1.Les jeunes peu qualifiés face à la politique d’activation
1.1. Les jeunes peu qualifiés & emploi
Depuis les 30 dernières années, un décalage entre la formation et l’activité professionnelle est observé. Auparavant, les jeunes entraient beaucoup plus facilement, plus vite sur le marché de l’emploi. Aujourd’hui, il y a un allongement des études ainsi qu’un différentiel entre la sortie des études et l’entrée au travail qui est devenu plus important. S’il existe actuellement une aspiration plus précoce des jeunes à l’autonomie, il y a paradoxalement une indépendance tardive. Ils sont également obligés de développer leurs capacités personnelles dans une optique d’individualisation et de la construction de soi. Ces jeunes sont mus par une sorte de souhait à l’autonomie, à la réalisation de soi dans l’emploi.
Or, il y a peu d’emplois pour les jeunes peu qualifiés. Le chômage de ceux-ci est relativement élevé et leurs emplois dépendent fortement de la conjoncture. Ils sont souvent employés dans des boulots qualifiés de précaires ou transitionnels, des emplois intérim ou encore des contrats à durée déterminée. En plus de l’instabilité de l’emploi, ils connaissent souvent de nombreux problèmes dans différents domaines de l’existence qui représentent un obstacle à une intégration réussie sur le marché du travail.
Le taux de chômage est particulièrement élevé chez les jeunes en Belgique. Ils dépendent fortement des fluctuations conjoncturelles. Le début de carrière est en fait déterminant. Différentes études montrent qu’une personne qui commence par le chômage, trouve un emploi puis s’y retrouve de nouveau, verra son estime de soi fortement altérée. Celle-ci influence fortement l’employabilité d’une personne. Une longue période de chômage a des conséquences sur l’estime de soi, même une fois qu’un emploi est retrouvé. De plus, les jeunes sont surreprésentés dans les emplois précaires. Les peu qualifiés sont exposés à un risque d’exclusion très important qui s’ajoute à d’autres facteurs de risque (sociaux, scolaires, résultant de ségrégations multiples). Raphaël DARQUENNE remarque que 98% des jeunes interviewés lors de ses investigations aspirent à une « vie normale », un emploi stable et un salaire leur permettant de s’installer mais aussi d’acheter une télévision et une voiture.
La formation scolaire initiale conditionne l’entrée dans le marché du travail et le type de carrière professionnelle. Malgré l’émergence d’une transition et d’une mobilité de plus en plus grande des travailleurs, l’organisation de l’action publique fonctionne encore beaucoup par fonction, par étape et par statut: tel type de diplôme donnant accès à telle profession. La norme de l’emploi à durée indéterminée reste dominante, tout le monde court après l’emploi stable et le CDI ; la proportion de CDI est d’ailleurs plus importante chez nous que dans d’autres pays européens[4]. On constate également une importance de l’emploi public et non-marchand, financé par les pouvoirs publics, surtout en Wallonie et à Bruxelles. Enfin, il y a de fortes différences entre les hommes et les femmes, notamment dans les répartitions par tranche d’âge. Notre modèle reste encore proche de celui où l’homme ramène le pain à la maison.
Raphaël DARQUENNE observe également une forte résistance institutionnelle, politique et culturelle à changer de paradigme, à passer d’une logique statutaire et linéaire à une logique prenant en compte la transition généralisée. Il existe également des difficultés à accepter de percevoir chaque individu comme un entrepreneur pluri-actif de lui-même, veillant à son capital employabilité, trouvant tout naturel de se « réorienter » ou de reprendre une formation, etc. Cette situation est actuellement en transition.
Rares sont les jeunes peu qualifiés qui se réalisent dans leur emploi. Ceux-ci possèdent un peu d’expérience dans le secteur informel ou intérimaire. Ils sont souvent lassés du secteur de l’intérim et cherchent avant tout la sécurité de l’emploi et la stabilité. Seule une minorité d’entre eux a un objectif professionnel précis. La plupart s’adapte à la demande sur le marché du travail. Leurs choix professionnels sont stéréotypés: les filles optent pour des professions d’emballeuses ou de puéricultrices tandis que les garçons choisissent plus souvent des professions techniques (construction, bois, soudure, …).
