Les femmes habitantes de la rue[4] mettent à mal les idéaux sociaux et dérangent nos représentations. Dans l’imaginaire collectif, la femme est porteuse d’un corps sain et fécond, ce qui est incompatible avec le stéréotype du « SDF », au corps meurtri, à la santé mentale vacillante.
Selon la psychologue Karine Boinot (2008), la présence des femmes dans les rues suppose implicitement une absence autre part, notamment au sein d’un foyer familial, avançant que l’errance féminine devient ainsi « socialement et moralement suspecte car une honnête femme reste à la maison (du père ou du mari) ». Quant à la sociologue Audrey Marcillat (2014), elle évoque « des normes de féminité » qui existent en termes de représentations sociales et qui mettent en avant l’aspect de la maternité auquel serait lié un corps féminin en bonne santé. A cet « attribut social » s’ajoutent d’autres particularités, à savoir, une attention accordée à l’hygiène ou encore à l’esthétisme.
Que se passe-t-il lorsque ces deux représentations se rencontrent et se côtoient ? Quels sont les processus sociaux en jeu que les habitantes de la rue traversent et quels sont les bricolages et arrangements qu’elles mettent en place afin de (sur)vivre une réalité a priori insurmontable ?
La rue, réalité androcentrique[5] ?
En 2013, j’ai fait ma première expérience dans le monde social de la rue au sein d’une organisation qui accueille des « SDF » et, à ce moment, je pensais rencontrer des habitants de la rue, certes, sans décliner ce terme au féminin pour autant. Dans mon imaginaire d’alors, ces personnes correspondaient à un certain profil, à une certaine catégorie véhiculée non seulement par ma propre ignorance de la question mais aussi par les discours sociétaux divers : un « SDF » est tout d’abord un homme qui est forcément barbu, édenté au visage ridé, qui porte des vêtements troués et répugnants, qui aime noyer sa peine dans l’alcool et qui passe ses journées sur un banc public à côté des pigeons qu’il n’hésite pas à nourrir à coup de pain rassis.
Les « femmes SDF » – dont certaines sont appelées « putes toxicos »[6] – m’ont été présentées sous deux angles différents par divers professionnels qui s’étaient alors sentis responsables de mon initiation dans ce monde social à travers leurs propres stigmates. D’une part, comme des victimes d’hommes agressifs, parfois proxénètes, qui usent et abusent de ces femmes à la rue ; d’autre part, comme des personnes hautement dangereuses, prêtes à tout pour se faire de l’argent et acheter de la drogue afin de survivre.
J’ai choisi de me distancier de cette vision dichotomique qui les conçoit soit comme des personnes soumises aux hommes, soit comme étant assujetties à leur propre comportement agressif, car cette vision nie leur agentivité[7], leur laissant une marge de manœuvre faible, voire inexistante, sans le moindre libre arbitre. Par cette démarche, j’évitais la réification de ces femmes et je défendais leur altérité.
L’invisibilité sociale de corps abîmés dans les interstices urbains
J’ai observé que ces femmes habitent des espaces non prévus à cet effet et expérimentent des systèmes relationnels qui viennent disséquer nombreuses certitudes et croyances sociétales, notamment en ce qui concerne les relations amoureuses dont les normes de loyauté peuvent se soustraire aux codes sociétaux conventionnels. Leur mode de vie interroge l’accueil institutionnel et les accompagnements sociaux qui leurs sont proposés et qui ne tiennent que trop rarement compte des temporalités de la rue : par exemple, la perception du temps diffère selon la drogue consommée ou le degré de fatigue ressentie, et l’organisation du quotidien à la rue (trouver un lieu de repos, organiser la pratique de la manche, achat de la substance et sa consommation etc.) constitue autant une contrainte que des repères qui participent à la structuration des journées.
