Au 1er septembre 2015, fut mise en place une réforme des systèmes d’alternance dont l’objectif est l’amélioration de la qualité de la formation, notamment par la création de l’Office Francophone de la Formation en Alternance (OFFA, structure unique de pilotage) et l’harmonisation du statut et des contrats des apprenants[1]. Cette réforme est en phase de transition puisque l’OFFA est seulement en service effectif depuis quelques mois. Elle se caractérise par l’entrée en vigueur du contrat commun à l’ensemble des opérateurs de l’alternance, supprimant de facto ce qui constituait une des principales différences entre les CEFA d’une part et l’IFAPME et l’EFPM de l’autre.
Jadis organisé au niveau fédéral, le système des primes de l’alternance était alors systémique, destiné à un large public, inscrit dans la durée d’un dispositif qui apparaissait homogène malgré qu’il en fût à sa phase d’expérimentation. Une fois régionalisées, les primes, auparavant à visée généraliste, sont devenues restrictives, temporaires, limitées et spécifiques. A géométrie variable, elles reflètent aujourd’hui le paysage institutionnel complexe de notre fédéralisme. Avec un dénominateur commun décevant, celui de se révéler inefficaces car peu incitatives et fédératrices !La création de l’OFFA (Office francophone de formation en alternance)[2] en tant qu’organisme d’intérêt public devrait permettre d’uniformiser le système par le rassemblement de l’EFPME, de l’IFAPME et de l’enseignement en alternance des CEFA sous une seule et même coupole de la formation en alternance. A la condition bien sûr qu’elle puisse assurer une coordination efficace de l’ensemble du dispositif. Tour d’horizon de cet imbroglio.
Bonus vous avez dit bonus ?
Le bonus de démarrage[3] est une prime octroyée à l’origine par le Gouvernement fédéral (via l’ONEm) à tout apprenant qui entame une formation d’une durée minimale de 4 mois sous contrat d’alternance, quelle que soit la profession choisie. Avec la régionalisation de la 6ème réforme de l’État, sa gestion a été confiée aux Régions.
Pour Bruxelles-Capitale, et pour autant que l’entreprise et le jeune y soient établis, c’est Actiris qui en assure l’exécution et pour la région wallonne, l’IFAPME. Là où ça se complique, c’est quand le jeune et l’entreprise ne sont pas domiciliés dans la même région. Les demandes doivent être adressées à chacune des instances régionales en fonction de l’adresse des bénéficiaires…
Le travail administratif est alors doublé et repose sur la vigilance du suivi de l’opérateur de formation.
Le bonus est octroyé pour trois années au maximum et à chaque fois que l’apprenant a terminé une année de formation avec fruit. Si l’apprenant échoue au terme d’une année de formation, il ne bénéficie pas du bonus de l’année échouée. S’il réussit l’année suivante après avoir doublé son année, il bénéficiera du bonus.
En cas de contrat d’alternance de durée initiale réduite (2 ans ou 1 an), l’apprenti ne reçoit que le 1er ou les 2 premiers bonus pour les années réussies. Ces incitants financiers s’élèvent à 500€ à la fin d’une première ou d’une deuxième année de formation terminée avec succès et à 750€ à la fin d’une troisième année de formation terminée avec fruit.
Les montants sont les mêmes pour les entreprises occupant ces jeunes en formation en alternance dans le cadre des contrats existants. On parle alors de « bonus de stage ». Avec une petite différence cependant : la condition de réussite est impérative pour l’obtention du bonus démarrage par le jeune, alors que l’entreprise peut en bénéficier dès que le jeune a suivi un minimum de trois mois de formation …
Étant donné les contraintes procédurières nécessitant des justificatifs de réussite de la formation dans un délai imparti (dans les quatre mois qui suivent la fin d’une année de formation), le dispositif des bonus tel qu’organisé repose lui aussi sur la vigilance administrative des délégués à la tutelle et des accompagnateurs-référents, agissant à la croisée des intérêts du jeune et de l’employeur.
Bruxelles en… primes !
