Une brève description du processus
Première année (2015-2016) : un groupe de parole centré sur le thème de « l’école idéale »
Ce groupe de paroles a réuni pendant presque deux heures une douzaine de jeunes élèves de deuxième secondaire différenciée (entendez par là qu’ils n’ont pas obtenu encore leur CEB). Leur âge moyen était de 15 ans. Quatre adultes les entouraient : leur professeur d’arts plastiques, la médiatrice scolaire, une stagiaire de l’AMO partenaire et moi-même.
Il a été très difficile d’organiser ce groupe de parole, faute de « place » dans l’agenda des protagonistes, qu’ils soient professeurs ou élèves, susceptibles d’être soit en train de suivre ou de donner des cours, soit en heure de temps libre. Nous avions d’abord pensé l’intégrer dans le cadre du cours de français mais la professeure de français était absente depuis de longs mois. C’est finalement avec l’aide de la médiatrice et dans le cadre du cours d’éducation artistique qu’il a pu être réalisé. Mon but était d’amener les élèves à parler à cœur ouvert de la manière dont ils percevaient leur école, savoir ce qu’ils aimaient et ce qu’ils n’aimaient pas, ce qu’était pour eux une « bonne école », etc. Mon questionnement s’est inspiré de la démarche décrite par un professeur dans l’article : « Du bon au mauvais ghetto »[2]. On comprend à la lecture de l’expérience qui y est relatée que les élèves sont loin d’être dupes quant au système scolaire « à deux vitesses » qui est le nôtre, avec de « bonnes écoles » pour les enfants favorisés et de « mauvaises écoles » pour les enfants de milieux moins favorisés. Je voulais donner la parole aux jeunes eux-mêmes, que l’on désigne trop souvent comme décrocheurs en raison de leurs caractéristiques propres, et non en raison des caractéristiques du système scolaire lui-même.
Deuxième année (2016-2017)
Des groupes de parole centrés sur l’ambiance en classe ont été mis sur pied dans la classe de deuxième à l’aide d’une assistante sociale employée dans une association d’aide en milieu ouvert partenaire, selon une méthode inspirée de TOUKA[3]. Le processus poursuivait un triple but. Tout d’abord, celui de faire prendre conscience aux élèves qu’ils avaient eux aussi un rôle à jouer dans la création d’une bonne ambiance de travail en classe. Un second objectif était de recréer de la cohésion entre les élèves. Il s’agissait enfin leur redonner une certaine fierté d’eux-mêmes, à travers l’identification de leurs qualités par leurs pairs. Quant aux plus grands, de troisième, les animateurs souhaitaient jeter dans leur groupe les bases d’une dynamique plus participative, avec l’élection d’un délégué de classe et l’encouragement de projets visant à promouvoir la cohésion de groupe (fêtes, tournois sportifs…)
Analyse
Pour réaliser notre analyse, nous avons retranscrit les paroles des élèves et nous les avons analysées en regroupant les idées qui faisaient référence à un même ensemble. Notre découpage passe en revue les différentes « unités » d’analyse, de la plus petite (l’élève lui-même) à la plus grande, le quartier dans lequel se trouve l’école, en passant par la classe et l’organisation école.
Au niveau de l’élève lui-même
Il est très difficile de généraliser la situation des élèves, même si quelques tendances se dégagent. Tout d’abord, beaucoup habitent fort loin du quartier. C’est le cas par exemple d’un élève de deuxième, qui habite à Waterloo. Ensuite, on constate que les élèves de cette école sont souvent depuis peu en Belgique et qu’une grande proportion d’entre eux parle difficilement le français. Certains ont par ailleurs des responsabilités d’ordre familial assez lourdes pour leur âge.
Laïla [à Soraya] : « Tu as déjà réfléchi à ce que tu peux faire pour ne pas arriver en retard ? »
Soraya : « Me lever tôt… Mais je me lève tôt !… Je me lève à 5h30 et à 6h10 je réveille mes frères et sœurs, mais à 7 h ils ne sont pas encore prêts souvent. »
On nous rapporte aussi qu’un nombre important de parents de ces jeunes sont confrontés à des difficultés familiales ou administratives. Les enfants en pâtissent, parce c’est à eux que l’école s’adresse pour qu’ils soient en ordre :
La médiatrice : « Ils arrivent à l’école, ils n’ont pas leurs papiers… On leur demande : « Tu as ta composition de ménage ?» Mais ils n’y ont pas droit… Ils doivent parler de ce problème partout et chaque adulte représente potentiellement une sanction pour eux… Et je trouve que là, sur ce plan-là, on n’avance pas… »
Au niveau du groupe-classe
Certains élèves, parfois déjà en échec, rejetés d’une autre école, et boostés par leur adolescence, testent les limites posées par les adultes, cherchent une forme d’existence sociale à défaut de reconnaissance, et déchargent leur frustration sur les autres élèves, pourrissant l’ambiance d’apprentissage et endossant le rôle tout désigné de « mouton noir ».
