Re-donner un sens commun à l’école

L’école souffre d’un manque de lien avec les réalités sociales actuelles. C’est ce qui est proposé ici : redonner du sens à l’école grâce à une réactualisation et une refonte des références éthiques communes. Étienne Delvaux, collaborateur et ancien président de l’ASBL Le GRAIN, directeur d’école à la retraite, propose ici au débat ses réflexions à propos du cours « de rien ».

Un cadre éthique commun pour les apprentissages

Suite aux décisions de justice rendant non-obligatoire le cours de religion ou de morale, prenons le temps de réfléchir à une alternative, ne travaillons pas dans l’urgence.

Faut-il ajouter de la matière ? Y a-t-il un contenu qui manquerait à l’école ? Je ne le pense pas. Ma proposition est la suivante : pourquoi ne pas profiter de la possibilité de faire autre chose que de la religion ou de la morale pour remplacer le cours « de rien » par un cours de « Solidarité, réconciliation et citoyenneté internationale[1] » ancré sur différentes disciplines scolaires ? Parce que ce qui peut manquer, me semble-t-il, c’est de faire un lien entre les différents cours et de les articuler entre eux. Dès lors, pourquoi ne pas profiter du changement qui se profile dans les programmes pour donner sens à l’école et donner une ossature au projet pédagogique en envisageant les cours dans une perspective globale ?

Des clés pour comprendre le monde et en devenir acteur

Chaque cours s’envisagerait dans un ensemble et non plus séparément. L’école créerait des ponts avec la réalité et deviendrait dès lors un lieu où les apprentissages seraient en lien direct avec la société.

Par exemple, on pourrait envisager de transmettre des outils, des clés pour comprendre les interdépendances mondiales (les liens qui unissent certains pays, leurs similitudes culturelles…) et ainsi donner un contexte concret aux apprentissages citoyens. La formation ne peut plus se limiter à une contextualisation locale, il faut élargir la vision, le cadre, inscrire les interventions dans un contexte mondial et sociétal. Comment appréhender pleinement le changement climatique, les migrations, l’économie, les relations sociales, humaines, culturelles, religieuses et politiques sans regarder au-delà de nos frontières ? Comment mieux maîtriser le monde numérique qui nous entoure  et démystifier l’informatique, pour en faire un outil utile ? On peut, me semble-t-il, envisager de comprendre l’ordinateur, d’appréhender la programmation. Aller voir ce qui se passe à l’intérieur de l’architecture numérique.

L’école doit évoluer avec les progrès, et non pas rester en arrière, parce que n’est-ce pas le rôle de l’école de permettre à l’élève de prendre du recul pour mieux envisager la réalité et la complexité du monde ? Pourquoi ne pas permettre à l’élève, dans une perspective d’émancipation, de « pratiquer » (je vais y revenir) son savoir, lui montrer que ses connaissances, sa culture, son identité, peuvent servir ?

« Dans un contexte de repli sur soi et de radicalisation, l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale doivent inciter les élèves à échanger leurs opinions de manière ouverte et critique.[2]» Créer de nombreux liens avec les enjeux du développement, de l’interculturalité et des relations internationales, serait un des objectifs de ce cours.

Une expérience inspirante

L’exemple d’une expérience menée à Chalon-sur-Saône nous rapporte que c’est possible. Depuis septembre 2003, le lycée Hilaire de Chardonnet de cette ville propose une éducation à la solidarité et à la citoyenneté internationale à tous les élèves de secondaire. Une initiative inédite qui met en lumière l’intérêt pédagogique de cette démarche et relève les synergies qui peuvent se créer entre l’éducation nationale et les acteurs de la société civile. Le postulat de départ, ici, est simple : les élèves ont tous besoin d’acquérir, au sein de l’école, une culture humaniste et des clés de compréhension des interdépendances mondiales. L’étude de la consommation, du chômage ou du fonctionnement du marché international permet aux élèves de déconstruire leurs représentations et d’aborder les impacts sociétaux des processus de développement et de leur construction identitaire. Il s’agit de déconstruire toutes représentations hâtives et lacunaires qu’on pourrait se faire sur la façon de gouverner le monde, les différents liens qui unissent certaines réalités, d’expliquer le pourquoi des choses.

