DEI-Belgique est une petite ONG née dans la foulée de la ratification de la Convention des droits de l’enfant. L’application de ce texte, et prioritairement les questions liées à la justice, sont au cœur de son action : les mineurs auteurs de délits ou d’infractions, les jeunes qualifiés de délinquants et leur privation de liberté dans de cadre, mais également tout type de situation où les enfants sont confrontés au monde de la justice en tant que victimes ou témoins, ou demandeurs de faire respecter leurs droits. « Nous essayons d’infléchir le système de justice pour qu’il tienne compte du fait qu’une partie de son public est mineure et a donc peut-être moins de compétences et de capacités à comprendre comment il fonctionne. Ce public a moins accès à l’information, moins de possibilités d’être défendu et d’être véritablement entendu, explique Benoît Van Keirsbilck, directeur. Nous agissons également sur les lois, sur les dispositifs en place, sur les mécanismes d’assistance et d’accompagnement. »
Quelles sont les conditions de vie des jeunes – et parfois des enfants – détenus en divers endroits en Belgique ? Et ailleurs en Europe ? Que disent les normes et les lois nationales et internationales en vigueur ? Sont-elles respectées ? Comment s’en assurer, c’est l’entreprise menée par DEI-Belgique. Son équipe a piloté une recherche dans quatorze pays, publié un rapport et conçu un guide pratique pour tout professionnel proche de la justice et des jeunes, de leur encadrement ou de leur éducation.
Un public particulier
Il existe généralement des systèmes de contrôle relativement performants, des mécanismes de prévention, des structures de médiation tant au niveau national qu’européen ou international. Le Comité de Prévention de la Torture (CPT), par exemple, effectue des visites dans les lieux de détention et remet des rapports ; l’Association de prévention de la torture (APT) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ont produit des guides en matière de détention, mais rien de spécifique n’existait encore à propos des enfants. DEI-Belgique pallie désormais ce manque. « Nous sommes persuadés que leur détention nécessite un regard particulier, plus acéré, qui retienne des standards plus spécifiques. Il est important également que les évaluateurs aient une sensibilité et une capacité à entrer en interaction avec les enfants privés de liberté », indique le directeur de DEI-Belgique.
DEI et DEI-Belgique
L’ONG Défense des Enfants International (DEI) existe depuis 1979. Elle a pour objectifs de faire connaître et de défendre les droits de l’enfant dans le monde. Son secrétariat général est à Genève, elle est implantée dans une cinquantaine d’états et a son porte-voix aux Nations Unies. DEI-Belgique a été créée en 1991 et a rejoint le mouvement international en 1992. Elle est agréée depuis 2009 par la Fédération Wallonie-Bruxelles en tant qu’association d’éducation permanente. Elle veille à ce que la Belgique respecte mieux les droits de l’enfant. Ses domaines prioritaires sont : les enfants et la justice, les enfants migrants, l’éducation, l’information et la formation sur les droits de l’enfant, le droit de l’enfant d’exprimer son point de vue sur les décisions qui le concernent.
L’ONG s’est adjoint les compétences d’une dizaine d’experts.Elle a répertorié les instances de monitoring et les mécanismes de plainte qui existaient dans les pays partenaires[1]. Chacun a rédigé son rapport, Children’s Rights Behind Bars[2], et la version belge approfondit les particularités régionales. Le guide pratique, Monitoring des lieux où les enfants sont privés de libertés[3], s’est écrit dans la foulée. Il est transversal à l’Europe et bien au-delà. Il liste de manière exhaustive les normes spécifiques à la détention d’enfants, reprend tous les traités européens, les lignes directrices, les recommandations, les conventions internationales, les pactes, etc. « Nous sommes entrés dans le détail de chaque règle, préciseB. Van Keirsbilck. Celles qui régissent le droit à avoir des contacts avec l’extérieur par exemple. Comment est-ce qu’un organisme de monitoring va contrôler ces visites ? Qui interroger ? Quoi observer ? Y a-t-il un lieu où ces rencontres peuvent se faire ? Dans quelles conditions ? A quel rythme ? »
Pour améliorer la situation, il faut fournir des clés de lecture, une approche et une capacité d’observation. Une partie du guide donne des indications pratiques et concrètes en ce sens. « Les punitions par exemple. Y a-t-il un règlement qui les prévoit ? Quelles sont-elles ? Pour quels motifs ? Et la mise en isolement, y recourt-on ? Dans quel contexte ? » Cet ouvrage enjoint les observateurs à visiter les lieux de détention, à se rendre compte s’ils sont salubres, aérés. Offre-t-on des occupations aux jeunes et pendant combien de temps ? « On invite les gens qui effectuent ce contrôle à ne pas passer à côté d’un élément. Y compris à aller consulter le dossier au greffe. Et y a-t-il un dossier, une décision légale de privation de liberté ? Il arrive que l’on soit dans l’arbitraire… » Cette grille est fondée sur les normes applicables à l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe et sur les standards nationaux et régionaux. « Ce sont des questions que nous suggérons au visiteur de se poser et nous lui proposons des indicateurs qui lui permettent de réunir des éléments de réponse, résumeSarah Grandfils, coordinatrice du projet Children’s Rights Behind Bars. On va notamment l’inciter à s’entretenir avec les enfants eux-mêmes, avec leur avocat, avec le personnel, avec la direction. C’est un outil qui place l’enfant au centre de l’évaluation et on veillera toujours à recueillir son point de vue. »
La parole et le coup d’œil des jeunes
En marge de cette recherche internationale, DEI-Belgique a mené un travail avec les jeunes détenus à l’IPPJ de Saint-Hubert. « Ce centre fermé accueille les jeunes réputés les plus difficiles, ceux dont le système de justice des mineurs n’a plus voulu et qu’il a renvoyés vers la justice pour adultes. Ils sont en attente d’un jugement, ils sont parfois punis à des peines très lourdes pour des faits commis quand ils avaient entre seize et dix-huit ans. Leur environnement est très sécuritaire », décrit Benoît Van Keirsbilck.
