Les études montrent un différentiel de genre concernant la chronologie mariage/migration. Globalement, les femmes rejoindraient un époux installé au pays d’immigration tandis que les hommes attendraient d’être installés avant de fonder famille.
Selon la littérature concernant les immigrés, les prévalences des maladies mentales varient selon le sexe, l’origine et le statut d’immigration. Les conflits psychologiques vécus par les migrants et migrantes sont à mettre en parallèle avec les transformations que subissent l’environnement de la personne et la structure de sa famille.
En effet, l’installation des époux en immigration risque de troubler les règles de mariage, ainsi que les rapports au sein des couples. Ces transformations, ajoutées aux effets des expériences migratoires peuvent avoir des conséquences déstabilisatrices. Les recherches parlent de perte d’autonomie et de repères au sein du nouveau contexte, où manipulation et violence sont possibles. Les probabilités sont importantes de voir les individus immigrés par mariage basculer en souffrance.
Ce risque ne peut uniquement être attribué aux caractéristiques culturelles des populations. Il est nécessaire d’extraire des faits la portée des rapports sociaux et de genre. Certes, les questions culturelles font rejaillir les dimensions liées à la transmission au sein des familles, mais ces fonctions sont compliquées par le fait que les migrants hommes et femmes ne sont plus dans leur contexte d’origine et doivent s’adapter à de nouvelles réalités.
Il semble important de sensibiliser les praticiens à l’importance du soutien psychologique et social pour les immigrants matrimoniaux…
Les systèmes de mariage en immigration peuvent suivre des modèles inhabituels pour les pays d’origine parce que fonctionnels dans le contexte juridique étriqué de l’immigration et par rapport à des urgences comme la demande de main-d’œuvre au sein des commerces ethniques. Dans ces situations, les immigrés matrimoniaux peuvent subir des formes d’exploitation, car ils ne connaissent pas la langue et les institutions du pays d’immigration.
Si des revues systématiques ont montré que les réfugiés et réfugiées courent un plus grand risque que la population générale pour plusieurs types de troubles psychiatriques, en lien avec leur exposition à la violence et à l’exil forcé, peu d’études comparent les problèmes de santé mentale entre différents sous-groupes d’immigrants des deux sexes (réfugiés, bénéficiaires de regroupement familial, migrants économiques). Il semble important de sensibiliser les praticiens à l’importance du soutien psychologique et social pour les immigrants matrimoniaux hommes et femmes, qui pourraient, dans certains cas, être plus à risque de problèmes de santé mentale que d’autres groupes immigrés.
Une recherche belge
Une récente recherche du psychologue Ertugrul Tas approche l’effet des migrations de mariage sur la santé mentale grâce à l’analyse des données cliniques recueillies en Belgique sur plus de 3200 patients et patientes, entre 1997 et 2014. Il s’agit de personnes d’origine turque immigrées, dont une moitié de femmes. Plus de la moitié de ce groupe est constituée de patients (hommes et femmes) présents en Belgique à la faveur d’un mariage. Le solde est composé de migrants et de migrantes arrivés en Belgique pour d’autres raisons.
Le chercheur constate que vulnérabilité psychologique des personnes immigrées par mariage est renforcée par leur surexposition à des risques comme le chômage et le manque de reconnaissance. La conséquence directe de cette situation est la dépendance économique des sujets en souffrance vis-à-vis de leur (belle-)famille. La plupart de ces personnes ne bénéficient pas d’indemnités sociales parce qu’elles ne sont pas dans les conditions administratives requises. La dépendance par rapport au cercle familial les amène à s’y replier davantage. Par ailleurs, sept patientes immigrées par mariage sur dix font ménage avec leurs beaux-parents, cette proportion est de 3/10 pour leurs homologues masculins. En revanche, à peine 14 % de la population turque de Belgique vit dans un ménage regroupant trois générations. Les migrations de mariage augmentent les risques de conflits entre les femmes immigrées et leur famille. Bien que dans une moindre mesure, les hommes sont également nombreux à évoquer des situations conflictuelles au sein de leur famille ou couple. De fait, un tiers des patients des deux sexes immigrés matrimoniaux sont divorcés. Ce taux est de 18 % auprès de la patientèle dont la raison de la présence en Belgique n’est pas le mariage. Le taux de divorce est de 9 % parmi les Turcs de Belgique.