Prime de transition professionnelle
En Région de Bruxelles-capitale, une tentative de structurer un dispositif destiné à encourager l’embauche liée à une formation qualifiante est organisé par le biais de la prime de transition professionnelle à partir de la fin des années 90, et en particulier à partir de 2002, année qui a vu la signature du Pacte social pour l’emploi des Bruxellois.
Largement sous-utilisée car manquant de lisibilité auprès des employeurs, soumise à des démarches administratives considérables, ses résultats se révélèrent ainsi fort peu probants. En 2014, il y a eu selon nos sources, quatre primes octroyées pour l’ensemble de la Région bruxelloise !
On peut s’étonner d’un tel désintérêt quand on connaît les difficultés à enrayer la spirale négative du sous-emploi et particulièrement celle des jeunes sous qualifiés, cible privilégiée de ce dispositif. Il existait, par ailleurs, une mesure supplémentaire, indépendante et spécifique à la prime de transition professionnelle, en son troisième volet (dite de type 3[4]). Il s’agit du « Contrat d’Apprentissage Industriel » et de la « Convention d’insertion socioprofessionnelle », ancêtres du nouveau contrat en alternance, désormais commun à l’ensemble des opérateurs.[5]
Contrairement à la Région wallonne qui agrée des actions de formation en alternance[6], la région de Bruxelles capitale a opté pour un dispositif[7] de filières de formation en alternance. Ces filières, en réalité des formations propres à un opérateur de formation, agréées par la Région bruxelloise, doivent concerner des secteurs prioritaires en matière d’emploi et ce sont les partenaires sociaux desdits secteurs d’emploi prioritaires[8] et les organismes de formation en alternance qui les identifient, avant de les soumettre pour approbation à Actiris et Bruxelles-Formation.
Une fois la filière identifiée, s’en suit une procédure d’avis et d’agrément dont l’efficacité est inversement proportionnelle au temps nécessaire pour les prendre. Les petites entreprises, pourtant bénéficiaires des primes, ne sont pas sollicitées en tant que partenaires des filières. La prime[9] est, quant à elle, plafonnée à une durée de 12 mois. Les démarches administratives préalables à l’octroi des primes ne reposent que sur le dynamisme des CEFA et de leurs équipes d’accompagnement.
Constat d’échec
La CCFEE avait déjà, dans son avis sur cette mesure-phare[10], pointé l’inadéquation d’un dispositif qui négligeait le soutien à la formation initiale des apprenants pour privilégier le parcours d’insertion de ces derniers. En effet, elle n’avait pas pris pour postulat le renforcement de l’accompagnement ou de l’encadrement d’un public en décrochage mais s’était concentrée sur le volet lié plus spécifiquement à l’accueil en entreprise notamment dans le cadre d’une réflexion plus globale sur le tutorat.
Par ailleurs, la lourdeur administrative nécessaire à son obtention, son orientation au seul bénéfice des entreprises, ainsi que son absence de lisibilité expliquaient, de façon éclairante, sa faible utilisation.
Plus préoccupant encore selon nous, la dynamique de l’ensemble du dispositif repose sur la prise d’initiative[11] où la proactivité des seuls organismes de formation. De surcroît, le coût du travail de « secrétariat social » réalisé, au moins en partie, au bénéfice des employeurs demeure assumé avec plus ou moins de complaisance ou de résignation par ces mêmes opérateurs de formation (« l’effet de bureau » présenté dans une précédente analyse)[12].
Face à cette réalité, la Région se réfugiait derrière l’argument structurel en mettant en avant le fait que les opérateurs de formation font partie du réseau de l’ISP (Insertion socioprofessionnelle) en tant que partenaires et, qu’à ce titre, ils étaient déjà subsidiés pour leurs activités.
La prime en Wallonie[13]
L’Accord de Coopération signé en juin 1998 entre la Région wallonne et la Communauté française définissait le concept de filière de formation qualifiante en alternance et organisait la procédure d’agrément des actions. Une action correspond à une entreprise, un jeune, un contrat et un choix professionnel. Quand l’un des paramètres change, on peut faire une nouvelle demande de prime[14]. L’octroi étant cependant conditionné à la réussite d’un cycle de formation de deux années.