L’ONG leur a proposé un atelier photo. Thomas Freteur, photographe professionnel, leur a transmis des rudiments techniques et les a aidés à décrypter leur approche. Cette activité leur a permis d’exprimer leur point de vue, de faire part de leur expérience, de ce qu’ils ont envie de dire à l’extérieur. « C’est très important de travailler avec ces jeunes, insiste le directeur de DEI-Belgique, de leur donner la parole, d’essayer de démystifier l’image que le public à d’eux. Ce sont les pires, c’est ce qu’on dit d’eux, et ils rentrent dans ce moule-là. Ils ont besoin de valoriser leur statut de caïd, le seul qu’on leur reconnaît et que l’on met en avant, notamment à la une des journaux. »
Les jeunes ont disposé d’appareils pendant quelques jours. Ils se sont photographiés eux-mêmes ou les uns les autres, ils ont saisi des instantanés de leur vie ou construit des mises en scène levant le voile sur leur quotidien, leur intimité.
Des clichés soignés, signés – des pseudonymes –, ont été sélectionnés et réunis dans un album Au travers des barreaux, Regards de jeunes privés de liberté[4] et assortis de réflexions de leurs auteurs. « Le travail a porté sur le choix de ce qu’ils allaient montrer et comment, sur le message et le ressenti qu’ils souhaitaient faire passer. Le sens du juste et de l’injuste a émergé. »
Cette production collective a aussi fait l’objet d’une exposition, une manière d’humaniser les débats. Benoît Van Keirsbilck y est très attentif. « A force de parler de monitoring, de standards internationaux et de normes, on s’éloigne des jeunes tout en s’y intéressant, dit-il. Les jeunes détenus ne peuvent évidemment pas être parmi nous mais ce livre et l’exposition qui l’accompagne nous ramènent leur parole, les replacent symboliquement au centre des préoccupations. »
Ce livre a aussi pour vocation d’expliquer comment fonctionne la justice des mineurs dans un langage accessible. Il donne la réplique à des phrases-couperets, telles que : « Les IPPJ, c’est le Club Med’ », « A dix-sept ans on n’est plus un enfant », « Les délinquants ne comprennent que l’enfermement », « Les juges sont trop laxistes », « La médiation ne fonctionne pas »…« Il y a beaucoup de « désinformation », déplore le directeur. Que dit la loi belge ? Qui peut être détenu ? Dans quel cadre ? Nous avons conçu cet ouvrage comme un outil de plaidoyer mais aussi comme un outil pédagogique, un instrument pour lancer un débat, une discussion, pour réfléchir en classe par exemple. »
Suivi
Reste à analyser l’impact de cette recherche sur le terrain. Pour le directeur de DEI-Belgique, les jeunes doivent être associés au monitoring des conditions de leur détention. « Dans cinq pays, nous allons les impliquer de différentes manières, par différentes formes d’expression comme le théâtre action, la photo, la radio, afin de recueillir leur parole sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas. Mais aussi leur fournir des clés de lecture car s’ils ne connaissent pas les règles applicables, ils auront du mal à les évaluer. »
L’ONG entend installer parallèlement un processus d’auto-évaluation pour les instances qui pratiquent la privation de liberté. « On attend d’elles qu’elles utilisent ce guide en s’interrogeant sur leur mise en application des critères indiqués. Nous leur proposons ensuite d’analyser ensemble les problèmes les plus importants qu’elles auront détectés et d’élaborer des pistes pour améliorer la situation. » Le guide a déjà été traduit et adapté aux normes de plusieurs pays d’Europe, d’Afrique, d’Amérique latine et des demandes sont formulées pour le Moyen-Orient et le Canada. Un programme de formations vient de démarrer.
NOTES/REFERENCES
[1] Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, France, Irlande, Italie, Lettonie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Roumanie. Partenaires associés : Centre des Droits de l’Enfant (République de Serbie), Howard League for Penal Reform (Royaume-Uni), Organisation Mondiale contre la Torture (OMCT), Conseil de l’Europe (CoE).
[2] http://www.childrensrightsbehindbars.eu/images/national-reports-2014/Rapport_BE_FR.pdf
[3] http://www.childrensrightsbehindbars.eu/images/Guide/Guide_Pratique.pdf
[4] http://www.dei-belgique.be/fr/documentation/documents-rapports/article/aux-travers-des-barreaux