Dans le cadre de cette démarche, la formation était un levier essentiel. Un dispositif pédagogique a été développé pour travailler la question du racisme comme système de domination. Le concept des « Fabriques des solidarités » a ensuite été développé. Il se décline en actions locales de proximité qui permettent aux participantes de toutes origines de se rencontrer, de se connaître, de partager, de débattre, de se renforcer et de créer des solidarités entre femmes vivant des réalités différentes en termes de revenus, d’origines (réelle ou supposée), d’emploi, de famille, de santé, de droits, etc. À travers ces lieux, nous avons comme ambition que les femmes prennent conscience des mécanismes communs au sexisme, au racisme et au capitalisme (domination, oppressions, privilèges, prise de pouvoir) et qu’elles soient outillées pour les dénoncer.
L’éducation permanente féministe
De manière concrète, Vie Féminine accomplit un travail d’émancipation individuelle et collective des femmes et développe une méthodologie unique : l’Éducation Permanente Féministe. Il s’agit d’une méthodologie qui permet aux femmes de prendre conscience que les inégalités qu’elles vivent trouvent leurs origines dans les conditions économiques, politiques et sociales. Elle donne aux femmes des outils d’analyse critique pour développer leur autonomie dans les différentes sphères de la vie et pour reprendre du pouvoir sur leur existence. Vie Féminine marque ainsi un tournant dans son approche d’éducation permanente avec les femmes, ne s’arrêtant plus à « l’interculturalité », ou la « diversité » ou autant d’autres mots qui dépolitisent la question raciste.
La formation : un levier essentiel
Un dispositif pédagogique a été développé pour travailler la question du racisme comme système de domination. Ce dispositif en 5 modules, dispensé sur 2 jours, constituait une formation complète et avait pour objectif de : Transmettre la grille de lecture du système de domination raciste; Illustrer les parallèles entre les systèmes de domination raciste, patriarcal et capitaliste ; Ancrer le système de domination raciste dans une perspective historique ; Analyser la manière dont le féminisme peut être instrumentalisé à des fins racistes; Faire entendre les voix de féministes racisées pour entrer dans une démarche de féminisme solidaire.
De plus, la formation a été saisie comme un espace d’expression par les femmes racisées qui s’en sont emparées pour parler des situations de malaise et de violence qu’elles vivent quotidiennement et de prendre conscience de la dimension systémique des oppressions qu’elles vivent, d’où l’importance des balises d’Éducation Permanente Féministe à mettre en place tout au long de la formation pour permettre cette expression. Pour finir, les femmes blanches ont pu écouter, analyser et comprendre les vécus de femmes racisées. Ceci a permis l’éclosion de solidarités. En ce sens, cette formation a pu contribuer à son niveau à l’objectif de Vie Féminine : bâtir des solidarités vraies et fortes entre les femmes pour atteindre le projet d’une société égalitaire, solidaire et juste.
Lire et s’inspirer de bell hooks
Gloria Jean Watkins, connue sous son nom de plume bell hooks, née le 25 septembre 1952 à Hopkinsville (Kentucky) et morte le 15 décembre 2021 à Berea (Kentucky), est une intellectuelle, universitaire et militante américaine, théoricienne du black feminism.
Elle a beaucoup réfléchi à la manière dont le racisme, le sexisme et d’autres oppressions s’articulent. Elle a également pensé la solidarité en s’appuyant sur ses propres expériences, sur celles de son entourage et sur l’histoire des femmes noires aux États-Unis.
La pédagogie est essentielle dans le parcours et les réflexions de bell hooks
Pour bell hooks, la transformation de la société passe par un certain nombre de désapprentissages et d’apprentissages. Il s’agit de désapprendre toute la culture de la domination dans laquelle nous avons grandi. Mais aussi de se donner des outils de compréhension, d’analyse et de critique du monde, en vue de le transformer.
Nous avons tous·tes à apprendre et à désapprendre
Pour elle, s’il n’y a pas un travail qui est fait par tout le monde, le résultat sera inabouti. Nous devons tous travailler à sortir de cette culture de domination. Et bell hooks remarque que prendre conscience de ce qu’on subit, c’est l’étape la plus facile. Le plus dur, c’est de prendre conscience de nos propres privilèges et d’y renoncer.
