Données de départ
Le principe d’un « world café », c’est d’apprendre à se connaître mutuellement, d’échanger à bâtons rompus sur des thèmes communs, de confronter les idées. Les participants avaient trois questions à se mettre sous la dent, à charge des rapporteurs de noter les idées apportées et puis d’en faire une synthèse. Nous avons repris l’ensemble des notes des rapporteurs des tables du world café afin d’un dégager les tendances, et de vérifier si le message du panel des participants (plus large que celui de la recherche-action), donnait des résultats allant dans le sens de ce que nous avions déjà élaboré, et si non, dans quelle mesure.
Les trois questions posées étaient : 1) Comment le travail en réseau et la collaboration entre les services et associations dans la région de Bruxelles-capitale devrait-il être pensé et organisé dans 10 ans dans la perspective du développement du pouvoir d’agir des jeunes ? Comment faire usage de la notion de compétences (identification, valorisation, validation,…) pour permettre un travail en réseau pertinent pour les jeunes « hors-piste » ?
2) Comment le travail social et le travail d’accompagnement des jeunes peut-il être pensé et pratiqué dans une perspective émancipatrice ? Comment faire usage des compétences (identification, reconnaissance, développement,…) dans le travail social avec les jeunes pour leur permettre de trouver une place qui leur convienne dans le monde ?
3) Quels dispositifs d’action sociale et d’action publique développer et mettre en œuvre pour permettre à chaque jeune de d’identifier et de développer des compétences ? Quels outils concrets utiliser pour travailler avec les jeunes sur leurs compétences dans une perspective capacitante ?
Le travail en réseau
Des apports des participants, il ressort que le travail en réseau est à la fois quelque chose de hautement désirable tout autant que difficile à pratiquer. Le travailleur social est tiraillé entre l’envie de connaître les autres, d’échanger sur la manière dont ils procèdent, sur leurs approches spécifiques, et l’envie tout aussi forte de se concentrer sur sa tâche, de privilégier l’approfondissement de ses propres options et méthodes. La pauvreté des informations disponibles, le manque de temps et une certaine concurrence entre structures sont des freins au travail en réseau, mais le fait que les jeunes dont les opérateurs assurent l’encadrement fréquentent des structures diversifiées rend quasiment obligatoire de se parler, voire de se comprendre entre structures.
Pour pallier la difficulté du travail en réseau, les propositions sont les suivantes :
- Investir les plateformes et coupoles existantes ;
- Rendre le travail en réseau obligatoire ;
- Prévoir, dans chaque équipe, une personne dont la responsabilité serait d’établir des liens avec les structures potentiellement partenaires ;
- Prévoir des moments d’échanges relativement longs, sous forme de stages, permettant de mieux se rendre compte des réalités et approches des partenaires.
Les acteurs de réseau les plus fréquemment évoqués par les participants sont les CPAS, Bruxelles Formation, les CEFA, l’EFP et bien sûr les écoles.
En ce qui concerne le jeune et son accompagnement, il existe également une certaine tension entre deux objectifs poursuivis qui sont : créer un lien vraiment privilégié si pas exclusif avec le jeune accompagné d’une part, se mettre pleinement et inconditionnellement à sa disposition, et encourager ce même jeune à aller trouver chez le partenaire de son choix le soutien qui lui convient vraiment (la relation étant souvent une affaire de personnes, de feeling), d’autre part.
Un accompagnement vraiment émancipateur
Pour atteindre cet objectif le travailleur social doit, au besoin, changer son regard sur le jeune, pour le voir comme plein de potentialités, et non comme un ignorant. De même, le réseau premier du jeune, mais aussi la rue et le quartier, sont des sources de formation à ne pas négliger. L’idée est que le travailleur social fasse une grande confiance au jeune et non seulement le laisse aller vers de nouvelles choses, mais l’oriente activement, au besoin, vers ces alternatives. Pour cela il doit bien connaître le tissu social et l’offre de services institutionnels et associatifs, ce qui nous renvoie à la question du réseau.