La plupart du temps, ces jeunes n’ont pas la formation désirée par les employeurs et pertinente par rapport aux demandes du marché de l’emploi. En même temps, les employeurs ont tendance à engager des jeunes plus qualifiés que ce que le poste proposé ne demande. Or, il y a à Bruxelles une population énorme de jeunes peu qualifiés: une dizaine de milliers, selon Raphaël DARQUENNE.
Parmi les jeunes peu qualifiés, on trouve un groupe important de mères isolées. Un problème bien connu des (jeunes) parents est le manque de places en crèche. Il ne s’agit pas seulement d’un manque de crèches directement accessibles. Il y a aussi un manque de crèches et de garderies abordables lorsque les horaires de travail sont irréguliers.
Tous ces jeunes ont cependant un projet assez positif à leur entrée dans la vie professionnelle ; lorsqu’ils choisissent d’arrêter l’école, ils veulent s’intégrer sur le marché du travail et font des efforts en ce sens, en utilisant tous les canaux possibles pour trouver un emploi. Pourtant, très vite, ils se découragent: la plupart des employeurs ne leur répondent pas, leur ferment les portes. Petit à petit, ils pensent qu’ils ne sont pas utiles à la société. Ainsi, un processus presque de honte de soi apparaît et se greffe à la recherche d’emploi. À force de réponses négatives, ils se retranchent et abandonnent. Les jeunes peu qualifiés sont entre l’illusion et le désenchantement, entre la pro activité et l’abandon.
Face au découragement, ces jeunes peuvent faire preuve d’adaptation secondaire: pour continuer à exister et à donner un sens à leur existence, ils développent des stratégies nouvelles en fonction du réseau amical ou familial dont ils disposent ou des rencontres avec un travailleur social, un agent d’OISP, … Ceux qui sont isolés, sans ressources positives pour pouvoir s’en sortir éprouvent de nombreuses difficultés à trouver un emploi. Leurs trajectoires futures dépendent donc souvent de leur capital social et culturel.
Face au manque structurel d’emplois dans les fonctions peu qualifiées, les agents d’insertion, coachs et formateurs permettent aux jeunes chômeurs de mieux se positionner dans la file d’attente de l’emploi. Ils les aident à être plus compétitifs sur le marché du travail. Les jeunes développent des stratégies différenciées avec les dispositifs institutionnels: certains sont relativement dociles face à ces dispositifs, d’autres les utilisent pour y prendre ce qui les intéressent et d’autres encore s’en méfient fortement. Ce qui ressort d’une manière plus générale, c’est que les jeunes peu qualifiés méconnaissent le cadre global, le marché de l’emploi, ainsi que les mécanismes d’insertion existants.
1.2. Des jeunes peu motivés ?
Cet argument est souvent avancé par certains professionnels du secteur de l’insertion professionnelle. Raphaël DARQUENNE observe pourtant que les jeunes multiplient les démarches avec plus ou moins d’intensité ; qu’ils sollicitent leur réseau relationnel et familial proche ; qu’ils se présentent dans les entreprises ; qu’ils envoient des cv et qu’ils contactent des employeurs potentiels. Pourtant, les premiers pas vers les employeurs se soldent presque toujours par des échecs. S’ensuit alors un désenchantement rapide: face au refus, nombreux sont ceux qui se désengagent et se démotivent. Progressivement, ils perdent confiance en eux-mêmes. L’absence de modèle à suivre, de référents qui dans l’environnement familial pourraient tirer les plus jeunes vers le haut, joue un rôle négatif dans ce contexte. Cependant, nombre de jeunes considérés comme « en décrochage » ont pu être accrochés par un conseiller. Ceci montre que les difficultés d’accès aux jeunes ne sont pas de nature permanente.
1.3. Les sanctions ne fonctionnent pas
En raison de la complexité de la réglementation, de nombreux jeunes ignorent dans quels cas ils risquent d’être sanctionnés. Cette information ne leur parvient que lorsque la sanction est déjà tombée. Pour les jeunes qui ne peuvent pas (encore[5]) prétendre à une allocation de chômage, la sanction est tout à fait incompréhensible.
La moitié des jeunes sanctionnés ignorent qu’ils peuvent se faire aider par le syndicat. Une fois qu’ils sont informés, une partie des jeunes anticipe la menace de sanction en cherchant activement un travail et en collaborant avec les accompagnateurs.