Cette filière de formation qualifiante en alternance s’organise aussi bien pour les professions exercées par des travailleurs salariés que pour les professions exercées par des travailleurs indépendants ou artisans. Le financement par primes bénéficiant donc à l’ensemble des opérateurs de l’alternance.
Elle s’adresse aussi aux entreprises tant privées que publiques situées en Région wallonne, qui sont tenues, pour pouvoir bénéficier de l’agrément et des incitants financiers, au respect d’un cahier de charges dont un des critères est évidemment d’être en règle en matière d’assurances, d’imposition et d’ONSS.
Au contraire de la Région bruxelloise, les primes octroyées le sont donc autant au bénéfice des entreprises que des opérateurs de formation. Leurs montants étant variables suivant la durée des contrats[15].
L’octroi des primes se révèle ainsi plus favorable en région wallonne où l’opérateur et l’entreprise sont tous deux soutenus dans le cadre d’une action concrète du fait de l’existence d’un contrat tripartite. En effet, il n’est pas question ici d’agrément d’une filière pour un secteur prioritaire jugé en pénurie de main d’œuvre mais bien d’un accord tripartite relatif à une action réelle articulée autour d’une formation liée à un contrat. Le critère du « secteur prioritaire », n’est pas rédhibitoire et de nature à empêcher l’octroi de la prime contrairement à ce qui se passe en Région bruxelloise.
Les primes sectorielles
Ce sont les commissions paritaires qui déterminent si besoin est, au sein des secteurs professionnels, les modalités d’octroi des primes sectorielles. Elles sont le fruit de négociations entre les partenaires sociaux car jusqu’à la 6ème réforme de l’État, la gestion des agréments faisait partie de leurs compétences.
Elle sera désormais reprise presque intégralement par l’Office francophone de formation en alternance.
La dynamique était plus ou moins affirmée selon la « culture spécifique de l’apprentissage industriel » plus ou moins présents et vivaces selon les secteurs. Ainsi, afin d’encourager le jeune dans son parcours de formation d’apprenti industriel pour professions salariées, certains secteurs tels que la Construction octroient des primes mensuelles aux apprentis oscillant entre 250 euros et 375 euros brut.
Mais d’autres secteurs ne demeurent pas en reste et maintiennent, via leur fonds de formation, des dispositifs ayant prouvé leur efficacité tant en matière de gestion administrative mais aussi en ce qui concerne l’évaluation des apprenants et le soutien matériel et financier aux opérateurs de formation.
Pensons entre autres, à l’Institut de Formation professionnelle de la C.P.118 des ouvriers de l’industrie alimentaire, à la CP.218 de la Commission paritaire nationale auxiliaire pour employés (CPNAE) dont les fonds de formation ont acquis une expertise considérable des dispositifs de formation en alternance et de la détermination de profils de formation et dont certains membres participent par ailleurs, à la définition des profils métiers du Service francophone des Métiers et des qualifications (SFMQ).
Que conclure à ce stade ?
On le voit, les dispositifs incitatifs sont nombreux et relèvent de différents niveaux. Même si les procédures spécifiques pour les obtenir ne sont pas toujours complexes, nous pensons que le système des incitants est trop diversifié. Et qu’adviendra-t-il de la gestion des primes sectorielles reprise par l’OFFA quand on sait le travail considérable que nécessite leur suivi ?
C’est toute la lisibilité même des incitants qui pose question. A l’heure de l’hyper-information, les entreprises semblent méconnaître[16] tant la formation en alternance que, à fortiori, son système de primes à l’embauche. Comment justifier cette situation, alors que, à Bruxelles particulièrement, tant de jeunes en décrochage scolaire bénéficieraient d’une voie d’insertion par la pratique en entreprise ?
Notes / Références
[1] http://www.legrainasbl.org/index.php?option=com_content&view=article&id=488:l-alternance-un-contrat-unique-devenu-contrat-commun&catid=9&Itemid=103#sdfootnote20sym
[2] Accord de coopération-cadre relatif à la formation en alternance, conclu à Bruxelles, le 24 octobre 2008, entre la Communauté française, la Région wallonne et de la Commission communautaire française. Lire l’article de Bruno Uyttersprot « L’alternance : un contrat unique devenu contrat commun », Le GRAIN, juin 2015, en ligne sur http://legrainasbl.org/index.php?option=com_content&view=article&id=488:l-alternance-un-contrat-unique-devenu-contrat-commun&catid=9&Itemid=103
[3] Arrêté royal du 1er septembre 2006.