Le contexte du Labocompétences est aussi un contexte d’opérateurs qui tentent de « rattraper » ce qui n’a pas fonctionné ailleurs, à l’école, par exemple. Alors, tout naturellement, les ingrédients des solutions qu’ils préconisent sont ceux qui trop souvent font défaut à l’école. En premier lieu : du temps et du « lâcher prise » par rapport aux échéances. L’idée, c’est de relâcher enfin la pression, de remettre au centre le plus important : la relation, l’être à soi et aux autres, le sens du service à la collectivité, le jeu, le plaisir. Le relâchement de la pression permet d’évacuer les émotions négatives et le stress, qui souvent font perdre des moyens psychiques, pour créer le décalage, la prise de recul, permettre le temps de réflexion, la « bulle ». La méthode, c’est de mettre entre parenthèses les délais et urgences pour revenir, au maximum, à l’essentiel. Pour cela il faut bien sûr bénéficier de moyens matériels, de financements suffisants et assurés et se centrer sur l’organisation d’activités qui suscitent le décalage, le recul : les voyages planifiés par les jeunes, les missions humanitaires, les missions en lien avec la culture. Les projets en équipe, où des liens et des échanges sont recréés dans un groupe de pairs, génèrent, quand la bienveillance est garantie par le cadre, de la solidarité et de l’estime de soi, et sont un élément central du développement des compétences du jeune.
Dans ce contexte, le travailleur social se met à l’entière disposition du jeune pour créer avec lui une relation de long terme. Il l’accompagne dans la recherche de ses solutions à lui, et ne lui impose pas des démarches.
Les outils concrets
Quant à la question des pistes d’action réellement porteuses, nous trouvons avant tout un positionnement réflexif du travailleur social (qui se doit de se remettre en question, accepter de sortir de sa zone de confort et partir à la conquête de nouveaux partenariats, multiplier les échanges entre professionnels, prendre du recul sur son travail au quotidien) et deux tensions à résoudre. Une première tension entre l’envie de devenir le « sauveur » à tout prix du jeune accompagné et la possibilité de le lâcher, de lui témoigner de la confiance pour favoriser son autonomie. Une autre tension existe entre la volonté de favoriser le développement des compétences grâce à l’attitude de lâcher-prise et de confiance que nous avons évoquée ci-dessus, et la tentation de trouver une voie pour leur validation, afin de donner au jeune des éléments tangibles attestant de ses compétences, lui permettant de les faire valoir, face à des tiers. Cette deuxième option suppose l’adoption d’un langage commun entre écoles, acteurs de l’insertion, organismes d’aide en milieu ouvert et employeurs, tous types d’opérateurs par lesquels les jeunes sont susceptibles de passer et repasser dans leur parcours de formation. Une piste avancée était la création de liens entre les organismes d’éducation informels type plate-forme pour le Service Citoyen, Solidarcité, les AMO, les SAS d’une part, et des entreprises d’autre part.
Certains outils devant permettre la mise en réflexion du jeune au sujet de ses compétences, comme le récit de vie ou la méthode EVA-GOA[3]. EVA-GOA est un programme d’autonomie fonctionnelle du jeune, qui, pour l’instant, concerne plutôt son installation dans un logement indépendant, mais pourrait être adapté pour gérer ses besoins en termes d’acquisition de compétences.
Récit de vie
Le récit de vie est l’expression à travers laquelle « une personne
raconte sa vie ou un fragment de sa vie à un interlocuteur », pour la retracer et en faire non seulement une biographie mais aussi une sorte d’épopée et un document de transmission.
Toute vie est riche en événements, en rencontres, en enseignements, et en parts de mystères.
Il est possible et fort intéressant de les revisiter, tout en les replaçant dans leur contexte et en y ajoutant votre connaissance des effets proches ou lointains tels qu’ils se sont présentés à vous.
