On mesure aujourd’hui tout l’enjeu de sortir le savoir du sommeil dogmatique où l’ont plongé à la fois le découpage des disciplines scolaires et la présomption idéaliste en chacun de nous. Il nous faut analyser le rapport au savoir auquel on s’aliène, entre réel et fantasme, seuil et horizon. Homme libre, savoir tu chériras. Mais ce que le rapport au savoir contient de saveurs affectives, il le perd en valeurs fonctionnelles. Il s’agit de trouver les clés d’un nouveau contrat cognitif, qui sont autant d’armes contre l’échec scolaire. Or, le message occulte le canal. Cependant, à l’école, on le sait, tout passe par la mise en place de pratiques pédagogiques, aussi différenciées que possible et qui redécouvrent le vrai sens de la compétence : savoir-mobiliser. Adhérer librement à sa construction, ce n’est pas rendre les programmes buissonniers et la connaissance lapidaire. Cela signifie pour notre discipline pouvoir passer du curriculum formel de scolarisation à un curriculum réel de formation de l’élève. Mais au-delà, de s’approprier tout son champ d’autonomie, et ainsi, au prix d’une dépense d’énergie souvent désarmante, de retrouver son métier dans ce qu’il a de fondateur et d’espérance.
Rapport au savoir: fermé pour cause d’inventaire
La notion de rapport au savoir recouvre plusieurs acceptations : rapport au monde, à une personne, au temps, à une situation, à soi-même (Charlot, 1997). C’est avant tout un rapport social : le regard que l’on pose sur les autres est lié à la position sociale qu’on occupe. « Le rapport au savoir interroge ensuite le sens, sens de la démarche d’aller à l’école, d’y réussir et d’y échouer, d’y apprendre des choses ou pas » (Isabelle Berg). Un exemple : partons d’une évaluation écrite, souvent insuffisamment traitée comme ressource à mobiliser. L’élève est amené à revisiter le dernier devoir en classe qui vient de lui être rendu, une étude de documents, comme le début d’une nouvelle construction. Guidé par la correction du professeur, il doit identifier en le surlignant ce qui relève de la situation (présentation des données) des relations (liaisons pertinentes entre questions et réponses), des champs de force (les éléments de mise en perspective du document, lorsque l’élève critique, commente,…). Il en vient à évaluer son devoir comme un système d’éléments complémentaires, dont la note en réalité atteste du niveau d’achèvement. Il prend conscience que souvent son travail se résume à une récitation du cours, ainsi que de la vanité de cette application. Il découvre tout le champ d’investissement qui lui serait ouvert s’il développait un autre rapport au savoir : plus dynamique et moins comptable du début à la fin. Une négociation féconde avec le professeur peut en découler.
Or, souvent, ne comprenant pas le sens de ce qu’on lui impose, l’élève adopte des conduites d’évitement, des stratégies, dont l’enseignant ne perçoit pas toute la rationalité et l’étendue. Peut-être que sa logique de transmission qui accorde une place centrale à l’écrit n’y est pas étrangère. Il y a analogie entre le fonctionnement de l’Etat, de l’Ecole et le livre tous trois fondés sur une relation inégale et différée entre un émetteur, investi d’autorité et un destinataire, et tous trois en crise. La langue écrite ne fait plus recette, et l’enseignement de l’histoire s’en trouve affaibli. Démocratie athénienne, Résurrection, prise de la Bastille, le texte nous rendait contemporain d’un résolu invisible, inaudible, sans trace sonore ou image colorisée. A présent, si le professeur ne fonctionne pas à 24 images par seconde, il ennuie. Notre enseignement passe, si l’on n’y prend garde, irrésistiblement d’une politique de la mémoire à une économie de la mémoire, du fonds patrimonial au fond de commerce, d’une morale du souvenir à un consumérisme des traces. Les TICE ne font souvent rien à l’affaire. Impossible de faire marcher au pas anthropologie et technologie. A surfer sur les banques de données, on n’enregistre que de l’écume de connaissances, accompagnée d’un transfert banal, insuffisant à une intégration dans un ensemble qui pourrait s’appeler culture. Enfin, le rapport au savoir reste marqué socialement par l’histoire de l’accès au savoir des différentes classes sociales. De la paroisse à la nation, les sociétés cultivaient le génie du lieu. L’intégration des savoirs n’est possible que par ceux qui entretiennent au monde un rapport scriptural-scolaire, à l’opposé de ceux qui sont dans une relation personnelle au savoir, dans un rapport « oral-pratique » au langage, et c’est le cas des élèves en difficulté. Les transformations des structures familiales, l’ouverture des frontières ont développé des flux migratoires qui ont coupé de plus en plus d’élèves de leur premier ancrage, d’un territoire qui avait valeur de mémoire et d’étayage identitaire. La délocalisation se paie en désaffiliation et l’on doit faire avec. Difficile de retendre la trame des continuités perdues. Le rapport au savoir a les vertus d’une pérégrination, il oscille entre l’ancrage et la fugue. L’école est le meilleur moyen de décupler notre faculté d’interpeller le monde alors que son maillage fait de couloirs et de salles qui correspondent chacune à un compartiment du savoir diminue d’autant notre envie de découvrir. Plus avance la domestication de l’espace du dehors, et c’est la tâche quotidienne du géographe, plus l’élève se retourne vers des « espaces du dedans », faits de tropismes et de pulsions. L’espace scolaire domestiqué physiquement et aussi de façon organisationnelle par la gestion des emplois du temps, les évaluations prévenues, les professeurs connus, la peur du redoublement effacée, le rapport au savoir perd en valeur émotive. Ainsi fragmenté, le savoir ne fait plus peur, il fait aussi moins rêver. Cadastrée tout au long de grilles de référentiels étroits que l’on communique aux élèves dans un souci de transparence, l’émotion retombe. Le rapport au savoir développe alors moins de frisson que de bâillement. Il ne postule plus à l’abrupt. La verticalité synonyme d’effort mais aussi de progrès se substitue un horizontalisme de l’utilitaire et de l’actuel. C’est un rapport diététique qui s’impose désormais : maintenu léger le matin par souci d’adaptation à celui du soir.
