La certification par unités (CPU)

une valorisation des acquis au détriment de la qualification et de l’émancipation ?

Le redéploiement de l’enseignement qualifiant et ses tentatives de valorisation ont pour conséquence que cette filière est devenue un terrain d’expérimentation privilégié diligenté, tant dans le cadre des objectifs européens de la formation tout au long de la vie que sous la pression du monde des entreprises désireux de bénéficier d’une main d’œuvre toujours plus optimale en termes d’employabilité.

Démarrage chaotique mais précipité

C’est dans ce contexte que l’ancienne Ministre de l’Enseignement, Marie-Dominique Simonet, a initié, en septembre 2011, la certification par unités[1]. Passée du mode expérimental balbutiant à une implantation systématique au sein du troisième degré de l’enseignement qualifiant, il ne s’est pas encore généralisé à l’ensemble des filières de formation du troisième degré. Question de temps.

Les raisons de ce lancement partiel : la lenteur de la mise en œuvre des référentiels et de leur découpage en unités d’acquis d’apprentissage par le Service Francophone des Métiers et des Qualifications (SFMQ) mais aussi les réticences syndicales. Celles-ci entrevoient dans ce nouveau mode d’organisation de la formation et sous couvert d’une valorisation des acquis, un saucissonnage de la qualification et une approche « orientante » de la filière qualifiante dans laquelle la formation générale serait réduite à un rôle fonctionnaliste. Donner du sens aux apprentissages fait… sens mais faut-il pour autant galvauder les cours généraux permettant le développement par exemple de l’esprit critique ?

Le dispositif demeure ainsi encore cantonné à un nombre limité d’options[2] ; et ce alors que les acteurs tant enseignants qu’étudiants s’emploient à le faire vivre à défaut d’en assurer un développement harmonieux et efficace.

Alors que la CPU est présentée par les autorités comme un moyen de lutte contre l’échec scolaire, là où l’on valorise la réussite plutôt que la sanction des échecs, le pacte d’excellence précise dans sa rubrique « structures et institutions de l’enseignement qualifiant » que ce qui est surtout visé, c’est la flexibilité sur le marché du travail et la mobilité supposée des bénéficiaires.

« LA CPU s’inscrit dans un contexte européen (ECVET[3]) dont le but est de faciliter le transfert et la capitalisation des acquis d’apprentissage en vue d’assurer la transparence des certifications, l’accès à l’emploi et la mobilité des personnes ».

Et arguant du fantasme qu’il serait loisible aux jeunes de valoriser ses unités dans un registre de mobilité européenne – parfaitement illusoire en tenant compte du public concerné issu de filières qualifiantes où l’étude des langues est accessoires et aussi parce que rien n’est prévu dans les grilles horaires au niveau du renforcement de leurs apprentissages – il n’est pas tenu compte des répercussions tangibles et pourtant évidentes que le dispositif risque de générer : dérégulation du marché du travail pour les jeunes qui quitteront le dispositif en n’ayant qu’une partie de leur qualification, limitation de l’accès aux études supérieures, le certificat d’enseignement secondaire supérieur ne pouvant être obtenu que distinctement moyennant le passage par une septième année spécifique ; contribuant ainsi à faire des filières de qualification, des filières de finalité[4] de façon quasi exclusive et définitive.

Comment ça marche ou… pas !

Dans la CPU, les différentes options du 3ème degré de qualification sont divisées en Unités d’acquis d’Apprentissage. Chaque UAA constitue une matière définie et délimitée qui doit être apprise dans un laps de temps déterminé.[5]Leur évaluation se réalisant après la durée de l’apprentissage et non plus aux échéances scolaires traditionnelles de décembre et de juin. L’élève qui réussit obtient une certification reprise également dans un passeport européen de formation.