[4] Le premier étant combiné à un emploi plein temps et le second à un contrat de travail à temps partiel (Convention Emploi-Formation).
[5] Arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 19/05/1994, du 18/07/96, du 19/09/96, du 11/03/2004.
[6] Une action correspondant à un contrat en alternance entre le jeune, l’entreprise et l’opérateur de formation.
[7] Approuvé par le Comité de gestion de l’Orbem, le 27/05/2003 et adopté par le Gouvernement de la Région de Bruxelles – Capitale, le 20/11/2003
[8] Étude exploratoire du dispositif « agrément et prime » des filières de formation en alternance. Rapport final. CCFEE, mars 2006. On peut lire dans le contrat de gestion d’ACTIRIS pour les années 2013 à 2017 que les secteurs prioritaires sont :
- Les services aux entreprises (TIC, services financiers, services administratifs, métiers de secrétariat et d’assistance quel que soit le secteur, nettoyage,…) ;
- Le commerce, l’Horeca, le tourisme et l’événementiel ;
- L’industrie, la construction, le transport, la logistique et les métiers de l’environnement ;
- Les institutions publiques et l’éducation;
- Les services aux personnes (santé et action sociale, secteurs récréatif et culturel) ;
- Hinterland (collaborations avec le VDAB et le FOREM pour placer les chercheurs d’emploi bruxellois). Cette liste de segments prioritaires pourra évoluer au cours des cinq années de mise en œuvre du Contrat, notamment sur base des évolutions du marché du travail bruxellois et des besoins des Employeurs
[9] La prime de 250 €/mois se voit octroyée en cas d’engagement sous contrat de travail à durée indéterminée et à temps partiel d’au moins un mi-temps combiné à une formation (convention de premier emploi de type 2), et le jeune travailleur doit également bénéficier d’une formation professionnelle agréée en entreprise de minimum 240 heures pour un contrat à durée indéterminée.
L’intervention financière régionale est limitée à 125 €/mois en cas d’engagement sous contrat de travail à durée déterminée d’au moins un mi-temps combiné à une formation convention de premier emploi de type 2 ou sous contrat en alternance (convention de premier emploi de type 3).
[10] Voir CCFEE, Avis n°65 de 2006 sur le dispositif de filière de formation en alternance.
[11] http://www.legrainasbl.org/index.php?option=com_content&view=article&id=278;lalternance-en-communaute-francaise-l-lintrouvable-relation-formation-entreprise&catid=9&Itemid=103
[12] B. Uyttersprot, L’alternance : un contrat unique devenu contrat commun, Le GRAIN, Juin 2015. En ligne sur http://www.legrainasbl.org/index.php?option=com_content&view=article&id=488:l-alternance-un-contrat-unique-devenu-contrat-commun&catid=9&Itemid=103#sdfootnote20sym
[13] Pour s’en référer aux textes légaux, voir : L’accord de coopération du 18 juin 1998 conclu à Namur le 18 juin 1998, entre le Gouvernement de la Communauté française et le Gouvernement de la Région wallonne ;
Le décret du 15 mars 1999 portant approbation de l’accord de coopération, conclu à Namur le 18 juin 1998, entre le Gouvernement de la Communauté française et le Gouvernement de la Région wallonne ;.
L’arrêté du Gouvernement wallon du 17 mars 1999 relatif à l’organisation d’une filière qualifiante en alternance.
[14] Guide de l’insertion. FESEC, Cellule CEFA, mai 2010.
[15] Celles-ci sont d’un montant de 1.244 euros pour un contrat de plus de 270 jours ou de 744 euros pour un contrat dépassant 180 jours.
[16] Voir le communiqué de presse : ¾ des entreprises ne connaissent pas la formation en alternance, Cabinet du Ministre Didier Gosuin, janvier 2016. http://didiergosuin.brussels/news/formation-professionnelle/34-des-entreprises-ne-connaissent-pas-la-formation-en-alternance#main-content