Méthode pour faire acquérir la compétence transversale : faire preuve de solidarité

avec la collaboration de Barbara Dufour, Gérard Fourez et Pierre Miche

Cette fiche s’inscrit dans l’objectif du Grain de promouvoir une pédagogie permettant d’apprendre des compétences transversales. Elle prolonge directement l’article Apprendre des compétences transversales, disponible sur ce site, dans la même rubrique.

Dans ce dernier article, nous présentions une méthode générale, mise au point récemment, pour faire acquérir des compétences transversales et nous l’appliquions à un exemple : « bien utiliser un spécialiste ». La méthode était exposée dans une version courte. Le lecteur intéressé trouvera une présentation plus développée et appliquée à plusieurs autres compétences (saisir les opportunités, transférer des savoirs, négocier avec les consignes, observer dans une perspective d’agir, écouter pour refléter, se donner des modèles simples, faire face à une difficulté, etc.), dans le livre collectif Des compétences négligées par l’école. Les raconter pour les enseigner, Chronique sociale/Couleur livres, 2006.

Dans l’article ci-dessous, nous présentons la méthode utilisée pour la compétence « faire preuve de solidarité ». Elle est issue d’une formation-recherche au cours de laquelle les participants étaient à la fois préoccupés de se former à la méthode, de voir plus clair sur la notion de solidarité elle-même, ainsi que sur la façon de développer celle-ci auprès des publics avec lesquels ils travaillent.

Les participants à l’animation appartenaient pour la plupart à différents secteurs de l’éducation permanente, comme l’alphabétisation, la formation-insertion, l’éducation populaire, la coopération et comptait aussi quelques formateurs en haute école et enseignants.

La démarche se voulait une formation-recherche, c’est-à-dire l’apprentissage d’une méthodologie et la découverte d’un contenu réalisés en vivant soi-même les étapes de la méthodologie et en réfléchissant à ses caractéristiques, ainsi qu’à la manière de se l’approprier pour une application dans son contexte professionnel. Autrement dit, le texte ci-dessous est le fruit d’une expérience, s’inspirant d’un modèle didactique indicatif, mais propre aux circonstances (publics, temps disponible, etc.) dans lesquelles elle a été pratiquée. Cela veut dire que tout formateur qui pratiquerait la démarche la vivrait également de manière spécifique en fonction de sa sensibilité, de son savoir-faire et des circonstances de sa mise en pratique.

Étape 1. S’appuyer sur son expérience (positive ou négative) de la compétence pour expliciter, dans des mini-récits, les représentations spontanées et les réactions affectives associées (valorisation ou frustration)

  • Les participants sont invités à raconter brièvement une expérience vécue où ils ont fait preuve (ou ont été témoins) de solidarité ou, au contraire, où ils ont manqué (ou ont été témoins d’un manque) de solidarité. Voici quelques exemples évoqués par le groupe.
  • « Dans mon quartier, il y a eu une mobilisation des voisins de l’église pour soutenir l’action des sans papier qui occupaient l’édifice. »
  • « Dans tel groupe en formation, les étudiants se sont organisés pour qu’une absente puisse être tenue au courant de ce qui s’était fait, ait les documents et comprenne le contenu abordé lors de la séance où elle était absente. »
  • « Les réactions de l’ensemble de la population lors du tsunami qui a frappé l’Asie. »
  • « J’ai décidé d’ouvrir un compte éthique. J’achète des produits du commerce équitable. »
  • « Dans notre association, les stagiaires ont mis en place un système de compagnonnage, les plus forts enseignant aux plus faibles. »

Ces expériences évoquées nous ont permis de nous faire une première idée de ce que peut être la compétence « faire preuve de solidarité ».