Dans un cycle de deux années (soit la 5ème et la 6ème technique ou professionnelle), sont en général organisées 6 UAA, soit 3 par année académique. De sorte que les évaluations sont organisées collégialement au sein des établissements scolaires en rassemblant l’ensemble des professeurs en lien direct avec l’option, les enseignants de cours généraux demeurant pour l’essentiel et pour le moment tenus à l’écart.

Ainsi, un jeune qui parvient à réussir l’ensemble des UAA, obtient une certification liée à une qualification professionnelle distincte du CESS (Certificat d’enseignement secondaire supérieur), lequel est devenu, comme déjà mentionné, complémentaire mais facultatif. Ce qui rejoint les objectifs de lutte contre l’échec scolaire souvent liés à l’incapacité du jeune à atteindre les compétences terminales requises mais génère le développement d’un clivage de fait entre les cours optionnels et les cours généraux, entraînant des répercussions dans la vie de l’école ainsi que dans les relations entre enseignants en fonction des cours qu’ils dispensent. Un enseignant de géographie ou d’histoire ne participe pas aux évaluations collégiales des professeurs des cours optionnels avec le jury externe lors de chaque UAA.

Il se développe ainsi une double temporalité qui se confond parfois ou se distingue pour les évaluations des UAA et des bilans/examens aux périodes traditionnelles pour les autres cours et un délitement du sens donné aux savoirs généraux et transversaux ; sauf à instrumentaliser ces derniers sous des thématiques réductrices et fonctionnalistes directement liés aux UAA. Ce qui se profile d’ailleurs dans l’élaboration en cours des référentiels des cours généraux liés aux UAA (voir infra).

« Les réunions d’évaluation se sont multipliées » nous explique C, professeure de Coiffure à l’Institut Bichoffsheim. « Notre volume de prestation a clairement augmenté depuis l’instauration des évaluations collégiales pour certifier les UAA. Je ne saurais pas vous donner un chiffre en termes d’heures mais c’est une évidence, il y a une intensification du travail » ajoute-t-elle. Nous souffrons de réunionnite aigüe même si tout n’est pas à jeter (sic) dans la CPU. Il y a clairement une approche individualisée qui tient compte des problématiques personnelles en ce qui concerne l’acquisition des compétences de l’élève. Mais cette dimension positive se fait au prix de nouvelles contraintes organisationnelles du corps enseignant et de l’institution scolaire ».

Le C3D quand ça… rate !

Puisque le dispositif ne souffre pas l’échec, le jeune qui échoue dans une ou plusieurs UAA se voit proposer une année complémentaire appelée C3D[6] constituée d’un programme d’apprentissage complémentaire. Cette année supplémentaire pouvant être limitée dans le temps : celui de la réussite du ou des unités à représenter. De la même manière, les jeunes ayant échoué dans la formation commune pour certains cours généraux se voient proposer de suivre ces cours l’année suivante.

Ainsi, ces étudiants de C3D se retrouvent avec des horaires à temps partiel, intégrés à des groupes-classes en tant que doubleurs mais que l’on ne peut appeler comme tels et dont les professeurs doivent adapter leurs enseignements de façon personnalisée. « C’est une situation particulière car l’on a seriné à ces jeunes qu’ils n’allaient pas doubler mais ils se retrouvent de facto dans une situation objective qui s’apparente à une année bis » m’explique B. professeur de Mathématiques, qui donne cours à l’Institut Bischoffsheim où est organisée la CPU pour les options Coiffure et Esthétique. Ce qui s’apparente à une forme de déni de l’échec quand bien même ces jeunes passent de facto une année supplémentaire à l’école pour quelques heures par semaine…

Mais alors qu’il s’agissait de proposer aux jeunes un enseignement plus concret qui aurait constitué une solution à l’échec scolaire, le constat est amer. Ces étudiants se retrouvent à suivre un enseignement à la marge, où ils sont le plus souvent livrés à eux-mêmes, au sein de classes souvent déjà complètes, obtenant pour certains les unités manquantes permettant leur qualification mais sans décrocher pour autant le CESS, puisque bon nombre d’entre eux ne parviennent pas à combler leurs lacunes dans la formation commune.

