’auteur
Gérard Naudy est professeur à la Cité scolaire internationale de Lyon (Gérard.Naudy |a| ac-lyon.fr).