Étape 2. Essayer une première définition de la compétence

Pour esquisser cette première définition, les participants ont répondu à la question suivante : « Vous considérez tous ces exemples comme des expériences au cours desquelles des personnes ont fait preuve de solidarité. Pouvez-vous trouver entre ces différentes situations des traits communs ? Lesquels ? »

  • De cet examen, il est ressorti des éléments comme :
  • Les personnes se donnent un objectif.
  • Elles perçoivent les enjeux.
  • Elles se sentent touchées.
  • L’acteur de la solidarité est tourné vers l’autre.
  • Il y a perception d’un problème, d’un besoin.
  • On fait preuve de créativité dans l’action.
  • Il y a gain des deux côtés.
  • L’action repose sur la défense de certaines valeurs.
  • Les situations qui posent problème ont été analysées.
  • Les personnes se sentent sécurisées parce que pas seules.

Remarque

Au-delà de cette caractérisation, cette réflexion a également amené à des considérations sur la solidarité elle-même, dont nous retiendrons les suivantes :

  • Il semble qu’il y ait une distinction à faire entre une solidarité entre personnes partageant la même condition et qui font que tous se perçoivent « dans le même bain » et des personnes qui partagent des conditions différentes, dont l’une est plus aisée que l’autre, la solidarité jouant dans le sens que les plus nantis s’impliquent par rapport à ceux qui sont dans la difficulté.
  • La perception de la solidarité, mais aussi la forme qu’elle implique, semblent devoir être différentes selon que l’enjeu concerne :
    • Une relation interpersonnelle (mon voisin est en difficulté, un ami a eu des ennuis professionnels, une personne est agressée devant moi dans un transport en commun,…) ;
    • Un groupe plus ou moins proche (menaces urbanistiques sur le quartier, les sans-papier occupent une église près de chez moi, des collègues n’arrivent pas à faire face à leurs obligations,…) ;
    • Un organisme institué par lequel passe l’organisation de la solidarité (Oxfam, Cap 48, MSF,…) ;
    • Une structure très générale (pouvoirs publics, mécanismes commerciaux,…).
  • Il apparaît aussi que la solidarité peut concerner le futur et pas toujours une situation existante (solidarité avec les générations futures à propos de l’environnement, anticipation d’une situation difficile dans une commune, incidences prévisibles d’une décision touchant l’organisation du travail,…).

Devant ces constats, une question méthodologique se pose : faut-il considérer toutes ces situations comme des formes de solidarité et partant, chercher à trouver une caractérisation qui les couvre toutes ou faut-il limiter la recherche de la définition à l’une ou l’autre dimension de la solidarité (le relationnel, le groupe de proximité, les ONG, les institutions) ? Notre groupe a opté pour trouver une définition générale et, à l’étape suivante, il a approfondi des cas appartenant à ces différents sous-ensembles.

Cette étape se prolonge habituellement par la recherche d’un grand nombre d’autres exemples. L’évocation de ces autres situations permet d’affiner et de percevoir d’autres caractéristiques de la compétence. Compte-tenu de la richesse des exemples, de la qualité de la première définition de la compétence et du temps limité disponible, cette étape n’a été qu’esquissée et le groupe est passé à l’étape suivante.

Étape 3. Approfondir la définition de la compétence à partir d’un cas particulier en tenant compte de la dimension affective

Le récit détaillé d’un cas particulier, de préférence vécu réellement, va nous amener à nous représenter de manière plus précise la compétence.

Trois situations, dont les sous-groupes feront le récit détaillé, portaient sur :

  • le cas d’une élève insultée, injustement d’après ses pairs, par un enseignant ;
  • sur une démarche d’alphabétisation dans laquelle on part de ce que les personnes savent et dont le contenu est en partie le résultat de l’apport de chacune ;
  • le soutien d’un projet en Afrique, via une ONG, prévoyant des rencontres.

Chaque sous-groupe a conclu son travail en essayant de caractériser les traits essentiels de l’attitude « faire preuve de solidarité », telle qu’elle était apparue dans le récit du cas analysé.

Étape 4. S’accorder sur une définition affinée de la compétence, en sélectionnant les attributs significatifs

Définir est ici conçu comme la construction d’un modèle général reprenant les traits génériques de la compétence.