C’est encore une fois dans une certaine solitude que chacun d’entre nous s’efforce de comprendre ce qu’est le savoir, à quoi il sert et comment on se l’approprie. Mais déjà la sonnerie de la fin du cours retentit, et tout se remet en place, souvent comme avant. Cependant, même à celui qui est assuré d’être rétribué à la fin du mois quoiqu’il fasse, il peut arriver de songer à de petites « révolutions culturelles » pour rétablir un rapport au savoir plus tribunitien. Cet engagement ne saurait se contenter d’un travail appliqué sur les capacités érigées au statut de compétences.
De la capacité à la compétence: un itinéraire
Éloignons les ambigüités. On confond habituellement capacité et compétence. La capacité c’est le pouvoir, l’aptitude de faire quelque chose. C’est une activité que l’on exerce : identifier, comparer, mémoriser, analyser, classer, observer. Elle peut être cognitive (résumer), gestuelle (colorier, tracer), socio-affectives (écouter, communiquer). La capacité peut s’appliquer sur une infinité de contenus. Elle est transversale (rares sont les capacités spécifiquement liées à notre discipline sauf, se repérer dans le temps). En ce sens là, la capacité de classer par exemple ne veut pas dire grand-chose. Autre caractéristique, la capacité est évolutive. Elle se développe avec le temps : elle se précise, s’exerce plus rapidement de façon plus fiable. Une capacité se transforme : une fois intériorisée, elle devient un automatisme. Mais surtout, une capacité n’est pas définie par rapport à une situation-problème à résoudre, elle est liée à une infinité de contenus. Enfin, elle est difficilement évaluable : difficile d’objectiver le niveau de maîtrise concernant un texte à résumer, comme de la façon de nouer ses chaussures. Elle ne dit surtout rien de la didactique à mettre en place, et laisse la responsabilité à l’enseignant qui pourra y voir un respect de son autonomie, d’autant plus qu’à l’intérieur de chaque discipline, chacun procèdera de manière différente. Force est de constater que, actuellement nous travaillons exclusivement des capacités suffisamment vagues pour prêter à des interprétations les plus diverses. Ces capacités sont appelées parfois de façon impropre compétences transversales. Le terme est accepté, puisque de toute façon cela ne change rien aux pratiques. C’est ce qui pourrait expliquer le départ quelque peu poussif de la mise en place du socle commun au collège. L’intégration au sens de la combinaison des savoirs, savoir-faire et savoir être est laissée sans instruction. Le socle ne dit rien de la façon d’enseigner (le pourrait-il d’ailleurs ?) mais se contente de réguler en l’affichant, ce que les élèves doivent maîtriser. Ce n’est pas inutile en soi, mais le rapport au savoir n’est en rien modifié, ce qui ne peut que nuire à la lutte contre l’échec scolaire auquel le socle se devait d’apporter sa part de réponse.
La compétence est en réalité toute autre. C’est l’aptitude (capacité) pour une personne de mobiliser un ensemble intégré de ressources en vue de résoudre une famille de situations-problèmes ». (voir Roegiers,1999). La compétence peut être définie comme le savoir-mobiliser (Le Boterf, 1997). C’est là l’essentiel. Est compétent celui qui sait mobiliser. Mobiliser et transférer un ensemble de ressources métacognitives au-delà des fermetures disciplinaires (connaissances, savoir-faire, capacités, raisonnements, automatismes…) dans un contexte donné pour faire face à différents problèmes rencontrés pour réaliser une tâche. Outre la mobilisation, le caractère finalisé est l’autre caractéristique de la compétence, inséparable d’une finalité sociale qui peut être une action, une production, plus couramment la résolution d’un problème. La compétence a une fonction sociale, une utilité sociale. L’évaluabilité est par contre plus facile pour la compétence que pour une capacité : qualité de l’exécution de la tâche, qualité du résultat mais aussi qualité du processus, autonomie de l’élève, respect des autres élèves…..à condition d’arriver à mettre l’élève en situation. La compétence est encore une idée neuve. Ce qui compte désormais ce n’est pas de savoir disséquer des compétences mais de savoir comment nous y prendre pour les acquérir et les faire acquérir. Malgré toute la prolixité de la littérature développée pour son avènement, il manque encore quelques cordes à l’art de l’exécution. Peut-être que les visionnaires en la matière, du haut de leur chaire ou au bord du lac ne sont pas de bons gestionnaires. Nous avons besoin aujourd’hui plus de témoins que de discours, plus d’acteurs que d’auteurs. Abordons le travail sur la compétence non pas comme un miroitement perpétuel du moins-disant, la vente d’un savoir-faire au prix du savoir, mais comme le moyen d’accès à un nouveau rapport au savoir. Désormais il ne s’agit plus d’enseigner mais de faire apprendre, non plus de scolariser mais de former. Encore faut-il faire évoluer ce rapport au savoir. Et ce ne peut se faire que si l’école elle-même modifie ses attentes qui concernent actuellement des rapports spécifiques avec des savoirs décontextualisés sans lien direct avec des situations sociales ou des problèmes concrets de l’existence de l’élève lorsqu’il aura rendu son tablier. L’école ne se pose pas encore suffisamment la question du sens du savoir. Même si elle réaffirme textuellement des objectifs d’insertion sociale et professionnelle à sa transmission, elle n’en propose pas pour autant les moyens d’un véritable transfert éminemment plus formateur.
