La recherche participative que nous avons appelée « Interpell’Action » fait suite à une journée de rencontre organisée par des jeunes fréquentant des AMO et leurs animateurs, en mai 2022, sous forme de forum ouvert. Elle cherche à rendre visible l’expertise expérientielle des travailleurs de terrain de première ligne dans les services d’action en milieu ouvert de l’aide à la jeunesse ainsi que celle de leurs publics quant aux changements à apporter au bénéfice des parents et des jeunes des quartiers populaires bruxellois.
Elle rend compte de l’impuissance ressentie par ces familles et les professionnel.les qui les accompagnent devant l’absence de prise en compte des politiques face à la situation de ces quartiers.
Elle propose une approche qualitative des situations de précarité vécues. Tentant une fois de plus de passer le mur entre les nantis de plus en plus riches et les précaires de plus en plus nombreux dans nos sociétés.
Les services AMO sont censés mener une politique de prévention au bénéfice des enfants et des jeunes en danger dans les quartiers populaires. Ils disposent pour cela de moyens totalement insuffisants. De plus, ils sont concurrencés sur le terrain par les services de prévention sécuritaire communaux qui mènent une politique non ciblée sur les précaires avec des moyens bien supérieurs.
Devant l’impossibilité de faire entendre les revendications présentes depuis de nombreuses années dans leurs diagnostics sociaux, ces services ont décidé de mener une interpellation militante.
Contexte
Un constat dominant: la précarisation croissante des familles et des jeunes
Tout est parti d’un constat dressé par le collectif bruxellois des AMO : vu l’explosion et la complexification des demandes des jeunes et de leurs familles, la mission de prévention des AMO passe désormais au second plan : le travail des AMO bruxelloises revient, selon Marc De Koker, à faire du « sauvetage en mer ». Les constats sont flagrants.
En raison de l’augmentation des conditions pour recevoir de l’aide, au non accueil par l’État des migrants et demandeurs d’asile, de nombreuses familles présentes dans les quartiers populaires se retrouvent sans revenu et sans statut social. Des jeunes en nombre croissant quittent l’école, recherchent des revenus et un logement, leur famille n’étant pas en situation de veiller à leurs besoins fondamentaux.
En même temps, le nombre des jeunes mineurs en errance, qui logent tantôt dans la rue, tantôt dans des squats, croît de façon exponentielle. S’il y a 15 ans, le pourcentage de jeunes concernés par l’errance était de 2%, on l’estime actuellement à 15%. Les structures d’accueil débordent face à cette explosion.
Autre chiffre : 80% des jeunes fréquentant un service AMO sont en rupture avec l’école ; les personnes chargées de l’accrochage scolaire les jeunes constatent le manque de sens de la scolarité et déplorent que dans le « croissant pauvre » de Bruxelles, la plupart des sections secondaires proposent des filières techniques sans aucune réelle perspective professionnelle.
Enfin, l’offre d’hébergement pour les mineurs en danger est déficitaire en Fédération Wallonie-Bruxelles, et ce de façon criante. Au point qu’en octobre 2022, un collectif de magistrats a tenu à faire part, dans une carte blanche adressée au Ministre de l’Aide à la Jeunesse et aux membres du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, du fait qu’ils ne sont tout simplement plus à même d’assurer leur mission de protection des enfants en danger qui leur sont confiés tant que de nouvelles places d’accueil ne sont pas créées. La manifestation du 28 septembre 2023 démontre à nouveau l’actualité de la question de l’hébergement mais aussi celle de la prévention des situations de rupture familiale.
Confrontées à ces situations de crise, complexes, durables et inacceptables, au bord de burn out militants, les travailleurs de services AMO bruxellois ont décidé de se mobiliser et de mener une Interpell’Action.
Une démarche de recherche participative centrée sur l’action
Au-delà de se rassembler pour unir les forces et peser d’un poids plus grand, les acteurs de cette interpellation politique, dénommée Interpell’Action, ont voulu recueillir des témoignages afin de valider et affiner leurs constats tout en proposant des pistes de solutions dont leurs usagers soient parties prenantes. Dans les faits, une bonne partie des citoyens belges ne mesure pas l’ampleur des dérives actuelles en matière de non accès aux droits sociaux et son impact sur l’aide à la jeunesse.
Devant leur sentiment d’impuissance et la complexité des situations, l’objectif des travailleurs sociaux concernés est de rendre du pouvoir d’agir autant à leurs services qu’aux familles et aux jeunes qu’ils côtoient; de rendre visibles leurs constats afin de susciter une prise de conscience « qui puisse inspirer la société en profondeur et infléchir les opportunités politiques futures ».
Un noyau dynamique composé de quelques travailleurs et chercheurs volontaires est garant de la ligne directrice. Une personne fait le relais avec le collectif des AMO. Ce groupe porteur s’est adjoint progressivement le soutien de Collectiv-a et de l’asbl le Grain. Il a choisi de travailler suivant l’approche de Développement du Pouvoir d’Agir des Personnes et des Collectivités (DPA PC, approche initiée par le québécois Yann Le Bossé).
Plusieurs phases de mobilisation, de débats et d’élaboration de propositions sont prévues :
- approfondir, avec les acteurs impliqués, les situations, les constats et les enjeux de chacun;
- identifier avec eux les pas à poser pour reprendre l’initiative, les actions concrètes et les stratégies d’action.
- Interpeller les politiques.
L’approche du DPA PC, similaire à celle de l’éducation permanente, est susceptible de faciliter la mise en action des acteurs concernés et l’élaboration progressive d’une politique de prévention à la hauteur des enjeux nommés.
Une première enquête auprès de différents acteurs, travailleurs sociaux, jeunes et familles, est menée par les services AMO bruxellois avec le soutien d’Interpell’AMOs, et du C.E.R.I.S.E.S. de l’Institut Defré de la Haute Ecole de Bruxelles-Brabant (HE2B).