On entend et on lit beaucoup de choses sur l’importance du collectif à l’école. Dans cette analyse, je vous propose un petit tour d’horizon de la question afin d’en dégager les principaux enjeux didactiques et sociétaux. Mes propres filles ont fréquenté, à l’école primaire, une école à pédagogie active. J’ai constaté que les effets positifs de cet enseignement étaient variables d’un enfant à l’autre. Par ailleurs, ayant enseigné le français langue étrangère auprès de jeunes durant ces trois dernières années, et bien que peu préparée par les cours de l’agrégation pour le faire, je me suis lancée dans des expérimentations de travaux de groupe au sein de mes classes. J’évaluais à cette occasion les progrès individuels des élèves en français et non l’amélioration de leurs compétences sociales. Je leur fournissais toujours au préalable ma grille d’évaluation, pour qu’ils soient bien au courant de ce qui serait attendu. C’est un déplorable lieu commun mais j’ai eu à maintes occasions l’impression que ce qui comptait avant tout pour mes élèves était « d’avoir leurs points », partant de là, ce qui était important, c’était que la tâche soit réalisée et bien notée, peu importe qui avait appris quoi. Entre injonctions décrétales, idéologies, pratiques de classe, qu’en est-il de l’enseignement des compétences coopératives à l’école ?
Collaborer, coopérer, travailler en groupe suppose que l’on dispose de compétences sociales, comme communiquer, écouter attentivement, comprendre le point de vue de l’autre (et donc se décentrer…), attendre son tour de parole,… Cela fait-il officiellement partie des compétences travaillées à l’école en Fédération Wallonie Bruxelles (FWB) ? Que l’on me pardonne par avance, je ne prétends pas ici traiter de toutes les pratiques de toutes les écoles et de tous les cycles d’apprentissage en FWB jusqu’à 18 ans. Le travail serait trop énorme. Ma recherche est parcellaire et elle entend seulement dégager de grandes tendances.
Que disent les décrets ?
Mon expérience de professeur de français en Flandre ne m’ayant pas permis de maîtriser les référentiels de compétences en Fédération Wallonie Bruxelles, j’ai épluché le site http://www.enseignement.be…
On ne trouve pas grand-chose sur les pratiques collaboratives en classe sur ce site, si ce n’est une très intéressante étude intitulée « Création d’un outil d’évaluation des compétences des élèves à travailler en groupes destiné aux enseignants de l’école fondamentale et construit au regard des nouveaux socles de compétences », sur laquelle nous reviendrons. En attendant que le Pacte pour un enseignement d’excellence prenne ses pleins effets, c’est toujours le décret Missions qui est en vigueur. Ce décret se décline en une série de documents relatifs aux « socles de compétences ».[1]Voir Référentiels de compétences – Les socles de compétences sur enseignement.be
Le référentiel des compétences à acquérir en cours de français comprend des compétences relationnelles telles que « Connaître les autres et accepter les différences : écouter, dialoguer, travailler en équipe, laisser s’exprimer ».
Parcourir les documents relatifs aux socles de compétences en Fédération Wallonie Bruxelles (les compétences à développer chez les enfants entre les âges de 6 et 14 ans) nous apprend notamment que le référentiel des compétences à acquérir en cours de français comprend des compétences relationnelles telles que « Connaître les autres et accepter les différences: écouter, dialoguer, travailler en équipe, laisser s’exprimer », mais que ces compétences ne sont pas en tant que telles certifiées.
Concernant le cours de philosophie et de citoyenneté, il semble qu’il cherche à favoriser chez les élèves les apprentissages en commun. A ce propos, on peut lire : « Les compétences visées par l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté, comme la volonté de privilégier leur apprentissage en commun, ne se prêtent pas toujours bien aux exigences de la certification. Si celle-ci est indispensable, elle doit rester un outil au service du développement des compétences. Le référentiel accorde par conséquent une grande place à des compétences qui ne doivent pas être directement certifiées. Dans de tels cas, il précise toutefois des tâches ou des objectifs qui devront pouvoir être réalisés ou atteints collectivement avec l’aide de l’enseignant. La maitrise d’une compétence certifiée doit, quant à elle, pouvoir être démontrée par un élève seul. »
Le point central à comprendre ici, c’est que, même s’il y a collaboration entre les élèves, c’est l’apprentissage de chacun pris individuellement qui doit être certifié. Ce pour éviter justement une répartition des tâches dans les groupes, qui nuirait aux apprentissages de certains qui, moins assurés, se laisseraient porter par les autres.