Pour faire court, disons qu’il convient de parler de « capacités lorsqu’on désigne des opérations qui ne prennent pas en charge l’ensemble d’une situation et restent donc relativement indépendantes des contextes (savoir faire un résumé, rédiger une composition, analyser, argumenter, chercher des informations, justifier la réponse…) », et de parler de « compétences lorsqu’on désigne des dispositions qui sous-tendent la gestion globale d’une situation » (Perrenoud, 1997).
Pour expliquer l’attachement des professeurs à ne développer que des capacités, rien ne sert de renchérir sur leur positionnement conservateur, voire leur rigidité face au changement ou à toute prise de risques en matière didactique. Ils se sentent avant tout garants d’une certaine discipline dans la salle de classe et soucieux de la transmission des connaissances. De plus, au vu de la lourdeur des programmes l’École ne peut enseigner à un rythme rapide que des techniques dont elle peut attendre en fin de cycle une forme d’intégration. Par ailleurs, il est plus facile d’évaluer les élèves sur des situations très proches des situations d’exercice. La focalisation excessive sur les épreuves du brevet ou sur les critères d’évaluation du baccalauréat, largement confortée par l’utilisation de documents déjà orientés vers le travail spécifiquement scolaire, les conduit à toujours trouver plus simple et logique de s’inspirer de ce qu’il a déjà fait avec les élèves les semaines auparavant. Le savoir n’est valorisé en tant que tel que pour satisfaire aux exigences de la sélection. Notre société a placé la maîtrise des savoirs au centre de son système de valeurs, mais en lui donnant un sens stratégique en vue de la réussite sociale. On s’accoutume petit à petit à renoncer parce que le temps presse, à réprimer quelques doigts levés parce qu’il est déjà temps de passer à autre chose. L’attention d’un esprit au réel décroît aussi, comme l’adhérence au sol, en raison de sa vitesse. A trop vive allure, l’élève se désapproprie l’espace, d’où des accidents. Il nous faudrait non seulement plus de temps, mais aussi de force de renouvellement, d’énergie, reconstruire des objectifs, des démarches. Quand bien même cela plairait-il à l’IPR (Inspecteur Pédagogique Régionale) ? Pour le professeur le rapport pédagogique préfigure encore souvent le rapport au savoir qu’il incarne dans sa classe. Nous avons le rapport au savoir en surplomb. Du côté de l’institution, on ne s’aventure sur le terrain des compétences qu’à l’image d’un maçon sur des tuiles. La négociation qui prévaut à la construction de référentiels transversaux ne pouvait déboucher que sur un affichage de capacités à la fois lisses et neutres qui ne présentait aucune ambigüité morale. En effet, toute référence à un enjeu réaliste pourrait souligner l’inégalité des valeurs et l’inégalité des conditions sociales. On obscurcit le rapport au savoir par le biais de notions désincarnées qui laissent le professeur entièrement libre du transfert didactique. Nous ne travaillons pas assez le transfert des savoirs, et la mobilisation des acquis n’est pas suffisamment entraînée ce qui réviserait pourtant à la hausse l’intérêt du dit savoir et de la formation.
Le parti qui est pris ici est de montrer que l’on peut, sans se renier, ni déroger aux instructions tenter de passer du travail de la consolidation des savoirs par le travail sur les capacités à un savoir-mobiliser en explorant les voies possibles d’un éventuel transfert. En abordant notre enseignement de façon plus globale au lieu de tout hacher. Mais comment transférer les savoirs ? Nul ne sait vraiment comment s’opère le transfert pour chacun. Par contre on peut en reconnaître quelques facteurs de développement. Je propose ici pour commencer un cheminement qui reste très conventionnel : diagnostic, construction, validation, mais très praticable. On peut tout aussi bien envisager d’autres formules, ou une période qui regrouperait mobilisation et transfert développant ainsi de façon plus dynamique une approche plus globale.
Exemple de plan de formation, classe de seconde générale: si la capacité précède la compétence
Nombre de semaines | Objectif de formation des compétences | Unités capitalisables(UC) | De la capacité à la compétence |
Diagnostic : vérification des pré-requis | |||
Rentrée-Toussaint | Savoir identifier ses ressources, ses limites, ses besoins | UC1 UC2 UC3 UC4 UC5 UC6 |
Savoir mémoriser Savoir faire : prendre des notes,… Savoir étudier un document Savoir se repérer : temps et l’espace Savoir partager un collectif Composer un plan de formation |
Consolidation individualisée des acquis | |||
10 semaines Novembre-Janvier |
Construire des compétences (1) | UC1….. Unités de formation dites de « consolidation différenciée » | Enoncé selon le plan de formation ou feuille de route.(les professeurs de l’équipe alignés sur l’emploi du temps et sur les programmes peuvent se partager les élèves selon les unité à consolider) |
Mobilisation des acquis | |||
10 semaines Janvier-Avril | Construire des compétences (2) | UC1 UC2 UC3 UC4 UC5 |
Trouver une problématique à un sujet Savoir mobiliser ses ressources au service d’une problématique Réaliser le plan d’une composition Commenter, synthétiser un/des documents Savoir représenter un savoir : graphique, organigramme, carte |
Transférer ses acquis | |||
10 semaines Avril-juin |
Savoir individuellement ou en groupe former et conduire des projets : exposé, stage, production, action | UC1 UC2 UC3 UC4 UC5 |
Savoir développer une stratégie Savoir se donner des critères de réussite et les mettre en œuvre Savoir se donner des règles Savoir réaliser un bilan de ses compétences Valider ses compétences |
Cette proposition prend en compte l’état actuel de l’acceptation de compétence, mais tend à la faire évoluer vers sa définition réelle en envisageant des situations de transfert des acquis, et l’individualisation des parcours suite à la conception d’un plan de formation. Elle entrevoit la possibilité de référer ces compétences par unités capitalisables dont le niveau d’acquisition de chacune donne lieu à une évaluation sous forme de note. C’est une forme de régulation proactive (voir Allal, 1993) qui ne peut qu’aider les élèves les plus en difficulté en assurant un passage de l’implicite à l’explicite.