Les traits communs relevés lors de l’esquisse de la première définition, les caractéristiques dégagées de l’analyse approfondie d’un cas, permettent d’établir les attributs de la définition, appelés aussi critères.

Voici ce qu’il ressort de la production du groupe.

  • Prise de conscience commune : se sentir touché collectivement.
  • Prise de conscience d’un besoin, d’un problème (ici et maintenant ou là-bas ou plus tard).
  • Vouloir palier une inégalité, une injustice.
  • Décider d’être solidaire.
  • Disposer d’une éthique et/ou d’une culture de la solidarité.
  • Croire à … !
  • Se définir une cible, un but, un projet.
  • Faire preuve de créativité.
  • Analyser la situation.
  • Prise en compte de la réciprocité.
  • Gain des deux côtés.
  • Découvrir qu’on est dans la même galère.
  • Les différents acteurs y ont des intérêts.
  • Plan d’action avec étapes et choix.
  • Avoir confiance en soi, croire que c’est possible.
  • Se sentir capable d’agir.
  • Faire le bilan de l’action.
  • Sentir qu’on n’est pas seul.

De son côté, l’équipe des formateurs a réalisé, sur le même modèle, sa propre réflexion et arrive à la liste d’attributs suivante.

  • Prendre conscience d’une situation susceptible de susciter la solidarité (maintenant ou plus tard, ici ou ailleurs). (Jugement d’indignation, sentiment d’injustice, lecture d’un besoin).
  • Se sentir lié et choisir d’être solidaire. (Diversité des causes possibles à cette attitude : éthique, culture de la solidarité,…).
  • Créer et entretenir les conditions qui favorisent la solidarité (un comité de coordination, un calendrier de réunions, un plan de travail, une logistique, une structure, …).
  • Analyser la situation. (Qu’est ce qui est en jeu ? Qu’est-ce qui se passe ? Comment cela se passe-t-il ? …).
  • Négocier des programmes d’action.
  • Faire le bilan des intérêts en jeu. (Pourquoi me suis-je impliqué dans cette action ? Qu’est-ce que chacun cherche en s’impliquant ? Qu’espère-t-on gagner ? Qu’est-ce que cela va me coûter ?)
  • Évaluer la pertinence de l’action et ajuster éventuellement.
  • Oser faire le choix de la solidarité. (Avoir la solidité psychologique pour s’investir dans une action, pour risquer la solidarité : confiance en soi ; etc. Il ne s’agit pas seulement de se sentir interpellé ; il faut encore avoir la carrure psychologique pour affronter les oppositions et les risques)

En confrontant les deux listes, on recherche les équivalences et les divergences entre les critères produits par les uns et les autres. De cette comparaison ressort une liste commune. Le groupe a pris le parti de s’en tenir à la liste proposée par les formateurs en y ajoutant les apports de leur liste qui n’y figurent pas, comme Choisir un but, avant de négocier un programme d’action et Expérimenter qu’on est pas seul. La liste, résultat de notre groupe de travail devient ainsi :

  • Prendre conscience d’une situation susceptible de susciter la solidarité (maintenant ou plus tard, ici ou ailleurs). (Jugement d’indignation, sentiment d’injustice, lecture d’un besoin) ;
  • Se sentir lié et choisir d’être solidaire. (Diversité des causes possibles à cette attitude : éthique, culture de la solidarité, …) ;
  • Créer et entretenir les conditions qui favorisent la solidarité (un comité de coordination, un calendrier de réunions, un plan de travail, une logistique, une structure ; …) ;
  • Analyser la situation. (Qu’est ce qui est en jeu ? Qu’est-ce qui se passe ? Comment cela se passe-t-il ? …) ;
  • Choisir un but et négocier des programmes d’action ;
  • Faire le bilan des intérêts en jeu. (Pourquoi me suis-je impliqué dans cette action ? Qu’est-ce que chacun cherche en s’impliquant ? Qu’espère-t-on gagner ? Qu’est-ce que cela va me coûter ?) ;
  • Évaluer la pertinence de l’action et ajuster éventuellement ;
  • Oser faire le choix de la solidarité (Avoir la solidité psychologique pour s’investir dans une action, pour risquer la solidarité : confiance en soi ; etc. Il ne s’agit pas seulement de se sentir interpellé ; il faut encore avoir la carrure psychologique pour affronter les oppositions et les risques) ;
  • Expérimenter qu’on n’est pas seul.