Le décentrement, la compréhension du point de vue de l’autre en vue d’amener l’élève à élargir sa perspective sont aussi travaillés au travers de ce cours de philosophie et citoyenneté.

On le voit, les compétences « reformuler ce que l’autre a dit pour vérifier que l’on a compris » et « analyser une situation depuis une perspective différente de la sienne » sont à certifier (c’est marqué par un grand « C » dans le tableau). On imagine que les professeurs d’éducation à la citoyenneté doivent mettre en place en classe des dispositifs pour travailler cette compétence chez les élèves et mesurer leur progression, mais nous n’en savons pas plus à ce stade.
Pour les autres niveaux d’enseignement, j’avoue n’avoir pas fait le travail à fond, mais la lecture des compétences terminales attendues pour le français, par exemple, indique que la compétence parler – écouter comprend deux sous-compétences qui nous intéressent pour notre sujet d’analyse, qui sont :
1/ Orienter sa parole et son écoute en fonction de la situation de communication ; cela consiste à choisir et mettre en œuvre un niveau de langue et des stratégies de politesse, de prudence, de persuasion, de concession, en tenant compte :
- des éléments qui déterminent le projet de parole et/ou d’écoute (informer/s’informer, expliquer/comprendre, enjoindre/comprendre des consignes, persuader/exercer son sens critique, exprimer ses sentiments/être réceptif aux sentiments de l’autre),
- du destinataire (nombre, âge, statut, réactions potentielles),
- des conditions contextuelles et matérielles de la communication (type et genre de discours, lieu et temps, variantes culturelles, contraintes socioculturelles).
Ces compétences et sous-compétences sont à certifier et susceptibles d’être travaillées lors de travaux de groupe ;
2/ Construire une relation interpersonnelle efficace et harmonieuse, compétence dont certaines sous-compétences sont à certifier :
- Produire des signes qui favorisent l’écoute et la parole (ex. : répéter, reformuler, synthétiser, questionner) : à certifier ;
- Repérer les endroits des dysfonctionnements et essayer des ajustements portant sur l’espace et le temps, la voix, éventuellement le geste et l’attitude, le propos, la relation, les supports : à encourager mais pas à certifier ;
- Utiliser des procédés verbaux et non verbaux qui garantissent la relation (ex. : courtoisie, gestion des tours et temps de parole, respect du “ territoire privé ”) : à encourager mais pas à certifier ;
- Distinguer son mode de pensée de ceux des autres et se dégager de son propre système de références : à encourager mais pas à certifier ;
- Utiliser les procédés propres à assurer la clarté du message : exemples, illustrations, anecdotes, citations, lieux d’autorité, statistiques : à certifier.
L’Avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence est très prolixe sur les « attitudes collaboratives » qui seront attendues des enseignants, et beaucoup moins sur celles qui sont attendues des élèves.
Au-delà de ces rares éléments que nous avons pu trouver, très peu de choses sont accessibles sur le site de l’enseignement officiel à propos des pratiques de travaux de groupe en classe. L’énonciation de quelques attendus en termes de compétences sociales exposés ci-dessus ne doit pas faire oublier qu’en réalité ils sont « noyés » dans des quantités bien plus importantes de compétences dites « disciplinaires »[2]Ce sont les savoirs liés à une « discipline » scolaire, comme les maths, le français, les sciences, l’histoire…. Les compétences dites de « savoir être » sont moins souvent certifiées que les compétences plus facilement repérables, comme « illustrer son propos par des exemples ou des sources ».