Le travail sur la compétence: des préliminaires
Tous les savoirs ne sont pas transférables. Si le but de toute scolarisation est de donner prise au monde, alors il faut se centrer sur les savoirs transférables. Les connaissances qui n’aideraient pas à la résolution du type défini de situation, et ce sont celles qui ne relèvent pas de la culture générale, ne sont pas considérées comme essentielles à transmettre. Le juteux a son sec. La lutte contre l’échec scolaire en dépend. Si l’apprentissage n’est pas mis en perspective avec des situations hors de l’école, il y fort à craindre que ces connaissances aussi riches soient-elles soient aussi largement oubliées. La scolarité avait établi ses bases en visant des études longues, on ne se posait pas la question de l’utilité. Or, il faut le dire, nous ne savons pas exactement à quoi servent les disciplines scolaires. Elles apparaissent comme des moyens d’une formation générale. L’intégration étant supposée se réaliser d’elle-même,naturellement au contact de situations diverses. Pour le moment, la question du rapport au savoir est souvent effacée au profit d’un enfermement dans une logique bien connue du toujours plus en matière de savoir, et au contraire de simplification sur le plan des savoir-faire disciplinaire à mettre en œuvre. Les pédagogies mises en place par les acteurs se bornent à ajuster les tâches au niveau de l’élève sans modifier le rapport au professeur, ni le contrat didactique. Mais aujourd’hui, la durée d’étude en moyenne se réduit. L’échec scolaire est tenace. On le sait, il tient en partie d’un rapport actuellement très limité entre savoir scolaire et pratique sociale. Et c’est sur ce rapport que l’on peut agir, faute de pouvoir refaire la société. L’intégration doit pourtant se travailler dans l’intérêt surtout des élèves les plus en difficulté. En même temps, on ne sait pas exactement en quoi consisterait l’intégration, au sens d’une préparation à la vie d’adulte. Le rapport au savoir ne peut pas se mesurer non plus uniquement à l’aune du constructiviste. Perte de sens, rupture avec la culture de transmission, prégnance de l’objectif de formation, rien de bien nouveau sur les diagnostics. L’enjeu aujourd’hui, ce sont les réponses.
Casser les habitudes mécanistes. Ce ne sont pas des transferts. Les cours, mais surtout les évaluations tournent donc autour d’un vieux savoir, le savoir-refaire. Ce qui se traduit par des consignes d’autant plus rassurantes qu’elles interpellent l’élève sur un vécu en classe : décrire, analyser, souligner, relever dans le texte…avec un minimum de transfert. Les spectateurs, il est vrai, à qui on ne renverrait pas leur culture du même généraliseraient le sens de la grève larvée. Faut-il cependant que le travail scolaire se mue en préparation à l’évaluation. Le rapport au savoir relèverait alors d’une utopie gestionnaire. Pour qu’il y ait un véritable transfert qui ne se confonde pas avec une répétition mécanique, il faut mettre l’élève en situation inédite. Eviter le cabotinage appliqué. Or, l’école ne donne pas confiance, c’est la son moindre défaut. L’élève accapare les tâches sécurisantes. Parmi tout ce qu’on lui propose, il choisira toujours celle qui se rapproche le plus du travail scolaire traditionnel ou celle du moindre effort. D’ailleurs son rapport au savoir se résume au sens de la relation, de la tâche, de la situation, du moment, alors que pour l’adulte le travail scolaire est indissociable du sens du savoir. C’est la peur de vivre ensemble, de se trouver nu car sans réponse, la peur de l’inconnu, de l’erreur, qui peut paralyser l’élève. De fait, de son point de vue, le rapport au savoir sinon au travail est un rapport par défaut. Il n’est consenti souvent que pour s’épargner des désagréments de la part de celui qui a imposé la tâche. Il garantit l’approbation de l’adulte, l’élève ne travaille plus pour lui même. Le rapport au savoir procède pour l’élève, et il faut rajouter que le professeur l’y invite beaucoup d’une arithmétique utilitaire qui calque l’acquisition des savoirs sur les exigences du système d’évaluation.
Transférer c’est retrouver la voie du progrès de l’élève, et non plus dans une suite d’exercices d’application et de consolidation. S’en tenir à approfondir une connaissance de base, se contenter d’exiger des lectures de cartes, ou d’étudier des documents d’histoire, renferment le professeur et l’élève dans une logique qu’ils connaissent bien. Le rapport au savoir est stabilisé, régulé. Mais qu’en est-il de la formation de l’élève ? Proposons des séances d’apprentissage inhabituelles, des tâches surprenantes qui désarment l’élève dans un premier temps au lieu de le rassurer en lui demandant un travail dont il connaît déjà les codes. Et ce, sans pour autant trop s’éloigner de la zone proximale d’apprentissage que vous aurez déjà repéré pour lui, c’est-à-dire de la sphère dont il a quelques repères anciens sous peine d’échec complet. Si l’élève s’exclame « Mais, monsieur, on ne l’a jamais fait », c’est bon signe. Il faut les préparer à affronter l’inconnu, surtout au moment des évaluations. Il doit alors mobiliser toutes les ressources disponibles, tous ses acquis, opèrera toutes les connexions possibles pour lui. Là s’opère le transfert. Là se situe la formation qui rentabilise l’acquisition d’un savoir. Il convient de placer les élèves dans des situations mobilisatrices pour que les élèves ne se limitent pas au simple réinvestissement de ce qu’ils savent déjà. Il faut tout de même que l’élève ait les moyens de relever le défi. Ce qui vaut pour les séances d’apprentissage vaut aussi pour les séances d’évaluation. Proposer une étude d’un document jamais vu, un texte d’un niveau supérieur, demander à l’élève de trouver lui-même les questions sur un document au lieu de simplement y répondre, donner des consignes volontairement imprécises rend l’élève acteur de son évaluation : confronté à l’obstacle, il est contraint de mobiliser rapidement toutes ses ressources…Les résultats paraîtront mitigés, les réponses incomplètes, il aura manqué du temps, peu importe. Qu’est ce qui dans la vie est parfaitement lisse et achevé ? Le plus important c’est que l’élève a réalisé un effort plus ou moins accompli de transfert. Il faut lutter contre ce réflexe immédiat de la part de l’élève à chercher systématiquement le copier-coller avec le cours développé en classe. Ce qui amène sur le fond un nihilisme en matière de formation, et sur la forme bien souvent des hors-sujets. Donnons-nous des objectifs de mise en œuvre, car l’acquisition d’une démarche de réflexion, de décision et d’action a plus de chances de s’inscrire dans le disque dur que l’accumulation de savoirs au final ni théoriques, ni pratiques, « propositionnels ».