Le manque d’informations concerne non seulement le volet des obligations mais aussi des droits. Les jeunes ont encore trop souvent l’impression qu’ils doivent subir passivement un parcours et que le conseiller est celui qui sait le mieux ce qui leur convient. Ils estiment que l’on ne croit pas suffisamment en leurs capacités. De nombreux jeunes ambitionnent un travail comme indépendant ou veulent reprendre des études, mais on ne les renvoie pas vers les instances spécialisées en la matière.
1.4. Ras-le-bol de l’école mais besoin de formation adaptée
La plupart des jeunes en ont assez de l’école. Mais ils ne sont certainement pas lassés d’apprendre.
Ces derniers s’orientent sur le marché du travail en fonction de la demande, mais ils sont souvent trop peu qualifiés pour les emplois qu’ils convoitent. La problématique multidimensionnelle de ces jeunes nécessite une approche basée sur une logique de capacitation[6]. En se concentrant exclusivement sur le travail, on ignore la complexité des problèmes auxquels ces jeunes sont confrontés quand ils arrivent chez les conseillers. Pour toucher les jeunes, il faut leur parler dans leur propre langue. Ils ont un énorme besoin de formation sur le plan des compétences en termes de communication et d’administration personnelle. De plus, une orientation professionnelle basée sur un approfondissement personnel et la reconnaissance des compétences acquises ailleurs est un point important dont il faut sans cesse tenir compte pour un parcours réussi.
2. Des stéréotypes autour de l’employabilité des jeunes peu qualités
Avant d’aller plus, Raphaël DARQUENNE déconstruit certaines idées préconçues existantes autour de l’emploi:
- Si les jeunes ou les moins qualifiés ne trouvent pas d’emploi, c’est parce que leurs compétences ne sont pas adaptées au marché de l’emploi (mettre en italiques). Cette idée n’est qu’une réalité partielle et nourrit le mythe qu’il y a suffisamment d’emploi pour tout le monde. Pourtant, à Bruxelles par exemple, il y en 15 à 20 000 emplois disponibles alors que le nombre de chômeurs est de 200 000. Même si tous les emplois étaient occupés, il resterait énormément de chômeurs. En cette période de chômage structurel, les dispositifs de l’espace transitionnel contribueront donc uniquement à changer la place des jeunes dans la file d’attente si de l’emploi supplémentaire n’est pas créé.
- Former les demandeurs d’emploi les aidera à entrer sur le marché du travail: il apparaît que nombreux sont ceux qui ne disposent pas des ressources culturelles, sociales, symboliques, financières pour pouvoir entrer dans cette logique de l’individu entrepreneur de lui-même. Nombreux sont ceux qui n’obtiendront donc pas un emploi assez ou très qualifiés.
- Les gens ne trouvent pas d’emploi parce qu’ils ne cherchent pas assez ou ne sont pas motivés: or, le marché de l’emploi est relativement saturé, surtout pour les emplois peu qualifiés. Il faut donc veiller à ne pas exclure du chômage ceux qui sont par ailleurs très vulnérables.
3. Les jeunes face à L’ONEM, le VDAB et le FOREM
Depuis 10 ans, il y a un retournement du discours dominant: on essayait d’inciter à la sortie (= externalisation des coûts). Alors qu’aujourd’hui, on essaie d’inciter à la rentrée ou au maintien sur le marché de l’emploi (= activation), de mettre les jeunes en activité, en travail sur eux-mêmes. Mais il y a de nombreux « pièges » et des effets contradictoires dans les articulations entre les dispositifs, qui font que ceux qui ont déjà le plus de ressources bénéficient le plus de ces dispositifs, alors que ceux qui en ont le moins en sont le plus facilement exclus et sanctionnés. En outre, beaucoup d’organisations d’insertion doivent prouver leur efficacité et faire du chiffre. Elles sont donc tentées de favoriser les personnes qui ont déjà plus d’outils et qui arriveront plus facilement à trouver un emploi (= logique d’écrémage). Il y a également une logique clinique: cela peut avoir un effet handicapant de se retrouver « diagnostiqué » comme ayant de grands troubles de l’employabilité. Cela peut alors entrainer des effets négatifs sur la trajectoire du jeune. D’autres dispositifs ne proposent pas de diagnostics et proposent d’entrée de jeu des logiques d’insertion, des contrats de travail pour permettre à des jeunes de s’insérer sur un marché du travail peu qualifié le plus immédiatement possible. Il y a aussi un effet « cul de sac » ou effet « labyrinthe », c’est-à-dire que beaucoup de jeunes passent par de nombreux dispositifs en s’y perdant, sans jamais en voir la fin.