L’Avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence, qui fonde les bases pour le renouvellement d’un ensemble de dispositions sur l’organisation du travail scolaire et les finalités de l’enseignement, est par ailleurs très prolixe sur les « attitudes collaboratives » qui seront attendues des enseignants, et beaucoup moins sur celles qui sont attendues des élèves…
De manière générale, il se dégage des différents documents de recherche parcourus que l’évaluation des compétences est une tâche jugée encore compliquée par les professeurs… Or, l’apport du travail collaboratif pour les élèves se marque surtout en termes de savoir être, de savoir-faire, plus que de savoirs disciplinaires.
Que disent les pédagogues ?
Certains documents trouvés lors de notre enquête donnent des clés aux enseignants pour bien préparer leurs séquences de cours dédiées aux travaux de groupe. Au long de la fiche « TRAVAIL DE GROUPE 1: Définition–Organisation » éditée par le réseau français Canopé, l’auteur attire notre attention sur les bienfaits du travail de groupe mais aussi sur l’image négative dont peut pâtir cette activité aux yeux des jeunes professeurs ou des stagiaires.
Il y a donc des écueils au travail de groupe, qu’il convient d’éviter en préparant soigneusement les séquences, les consignes, en étant clair sur les délais, etc.
Au rayon des bienfaits pour l’élève : autonomie, confiance en soi et en les autres, moins de pression exercée par l’enseignant, possibilité de mettre en avant ses talents propres… Au rayon des bienfaits pour l’enseignant : offrir aux élèves la possibilité d’apprendre en faisant, de développer des compétences sociales appréciées dans le monde du travail, meilleur « rendement » au niveau des apprentissages…
A côté de ces bienfaits, les auteurs de la fiche détaillent les images négatives qui entourent le recours aux travaux de groupe : les élèves perdent souvent du temps, ne se mettent pas immédiatement à la tâche et en profitent pour tenir des conversations privées, les plus doués prennent les choses en main et réalisent le plus gros du travail, les moins motivés se laissent « porter » [MATTES, W., DANQUIN, R., 2015]. Il y a donc des écueils au travail de groupe, qu’il convient d’éviter en préparant soigneusement les séquences, les consignes, en étant clair sur les délais, etc.
A côté des documents de visée purement didactique, un rapport d’une recherche de grande ampleur dédiée au thème « Etude de l’efficacité du travail de groupe à l’école primaire dans le cadre d’une évaluation des compétences » est disponible sur le site « Enseignement.be » (Voir bibliographie en fin de cet article). Les auteurs de cette recherche, qui a mobilisé une équipe de chercheurs pendant plus de deux ans et qui a concerné 16 écoles primaires, voulaient mesurer l’apport du travail de groupe au niveau des compétences individuelles des élèves amenés à résoudre des tâches complexes, tantôt à plusieurs, tantôt seuls.
Il résulte de ces recherches que le travail de groupe bénéficie individuellement aux apprentissages de certains élèves et nuit aux apprentissages d’autres élèves. Le constat est pour le moins interpellant : « Ainsi, très clairement, le travail en groupe est bénéfique pour les élèves des milieux favorisés. Plusieurs hypothèses pourraient tenter d’expliquer ce constat essentiel : la première hypothèse serait une maîtrise différente du langage même si les résultats en phase 3 français ne semblent pas mettre cela en évidence. Une deuxième possibilité pourrait être que le travail en groupe est fortement connoté culturellement. Nous pouvons imaginer, tout en restant prudents, que des pratiques éducatives familiales des milieux sociaux favorisés préconisent davantage le dialogue et la recherche du consensus dans un climat démocratique. Si cette hypothèse se confirmait, nous serions sans doute devant l’imposition d’un modèle socialement discriminant » [REY, 2004, p.99].
Cette étude a le mérite de confronter les « idées », parfois reçues, sur les bienfaits du travail collectif en classe, à la réalité de terrain et sa complexité.