Travailler les transferts revient à construire des compétences. L’apprentissage dépend avant tout de l’activité de l’élève. On le sait aujourd’hui. Il y a dissociation entre ce que le professeur enseigne et ce que l’élève apprend. Du savoir transmis, il s’agirait de passer à une forme de travail construit. P. Perrenoud nous convoque donc sur le Rubicon : « Le professeur doit cesser de penser que donner des cours est au cœur du métier ! Enseigner, aujourd’hui, devrait consister à concevoir, mettre en place et réguler des situations d’apprentissage, en suivant les principes des pédagogies actives constructivistes…. Ils ne développeront des compétences qu’à la condition de se percevoir comme organisateurs de situations didactiques et d’activités qui ont du sens pour les élèves, les impliquent, tout en engendrant des apprentissages fondamentaux. ». Pour qu’il y ait transfert, il faut redonner du sens aux apprentissages. Ce qui demande de la part de l’élève une attitude réflexive sur le savoir qui lui est dispensé. De la même façon que la note ne vaut que par la compréhension que l’élève en retire de son montant, il nous faut de plus en plus communiquer sur le sens de la prise d’otage. Le transfert ne peut se provoquer qu’à partir de connaissances qui ont pris tout leur sens, en dehors de la situation d’acquisition. Un sens qui vise le long terme. En conséquence Roegiers nous invite à : « Un enseignement efficace qui reposerait dès lors sur un équilibre judicieux entre une acquisition de connaissances soigneusement sélectionnées, un développement des capacités, transversales par nature, et un développement des compétences, plus ciblées, centrées sur le réinvestissement en situation des acquis de tout type ». Une suspicion classique consiste à penser qu’un travail sur des compétences ruinerait la transmission des connaissances. C’est inexact. Le travail sur la compétence utilise, intègre la connaissance pour résoudre des situations-problèmes. Les savoirs dans leur ensemble ne sont pas non plus dénaturés. Ils sont sélectionnés ce qui permet un gain de temps indispensable à la construction des compétences. La compétence accroît la valeur d’usage des savoirs. Ce qui exige un entraînement, un enchaînement d’expériences renouvelées. L’approche par compétence ne cherche pas à rationaliser le temps scolaire, mais à en développer le transfert, c’est-à-dire la mobilisation de ressources métacognitives parmi lesquelles les connaissances. Et pour cela il nous faut partir de situation – problèmes. Il faut se convaincre que les savoirs sont des ressources pour identifier, et résoudre des problèmes au bon moment. Il faut aussi passer d’une logique de transmission frontale à une logique d’entraînement. A nous aussi il nous appartient d’adopter un nouveau rapport au savoir. Renoncer à une pédagogie de l’illustration de la théorie par quelques exemples donnés à la suite d’un cours conventionnel pour montrer un transfert possible, ou son contraire : un exemple illustratif suivi d’un cours classique. Le rapport pragmatique au savoir n’est pas un rapport mineur. Il faut accepter des cours chaotiques, incomplets, inachevés qui déplaisent aux inspecteurs, mais qui retracent les hésitations, les incomplétudes propres au cheminement de l’action. Acceptons le désordre, l’approximation, l’incomplétude, et assumons-les comme des caractéristiques de la logique d’action. C’est moins confortable que d’orienter vers un objectif de résultat que l’on a déjà décidé. Cette approche prend quelques libertés avec la lettre du programme au profit de la mise en place d’un contrat didactique avec les élèves ou le professeur entend les remarques des élèves et rectifie quelques positionnements. De la même façon l’élève n’est plus sollicité pour reproduire ses acquis, mais invité à s’impliquer pour résoudre une situation-problème, développer un projet. Il faut une intention de l’élève, qu’il accepte une rupture…c’est le plus difficile. Si la démocratisation pousse à la négociation, il faut aussi savoir convaincre.
De l’intention à l’action
L’intégration des connaissances. La problématique d’une composition, exigée en Terminale et initiée Première pour les TPE par exemple développe une vraie réflexion qui s’inscrit dans une démarche de compétence. Travailler les problématiques c’est exercer une première forme de transfert. Il faut mobiliser ses connaissances, en trouver un centre de gravité, savoir la formuler. La préparation consiste à apporter des moyens d’étayage, un contexte porteur, permettant de soutenir ces rythmes d’apprentissage et – dans une certaine mesure – de les accélérer. C’est contraignant pour l’élève et sans doute pour le professeur qui finit par se contenter souvent d’une annonce bissée du plan à suivre qui ne développera alors qu’une capacité. Au lieu de développer un raisonnement au secours d’un questionnement complexe, on tolère un simple agencement des savoirs, connectés entre eux par la chronologie, mais sans locomotive. C’est pourtant tout le rapport au savoir qui pourrait changer. Un train de plus passe, celui qui pouvait transformer les pratiques qui auraient pour but de développer des tournures intellectuelles formatives, et non des sollicitations mécanisées de la mémoire.