Et pour cause : « Ce sont ces jeunes qui ont le plus besoin de remédiation mais qui ne prenant pas conscience de l’enjeu, n’en suivent pas les cours » surenchérit-B. C’est donc à l’évidence une charge supplémentaire en termes de travail pour les enseignants qui doivent adapter leurs cours pour quelques éléments greffés à la classe, et marginalisés de fait par rapport au reste du groupe voire de l’établissement tout entier. Ce qui peut paraître un comble pour des étudiants en difficulté scolaire dont la stigmatisation semble de la sorte perdurer et être même renforcée… et où la démotivation s’en trouve encore accentuée.

« Je viens juste pour suivre trois cours généraux et deux UAA à » nous déclare cette étudiante. Le reste du temps, je travaille à mi-temps dans un magasin… ». Un magasin n’ayant que peu de rapport avec sa formation suivie nous explique-t-elle aussi. De sorte que l’on ne peut pas considérer sa situation comme un enseignement en alternance conjuguant école et emploi dans des entreprises formatrices.

Une orientation métier à tout prix

Avec ce constat, on semble assez loin d’un enseignement qui enraye les inégalités. En élaborant des référentiels intégrant une formation générale orientée métier[7], on vide sensiblement les cours généraux de leurs contenus. Une vision fonctionnaliste du futur de la formation commune s’installe où la réflexion critique et le développement de savoirs réflexifs sur le fonctionnement et les enjeux de la société se trouvent définitivement évacués.

Est-ce une façon de faire avancer ce vieux fantasme d’une réforme copernicienne de l’enseignement qualifiant vers un enseignement en alternance de type CEFA ou IFAPME ? S’interrogeait ainsi Cécile Gorré[8] ; où après avoir vidé la formation générale de sa substance et l’école, de sa dimension citoyenne, il ne subsistera plus que la dimension spécifique métier-clé sur portes[9] ?

Une adéquation et une harmonisation qui se perdent…

Un des paradoxes et non des moindres de la CPU, réside dans le fait que si la volonté d’uniformisation de la formation modulaire en unités capitalisables est louable en son principe tant en ce qui concerne la valorisation des acquis que la mobilité (l’apprenant a la possibilité de changer d’opérateurs de formation pour poursuivre l’acquisition de ses unités) il n’existe pas de concertation zonale entre établissements pour anticiper l’accueil des apprenants en fonction de leurs besoins de suivre une C3D si celle-ci n’est pas organisée au sein de l’école où le jeune a suivi et… échoué dans ses UAA !

D’autre part, l’organisation des évaluations périodiques repose sur l’hypothèse d’une disponibilité accrue hypothétique du milieu des entreprises ; lequel se retrouve sollicité plus régulièrement car pas moins de trois unités sont programmés par année académique ; et ce, alors que précédemment, les entreprises étaient conviées aux seuls jurys de fin d’année de formation et à l’évaluation finale pour l’obtention de la qualification.

Ironie d’une situation : les UAA, souhaitées et encouragées par les employeurs, génèrent une certification très souvent mise en place sous forme de jury essentiellement interne puisque se déroulant sans la présence des secteurs professionnels… pourtant de nature à donner du crédit aux unités suivies et évaluées.

Et pour cause, nous explique C, professeur à l’Institut des Arts et Métiers de Bruxelles-Ville « il était quasi inimaginable de pouvoir faire venir trois fois par an un jury externe constitué de petits patrons qui sont pour la plupart des indépendants. Le monde des entreprises est bien trop occupé pour pouvoir participer de façon aussi répétée à des évaluations qui portent d’ailleurs sur une partie seulement de la formation, soit une unité d’acquis d’apprentissage ».