Le courant des écoles actives et des écoles citoyennes
Jusqu’à présent, j’ai cherché à comprendre dans quelle mesure la Fédération Wallonie Bruxelles entend développer chez les élèves les compétences propices aux travaux de groupe, via notamment le dispositif de la certification, et si les travaux de groupe effectués en classe ont un impact sur les compétences des élèves pris individuellement. On en est resté aux aspects purement didactiques, au contexte de la classe, des séquences pédagogiques, et des apprentissages disciplinaires.
Le Décret Missions[3]Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre. prévoit dans son article 6 que les établissements d’enseignement et les PO remplissent simultanément et sans hiérarchie les missions prioritaires suivantes :
- promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves;
- amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle;
- préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures;
- assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.
L’acquisition des savoirs est au service de l’épanouissement de l’élève vu comme un futur citoyen.
Mais dans les faits, les écoles dites « classiques » sont souvent pointées comme trop élitistes ou compétitives, pratiquant l’exclusion. Car les évaluations donnent des points, les points amènent la comparaison, la comparaison la compétition, la compétition, l’éviction de certains, qui se découragent. L’école laisse sur le bas-côté de la route des cohortes trop importantes de jeunes pourtant dotés d’énormément de talents et de capacités.
Elle confronte encore trop souvent les élèves à « la loi du plus fort ». Sauf que les dés sont pipés, et qu’il s’avère que les « plus forts » disposent, dans leur majorité, d’atouts supplémentaires qui leur viennent de leur milieu social. L’école se veut donc équitable, elle cherche à traiter tout le monde à égalité, et ce faisant elle en devient injuste. Le mouvement « Tout Autre Chose », qui, en décembre 2014, avait rassemblé des citoyens décidés à refuser le discours de nos gouvernants selon lequel « il n’y a pas d’alternative à l’austérité », avait engendré le sous-groupe « Tout autre école », auquel j’avais participé. Ce même sous-groupe avait produit un « Manifeste pour une tout autre école », dans lequel étaient dénoncés les travers de l’école actuelle, qui cherche avant tout à formater les individus en fonction des besoins de notre société marchande hautement compétitive. Est-ce la société qui façonne l’école à son image ou l’école qui façonne la société ? Sans doute les deux postulats sont-ils vrais et les effets de l’une et de l’autre concomitants… Toujours est-il que le groupe des rédacteurs du Manifeste souhaitaient lancer le débat sur le rôle de l’école dans la formation de jeunes êtres humains non seulement compétents et épanouis mais aussi solidaires et capables d’actions collectives, là où le capitalisme tire profit de la désunion pour imposer ses règles. Le Manifeste comporte une longue introduction qui expose le projet politique du Mouvement. A la page 16 se dessinent les contours de la Tout autre école que le mouvement appelait de ses vœux (nous vous renvoyons au document complet pour plus de précisions, et nous focalisons ici seulement sur les « autres » compétences actuellement visées, pour les comparer avec les compétences visées dans le décret Missions) : « Nombreuses sont les compétences aujourd’hui négligées alors qu’elles sont essentielles pour asseoir ce nouveau projet sociétal. Pensons notamment aux compétences liées à l’agir collectif (être capable d’interpeller et se laisser interpeller dans le respect, de décider démocratiquement, de coopérer…), aux choix et arbitrages que les individus sont de plus en plus encouragés à faire (être capable de rassembler et trier de l’information, de prendre conscience des pressions et conditionnements,…), aux relations interpersonnelles (être capable d’empathie, d’écoute, de bienveillance, d’ouverture au langage non verbal, de célébration collective de moments forts…), au travail sur soi (être capable de prendre conscience de ses émotions et de son inconscient, d’exprimer ce qui est ressenti…) ».
On voit que les compétences relationnelles et sociales sont ici placées au centre et renforcées, là où le décret Missions part du postulat que l’accès au savoir sera la condition dont découlera la citoyenneté.