Le portefeuille de compétences, Unis-cité, 2009 –
http://ucformation.free.fr/documents/Portefeuille_competences.pdf
La méthode PEEPI fut également évoquée. PEEPI est une méthodologie d’accompagnement et d’entretien qui permet de construire, avec les bénéficiaires, des parcours d’insertion professionnelle sur mesure. Le PEEPI permet à la personne d’identifier son projet, de repérer ce qui la freine aujourd’hui et de choisir des actions lui permettant d’avancer.

Des préoccupations politiques, aussi
A un niveau plus global, les participants ont souligné le fait qu’il était difficile d’œuvrer à l’émancipation des jeunes via de petits projets alors que la société dans son ensemble n’est pas émancipatrice et que les moyens et ressources sont inégalement répartis. Il est par exemple difficile de se centrer sur le développement de ses compétences si des besoins de logement ne sont pas satisfaits. Par ailleurs, l’école est pointée pour ses pratiques de tri, de relégation, ses pratiques de mises en échec voire d’exclusion. Et c’est toute l’institution-école qu’il faudrait réformer, car il n’est pas rare que les enseignants soient en souffrance et donc incapables de hisser valablement leurs élèves. Au plan pédagogique, les pédagogies actives seraient, selon les participants, à développer massivement.
Les contraintes et exigences de l’action publique sont pointées comme non favorables aux projets visant le développement des compétences des jeunes. Les obligations de reddition de comptes notamment, les contrôles et évaluations, constamment intensifiés, raffinés, ôtent leur sens aux actions et mettent une pression contre-productive sur les associations et les jeunes.
La catégorisation des personnes est également vue comme dangereuse : les appellations comme NEET ne sont pas, de l’avis de certains, compatibles avec une mise sur pied d’égalité nécessaire au déploiement d’une action réellement émancipatrice, car elles enferment dans des catégories, là où il conviendrait de repartir d’une page blanche, de libérer les imaginaires.
Les apports du World café viennent confirmer les recherches déjà menées au sein du groupe Labocompétences, ils viennent également les enrichir de nouvelles pistes à explorer, avec ceux qui souhaitent rejoindre le groupe, dans des étapes ultérieures d’élaboration d’outils, de postures et de pratiques pour le développement des compétences des jeunes.
NOTES / REFERENCES
[1] Les jeunes ont des compétences… Qu’en faisons-nous ? est un colloque co-organisé par Le GRAIN. Souvent qualifiés par leurs manques, les jeunes « hors-pistes » ont de nombreuses compétences, parfois insoupçonnées. Le 24 novembre 2017, le groupe LABOCOMPETENCES rendait public son travail de trois années au cours desquelles fut menée une recherche-action participative, dont nous avons fait écho dans nos analyses et études. Les thèmes de la journée étaient : Quel usage faire des compétences dans le travail social, les dispositifs et le travail en réseau ? Qu’est-ce qui empêche ou favorise le développement des compétences des jeunes « hors pistes »? Comment élargir le concept, identifier et valoriser ces compétences? Quelles compétences mettre au travail ? Pour quoi faire ? Avec qui ? Comment ?
[2] Le réseau Labocompétences a réuni plusieurs services bruxellois d’aide aux jeunes en milieu ouvert, Solidarcité, la mission locale de Schaerbeek, le consortium de validation des compétences, le centre FAC, avec le soutien des intervenants de Le GRAIN. Lire l’étude Le GRAIN 2015 : R. Darquenne, LABOCOMPETENCES. De l’analyse partagée des situations des jeunes des quartiers aux usages de leurs compétences, Le GRAIN, Etude 2015.
[3] https://vimeo.com/61885719
[4] Document PowerPoint disponible sur http://www.mi-is.be/sites/default/files/documents/20160628_-_presentation_de_la_methodologie_peepi_-_cpas_de_chimay.pptx