L’attention des participants est attirée sur le fait que les attributs (les critères) ont été construits à partir du décodage de comportements précis. Dès lors, si on veut utiliser la définition pour s’interroger sur, pour l’appliquer à de nouveaux exemples, il faut se demander si, dans ces nouvelles situations, nous trouvons des comportements, des attitudes concrètes qui sont des « indicateurs », des indices, des révélateurs, du trait générique.

Chaque attribut peut donc être repéré par des indicateurs. Ceux-ci, cependant, varient selon la spécificité de la situation analysée. Voici, à titre d’exemple, des indicateurs des différents critères, pour le cas de l’élève insultée.

Résumons la situation

Je suis titulaire d’une classe de 4ème technique. Un jour, les élèves sont venus me trouver, en ébullition, parce que Sandra s’était fait insulter par le prof de géographie. Ils trouvaient que c’était injuste et étaient proches de l’émeute. Ils s’apprêtaient à aller insulter le prof en retour.

Comme je suis sensible à la participation des élèves à la vie de leur classe et de leur école, adepte de la pédagogie institutionnelle, j’ai mis sur pied un « conseil de la classe » où nous débattons de toutes sortes d’affaires. Je leur propose donc de mettre l’événement à l’ordre du jour du prochain conseil de la classe.

Le jour venu, les élèves portent donc à la connaissance du conseil de la classe l’événement litigieux : le prof de géo a dit à Sandra que son pull était sale et que de toute façon, ce n’était pas étonnant quand on habite la ville de Moulin. Ils ajoutent que ce prof est méchant et que, même si Sandra est le bouc-émissaire, cela demande réparation. J’essaie de les calmer, de les faire sortir du relationnel et de les amener à envisager une action plus institutionnelle.

Alors, ensemble, nous décidons de faire une liste des insultes que les enseignants profèrent à l’égard des élèves mais aussi une liste des insultes dont les élèves gratifient les profs. Ensuite, nous essayons d’exprimer les sentiments causés par les insultes et nous émettons des hypothèses pour tenter de comprendre pourquoi c’est ainsi.

Nous nous mettons d’accord pour contacter d’autres classes et parler à d’autres délégués. Il en sort que les élèves vont écrire une lettre aux enseignants où ils donnent des exemples d’insultes dont ils sont victimes, où ils expriment ce qu’ils ressentent et où ils font des demandes explicites aux profs. Finalement, cette lettre prend la forme d’affiches posées dans les classes.

Les profs n’ont pas pris une position collective par rapport à ces affiches, mais ils ont eu des réactions individuelles en donnant leur point de vue. Les élèves ont été déçus. En repensant une nouvelle action, cela a débouché sur un contrat avec les profs sur le respect mutuel dans les paroles.

Ce qui m’a frappé, c’est que les élèves étaient en souffrance et se sont mobilisés alors que les profs ne souffraient pas et donc ne voyaient vraiment pas pourquoi cela posait problème.

Ce qui nous semble important, c’est que la situation a généré un sentiment d’appartenance et a fait émerger des valeurs.

Dans le tableau qui suit, nous reprenons des exemples d’indicateurs pour chaque attribut, appliqués à cette situation. Ils sont donnés à titre indicatif et circonstanciés, et n’ont donc pas de valeur générale.