Il m’est apparu que, en dehors des différentes organisations sociales, il est rare de rencontrer des habitantes de la rue. En effet, à l’inverse des hommes, celles-ci ne passent pas nécessairement leur temps sur des placettes urbaines à boire de l’alcool, elles ne restent pas forcément assises sur des bancs publics pendant des heures et, le soir, rares sont celles qui dorment dans un sac de couchage à l’entrée de magasins. Ces femmes investissent les espaces autrement afin d’éviter la dangerosité de la rue, quitte à parfois courir d’autres risques en habitant des espaces qui sont de l’ordre de l’entre-deux, qui ne sont pas prévus à cet effet et qui, pourtant, participent à la notion de « faire ville » selon la conception de l’anthropologue Michel Agier (2015) : squats, campements, garages, sous-sols de parkings, parcs, bois etc. La manière dont ces femmes occupent l’espace est révélatrice de leur mode de vie puisque certaines y vivent entourées de matériel de consommation de drogue alors que d’autres choisissent la discrétion et ne laissent aucune trace de leur passage. D’après le psychiatre Jean Furtos (2008), l’aménagement de l’espace est différent selon chaque personne puisque « habiter, c’est mettre de soi en un lieu, ce qui est fort différent d’être logé ». Cette part de subjectivité qui s’y inscrit indique la manière dont le corps s’imprègne des lieux, tel que mentionné par l’anthropologue Emmanuel Nicolas (2008) : « Habiter et ‘être habité par’ le lieu s’induisent mutuellement dans une réciprocité qui fait trace chez la personne ».
Ainsi, la notion d’espace va au-delà du simple fait d’informer sur le lieu géographique dans lequel habite une personne et apparaît comme une manière d’exprimer sa place au monde. Pour le praticien-chercheur[8], il s’agit donc d’être attentif aux lieux investis qui constituent de véritables moyens de communication vers l’entourage : l’incurie, le fait d’accumuler excessivement des objets, est un bon indicateur de la santé mentale, au même titre que la manière dont l’habitat est organisé peut révéler de précieuses informations. Ainsi, il arrive que l’endroit réservé au repos soit le même utilisé que celui pour uriner, alors que d’autres stockent leurs affaires personnelles ailleurs que dans l’espace prévu pour faire la manche. L’espace de vie est donc une variable qui informe autant sur le corps que sur la santé mentale d’une personne dans la mesure où le corps peut être révélateur de l’état psychique en étant un prolongement de l’état intérieur vers l’extérieur. Dans des cas plus extrêmes, le lien qu’entretiennent certaines femmes avec la rue s’apparente au processus d’asphaltisation décrit par la psychiatre Sylvie Quesemand Zucca (2007) où un engluement physique a lieu et où les pensées les plus intimes se voient noircies, à l’image de l’asphalte sur lequel elles habitent.
Dès lors, ces espaces investis jouent des fonctions importantes selon les besoins du moment et témoignent de la capacité de ces femmes à exploiter leur environnement : elles choisissent des espaces publics hautement fréquentés lorsqu’il s’agit de faire la manche par exemple, favorisent des endroits plus retirés pour se prostituer et préfèrent les lieux discrets et peu fréquentés afin de se mettre à l’abri de dangers potentiels. Ces connaissances du milieu témoignent ainsi des ressources inchiffrables qu’il faut mobiliser au quotidien. Cette mise en sécurité rappelle que les espaces sont porteurs de frontières, et donc de limites (physiques, culturelles et symboliques) qu’il ne faudrait pas franchir afin de maintenir une relation saine avec l’Autre[9].
Enfin, ethnographier les corps laisse deviner deux fonctions – parmi tant d’autres – que ceux-ci peuvent jouer dans les interactions quotidiennes : tantôt une fonction de protection (ne pas se laver est une manière de « repousser » son entourage et de potentiels agresseurs), tantôt une fonction d’intégration sociale (une personne peut habiter la rue et particulièrement soigner son hygiène pour réduire les stigmates). Il ne s’agit donc pas d’avoir une approche ethnocentrique et de juger les modes de vies rencontrés sur le terrain mais, comme le souligne Pascale Jamoulle (2000), de « rendre compte de l’univers de sens de ses informateurs et donc de leurs modes d’énonciation ».