Pour bell hooks, le féminisme doit être un mouvement de masse
Le premier enjeu, c’est de faire en sorte que le féminisme ne soit pas réservé à une petite minorité de femmes privilégiées. Pour cela, il faut rompre avec l’élitisme. Au moment des dernières élections aux États-Unis, bell hooks avait refusé de soutenir publiquement Hillary Clinton. Elle expliquait alors que l’objet des luttes féministes, ce n’est pas de permettre à quelques-unes d’accéder aux mêmes positions de pouvoir que certains hommes, mais bien d’éradiquer toutes les sources d’oppression. C’est pour ça aussi que le féminisme doit être un mouvement de masse, parce qu’il doit concerner tout le monde, les hommes compris.
Extrait de bell hooks, féministe visionnaire. Entretien avec Nassira Hedjerassi par Noémie Emmanuel — Axelle, Hors-série N°205-206 / p. 50-52 • Janvier-février 2018 (en ligne sur axellemag.be)
La Fabrique des Solidarités : au cœur du travail avec les femmes
Ce projet consiste à développer des actions permettant aux femmes d’expérimenter concrètement des solidarités, à partir de deux portes d’entrée : la réflexion et l’action. Nous développons ces points ci-dessous. Concrètement, il s’agit de multiplier dans nos communes, quartiers et villages, des lieux de mixité sociale et culturelle qui soient des espaces de rencontre et de confrontation d’idées pour lutter collectivement contre le racisme, le sexisme, le classisme et les préjugés qui s’y rapportent. Les Fabriques des Solidarités sont des espaces privilégiés pour mettre en avant les identités multiples et les aspirations plurielles des femmes, de toutes les femmes. Ce que l’on note avec les participantes à la Fabrique de Solidarités, c’est qu’au départ, chacune rejoint le groupe avec le sentiment que son parcours, son histoire et ses croyances sont à la fois uniques et universelles. Dès lors, dans la foulée des premiers partages, l’étonnement porte bien souvent plus sur les expériences communes que les participantes vivent, plutôt que sur leurs différences culturelles (réelles ou supposées). C’est à partir de cet étonnement qu’a pu s’opérer un glissement de l’individuel vers le collectif. Travailler sur les dimensions individuelles et collectives est un moyen quasiment indispensable pour fabriquer des solidarités. Il s’agit d’un processus qui prend du temps.
Conclusion
La notion de solidarité entre les femmes est donc au cœur du travail mené par Vie Féminine cette notion de solidarité s’entend au sens de solidarités politiques comme théorisé par bell hooks. Pour bell hooks (1984), être victime d’une même oppression ne suffit pas pour se rassembler ni pour éviter de reproduire soi-même des dynamiques d’oppression. La véritable solidarité politique, c’est apprendre à lutter contre des oppressions qu’on ne subit pas soi-même. Pour elle, il s’agit de construire de véritables alliances entre les unes et les autres. C’est important, parce qu’on a tendance à faire prendre en charge les luttes par celles et ceux qui en sont l’objet alors que chacun et chacune devrait assumer sa part de travail [Nassira Hedjerassi, 2018]. La solidarité ne peut pas naître d’une « complicité automatique », d’un lien « naturel » qui unirait les femmes mais de la décision de travailler ensemble à un projet commun. Cela exige de tenir compte de l’oppression et des injustices que d’autres femmes subissent, même si soi-même on ne les subit pas. Et qu’un changement positif dans la vie d’une femme ne se fasse pas au détriment des autres femmes. Cela passe par la compréhension de la situation des femmes comme « groupe social » et des mécanismes liés aux trois systèmes de domination qui sont à l’origine de leur exclusion et de leur oppression. Le patriarcat, le capitalisme et le racisme : ces trois logiques se renforcent pour maintenir les individus dans des situations de domination. De plus, elles créent des rapports de force entre les femmes, ce qui brise les possibles solidarités entre elles, à l’heure où la résistance s’impose. En effet, pour certaines, il sera plus urgent de lutter contre l’emprise des rôles stéréotypés de sexe. Pour d’autres, il est plutôt nécessaire d’insister sur l’émancipation par rapport à sa culture d’origine ou sur la lutte contre les discriminations sur base de la « race » sociale. Pour d’autres encore, c’est le combat contre le système économique qui primera. L’expérience des Fabriques des Solidarités nous permet au fil des rencontres et des échanges de transcender les clivages et mobiliser le collectif.
Bibliographie
Crenshaw, K. W., (2005). « Cartographie des marges : intersectionnalité, politiques de l’identité et violences contre les femmes de couleur ». Cahiers du genre, 39, 51-82.
Davis, K. (2015). « L’intersectionnalité, un mot à la mode. Ce qui fait le succès d’une théorie féministe ». Les cahiers du CEDREF, 20.
hooks, bell (1984). De la marge au centre : Théorie féministe. Coll. « Sorcières » Cambourakis.