Ensuite, l’organisation modulaire du dispositif génère des difficultés dans la gestion des compétences acquises sur la durée d’un cycle complet. « La classe est évaluée sur la maîtrise de compétences spécifiques – par exemple pour les esthéticiennes, les soins-visage au terme de la première UAA soit en janvier de l’année scolaire en cours, et puis celle-ci une fois considérée comme acquise on passe à une autre et ainsi de suite… mais sans retour en arrière pour se rappeler les gestes appris » nous explique ce professeur de cours de pratique professionnelle. « Ainsi, lorsque le jeune se retrouve en stage, on lui demande des savoir-faire qu’il a déjà oubliés ; et celle-ci d’ajouter : « ce qui n’augure rien de bon en prévision de l’acquisition de la dernière unité au terme des deux années, le décalage entre la première et la dernière étant supérieure à une année ».

Mais alors qu’aucune évaluation officielle de la réforme n’a été réalisée, que les organisations syndicales, les associations de parents, les pouvoirs organisateurs émettent des critiques en relayant les échos des établissements concernés, l’extension de la CPU poursuit son cours. Ainsi en septembre 2018, et à titre expérimental, le système sera étendu à la 4ème année.[10]

NOTES / REFERENCES

[1] http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/37913_004.pdf

[2] Circulaire 6339 du 07/09/2017 CERTIFICATION PAR UNITES D’ACQUIS D’APPRENTISSAGE (CPU) ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ORDINAIRE ET SPECIALISE.

Par ordre chronologique : Septembre 2013 dans 4 sections : esthéticien(ne), coiffeur(se), mécanicien(ne) d’entretien automobile et mécanicien(ne) polyvalent(e) automobile. Une 5ème section au 1er septembre 2015 : couvreur-étancheur. En septembre 2017 et pour les 7ème: – Technicien / Technicienne en maintenance et diagnostic automobile (TQ) ; – Coiffeur / Coiffeuse Manager (P) ; – Charpentier /Charpentière (P). Enfin, toujours en septembre 2017, les formations « article 45 » suivantes sont organisées : – Jardinier / Jardinière d’entretien ; – Jardinier / Jardinière d’aménagement ; – Carreleur / Carreleuse ; – Chapiste ; – Garçon / Serveuse de restaurant ; – Agent / Agente de fabrication du secteur alimentaire ; – Opérateur / Opératrice de production en industrie alimentaire. La programmation des 7 formations reprises ci-dessus étant soumise, à partir du 1er janvier 2018, à l’accord du Conseil général de concertation pour l’enseignement secondaire ordinaire.

[3] European Credit system for Vocational Education and Training.

[4] Par « filière de finalité », nous désignons les filières exclusivement professionnalisantes, n’offrant pas de réelle possibilité de poursuite dans l’enseignement supérieur.

[5] Lontie M. La certification par unité (CPU) dans le qualifiant : motivation à rester ou motivation à partir ? UFAPEC, Octobre 2012. http://www.ufapec.be/nos-analyses/2912-cpu.html

[6] Celle-ci peut se voir organisée au sein de l’établissement-même ou au sein d’autres opérateurs (IFAPME-EFPM ou en promotion sociale).

[7] Ainsi par exemple pour la CPU – esthéticien(ne) – et son Référentiel de français – juin 2011, pp. 91-112 et ses cinq compétences organisées sur la 5ème et 6ème année : la prise en charge du client, la pose du diagnostic, l’accompagnement du client durant les soins, le conseil et la vente de produits et de services ainsi que l’entretien téléphonique…

[8] Gorré C., La CPU ou comment condamner l’enseignement qualifiant, APED, février 2013 sur le site de l’APED (Appel pour une école démocratique) http://www.skolo.org/2013/02/05/la-cpu-ou-comment-condamner-lenseignement-qualifiant/.

[9] Lire l’articulet « Quelle est la place de formation générale dans la CPU ? » sur le site http://www.cpu.cfwb.be/index.php?id=1261#c4087.

[10] Circulaire 6339 du 07/09/2017 de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

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