Ces modes de vie où les filets de sécurité sont majoritairement absents (sécurité sociale, accès aux droits sociaux) et qui font référence aux concepts de désaffiliation du sociologue Robert Castel (1995) et de disqualification sociale du sociologue Serge Paugam (2013) placent ces femmes dans des logiques de débrouille qui, souvent, sont porteuses de violences physiques, psychiques et symboliques. En me basant sur ma clinique de praticien-chercheur dans une fonction d’éducateur de rue, j’ai trouvé pertinent de m’intéresser de plus près à celles qui côtoient un monde majoritairement masculin dans lequel leur féminité est mise à mal. J’ai donc rencontré ces femmes essentiellement dans des espaces en dehors des murs des organisations sociales et j’ai pu observer leurs modes de vie et recueillir les innombrables ruses et bricolages qu’elles mettent en place afin de (sur)vivre à la rue.
Les stratégies de survie comme paradigme émancipatoire
Les stratégies présentées dans cet article n’illustrent qu’une infime partie des bricolages et des ruses utilisées pour (sur)vivre à la rue. Celles qui sont illustrées ici ont la particularité de traduire la fonction que peut jouer le corps féminin dans la rue.
Tout d’abord, pour se protéger, de nombreuses femmes adoptent des stratégies variées qui visent à repousser de potentiels agresseurs. Je me souviens d’une femme qui, dans une logique de ne pas être embêtée par des hommes, laissait son hygiène corporelle se dégrader à tel point qu’il m’était parfois difficile de ne pas vomir lorsque je lui servais un café dans la rue. D’autres passent par ce que j’ai appelé un processus de masculinisation afin de cacher leurs formes féminines : cheveux très courts, timbre de voix qui peut devenir de plus en plus grave et, parfois, le vocabulaire s’adapte à une réalité masculine, à l’image de cette femme qui me fait part de son mécontentement de ne pas avoir d’argent au quotidien : « ça casse les couilles, j’te jure ».
Ensuite, la mendicité permet de subvenir à certains besoins quotidiens en assurant une entrée d’argent, aussi petite soit-elle. Celle-ci offre notamment la possibilité d’éviter d’être « malade »[10] en ayant assez d’argent pour se procurer de la drogue, des médicaments vendus dans la rue dans une logique d’automédication ou pour s’acheter quelque chose à manger etc. De nombreuses femmes rappellent qu’il faut connaître et respecter certaines « bonnes pratiques » afin d’augmenter les probabilités de gagner l’aumône : par exemple, elles m’expliquent qu’il ne faut pas avoir « trop consommé », au risque de faire fuir les passants lorsque l’on fait la manche. Dans l’imaginaire collectif, mendier revient à faire le choix de la facilité puisqu’il suffit de s’asseoir quelques heures et d’attendre. Pourtant, j’ai vu l’état psychique dans lequel ces femmes se trouvent après une journée de « travail » : fatigue aigüe, douleurs corporelles et impossibilité de réchauffer le corps, surtout en hiver.
Enfin, d’autres femmes m’expliquent qu’il leur est impossible de faire la manche, parfois par honte (mendier est en contradiction avec leurs valeurs personnelles), quelquefois par peur (être reconnue par un membre de la famille ou amis). Celles-ci voient en la prostitution un moyen de gagner de l’argent sans être forcément repérées puisque cela peut se pratiquer dans des espaces plus discrets que ceux prévus pour la manche qui, eux, ont tout intérêt à être visibles. Pourtant, cette vigilance n’empêche pas que certaines femmes prennent des risques considérables, surtout celles qui sont consommatrices de drogues, puisqu’elles acceptent notamment des passes sans préservatif (payées plus chères) et/ou à tarif réduit afin d’augmenter leurs chances de trouver rapidement un client et d’accéder à leur prochaine « dose ». Une telle pratique les met également en péril face aux femmes non consommatrices de drogues qui dénoncent, parfois avec véhémence, cette chute des prix. Certaines deviennent ainsi l’objet de fantasmes loufoques et de pratiques sexuelles humiliantes – crachats au faciès ou sodomies sanglantes, notamment – et les épisodes de viols sont non seulement multiples mais laissent des séquelles psychiques indélébiles et des traces corporelles abominables. D’autres, dont le capital relationnel et de séduction est élevé – qui sont à la rue mais n’ont pas les stigmates d’une habitante de la rue – ont des clients réguliers qu’elles contactent par téléphone afin de prendre des rendez-vous lorsque le besoin d’argent se fait ressentir. La prostitution constitue donc une alternative à la manche et un moyen parfois rapide pour se mettre à l’abri puisqu’il arrive que les clients paient non seulement la passe mais aussi la chambre d’hôtel qu’ils quitteront une fois la transaction terminée. Par conséquent, et sous différentes formes, le corps féminin est sujet à un jeu d’équilibriste permanent qui alterne entre vecteur de (sur)vie à la rue et récepteur de violences les plus diverses.