D’autres pédagogues, comme Bruno Derbaix, proposent également de réformer l’école « actuelle » (dont il dresse un portrait sans fard, montrant comment deux groupes, celui des enseignants d’une part, celui des élèves d’autre part, s’affrontent, les premiers dominant et soumettant encore trop souvent les seconds en vertu de lois autoproclamées et non négociées), en donnant aux élèves une part beaucoup plus grande de responsabilités dans l’élaboration des lois et règlements visant le bien commun à l’école et dans leur défense, au travers notamment de « conseils citoyens » réellement opérationnels, de moments de dialogue et de débats, de moments d’échange et de partage dont la visée est de booster le sentiment d’appartenance de chacun à une communauté scolaire inclusive et non plus excluante.[4]Je résume ici outrancièrement l’ouvrage, qui est très complet et dont je recommande la lecture. En participant à ces instances, les élèves développent de facto leurs compétences cognitives (analyser les informations, recouper les témoignages, soupeser les solutions) et aussi sociales (débattre, coopérer, écouter, se mettre à la place de l’autre par exemple).
Les deux démarches décrites ci-dessus, celle de « Tout autre école » et de l’ « Ecole citoyenne » ne sont pas sans rappeler le courant de la pédagogie nouvelle né au début du XXè siècle, et certains de leurs accents ne sont pas neufs. Comme l’écrit Jean-François Vincent, « l’analyse des finalités des pionniers de la » Pédagogie nouvelle » [et on pourrait ajouter, des tenants d’une tout autre école ou de l’école citoyenne, note de l’autrice] démontre très clairement que l’introduction de la coopération dans les méthodes éducatives dépassait les seules considérations pédagogiques ou psychologiques. Le recours à des valeurs, des structures ou des pratiques spécifiques, issues pour la plupart de la «coopération adulte» envisageait avant tout une finalité politique. Il s’agissait de changer l’école pour changer la société et de construire par une éducation active, démocratique et coopérative, une société coopérative. »[5]VINCENT, Jean-François, La pédagogie coopérative ouLa coopération au coeur des apprentissages. Eléments historiques et questions en débats, Office Central de la Coopération à l’Ecole … Continue reading
Synthèse
Ce rapide tour d’horizon nous prouve si besoin en était que « travailler le collectif en classe » revêt toutes sortes d’aspects pédagogiques et ou politiques et qu’il convient de bien les identifier pour en tirer un maximum de profit. Si j’avais effectué la présente recherche avant d’enseigner, je m’y serais certainement prise autrement, en tant que prof. Ainsi, il pourrait être intéressant de former les futurs profs de français aux enjeux du travail coopératif à l’école.
On peut chercher à proposer régulièrement des travaux de groupe à l’école pour d’autres raisons : briser la monotonie, rendre les élèves davantage acteurs de leurs apprentissages, renforcer l’esprit de groupe.
Au-delà de cela, il faut bien distinguer les objectifs poursuivis : veut-on amener un maximum d’élèves pris individuellement à améliorer leurs compétences sociales en les travaillant et en les évaluant en classe de façon rigoureuse ? Alors il faut être très attentifs à avertir les élèves que l’évaluation portera sur des comportements attendus et pas tellement sur un « produit final » de nature disciplinaire. Pour le dire autrement, si on demande aux élèves de mener en groupe une recherche scientifique, par exemple sur l’effet du levain dans la pâte à pain comparé à l’effet de la levure chimique, il faut observer s’ils sont capables de s’écouter, de se décentrer, d’attendre leur tour, de contrôler le temps, de se répartir la parole, de synthétiser leurs idées, de convaincre leurs coéquipiers d’entrer dans l’une ou l’autre démarche plutôt que telle autre… Plutôt que de vérifier s’ils comprennent les effets chimiques qui se produisent dans les substances nutritives du blé et sont capable de produire des propositions de dispositifs pour les étudier. Or, l’un n’ira pas sans l’autre, ce qui compliquera la tâche de l’enseignant qui se retrouvera à observer, coacher, répondre aux questions, ramener à l’ordre, plusieurs sous-groupes d’élèves réunis au même moment dans la même pièce.