Un exemple concret en seconde sur le christianisme. Les instructions officielles nous demandent de prêcher « la mise en évidence des filiations et ruptures » et « comment une religion devient religion tolérée puis religion d’Etat » (commentaires des thèmes du programme 2005). Nous y répondons en abordant une réflexion sur les liaisons : crise conflictuelle- rupture-dépassement. On ouvre une réflexion sur la gestion des conflits et sur leur dépassement. Ainsi, la rencontre des cultures en présence : romaine et juive, auxquelles s’ajoute le message chrétien, est étudié sous l’angle du conflit socioculturel. La séparation entre christianisme et judaïsme, après période de gestion, constitue une issue au conflit. Cependant, la diffusion du christianisme ouvre un nouveau conflit culturel et politique avec Rome. La gestion passe cette fois par les persécutions épisodiques et le sang, puis par la pertinence réciproque d’une association triomphale qui constitue le dépassement final du conflit dans l’intérêt des deux parties. Au-delà du transfert par le sens qui est donné à ce chapitre et qui ne déroge en rien à l’histoire réelle, le prolongement plus en profondeur sur la théorie du concept en constitue un autre. Le travail d’approche par compétence est un cran d’arrêt à une fuite en avant ou de nos cours bien policés copiés-collés, entraînent des copiés-collés sur le cahier, et encore des copiés-collés sur la feuille d’évaluation. Il renoue avec un rapport au savoir plus constructif alors que les pratiques courantes perpétuent la dénaturalisation et une liaison parfaitement télégraphique : ingurgitation-régurgitation qui atrophie cette faculté d’intégrer des connaissances dans un ensemble signifiant que l’on appelle culture.
Quelques résultats suite à une évaluation où je demandais aux élèves d’analyser la gestion du conflit durant la période désignée :
1. extrait de la copie de Lucie, une bonne élève de seconde générale
2. Extrait de la réponse d’un élève franco-japonais, Léo, ne maîtrisant pas la langue française. Malgré ses difficultés, il a aussi transféré les notions de cours à bon escient.
Observation : si l’évaluation n’avait porté que sur des questions traditionnelles ne faisant appel qu’à la capacité de mémorisation, ses problèmes de français auraient condamné l’élève. En développant des problématiques en classe, l’élève peut être ensuite évalué sur sa compétence (capacité au transfert), sur la mobilisation de ses ressources dont témoigne sa réflexion personnelle. Il n’est pas en échec. A noter que l’élève a établi son propre barème au devoir à ma demande.
Développer des situations plus réelles. Pour accentuer l’effet du transfert, il faudrait amener les apprentissages sur d’autres chemins que ceux de la simple réussite à l’école. Développer des situations plus réelles, plus proches de l’élève car conçues et contrôlées par d’autres acteurs. Un exemple ici en classe de seconde. Dans le cadre de leur formation, les étudiants de l’option gestion des Risques dans les Collectivités Territoriales du Master 2 professionnel Géographie et Aménagement de l’Université Lyon III devaient réaliser un travail en équipe projet par groupe de deux ou trois étudiants selon le besoin. Les étudiants placés dans la situation professionnelle d’un bureau d’étude avaient pour défi de répondre à la commande effective d’un commanditaire professionnel. Ici, la ville de Saint-Etienne cherchait des propositions d’action associant les établissements scolaires du secondaire et le service sécurité civile pour prévenir les jeunes élèves des risques encourus dans la commune. De notre côté, en classe de seconde, un des chapitres de géographie concerne justement l’étude des risques majeurs et invite à la prévention. Il était pertinent alors d’intégrer et adapter le projet au cycle scolaire par le biais de pratiques pédagogiques professionnelles, afin de réaliser un outil innovant et efficace. Les élèves de seconde ont été impliqués dans l’élaboration du projet : réalisation d’un diagnostic de la situation en jeu, puis conceptions des propositions sous forme de fiches actions en collaboration avec les étudiants venus régulièrement en classe. Ces fiches ont été examinées en réunion municipale à Saint-Etienne et deux d’entre elles retenues par le commanditaire. Elles seront mises en place concrètement à partir de l’année 2009. Il s’agit de cartes magiques, composées de deux images qui apparaissent selon l’inclinaison à la lumière : une sur la situation à risque, l’autre sur le geste préventif associé. Des lutins métalliques de 50 cm, parsemés à des endroits précis de la ville à hauteur des plus jeunes, rappelant ici le danger encouru, là le souvenir d’un éboulement, ici celui d’une inondation…Il est souvent pertinent de faire confiance à la capacité de représentation du réel et d’imagination des élèves, une fois définies les règles du jeu. Quant à initier des relations inter-cycles, et indirectement collaborer avec des services liés à une collectivité locale, c’est contribuer à développer un positionnement plus éclairé par rapport au savoir. On a tendance à considérer le savoir comme vaporeux. Il serait bas de produire des preuves de sa légitimité. Ce qui est grand et fier n’étale pas ses raisons. Les forces affirmatives meuvent l’altier professeur qui se refuse aux liaisons, aux régularités avec le réel, aux enchaînements plébéiens. Cela tient parfois d’une volonté de neutralité propre au faiseur servile qui dans une sorte de fausse modestie refuse au savoir ce qui le rend vivant. Encore un mot sur l’évaluation. Comme ici, elle doit être individualisée, et non se cacher derrière des concepts d’égalité pour tous. Traditionnellement, l’évaluation est encore artisanale et standardisée, au nom de l’équité formelle qui ne convient qu’aux examens. On surcharge de tests des élèves qui n’auraient pas besoin de nous pour progresser, et on ne trouve pas les moyens d’offrir un aide individualisée à des élèves les plus en difficultés. Ici, on évalue au vu des résultats impensables au départ, selon des critères négociés en fonction des résultats. C’est aussi cela la démocratisation.