Pour les communautés immigrées, le mariage avec des ressortissants du pays d’origine permet à leurs familiers de s’installer dans le pays d’accueil. Les Turcs de Belgique évoquent la nécessité de renforcer la transmission de la culture d’origine aux jeunes générations. Les pratiques matrimoniales se transforment également au gré des politiques migratoires qui rendent possibles ou non d’autres voies d’accès au pays d’installation. Dans ce contexte, les représentations liées aux mariages peuvent être modifiées. L’instrumentalisation du mariage engendre toutefois une souffrance tant pour les jeunes que leur famille. Au sein de la population turque, la résidence des jeunes couples est traditionnellement patrilocale. Or, pour moitié, les immigrés matrimoniaux, ce sont les hommes qui immigrent dans la famille de leur épouse. Les règles de résidence sont donc renversées et transforment les rapports entre époux.
Les migrations de mariage poussent ainsi les familles vers des recompositions. Elles renforcent la rupture avec la culture d’origine et déforcent l’adaptation à la société d’installation. Elles se trouvent souvent à l’origine de dépressions, de deuils, de sentiments d’angoisse, voire de traumas et de diverses perturbations identitaires. Dans ce contexte, les facteurs de fragilisation sont, notamment, les difficultés socio-économiques et la perte de confiance. La méconnaissance de la langue du pays d’accueil représente un autre impact négatif sur l’équilibre du couple. Facteur d’isolement, cette question associée à un manque de ressources rend difficile l’autonomie et donne lieu à des formes d’infantilisation du partenaire — dont le droit de séjour dans le pays d’immigration dépend de la poursuite de son mariage… Or, les épisodes de dépression se développent en rapport dialogique avec des difficultés dans les relations conjugales ou familiales. Elles peuvent persister pendant plusieurs années et se terminer par une séparation. À son tour, le stress généré par le divorce peut également prédisposer à la survenue d’une nouvelle phase dépressive.
Les facteurs de fragilisation familiaux se cristallisent autour du lieu de résidence des patients et des patientes. La localisation des couples chez les beaux-parents contribue à attiser des conflits intrafamiliaux. Toutefois, l’étiologie des troubles qui en dérivent est complexe à déterminer. La même difficulté peut être, dans un cas, à l’origine d’un trouble dépressif et, dans un autre, à l’origine d’un trouble anxieux. Par exemple, la perte du statut social dont bénéficiait la personne immigrée avant de quitter son pays d’origine peut occasionner un deuil dans un cas et causer un trauma dans l’autre, voire une combinaison de troubles. D’autant plus que les hommes et les femmes ne sont pas atteints de la même manière. Les données de Tas montrent une incidence plus prononcée des troubles psychosomatiques et de l’humeur chez les immigrées matrimoniales, alors que les hommes atteints de troubles anxieux ou de l’humeur le sont plus gravement.
Il conviendra d’élargir la démarche vers d’autres communautés immigrées, dans d’autres pays. Par ailleurs, l’analyse des facteurs de vulnérabilité ne comprend pas des éléments tels que le rapport au religieux, la fréquentation d’associations ou de proches qui peuvent servir de soutien. Enfin, les observations étayées montrent l’importance de revoir les politiques migratoires et le droit du séjour en fonction des risques psychologiques pris par les immigrés matrimoniaux hommes et femmes, souvent dépendants de leur belle-famille pour leur subsistance dans le pays d’installation. Si ces personnes avaient d’autres voies d’accès au pays et un droit de séjour, même s’ils ne poursuivent pas leur mariage, cela diminuerait probablement les stress qu’ils vivent.
Source : Tas E. et Manço A. (2019), « Migrations matrimoniales comme risque de santé mentale », Revue Canadienne de Psychiatrie/The Canadian Journal of Psychiatry, vol. 64, n° 6, p. 443-446.