On peut chercher à proposer régulièrement des travaux de groupe à l’école pour d’autres raisons : briser la monotonie, rendre les élèves davantage acteurs de leurs apprentissages, renforcer l’esprit de groupe : attention alors, si le climat de l’école est globalement compétitif à la base, le groupe se centrera sur la tâche, les plus faibles obtiendront peut-être plus facilement des points mais les plus forts assoiront d’autant plus leurs compétences, sociales et cognitives, et leur prestige…
Ou alors, on rejette l’école de la compétition et on inscrit son enfant dans une école à pédagogie active, ou une école citoyenne. Si c’est une école de « bonne qualité », inévitablement l’équipe des enseignants devra être très dynamique, réflexive, continuer à se former, donner du temps pour participer à des conseils, éveiller les élèves aux thématiques citoyennes, à la métacognition… Car la mise sur pied collégiale, pluridisciplinaire, transversale, de dispositifs actifs ou citoyens qui bénéficieront aux compétences sociales des élèves demande un investissement très grand aux professeurs. Il y a fort à parier que la « nouvelle » de l’existence d’une telle école se répandra prioritairement auprès des familles dotées d’un capital social plus élevé, qui l’investiront massivement, créant un « entre soi » qui déplacera du même fait le problème de la cohésion sociale aux frontières de l’établissement scolaire en question.
Conclusion
Les enjeux qui nous attendent vont nécessiter de savoir résoudre collectivement des problèmes de plus en plus complexes. L’école travaille les compétences relationnelles et sociales, parfois sans le vouloir (opposition élèves versus profs) mais elle les évalue peu à l’heure actuelle. La coopération est en fait aussi une question de valeurs : il faut décider d’être solidaire, de faire confiance, être convaincu que travailler ensemble rapportera davantage que travailler seul etc. La confiance est centrale car ce qui fait que les personnes abandonnent la coopération ce sont les trahisons de certains que l’on croyait solidaires et dont on découvre qu’ils font cavalier seul… Les égos doivent également être calmés pour faciliter la coopération, ce qui n’est pas gagné car la société entière valorise les égos… La coopération est une affaire de valeurs mais celles-ci, affichées clairement au fronton des écoles au travers du document détaillant le projet pédagogique, jouent plutôt le rôle de filtre ou de tamis, séparant les élèves en groupes plus ou moins individualistes selon les établissements.
Surtout aussi, si la coopération est au moins en partie affaire de valeurs, l’école est le lieu où celles-ci ont l’occasion d’évoluer. L’école laisse les élèves et les familles libres de leurs choix idéologiques de départ, méritocratique ou solidaire et donne les outils pour permettre une évolution sans l’imposer.
Pour approfondir le sujet
DERBAIX, B. Pour une école citoyenne. Vivre l’école pleinement. Bruxelles-Paris : La Boîte à Pandore, 2018, 329 p.
MATTES W, DANQUIN R. (Dir.), 52 méthodes pratiques pour enseigner, Schöningh Verlag, Réseau Canopé, Coll. Agir, 2015, 311 p.
MEIRIEU, P. Itinéraire des pédagogies de groupe. Apprendre en groupe ?, Lyon, Chroniques sociales, 1984, 201 p.
REY B. (Dir.) et al., Création d’ un outil d’évaluation des compétences des élèves à travailler en groupe destiné aux enseignants de l’école fondamentale et construit au regard des nouveaux socles de compétences, Rapport final 2e année, ULB, Département des sciences de l’éducation, 2004, 224 p.
TOUT AUTRE CHOSE, Manifeste pour une tout autre école, 2016, 34 p. [1]
Notes de bas de page[+]
↑1 | Voir Référentiels de compétences – Les socles de compétences sur enseignement.be |
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↑2 | Ce sont les savoirs liés à une « discipline » scolaire, comme les maths, le français, les sciences, l’histoire… |
↑3 | Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre. |
↑4 | Je résume ici outrancièrement l’ouvrage, qui est très complet et dont je recommande la lecture. |
↑5 | VINCENT, Jean-François, La pédagogie coopérative ou La coopération au coeur des apprentissages. Eléments historiques et questions en débats, Office Central de la Coopération à l’Ecole – OCCE, 2006. |