Comment est née l’idée de créer ce programme Sésame ?
Le programme Sésame est né de la rencontre de différents acteurs. Il y a eu, au niveau de la Direction et de l’association des Amis des Musées, une prise de conscience autour de la question de la démocratisation de la culture et du « Comment toucher les nouveaux publics ? », c’est-à-dire les 20 % de personnes qui ne viennent jamais au musée et qui en ignorent parfois même l’existence.
Le programme Sésame est aussi né de mon intérêt pour cette question. Avant de coordonner le programme, je faisais déjà partie d’EducaTeam (le service pédagogique des MRBAB). En plus de mes licences et de mon agrégation en histoire de l’art, j’ai suivi des études complémentaires en sciences de l’éducation, j’ai réalisé mon mémoire sur ces « résistances » face au musée et, grâce à une bourse de la Fondation Roi Baudouin, j’ai pu « rêver le musée », en me rendant notamment au Québec et au Louvre (Paris). Au Louvre, j’ai rencontré la personne en charge du service au relais des associations sociales, une personne ayant à la fois été formatrice pour travailleurs sociaux et étant historienne de l’art.
Dès 2003, les Musées Royaux des Beaux-Arts (MRBAB) ont pu mettre en place leur première programmation Sésame, à partir d’expériences réalisées sur le terrain, avec des acteurs du monde social belge. Et, si le programme était un programme-pilote au moment de sa création, aujourd’hui, ce souci de l’accès au musée à des publics défavorisés est devenu une préoccupation générale pour tous les musées[1] : comment mettre en place de nouvelles stratégies pour mieux les recevoir et les toucher.
La plus grosse difficulté du programme Sésame est la recherche de subsides puisque nous n’en disposons pas structurellement.
Comment créez-vous des outils accessibles à tous ? Avec quels partenaires ?
Les premiers outils ont été mis en place en partenariat avec une maison de quartier, où travaillait une artiste qui a emmené plusieurs de ses groupes aux musées (deux groupes d’enfants, un groupe d’adultes et une classe d’alphabétisation). Ensemble, ils ont travaillé sur les représentations du musée, notamment au départ de tables d’expression. De là est né un livre pour expliquer les mots du musée à partir d’images (« Le musée en mots »), d’abord sous forme de prototype, puis dupliqué à l’aide d’un second partenaire. Un peu d’artisanat, dans son sens noble, pour créer des livres, des jeux, avec peu de mots, peu de concepts abstraits mais très beaux et très exemplaires des collections des musées, des outils médiateurs, directement accessibles aux publics. Ensuite, les outils sont utilisés par les guides qui s’en imprègnent.
Quel est le retour de ces rencontres, visites ?
Lors d’une visite, les personnes ne voient que 3, 4 ou 5 œuvres. Dans un musée, il faut pouvoir y venir mais aussi prendre le temps de revenir. Généralement, les personnes formulent ce désir de retourner au musée mais nous n’avons pas encore les moyens de savoir s’ils font le pas, nous n’avons pas de données chiffrées sur ce retour au musée. La seconde visite se fait généralement de manière individuelle, peut-être lors du premier mercredi du mois, jour de gratuité dans nos musées ?
Nous sommes en train de développer un outil qui s’appelle « Passe-partout », à destination de ces publics qui souhaiteraient revenir au musée, pour accompagner et animer leur seconde visite, un parcours sans guide. Bien évidement, cet outil est développé dans le cadre du programme Sésame mais il pourra être utile et intéressant pour les autres publics (notamment les familles) !
Quels sont les outils qui trouvent le plus d’échos dans les publics visés ?
Les visites hors les murs apportent beaucoup, quand elles sont possibles : environ 10 % des groupes qui viennent au musée dans le cadre du programme Sésame ont eu l’occasion de préparer leur visite avec cet « outil ». Ces visites hors les murs sont importantes, pour tous les acteurs : les participants à la future visite mais aussi pour le guide, le responsable du groupe, cela permet à chacun de mieux se connaître, d’en savoir plus sur les attentes, ce sont des rencontres importantes pour échanger les informations nécessaires au bon déroulement de la visite au musée. De plus, symboliquement, cet outil permet aux personnes d’accueillir, de recevoir le guide en leurs murs et puis ensuite, d’être reçus au musée.