Travailler par projet. Pour faire pression sur le transfert, il faut inscrire des séances d’apprentissage dans un projet. Le plus souvent ce projet tel qu’on le propose n’a rien d’un parcours d’obstacle, mais s’apparente à une succession de recherches de groupe assorties d’une inévitable mise en commun qui ne manquera pas de développer l’esprit citoyen, tout en donnant une seconde jeunesse au carton pate. L’intérêt est de développer un rapport au savoir pris dans le temps, moins enrobé de saveurs affectives et cognitives, qu’encourageant la ténacité dans l’effort que nous désapprend l’immédiateté de nos besoins et désirs. C’est aussi une certaine appropriation sensible de l’espace qui fertilise le rapport au savoir. Un exemple en classe de quatrième : pour étudier une région, un pays, demandez dés le début du chapitre (et non à la fin d’un cours classique, par-dessus le marché) aux élèves de créer un voyage scolaire fictif pour une classe. Les consignes écrites sont volontairement peu précises sur les contenus : intérêt géographique, repères historiques, ventilation d’un budget donné pour financer l’hébergement que les élèves devront aussi trouver, comme les moyens de transport, les trajets, les visites. Là on développe une compétence au sens où elle recouvre plusieurs situations transversales, où sa construction part d’une situation concrète, à mi-chemin entre la scolarité et le vécu de l’élève hors de l’école. L’élève se trouve ainsi confronté à une situation-problème car il ne maîtrise pas toutes les fonctionnalités. Il est enjoint à construire une stratégie : gérer le temps, prévoir son budget, ce qui l’oblige à rechercher le meilleur produit, la meilleure efficience, le meilleur rapport qualité du savoir-prix. Le transfert est soutenu par l’utilisation pertinente du livre et des TICE. La recherche d’informations pour résoudre un problème ici ne singe pas un processus de transmission classique. L’accent sur le réel peut être plus grave si l’élève apprend à rédiger une vraie lettre à un transporteur, un hôtel. L’évaluation est formative, elle peut être aussi ponctuelle en utilisant Google Earth pour présenter le voyage avec un vidéo projecteur devant les petits camarades. La restitution des travaux en classe permet de révéler les traits caractéristiques de l’Europe, traduit ce qui l’unit, démontre ce qui la libère. L’activité reprise en classe de Première (chapitre : les régions françaises) peut s’enorgueillir de partir d’une problématique de voyage à faire découvrir et appliquer par les élèves.
Travailler des nouveaux outils. Un cahier des charges est un référentiel contractuel, un outil de communication. Il présente les spécificités du produit ou de services : le projet, le contexte, les objectifs, les critères de performance, les ressources à disposition, les acteurs concernés, et les modalités de mise en action : le phasage prévu, les risques, les moyens mis en œuvre, le budget. Un travail sur cet outil, pas vraiment marqué par sceau scolaire, permet de transférer les ingrédients d’une leçon préalable, remobilisés dans un premier temps sous une nouvelle formulation au service de la résolution d’une situation-problème. Son intérêt est en fait multiple : L’usage est tout indiqué dans le cadre d’un cours de Première intitulé : « les milieux naturels entre nature et société ». On nous demande d’analyser le sujet « en montrant la diversité des milieux, influences combinées des conditions naturelles et de l’action des hommes… mais aussi des contraintes et des risques….on aborde les politiques visant à sa gestion et à sa protection ». L’étude de cas qui doit prédestiner à tout le chapitre essaiera de prendre en compte l’ensemble des paramètres. On en déduira une situation problème dont la résolution passerait par la rédaction en groupe d’un cahier des charges (Notre enseignement privilégie sans doute trop la tâche individuelle autorisant un résultat immédiat). Celui-ci reprendra en les classant les différentes données de la situation du milieu naturel choisi. Les élèves sont invités, ensuite, à prévoir un plan d’action (phasage), les risques, les critères de performance, le budget (ici un détour par Internet peut être utile, comme pour vérifier ensuite comment a évolué réellement la situation). L’évaluation peut prendre la forme d’un exposé oral, ou d’un power point.
- A l’occasion du travail sur le cahier des charges, les élèves découvrent la notion de critères de performance. Une fois définie, elle peut donner lieu à la construction d’une compétence à usage professionnel : « savoir évaluer en se donnant des critères de performance ». L’étude du chapitre suivant sur l’espace économique en France se prête à une analyse par critères de performance. L’élève choisit dans son livre une étude de cas liée à une entreprise ou un service en particulier. Accompagné, il l’étudie en classant les informations obtenues dans un tableau répondant à une approche multicritères : localisation, système productif, résultats obtenus…On peut ensuite les inviter à compléter le tableau en plaçant les informations obtenues en perspective avec celles concernant l’ensemble du secteur d’activité d’appartenance.
- Dernier intérêt : la préparation au baccalauréat, encore la meilleure entrée dans la citoyenneté. En quoi consiste l’épreuve de composition ? dégager un projet, présenter le contexte, présenter les objectifs, les ressources les acteurs nous ramène au sens de l’introduction de ce type d’exercice. Le phasage interpelle la construction d’un plan. La recherche des moyens mis en œuvre s’inscrit dans la même démarche que la mobilisation des connaissances. Les critères de performance du projet nous invitent à conclure le devoir d’après une problématique. Encore faut-il en convaincre les élèves habitués à recevoir des conseils de méthode ex machina. Ce n’est pas le plus simple. Mais la préparation spécifique aux épreuves du baccalauréat sous forme de cours de méthodologie montre ses limites en efficacité. La solution ne viendrait-elle pas d’approches plus globales, où l’on fait un peu tout à la fois ?