Dans cette perspective, on peut imaginer que certains professeurs de géo approfondissent des thèmes liés aux relations internationales ou que les professeurs de sciences ou d’étude du milieu abordent le concept de développement durable ou encore que les professeurs de morale et de religion développent des notions d’affirmation de soi, d’identité culturelle et religieuse, en s’appuyant tous sur des valeurs telles que la solidarité, la fraternité des peuples, l’amour du savoir, des êtres humains qui partagent un même destin, le dialogue et la paix. Mais plus qu’un cours ex-cathedra, ce serait aussi un cours où chacun prendrait sa part, qui se construirait ensemble, avec les élèves ; chacun apportant sa vision, son point de vue. Il n’y a pas, dans les sciences humaines, de savoirs indiscutables, de vérités intrinsèques…

Donner du sens aux apprentissages

Ceci permettrait de donner du sens à l’enseignement et à l’école en l’incluant dans le vécu sociétal et surtout celui du jeune. En donnant aux cours une ossature éthique commune et en créant des liens avec les réalités sociales vues sous l’angle de la mondialisation, le dispositif permettrait aux élèves d’inscrire leurs apprentissages dans un monde actualisé avec lequel ils seraient en phase. Bien sûr, tout apprentissage ne doit pas être lié au réel, mais certains de ceux-ci, en s’ancrant sur les réalités, peuvent prendre une tout autre dimension. Inscrire l’école dans la vie et les problèmes de tous les jours donnera une autre dimension à celle-ci et une raison aux apprentissages, « ça sert à quelque chose » (en plus de mieux comprendre le monde).

Réactualiser le monde de référence de l’école me paraît primordial. Montrer qu’apprendre sert à devenir un homme, un être humain, un citoyen digne et fier d’appartenir à l’espèce humaine, donnerait un sens nouveau aux apprentissages.

Une pédagogie active avec une visée émancipatrice

Je prône donc un cours qui crée aussi des liens avec les autres cursus, qui ne soit pas détaché des autres cours et qui ne se suffise pas à lui-même. Ceci obligerait aussi aux enseignants à se concerter. Je suis persuadé que c’est toute l’école et par extension toute la société qui auraient à y gagner. Par ce biais, l’enseignement secondaire deviendrait aussi un lieu où l’évolution, le développement individuel et collectif seraient visibles.

Ce cours permettrait enfin l’émancipation[3] du formé et lui permettrait d’agir et penser par lui-même en référence à un monde commun. Espace de dialogue entre les matières, ancré sur des apprentissages articulés entre eux, il mettrait en œuvre une pédagogie coopérative où l’apprenant s’approprie le savoir et le professeur joue un rôle de facilitateur. C’est l’apprenant (de différentes manières) qui fait la démarche, le résultat et les sujets dépendent de lui. La responsabilité, la mise en œuvre des projets sont des moyens pédagogiques. Les apprenants coopèrent, chaque sujet n’est pas individuel, c’est ensemble qu’ils obtiennent un résultat. Et déjà, dans un premier temps, dans la préparation, il s’agit de se mettre d’accord, de trouver un minimum commun. J’imagine donc un cours où « le faire » est aussi important que « le savoir », un cours basé sur l’émergence d’une autorité partagée.

NOTES / REFERENCES

[1] L’intitulé définitif resterait à trouver…

[2] Pour une réflexion plus approfondie sur le sujet et des outils pédagogiques pratiques, voir Bourgogne Éducation, ECSI – Éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale en classe de seconde. Guide pédagogique à l’usage des enseignants de sciences économiques et sociales dans le cadre d’un enseignement d’exploration, mars 2016, 156 p. en ligne sur http://enseignement-ecsi.fr/wp-content/uploads/2016/03/Enseignement-ECSI-Guide-complet.pdf

[3] Au sens que lui donnent D. Grootaers et F. Tilman dans l’article intitulé : Pédagogie émancipatrice dans le cadre des formations d’insertion socio-professionnelles, asbl Le GRAIN, 2006 : « Dans son sens le plus général, l’émancipation peut être définie comme la sortie ou l’affranchissement d’une tutelle. La pédagogie serait donc émancipatrice lorsqu’elle développe les savoirs et les capacités des personnes leur permettant de se libérer d’une autorité, d’une domination, d’un pouvoir. »

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