Le responsable du groupe (travailleur social, éducateur, animateur, bénévole,…) est la clé de voûte de la visite, de la préparation à l’« après-visite ». Il joue le rôle de personne-relais entre son groupe et le musée, il est celui qui connaît le mieux son groupe, ses besoins, ses attentes, il connaît chaque participant depuis une durée plus longue que le guide. C’est aussi le responsable du groupe qui poursuivra et exploitera le travail bien après la visite au musée, c’est celui qui peut donner du sens à toute cette démarche.
Lorsque le responsable du groupe n’est pas convaincu de l’apport de cette visite pour le groupe, la mayonnaise ne peut pas prendre : « Pourquoi aller au musée ? », la motivation diminue chez tout le monde, il est difficile de mobiliser les participants, le guide devra mettre plus d’énergie pour capter l’attention, les résultats de cette visite seront incertains.
Quelques chiffres sur les publics
En 2009, environ 3000 personnes (familles, enfants, personnes âgées, apprenants,…) ont pu être touchées par le programme Sésame, grâce au travail de 186 associations partenaires (maisons de quartier, écoles d’alphabétisation, associations qui travaillent avec des primo-arrivants, ATD Quart Monde, art. 27, CPAS,…).
Parmi ces 3000 personnes, environ 868 enfants ont participé à des activités Sésame, en dehors du cadre scolaire (maisons de quartier, écoles des devoirs, CPAS,…). Il y a également eu quelques visites de groupes de personnes venant de maisons de repos ou de participants à des projets inter-générationnels.
Les guides attachés au service EducTeam et au programme Sésame ont réalisé 10 % de visites hors les murs. 10 % des participants au programme ont participé aux ateliers hors les murs.
Seuls les jeunes restent difficilement atteignables par notre programme, parfois par manque d’intérêt, parfois parce que les personnes qui les encadrent ont eux aussi une vision négative du musée.
Quels projets, quels rêves pour le projet Sésame ?
Le Musée Magritte est un nouveau musée, donc continuer de le rendre ouvert sur la ville de Bruxelles et accessible au plus grand nombre.
A partir des collections des musées et en partenariat avec une institution sociale, j’aimerais développer un projet autour de l’alimentation, en faisant un parallèle entre prendre soin de soi et prendre soin d’une œuvre d’art, dans un esprit de développement durable. Une société doit arriver à conserver son patrimoine, vu comme un outil pour le développement de chacun. Une société ne peut pas faire l’impasse de son passé, chacun doit en avoir conscience et être acteur de cette conservation du patrimoine commun.
Je crois vraiment que le musée peut être un outil formidable, les œuvres ont cette puissance de pouvoir rejaillir dans la vie des participants, dans la société. Donner l’accès au musée, dans ce contexte, c’est de l’ordre de la responsabilité personnelle et sociétale. Les œuvres d’art posent des questions capitales, symboliques, sur l’immatérialité, sur la société, la place de chacun. Cela touche aussi aux valeurs des personnes.
Le programme Sésame essaie par tous les moyens de donner accès au musée, à la culture, à travers des tarifs et des conditions d’accueil adaptés. Ce contexte permet un impact qui va au-delà du simple accès au musée : cela touche à la dignité de la personne, à la confiance en soi, à la place dans la société, à la possibilité d’agir, à la paix aussi. Être en contact avec le patrimoine, c’est aussi se rendre compte de l’importance de la transmission, qu’une œuvre est unique, que l’on doit en prendre soin.
Aller au musée, cela va bien au-delà de la « simple » visite au musée, c’est aussi oser quitter son quartier, son environnement habituel, aller vers un lieu inconnu, être déstabilisé, voir quelque chose de différent, écouter des avis parfois opposés. Aller au musée peut également parfois permettre de déclencher un mouvement qui va rejaillir sur d’autres terrains, comme le terrain éducatif. L’impact de cette visite est bien plus large, il est qualitatif.
Enfin, il ne faut pas négliger le fait que, parfois, des personnes se sont révélées devant des œuvres d’art.
Bruxelles, le 4 mars 2010, Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles (MRBAB)
A lire aussi : « Sésame, Musée ouvre-toi ! » : une invitation au musée pour tous I
Références
[1] Voir aussi : www.mac-s.be (publics fragilisés) ; www.mim.be/fr/nouveaux-publics ; http://www.louvre.fr (les publics du champ social) ; etc.