3.1. Des jeunes méfiants et confus face à la multitude d’acteurs
Beaucoup de jeunes peu qualifiés se tiennent à distance du dispositif institutionnel et s’en méfient. Ils ne comprennent pas leurs logiques et se perdent parmi la multiplicité des acteurs. Les jeunes confondent les rôles de chacun: L’ONEM contrôle et sanctionne les chômeurs, tandis que le FOREM le VDAB et ACTIRIS sont censés aider. Or, les informations s’échangent pourtant entre ces derniers et l’ONEM. Ces organismes sont perçus comme ayant un double rôle: accompagner et contrôler les démarches des jeunes.
De plus, dans beaucoup de ces dispositifs, l’évaluation est centrée sur les attitudes et comportements ou motivations apparentes de la recherche d’emploi. Or, les jeunes sont souvent évalués par ces opérateurs en fonction des attentes standardisées. Chacun doit alors répondre aux mêmes critères. Pourtant, les situations des jeunes sont très singulières et diversifiées. Entre eux, ils se différencient par des ressources différentes. Au regard de ces observations, se pose la question de savoir si les dispositifs entre eux sont vraiment un tremplin vers l’emploi durable ou un labyrinthe dans lequel les jeunes se perdent.
3.2. Une machine à radiation?
Les jeunes ne remettent pas en question la politique d’activation. Ils nuancent toutefois en disant que l’évaluation de leurs efforts de recherche dépend de la subjectivité des contrôleurs, et que la pression exercée par ces derniers pour qu’ils acceptent un emploi ne prend nullement en compte leurs préférences personnelles.
Par ailleurs, la plupart des jeunes peu qualifiés s’accordent pour reconnaître qu’ils auraient besoin d’un « coup de pied au cul » ou d’un « coup de main » et qu’il leur manque, dans leur vie, des personnes qui puissent les leur donner. La menace de la sanction, voire de la radiation, n’est donc pas nécessairement vue comme foncièrement injuste. Les travailleurs sociaux constatent de leur côté que la sanction peut être utile, du moins lorsqu’elle est utilisée dans le cadre d’une relation de confiance.
Une incompréhension à l’égard de la politique d’activation se manifeste surtout lorsque la sanction se rapporte à leur propre situation. Les jeunes qui ont été suspendus disent que la politique d’activation ne laisse pas suffisamment de place à l’initiative personnelle. Ils veulent que l’on travaille en fonction de leur demande et non en fonction de l’offre d’emplois vacants. « Imposer » des offres d’emploi a plutôt un effet contraire, et le jeune risque de décrocher de l’accompagnement. Il apparaît aussi que les jeunes doivent subir l’accompagnement d’une manière trop passive et qu’ils n’ont pas assez l’impression de pouvoir définir eux-mêmes leur parcours. Les jeunes perçoivent le service public de l’emploi comme un guichet pour l’administration et le contrôle du chômage et pas tellement comme un point d’information personnel pour les questions d’accompagnement.
3.3.Tendances actuelles
Raphaël DARQUENNE observe que dans l’action des Services Publics de l’Emploi (SPE), le travail sur l’employabilité repose sur une logique de contrainte. Le droit aux allocations dépend du devoir de mettre tout en œuvre pour rechercher un emploi. Elle repose sur une logique décentration sur la mise à l’emploi et laisse à d’autres le soin d’agir sur les autres dimensions qui peuvent venir jouer comme frein à l’emploi (logement, endettement, …). En l’absence d’une réelle triangulation jeunes – SPE – employeur, aucune médiation entre le jeune et l’employeur n’est actuellement possible.