L’intérêt de l’évaluation dépasse un jeu de chat et de la souris qui officie souvent à l’évaluation traditionnelle. Elle s’efface devant la validation des acquis. Plus appropriée à l’approche par compétences, la validation des acquis repérés dans une grille négociée remplace une évaluation sensée révéler principalement des « manques ». Le moment de la validation est une mise en situation véritable qui comme les précédentes doit continuer de construire la personne, en terme « d’autonomie, initiative, voire créativité » tout en lui permettant de montrer ses acquis en terme de savoirs.
Redécouvrir son métier
On le voit, la didactique du transfert répond à plusieurs conditions qu’il est vain d’envisager toutes à la fois. Les tâches sont ouvertes, elles n’appellent pas une solution unique. Personne ne connaît le résultat. Elles ne sont pas choisies en fonction de la facilité d’évaluation, mais de leur intérêt. On ne cherche pas systématiquement à conclure la séance par une trace écrite. Les activités proposées ne sont pas stéréotypées, et invitent à un travail de groupe, sur du long terme. L’élève doit pouvoir redécouvrir son métier d’élève. L’approche par compétence suppose une intention (Bernard Rey, 1996). Expliquer à chaque fois le pourquoi de ce chapitre, en quoi son contenu est utile, ce qui va de soi pour le professeur doit être éclairant aussi pour l’élève. L’énoncer comme est formulé son intitulé dans le programme officiel est souvent un véritable crève-cœur. C’est là que commence l’autonomie du professeur : la présentation qu’il fait de son travail tellement déterminant en matière de lutte contre l’échec scolaire. Il s’agira de lui révéler son rapport à la compréhension du monde, son utilité dans la vie sociale en le reformatant à cet effet, ralliant les contenus missionnés à un objectif constructif d’une compétence sociale.
Mais la première appréciation qu’un professeur doit porter sur la notion de rapport au savoir, c’est la manière personnelle qu’il a lui même de l’appréhender. Sa propre vision détermine la distance entre l’élève et l’école. Le rejet de la culture scolaire dépend en partie de la façon dont le professeur l’habite : sa façon de se différencier des programmes, ses approches livresques ou de terrain, sa façon de formuler des hypothèses jouent sur le rapport au savoir de l’élève. Le manque de sens dépend plus de la manière de présenter, de traiter un sujet que du contenu même. Aborder le champ des compétences amène le professeur à investir sa façon de penser, sa propre vision de l’enseignement mais au-delà, sa conception de la culture et de l’action. L’approche par compétence sied à ceux qui,à l’intérieur de leur discipline, comme à leur intersection, cherchent à travailler la mobilisation et le transfert des connaissances pour résoudre de situations-problèmes, au delà des exercices traditionnels de consolidation ou l’application.
Les professeurs défenseurs d’un enseignement de transmission des connaissances et de méthodes peuvent ne pas voir l’intérêt de faire différemment. Ils peuvent ne pas saisir l’enthousiasme de celui qui s’investit en s’impliquant soi même avec toutes ses ressources liées à la créativité, l’imagination, la spontanéité. Ce qui pourtant aurait son effet sur le rapport au savoir exercé par l’élève. Le monde enseignant ne se divise pas pour autant en deux catégories : les marginaux inoffensifs et les « petits télégraphistes ». Une grande partie des professeurs s’interrogent sur leur enseignement. Les professeurs, frais moulus des IUFM et formatés à la centration sur les savoirs, ne sont pas toujours prêts à assumer de leur part une décentration, à assumer ce qu’ils considèrent au fonds d’eux comme une dénégation du savoir et de sa richesse. D’autres ne souhaitent pas s’arrêter de contempler le « poétique des ruines ». Ils seront d’autant plus déçus de voir qu’à ce compte là, les élèves jouent le jeu du savoir passivement, sans plaisir ni déplaisir, pour la note. Quant aux élèves en difficulté il y a fortes probabilités pour qu’ils le restent. Ce n’est pas pour autant un mépris pour la matière enseignée, mais c’est tout simplement qu’ils discernent mal le sens de l’accès à la connaissance.
L’approche qui est proposée ici ne va pas de soi pour autant, parce qu’à l’opposé les élèves ne sont pas prêts pour autant à modifier leur copyright. « Tu m’impliques, j’apprends » relevait Benjamin Franklin, mais le problème, c’est que « si tous veulent savoir, tous ne souhaitent pas apprendre » (Ph Meirieu). D’où la nécessité de négocier tout ce qui peut l’être avec les élèves, d’ajuster et d’expliciter les règles du jeu sans cesse. Le rapport au savoir se mesure aussi à la relation avec le professeur. Une fois le pater familias et le magister assimilés au despote, une fois confondue la dialectique du maître et de l’esclave avec celle du maître et de l’élève, quelle autorité n’est pas récusée ? Celle de l’enseignant-formateur peut-être, à la fois concepteur de séances pédagogiques, interlocuteur privilégié, personne ressource, garant des règles, animateur, entraîneur en somme. Ce qui le différencierait du professeur engagé à faire des cours en appliquant des programmes. Essayons-la. La résolution des problèmes, trouver la bonne problématique, créer, peut tout aussi bien renforcer les inégalités, s’il n’est pas conduit de façon différenciée. C’est un paradoxe les pédagogies frontales ou de coaching, elles risquent de bénéficier aux mêmes élèves, les plus favorisés. Ce qui pose le problème de la formation, voire de la professionnalisation des enseignants.
Il est curieux, voire inquiétant de voir, qu’après cent ans de recherches sur des pédagogies actives, plus récemment des approches constructivistes, systémiques, les modèles liés à la transmission continuent de constituer la monnaie interne, même si en matière de pédagogie, tout se défend. Les professeurs ne saisiront peut-être pas la chance de redécouvrir leur métier, le sens historique de l’apprentissage. Ce qui en apparence, par ses formulations, ses approches, ressemble au hasard, souvent est un rendez-vous.
« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que les choses deviennent difficiles » Sénèque