Lien social dans les espaces de déliaison
Les relations à la rue peuvent s’inscrire selon des logiques différentes mais complémentaires : malgré les souffrances vécues à la rue et des biographies emplies de traumas, j’ai observé auprès de beaucoup de femmes une capacité à entrer en relation et à maintenir du lien dans diverses situations. Les relations endogamiques, celles où le partenaire habite la rue également, s’engagent dans un processus amoureux qui leur fournit sécurité, protection et soutien moral mais peuvent également être la porte d’entrée pour des violences et humiliations de tout type. Malheureusement, ces relations ne garantissent pas toujours la mise en protection du couple et des agressions peuvent avoir lieu même en étant à deux. Les relations exogamiques, celles avec des hommes lambda, représentent une manière d’accéder à des biens de consommation qu’elles n’auraient pas pu acquérir en si peu de temps. Ces relations peuvent être marquées par des rapports de domination où certains hommes essaient d’abuser de l’état vulnérable d’une femme, de son état psychique empli de confusion ou encore de son état physique délabré à cause d’une santé qui peut être particulièrement fragile.
Il peut sembler contradictoire d’affirmer qu’une inclusion sociale peut être vécue dans des espaces d’exclusion. Et pourtant, le mode de vie lié aux drogues requiert d’entrer en relation avec des dealeurs qui, pour certaines femmes, sont perçus comme de véritables thérapeutes de la rue. Elles expliquent à quel point il leur est important de maintenir de bonnes relations avec ces derniers puisqu’ils peuvent « dépanner » lorsque l’argent fait défaut. Enfin, le fait d’injecter – et non de fumer, de sniffer ou d’inhaler – participe également au lien social, au même titre que les lieux de consommation précédemment évoqués, et procure la sensation d’appartenir à un groupe social (« tox » ou « injecteurs » par exemple) avec lequel elles peuvent partager cette intimité et d’éventuelles craintes ou questionnements de la vie quotidienne.
Enfin, j’ai aussi rencontré des femmes qui rompent activement les liens, que ce soit avec leur propre entourage ou avec les travailleurs sociaux, et qui se trouvent en dehors de tout circuit assistanciel : cette exclusion, le fait d’être « fermée dehors », s’inscrit dans le syndrome d’auto-exclusion développé par Jean Furtos (2008) et renvoie, dans l’acception de l’auteur, à la notion de précarité. L’anesthésie du corps, l’hypoesthésie et les défenses paradoxales caractérisées par la non demande – et d’autres que je ne mentionnerai pas dans le présent article – sont des signes observables que Furtos mentionne dans sa clinique psychosociale.
Le politique et le social : entre genre et normalisation
La femme est intrinsèquement liée à son côté maternant, mais ne peut être réduite à cela : les exemples mis en avant dans cet article démontrent que leur féminité va au-delà de ces représentations et qu’elles peuvent développer des logiques masculines – entrer dans un processus de masculinisation, notamment – lorsqu’il s’agit de survivre et de se mettre hors de danger dans la rue. Le corps féminin fait ainsi partie du capital relationnel et de séduction qui peut être développé à la rue dans une logique de réappropriation de soi.