A l’inverse des autres dispositifs qui proposent un processus basé sur une logique de socialisation forte, les SPE proposent des ateliers ou des entretiens individuels espacés dans le temps. Les emplois qu’elles proposent aux jeunes ne débouchent pas nécessairement sur des parcours qualifiants ou sur une insertion dans le marché régulier de l’emploi. La mise au travail dans des mesures ponctuelles et peu qualifiantes peut s’avérer être une voie sans issue. Les dispositifs hors SPE reposent, quant à eux, sur une logique de mise à l’emploi directe qui accompagnent le jeune dans l’emploi. Ils connaissent des convergences fortes qui se traduisent par une centration forte sur l’emploi, des perspectives concrètes pour le jeune et un caractère intensif. Autant de facteurs de succès dans l’insertion. Mais ils n’en connaissent pas moins de fortes divergences dans leurs modes d’action. Enfin, ces dispositifs se différencient aussi des SPE dans leurs modalités de médiation entre les jeunes et les employeurs: l’accent mis sur la relation de travail et sur un travail de cette relation (à la fois auprès de l’employeur et du jeune) semble être porteur de plus de succès que, comme le proposent les SPE, un travail axé sur la seule adaptation des comportements du jeune aux attentes de l’entreprise.
3.4. Les logiques porteuses de succès
Raphaël DARQUENNE identifie differentes logiques qui sont porteuses de succès d’intégration des jeunes peu qualifiés vers l’emploi:
- Le caractère intensif du dispositif
- La prise en compte du jeune dans sa globalité
- La possibilité réelle pour les jeunes d’obtenir des perspectives concrètes en termes d’emploi
- Le fait pour le jeune de pouvoir bénéficier d’un accompagnement dans l’emploi pour éviter le décrochage
- Le respect de la liberté de choix du jeune
- Le caractère qualifiant du dispositif
- Le travail sur la relation de travail et non uniquement sur le jeune
- La logique de non-discrimination
4. Recommandations en vue d’améliorer l’employabilité des jeunes peu qualifiés
Raphaël DARQUENNE estime qu’il serait pertinent de prendre en considération les trois recommandations générales suivantes:
4.1. Renforcer les collaborations et clarifier les complémentarités entre services publics et société civile
Le fait que ces structures soient de taille relativement modeste, en connexion directe avec le marché du travail local, permet de mettre réellement en œuvre l’individualisation des parcours dans le discours de l’État social actif. À un niveau minimal, il s’agirait en tout cas d’ouvrir régulièrement des espaces d’échanges entre opérateurs, organisés et financés au niveau régional ou sous-régional (pour les grandes villes). Deux obstacles majeurs à ce type de renforcement des collaborations entre public et public (FOREM/ VDAB/ACTIRIS/OCMW), ainsi que public et privé, doivent toutefois être soulignés:
- En premier lieu, les opérateurs non gouvernementaux cherchent à établir une relation de complicité avec les jeunes, en se distinguant explicitement des instances responsables de la sanction – même s’ils utilisent la menace de la sanction pour inciter le jeune à entreprendre la démarche d’insertion. Dans une relation d’articulation plus explicite avec les pouvoirs publics, le danger d’une confusion des rôles peut tendre à s’accroître, privant les opérateurs de terrain d’une ressource cruciale: la confiance.
- En second lieu, dans certains services nationaux et locaux, les opérateurs tendent aussi à considérer les services publics comme étant des instances trop fortement bureaucratisées. Dans cette optique, une plus grande indépendance des services publics de l’emploi est nécessaire, et la coordination des différents opérateurs devrait opter pour des réseaux (ce qui suppose une collaboration, éventuellement conventionnelle, entre des acteurs autonomes), en évitant la logique de marché (basée sur la concurrence) et la logique hiérarchique (basée sur l’autorité et des normes centralisées) comme mécanismes de coordination.
Il est donc recommandé d’impliquer davantage et, à part entière, tous les acteurs locaux concernés. L’intégration locale est un facteur de réussite pour atteindre des jeunes difficilement employables.
4.2. Favoriser les trajets courts et intensifs, via l’emploi
Travailler le maintien en emploi par un travail social sur la relation entre le jeune et l’entreprise est donc une condition sine qua non pour permettre aux jeunes de s’insérer durablement. Il faut également rendre l’offre de formation plus attrayante et plus accessible. Les secteurs et les plateformes locales ont un rôle important à jouer en la matière. Suivre une formation doit être financièrement attrayant, cela ne doit pas durer trop longtemps et cette dernière doit être suffisamment axée sur l’expérience.