Attributs Indicateurs
Prendre conscience d’une situation susceptible de susciter la solidarité (maintenant ou plus tard, ici ou ailleurs). (Jugement d’indignation, sentiment d’injustice, lecture d’un besoin) Rouspétances, conciliabules entre les élèves, cris d’indignation, suite aux faits. (On frise l’émeute)
Se sentir lié et choisir d’être solidaire. (Diversité des causes possibles à cette attitude : éthique, culture de la solidarité, …) Rappel que ce fait s’est déjà produit avec d’autres élèves. Propos par lesquels les élèves montrent qu’elles se mettent à la place de la victime, comme si c’étaient elles qui s’étaient fait insulter. Propos qui révèlent le sentiment d’appartenir à un groupe(Référence à des valeurs)
Créer et entretenir les conditions qui favorisent la solidarité (un comité de coordination, un calendrier de réunions, un plan de travail, une logistique,…) Le travail réalisé au cours du conseil de la classe mis en place dans le cadre d’une pratique de pédagogie institutionnelle.
Analyser la situation. (Qu’est ce qui est en jeu ? Qu’est-ce qui se passe ? Comment cela se passe-t-il ?…) Les multiples interventions au cours du conseil pour expliquer ce qui s’est produit et ce qui a été ressenti. (Les hypothèses émises)
Choisir un but et négocier des programmes d’action. Les démarches auprès des autres classes. L’affichage. La rédaction de la lettre
Faire le bilan des intérêts en jeu. (Qu’est-ce que chacun cherche en s’impliquant ?) Les propos tenus au cours du conseil pour justifier pourquoi il faut faire quelque chose
Évaluer la pertinence de l’action et ajuster éventuellement. Expression des sentiments devant la faible réaction des profs. Engagement dans un contrat sur le respect mutuel.
Oser faire le choix de la solidarité (Avoir la solidité psychologique pour s’investir dans une action, pour risquer la solidarité : confiance en soi ; etc.) Le fait de l’avoir fait malgré le risque de devoir affronter les enseignants, dans un rapport conflictuel.
Expérimenter qu’on n’est pas seul. Toutes les manifestations, y compris non verbales, exprimant le sentiment de former un groupe, d’être engagé collectivement dans une lutte. Présence, parfois d’une certaine exaltation. (Sentiment d’appartenance)

Remarque

Faire preuve de solidarité oblige souvent à s’engager dans un conflit, car c’est une façon de prendre parti (ce qui veut dire que l’autre partie devient un adversaire) et de s’opposer à ceux qui sont estimés être à la base du problème dénoncé. Faire preuve de solidarité implique donc une dimension affective qu’il faut pouvoir assumer. C’est ce qui est repris dans l’attribut « oser faire le choix de la solidarité ». L’efficacité de la compétence « faire preuve de solidarité » peut être renforcée en assurant, par ailleurs, d’autres démarches sur le conflit ou, d’une manière plus générale, sur la capacité à gérer ses émotions.

Étape 5. Tester la pertinence de la définition et éventuellement la compléter

Pour tester la pertinence de la définition, autrement dit, sa capacité à rendre compte de toutes sortes de situations de solidarité, il a été proposé aux participants de rechercher des contre-exemples, en d’autres termes, des situations qui ne seraient pas couvertes par les attributs retenus. Le groupe a ainsi évoqué la sécurité sociale.

En examinant le cas de la sécurité sociale, il est apparu que tous les critères n’étaient pas présents. Cela a permis de préciser un point de méthode. Devant de tels faits, il faut choisir : soit, on considère qu’il s’agit bien d’une forme active de solidarité et alors il faut compléter la définition, soit, on considère que l’exemple donné ne constitue pas une forme de solidarité, parce que trop loin de la définition retenue. (Ceci rappelle qu’il n’y a pas une définition en soi de la compétence mais que sa caractérisation est fonction des choix du public qui l’élabore)

C’est ce deuxième point qui a été retenu, parce plusieurs points de la définition ne s’y retrouvaient pas. Cette décision reposait, entre autres, sur le fait qu’il n’y a pas de choix de s’engager, dans le chef des cotisants à la sécurité sociale, puisque les prélèvements sont automatiques et obligatoires, ni non plus de prise de conscience qu’il s’agit d’une forme de réponse collective à un problème.