Le Grand-Duché de Luxembourg, où cette ethnographie a été menée, interpelle par l’absence d’organisations sociales spécialisées dans l’accueil de femmes en situation d’errance, tel qu’on peut le trouver dans les pays voisins ou même outre-Atlantique à l’image du Canada. Toutefois, je ne défends pas l’idée qu’il faut institutionnaliser l’errance féminine, surtout s’il s’agit de (dé)placer ces femmes dans des espaces qu’elles n’auront pas choisis et auxquels elles ne s’identifieront pas. Actuellement, elles fréquentent des structures existantes qui n’ont pas été pensées selon le paradigme du genre, au risque de devoir parfois justifier leur présence par de quelconques stigmates qui chatouillent l’inconscient collectif. En effet, à moins d’être enceinte et à la rue, de préférence accompagnée d’enfants lors de la demande d’aide, d’avoir été victime de violences conjugales[11], de ne présenter aucun comportement addictif et trouble psychiatrique ou de demander explicitement de l’aide pour sortir du milieu prostitutionnel, ces femmes ne bénéficieront pas d’un accompagnement psycho-médico-social et psychoéducatif incluant une solution au niveau du logement et tenant compte de la question du genre. A ce jour, l’errance féminine ne semble donc pas retenir l’attention suffisante des organisations sociales et du monde politique pour que ceux-ci proposent des structures adaptées et conçues en faveur des habitantes de la rue : est-ce que la féminité s’arrêterait aux portes de l’errance ?
Dès lors, que penser des organisations sociales qui accueillent des « SDF » à l’intérieur de leurs structures et qui, très souvent, ne disposent que d’un stock très limité de matériel hygiénique pour les femmes ? Aussi, il me semble que repenser la fonction phorique – la manière dont une organisation sociale peut devenir un espace capable d’accueillir la souffrance psychique – est élémentaire pour proposer un accompagnement de qualité aux habitantes de la rue : la prise en compte de la santé mentale ne fait que rarement partie des préoccupations pédagogiques de nombreuses organisations sociales sur ce terrain, dans lequel sont essentiellement engagés des éducateurs spécialisés ou des assistants sociaux, alors que des psychologues, psychiatres et anthropologues, pour ne citer que ceux-ci, pourraient participer à un métissage des pratiques. Il me semble que des approches instituantes, et non seulement instituées, pourraient favoriser la prise en compte de la question du genre dans la construction de projets futurs, pédagogiques, éducatifs et sociaux.
Travaux cités
Agier M., 2015, Anthropologie de la ville, Paris, PUF.
Boinot K., 2008, « Femmes sans abri. Précarité asexuée ? », VST – Vie sociale et traitements, 97, pp. 100-102.
Castel R., 1995, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, Fayard.
Furtos J., 2008, Les cliniques de la précarité. Contexte social, psychopathologie et dispositifs, Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson.
Hall E.T., 1971, La dimension cachée, Paris, Seuil.
Jamoulle P., 2000, Drogues de rue. Récits et styles de vie, Bruxelles, De Boeck.
Lavergne C., 2007, « La posture du praticien-chercheur : un analyseur de l’évolution de la recherche qualitative », Recherches Qualitatives, 3, pp. 28-43.
Marcillat A., 2014, « Femmes sans-abri à Paris. Étude du sans-abrisme au prisme du genre », Paris, École des hautes études en sciences sociales.
Matlin M.W., 2007, Psychologie des femmes, Bruxelles, De Boeck.
Nicolas E., 2008, « Habiter et être habité par la rue », in Jamoulle P. (éd.), Passeurs de mondes. Praticiens-chercheurs dans les lieux d’exils, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant.
Paugam S., 2013, La disqualification sociale, Paris, PUF.
Quesemand Zucca S., 2007, Je vous salis ma rue. Clinique de la désocialisation, Paris, Stock.
Rouzel J., 2014, Le travail d’éducateur spécialisé, Paris, Dunod.
NOTES / REFERENCES
[1] L’éducateur de rue est celui qui intervient en extra-muros, en dehors des murs de l’organisation qui l’engage. Il me semble fondamental de souligner que la préoccupation principale d’une telle approche n’est pas de « sortir » une personne de la rue à tout prix mais bien d’essayer d’entrer en résonance avec elle. La relation éducative et le respect du rythme de l’Autre constituent des bases élémentaires qui devraient baliser tout accompagnement dans le cadre du travail de rue.
[2] Le Dictionnaire général des sciences humaines (1975) dit ceci à propos de la réification : « Le sujet refuse le contact authentique, choisit de se réduire et de réduire autrui à une présence fonctionnelle proche de celle qui caractérise la relation acheteur-marchand ». Enfin, l’éducateur spécialisé et psychanalyste Joseph Rouzel constate que « les éducateurs s’enfoncent de plus en plus dans des pratiques de réification (qui font des êtres, des choses) » dans Le travail d’éducateur spécialisé (2014).