4.3. Bien calibrer les sanctions
Une relation positive est celle qui pose d’emblée le jeune en position d’acteur de sa propre trajectoire, en l’invitant à mobiliser ses ressources (personnelles, sociales, professionnelles) propres. Surtout, elle tend à faire de cette mobilisation l’un des outils essentiels d’une mise à l’emploi effective, et non pas euphémisée au travers de dispositifs parascolaires. C’est seulement dans ce cadre que la contractualisation de l’action sociale est à priori porteuse de potentialités. Dans le cas précis du groupe-cible des jeunes peu qualifiés, le changement de comportement attendu et l’effectivité d’une politique de contrôle et de sanction ne seront avérés qu’à la condition que:
- les organismes régionaux, d’accompagnement de formation soient en mesure de proposer aux jeunes un véritable contrat de mise à l’emploi (et pas seulement d’accompagnement dans la recherche d’emploi), qui conduise à une possibilité effective d’emploi ; mais aussi à condition que cette réponse, modulée et individualisée, soit proposée en priorité aux jeunes jugés à priori les moins « employables »
- la mobilisation et la contractualisation incluent les employeurs publics et privés (pas une simple adaptation du jeune à l’employeur, mais une démarche mutuelle: l’apprentissage est aussi, en quelque sorte, un impératif pour l’employeur)
- les conditions matérielles de ce parcours soient assurées (offre de formation suffisante notamment)
- tout au long de ce parcours le jeune dispose d’un véritable accompagnateur-référent, une personne de confiance, sans fonction de contrôle
- aux différentes étapes du parcours, le jeune soit mis face à de véritables choix (qui ne soient pas des choix contraints de type workfare[7] »), ce qui rend légitime qu’il en assume les conséquences
- le contrôle et le cas échéant la sanction par l’ONEM soient en conséquence basés sur des éléments objectifs, tels que le refus d’accepter un emploi convenable ou l’abandon de la formation, plutôt que sur une évaluation subjective des attitudes subjectives, spécialement problématique dans le cas des jeunes peu qualifiés
- les jeunes soient beaucoup mieux informés. Concrètement, il est souhaitable de renforcer la communication concernant le contenu du parcours d’activation, les droits et les devoirs des demandeurs d’emploi. C’est une tâche qui incombe aux instances officielles mais aussi aux syndicats et à d’autres organisations de la société civile, qui sont plus proches des demandeurs d’emploi
4.4. A l’intention des acteurs centraux et locaux (ONEM , CPAS, services régionaux pour l’emploi, pouvoirs locaux):
- regrouper les parents isolés – en très grande majorité des femmes – et les jeunes femmes enceintes dans une catégorie prioritaire distincte, puisqu’ils ont besoin d’un parcours adapté
- Améliorer le lien entre l’enseignement et le marché du travail en ce qui concerne les jeunes qui ont abandonné prématurément leurs études
- Prendre en compte les emplois intérimaires de courte durée comme une expérience professionnelle
- Proposer un coaching professionnel pendant l’emploi et ne pas l’arrêter au moment où un emploi est décroché
- Utiliser d’autres critères de réussite que l’emploi officiel pour mesurer le succès de l’accompagnement des jeunes confrontés à des problèmes multidimensionnels dans un parcours d’insertion professionnelle. Pour y parvenir, Raphaël DARQUENNE propose de définir les étapes intermédiaires d’un parcours (par exemple: apprendre à utiliser les transports publics pour faciliter la mobilité, trouver une médiation des dettes ou soigner une toxicomanie). La mise à disposition d’outils de ce type, qui rendent possible un trajet sur mesure, requiert une meilleure coordination des différents services destinés aux jeunes.
- Les projets de promotion de l’emploi dans le cadre de l’article 60 sont trop souvent mis en œuvre par les CPAS en partant des besoins en main-d’œuvre dans le secteur non-marchand et les entreprises publiques. Les jeunes accumulent une expérience professionnelle dans des emplois pour lesquels il n’y a pas de demande sur le marché du travail. Pendant des projets de promotion de l’emploi, améliorer les compétences en matière d’autonomie (mobilité, image de soi, dettes…) est également une nécessité.