Cette discussion autour du contre-exemple a cependant permis de préciser la nécessité d’une volonté d’engagement, d’un investissement requis des personnes et aussi le fait que la solidarité « coûte » à ceux qui s’y engagent, en temps, en effort, en argent, etc., critère qui n’avait pas été mentionné jusqu’à présent et qui doit, dès lors, figurer dans la liste des attributs.

Un autre contre-exemple pourrait être le suivant : couvrir quelqu’un qui a fait un forfait ou quelque chose de légalement répréhensible.

On peut vérifier que les différents attributs sont bien présents dans cette situation. L’ami a fait preuve de solidarité envers son camarade. Cette conclusion met en lumière le fait que la compétence « faire preuve de solidarité », comme toutes les compétences, est fonctionnelle, autrement dit, que l’expression de la solidarité n’est pas nécessairement, par nature, une attitude, éthiquement défendable. L’enjeu de la formation aux compétences est donc de rendre les apprenants efficaces dans une pratique sociale. Elle est donc instrumentale. La formation aux valeurs est une autre démarche, qui doit être menée avec d’autres méthodes.

Étape 6. Élargir l’usage de la compétence par des transferts dans de nouvelles situations et par des confrontations avec la vie quotidienne

La démarche consiste à prendre conscience qu’il existe un grand nombre de situations dans lesquelles la compétence peut s’exercer et auxquelles on n’a pas pensé spontanément.

L’intérêt de cette étape est d’entraîner l’apprenant à repérer des situations inhabituelles dans lesquelles la compétence peut s’exercer. Voici quelques exemples supplémentaires de formes possibles de pratique de la solidarité, que propose l’équipe des animateurs.

  • Quand j’achète « commerce équitable », en quoi est-ce que je fais preuve de solidarité ?
  • Le système des assurances privées est-il fondé sur la solidarité ?
  • Comment les pays de la Communauté européenne peuvent-ils faire preuve de solidarité en leur sein, entre les plus développés et les pays moins développés ?
  • Quand et comment une équipe médicale travaille-t-elle en solidarité ?
  • Le personnel des laboratoires pharmaceutiques fait-il preuve de solidarité dans ses recherches ?
  • Quelle forme le projet de voyage d’un groupe doit-il prendre pour être l’occasion d’une pratique de la solidarité ?
  • En quoi signer une pétition est-ce « faire preuve de solidarité » ?

Rappelons que le but de cette étape est d’inciter l’apprenant à mieux identifier les multiples circonstances dans lesquelles il a l’occasion de faire preuve de solidarité et de l’entraîner à y exécuter les attitudes efficaces, c’est-à-dire celles qui concrétisent les attributs retenus. En d’autres termes, l’entraîner à transférer les attitudes de solidarité à l’éventail le plus large possible de situations nouvelles pour lui et auxquelles il n’avait pas pensé.

Étape 7. Évaluer les apprentissages dans une perspective formative

Après avoir découvert que les situations dans lesquelles il est possible de faire preuve de solidarité sont très variées et qu’à chaque fois, nous retrouvons les mêmes ingrédients, il est intéressant de se donner les moyens d’évaluer l’expertise que les apprenants ont de la compétence.

Pour la compétence « faire preuve de solidarité », un exercice d’évaluation pourrait consister à réaliser l’activité d’animation proposée ci-dessous et de s’interroger ensuite sur la manifestation ou non d’attitudes de solidarité au cours du jeu. Il s’agit de reconstituer des puzzles.

Les objectifs poursuivis dans cette étape pourraient être les suivants :

  • Récolter et donner, à chaque participant, des informations sur son niveau de maîtrise de la compétence « faire preuve de solidarité ». (Le rôle des observateurs prévus dans cette animation est important pour ce feed-back)
  • Permettre aux participants d’exprimer ce qui leur a semblé facile et difficile ainsi que ce qu’ils ont appris sur leurs comportements, en confrontant ces constats avec les critères de la compétence « faire preuve de solidarité ».
  • Trouver des indicateurs qui concrétisent les attributs de la compétence, à partir des comportements effectifs des participants, pour vérifier la capacité des « joueurs » à déceler l’exercice ou non de la compétence.