[3] Penser l’altérité, c’est considérer et accepter que l’Autre n’est pas le même que moi. Dans ce sens, altérité et identité s’opposent sans s’annuler pour autant : il ne s’agit pas de se dévaloriser ou, au contraire, de se croire supérieur à celui que l’on rencontre, ce qui relèverait d’une idéologie ethnocentrique.
[4] Je préfère utiliser le terme « habitant.e.s. de la rue » qui propose une lecture issue d’une observation clinique (« habitent la rue ») aux dénominations aliénantes telle que celle de « SDF », « clochard » ou encore « mendiant ». Les termes « sans » (sans-abri, sans-papiers, sans domicile fixe etc.) définissent une personne à partir de ce qui lui fait défaut – selon qui ? – et sont symptomatiques d’une lecture ethnocentrique qui fait l’amalgame entre ce qu’une personne possède, ou ne possède pas (avoir), et ce qu’elle est, respectivement ce qu’elle n’est pas (être).
[5] Il s’agit d’une manière de penser le monde avec un regard essentiellement masculin. M.W. Matlin (2007) parle de « homme normatif » pour désigner le fait que l’expérience masculine constituerait la norme neutre et que, par déduction, l’expérience féminine en serait la déviation. Elle avance l’exemple de « Hommes » qui est régulièrement utilisé pour parler des femmes et des hommes à la fois. Aussi, dans La domination masculine, P. Bourdieu (1998) évoque « l’inconscient androcentrique » en rapport avec la notion éponyme de son ouvrage.
[6] Certains professionnels qualifient ainsi les femmes qui sont à la fois consommatrices de drogues et qui ont recours à la prostitution de survie.
[7] Le concept d’agentivité (agency en anglais a été mis au point par Albert Bandura, docteur en psychologie et enseignant à l’université de Stanford (Californie). Depuis les années 80, Albert Bandura s’intéresse au sentiment d’efficacité personnelle. Ce concept s’inscrit dans le cadre de la théorie sociocognitive (théorie issue du béhaviorisme et du cognitivisme). Selon cette théorie, les individus sont des agents actifs de leur propre vie – d’où la notion d’agentivité – qui exercent un contrôle et une régulation de leurs actes. La notion d’« agentivité » reconnaît également la capacité des individus à anticiper et à ajuster leurs actes. Le système de soi est une des composantes de la personne, il est constitué de cognitions qui reflètent l’histoire du sujet. Un élément central du système de soi est le sentiment d’efficacité personnelle.
Source : Maïlys Rondier, A. Bandura. Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris : Éditions De Boeck Université, 2003 p. 475-476
En ligne à l’adresse : https://journals.openedition.org/osp/741
[8] Selon Catherine De Lavergne (2007), être praticien-chercheur relève d’une double identité où l’une ne doit pas prendre le dessus sur l’autre : elle parle ainsi d’un praticien qui cherche et d’un chercheur qui pratique.
[9] Edward T. Hall (1971) s’intéresse à l’étude de l’espace social et personnel en utilisant le terme de « proxémie » pour s’y référer. Ainsi, il met en évidence quatre « distances » qui, selon lui, dépendent « des rapports interindividuels, des sentiments et activités des individus concernés ». Ces distances, qui comportent chacune une modalité « proche » et « lointaine », sont les suivantes : distance intime, distance personnelle, distance sociale, distance publique.
[10] Dans la rue, « être malade » fait référence à l’état de manque occasionné par un sevrage à l’héroïne.
[11] Je me souviens de cette femme qui a été violée par un inconnu dans la rue et qui étais angoissée que celui-ci la retrouve pour l’assassiner afin qu’elle ne puisse porter plainte. En contactant tous les foyers pour femmes violentées conjugalement, il en est ressorti que le terme « conjugal » était primordial, doté d’une touche de cynisme qui m’a particulièrement marqué : se faire violer par son conjoint donne accès à des droits sociaux, mais pas lorsque l’agresseur sexuel n’est pas le partenaire amoureux de la femme en question.