5. Vers un nouveau contenu des tâches des accompagnateurs des jeunes
Dans son étude, Raphaël DARQUENNE propose une ébauche des tâches de l’accompagnateur de jeunes spécialisé et des caractéristiques de son profil professionnel. Ainsi, un accompagnateur efficace:
- travaille d’une manière accessible au plus grand nombre. L’accompagnateur utilise des canaux de communication adaptés au groupe cible (GSM, e-mail…). L’accompagnateur est facilement joignable (sans rendez-vous). Il/elle se rend dans des endroits accessibles au plus grand nombre pour repérer les jeunes, leur parler et les accompagner. Pour cela, il est nécessaire que l’accompagnateur se constitue un bon réseau local avec l’ensemble des acteurs pertinents. Il doit donc quitter son bureau pour privilégier le « travail de terrain ».
- informe et conseille le « client ». Un accompagnateur efficace joue un rôle de coach mais laisse la décision finale au jeune (‘empowerment’). Le parcours d’insertion doit être basé sur la négociation et non sur une communication unidirectionnelle. Pour cela, il est indispensable de croire dans les capacités du jeune (même si celui-ci commettra sans nul doute des erreurs).
- sait doser correctement son empathie.
- tient compte des problèmes dits « périphériques » (la mobilité, la garde des enfants et la médiation de dettes).
- est proche de l’employeur. Un accompagnateur doit pouvoir négocier directement avec l’employeur aussi bien pendant le processus de recrutement que pendant l’emploi. Un accompagnateur informe et soutient un employeur dans l’application des mesures en matière d’emploi. Un accompagnateur efficace est capable de faire intervenir des réseaux d’employeurs (bureaux d’intérim et réseaux patronaux) pour rapprocher sa clientèle du marché du travail. Pendant l’emploi, l’accompagnateur sert de médiateur entre le travailleur et l’employeur. Le coaching professionnel est un élément indispensable à la réussite d’un parcours d’insertion professionnelle durable et de qualité.
- a les qualités nécessaires pour gérer un public cible jeune. Actuellement, on ne tient pas suffisamment compte d’une formation réciproque des et par les accompagnateurs.
- veille à assurer un parcours «parfait». Un accompagnement chaleureux mérite toute l’attention. Pour cela, il faut que les accompagnateurs puissent gérer un nombre moins important de dossiers (parce que les jeunes reviennent plus souvent) et que les organisations de placement puissent travailler avec des moyens plus structurels. Pour les jeunes peu qualifiés, un accompagnement professionnel soutenu est préférable.
- utilise de nombreux instruments. Nous avons déjà évoqué l’importance d’une bonne relation avec les employeurs et les réseaux patronaux. De nombreuses offres d’emploi ne sont pas publiées. La mobilisation des réseaux informels doit être un élément structurel de tout parcours d’insertion professionnelle étant donné qu’il s’agit d’un important canal de recherche d’emploi.
Il n’y a pas de solution-miracle au chômage des jeunes. Mais une politique qui tiendrait compte des recommandations ici formulées constituerait sans doute un pas dans la bonne direction.
6. Vers une évaluation globale de la politique de transition
Il n’y a pas une réelle politique de la transition. Il n’y a pas d’analyse globale de l’espace transitionnel, ce qui justifie que les dispositifs ont des effets contradictoires: la sécurité sociale ne se pense pas en même temps que l’enseignement et l’enseignement ne se pense pas en même temps que le système d’insertion. Or, selon Raphaël DARQUENNE, il faudrait penser le système de façon globale et aller vers un état social actif 2.0.
Cela implique de clarifier les responsabilités entre les acteurs (ONEM et les sociétés de placement) ; agir en amont, c’est-à-dire sur l’enseignement en priorité et en aval sur la création d’emplois convenables ; assurer les connexions entre les institutions ; privilégier les dispositifs intensifs et les trajets courts.
Il faudrait également une véritable individualisation des droits et donc partir de l’individualisation avec des balises qui permettraient de supprimer le risque d’arbitraire qui est fort présent dans la politique de l’ONEM, par exemple.