Voir en exemple la fiche jointe ci-dessous.

D’autres démarches et d’autres critères peuvent être utilisés pour informer les apprenants et le formateur sur l’aptitude des premiers à exercer la compétence.

Ainsi, par exemple, le formé peut être déclaré compétent :

  • s’il peut établir une liste de dix situations et en faire un mini-récit, dans différents domaines de la vie courante, où la compétence est en jeu ;
  • s’il peut trouver des indicateurs dans une situation particulière qui mettent en valeur tel ou tel attribut ;
  • s’il peut expliquer comment les attributs ont été construits ;
  • s’il peut reconstruire un scénario d’un événement où la solidarité n’a pas été pratiquée, pour qu’il devienne une expression d’une solidarité réelle ;
  • s’il peut préciser ses propres actions que l’on peut qualifier de solidaires ;
  • s’il peut préciser s’il pratique peu/pas/beaucoup d’actions de cette nature ou développe ou non des attitudes conformes à la solidarité ;
  • s’il peut préciser, en regardant son entourage immédiat, où et quand il est confronté à des attitudes solidaires et comment il se comporte dans ces cas ;

mais aussi,

  • s’il peut faire la différence entre la définition construite par le groupe de celle donnée par le dictionnaire ;
  • s’il peut retrouver dans des analyses anthropologiques ou sociologiques, des comportements de solidarité et les comparer avec les attributs dégagés ensemble ;
  • etc.

D’une manière générale, toute analyse de cas, qui est décortiquée pour y déceler l’exercice ou non de la solidarité – et l’actualité est prodigue en la matière – peut être une activité informant sur l’état d’appropriation de la compétence par l’apprenant.

Étape 8. Réfléchir au chemin parcouru pour que la compétence soit maitrisée

Ce qui est recherché, ici, c’est l’attitude réflexive et, à travers elle, le renforcement de l’intériorisation de la définition de la compétence.

Ainsi, notre groupe a pu se rendre compte qu’il avait l’expérience de la solidarité mais qu’il lui était difficile de la définir. Il a compris qu’en cherchant des traits communs entre toutes les situations qu’il qualifiait de solidaires, il pouvait construire une définition (un modèle général) de la compétence. Les attributs constituant la compétence peuvent alors être des clés de lecture de situations nouvelles ou l’inspirateur de comportements permettant de vivre la solidarité.

Les résultats de cette réflexion sur le chemin parcouru peuvent être appelés métacognition.

Une façon d’approfondir cette métacognition est de chercher à montrer l’évolution entre la définition spontanée et la représentation affinée de la compétence.

Ce moment de mise en perspective peut être approfondi en encourageant l’apprenant à répondre à des questions du genre :

  • qu’ai-je appris par l’étude de cette compétence : sur moi, sur mes proches, sur mes potentialités d’acteur social ?
  • que puis-je mettre en route pour me montrer plus compétent en la matière ?
  • etc.

Évaluer dans une perspective de certification

Cette évaluation n’intervient que dans des institutions de formation qui ont l’apprentissage de la compétence comme objectif à atteindre et dont la manifestation de la maîtrise doit être attestée pour conclure à la réussite de l’apprentissage et accorder la certification (le diplôme). Ce type de préoccupation n’était pas celle des participants au groupe. Ils ont même exprimé un doute quant à la compatibilité de l’évaluation certificative avec l’enjeu de l’apprentissage de la solidarité, liée à des choix de vie.

Si l’on souhaite réaliser cette étape, on procède comme pour l’évaluation formative, sauf que les observations réalisées ne servent pas à réajuster la stratégie de formation mais à conclure sur une réussite ou non d’une épreuve de mesure d’une maîtrise. Auront réussi les élèves qui auront réussi l’épreuve proposée.

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