Il faut aussi une véritable contractualisation car aujourd’hui avant d’être de vrais contrats, ces derniers sont d’abord des actes administratifs unilatéraux. Il faut donc tendre à responsabiliser l’Etat afin qu’il propose des outils de recherches d’emploi efficaces.
Il faut également renforcer les liens avec le monde du travail et les employeurs. Souvent il y a des dispositifs qui travaillent complètement déconnectés de la réalité professionnelle, les compétences qui y sont développées ne permettent alors pas de l’atteindre. Il faut donc donner aux jeunes des perspectives concrètes à la clé plutôt que de multiplier les dispositifs qui ne mènent pas à grand-chose. L’accompagnement dans l’emploi est aussi très positif, comme le job coaching.
Il faut donc également évaluer l’action publique. A ce sujet, Raphaël DARQUENNE a introduit un projet européen qui vise à évaluer à Bruxelles l’espace transitionnel ; l’idée est d’intégrer les acteurs dans leur propre analyse du dispositif, pour qu’ils puissent eux-mêmes définir quels sont les facteurs qui permettent ou pas la transition des jeunes, que ce soit au niveau des pratiques professionnelles, de l’organisation des services ou des articulations entre ces services. Il y a peu d’études longitudinales qui ont été faites du côté francophone pour le moment. Or ces études et le groupe de contrôle sont deux dispositifs qui permettent vraiment d’évaluer l’efficacité des dispositifs. L’appareillage statistique n’est pas encore suffisamment performant pour rendre compte des trajectoires réelles des jeunes; il faut penser cet appareillage pour qu’on puisse mieux comprendre les trajectoires actuelles des jeunes.
Références
- DARQUENNE R. & VAN HEMMEL L., « Une autre regard sur les jeunes enlisés dans le chômage. Recommandations et facteurs de réussite des jeunes peu qualifiés. Synthèse du rapport de recherche, Bruxelles, Saint Louis, Hoger Instituut voor de ardeid, Fondation Roi Baudouin, 2009, 38 pages.
- DARQUENNE R. « Les espaces transitionnels en Belgique », Séminaire 7 septembre 2010.
- « Tremplin vers une vie active »: Regards croisées sur l’insertion professionnelle des jeunes, Comite Subrégional de l’Emploi et de la Formation, Actes du colloque, 24 novembre 2011.
Notes
[1] FIPE: Fédération des Institutions de Prévention Educative, services AMO et PPP, agréés et subsidiés dans le cadre de l’Aide à la Jeunesse.
[2] Pour accéder au contenu de cet événement, veuillez consulter l’analyse suivante: Emmanuel BOUTON, « Accompagner les jeunes vers une insertion durable dans la vie active : Pistes d’action et réflexions de terrain », Le GRAIN asbl, 4 novembre 2011.
[3] Raphaël DARQUENNE, chercheur au CES (FUSL), est chargé du Réseau MAG, un réseau d’intervention sociologique, qui vise à fournir des services participatifs de recherches et d’analyses à différents acteurs. Il a mis en place un « réseau Entreprises » leur permettant d’analyser par elles-mêmes les problèmes auxquels elles sont confrontées. Avec ACTIRIS, il collabore également à un projet qui vise à associer les différents acteurs de l’insertion professionnelle à une analyse collective en vue d’améliorer le système d’insertion. L’objectif visé est d’analyse les articulations entre ACTIRIS et ses partenaires, le fonctionnement du dispositif lui-même mais aussi les difficultés rencontrées par les jeunes à pouvoir accéder à un emploi au sortir de l’école.
[4] « Tremplin vers une vie active »: Regards croisées sur l’insertion professionnelle des jeunes, Comite Subrégional de l’Emploi et de la Formation, Actes du colloque, 24 novembre 2011, p. 7-8
[5] Le stage d’attente pour accéder à l’allocation de chômage a récemment été allongé à 12 mois au lieu de 9 mois.
[6] La « capacitation » ou « empowerment » correspond à la prise en charge de l’individu par lui-même, de sa destinée économique, professionnelle, familiale et sociale. C’est donc un processus d’acquisition d’un « pouvoir »: celui de travailler, de gagner son pain, de décider de son destin de vie sociale en respectant les besoins et termes de la société.
[7] Le Workfare correspond à une aide sociale demandant aux bénéficiaires aptes au travail de travailler en échange de leur allocation.