Dans les classes visitées, plusieurs tendances sont observées. Il y a d’une part un manque de cohésion générale : les élèves ne se connaissent pas bien entre eux, car cela fait parfois seulement quelques mois que le groupe-classe est constitué. Ils n’ont par ailleurs pas toujours une langue commune pour communiquer entre eux, le français oral de certains élèves (un tiers de la classe) étant très faible. Malgré ce manque de cohésion, des sous-groupes se forment et les élèves se regroupent et se soutiennent en fonction du genre d’une part, et puis, éventuellement, en fonction de leur origine ethnique, en tous les cas à l’intérieur du groupe des garçons.
Les filles souffrent beaucoup plus de l’ambiance en classe que les garçons, lors de nos animations, elles ne parvenaient pas à trouver un seul point positif concernant l’ambiance en classe. Elles sont harcelées par les garçons, dans la classe et dans l’école, adaptent leurs vêtements au moment de se rendre au tableau pour les rendre plus couvrants, etc :
Flore : « On était aux toilettes et tout et un garçon est venu nous énerver, un garçon est rentré dans les toilettes des filles. Il y a eu une bagarre, on a appelé un surveillant, mais il n’y en avait pas… Les surveillants étaient tous au réfectoire[4]. Le garçon en question a voulu taper l’éducatrice, il a été puni mais il est toujours dans l’école. »
Au-delà de ces regroupements de filles et de garçons, les élèves sont attentifs à l’origine « ethnique », en raison notamment de la langue maternelle, qui rapproche ou non, mais aussi en fonction de la couleur de la peau. Certains garçons, dans les classes observées, ont des comportements racistes à l’égard d’une fille à la peau noire.
Flore : « En fait moi je ne déteste pas les Bulgares, c’est eux [désignant certains garçons de sa classe] que je déteste… Ils m’insultent dans leur langue et les filles me traduisent : ils me traitent de chienne, de gorille… »
Malgré ce climat de classe assez peu favorable, les trois quarts des élèves de chaque classe visitée souhaitent sincèrement apprendre et attendent encore quelque chose de l’école. Cependant, l’absentéisme des professeurs est tel que les cours fondamentaux pour l’obtention du CEB (le français en particulier) ne sont plus assurés. Par ailleurs, nous l’avons déjà mentionné, quelques « éléments perturbateurs » pourrissent l’ambiance de travail, et ils ne sont pas toujours sanctionnés adéquatement.
Le renvoi est le plus souvent pratiqué à terme, mais en attendant, les apprentissages en pâtissent. Chacun (profs, élèves…) semble se féliciter des renvois d’élèves, exprimant par leur « non verbal », au moment de me les mentionner, une forme de soulagement. Cependant, impossible de dire si nos interlocuteurs réalisent que ces renvois ne constituent pas une solution durable, car d’autres jeunes endossent immédiatement le rôle de « perturbateur » laissé vacant. Par ailleurs, le jeune exclu atterrit de toute façon dans une autre école et continue vraisemblablement ailleurs ses agissements perturbateurs.
Les élèves sont pourtant demandeurs que les choses changent, et sont prêts à reconnaître leurs erreurs. Ils peuvent s’engager à introduire des changements dans leurs comportements. Nous l’avons déjà dit, les relations sont très tendues entre filles et garçons. Cependant, lors d’un débat au départ de la phrase : « Les garçons sont plus doués pour les mathématiques que les filles », la totalité du groupe (en apparence du moins) s’est ralliée à l’avis suivant :
Altan : « Tout le monde a un cerveau, tout le monde utilise son cerveau pour soi [sous-entendu : peu importe le sexe]. Un homme égale un homme. Les filles et les garçons sont intelligents… On doit mesurer l’intelligence, si les filles sont meilleures je m’incline. »
De même sur les questions de racisme, les élèves sont prêts à adapter leurs comportements quand on leur fait prendre conscience des effets négatifs de ceux-ci.
Le comportement des plus grands, élèves de troisième professionnelle est un peu moins turbulent, mais leur orientation pose beaucoup question. Ils ne savent pas, pour la plupart, pourquoi ils sont en filière « travaux de bureau ». Nous ne pouvons avancer que quelques hypothèses, à vérifier, pour expliquer cette situation : leur situation d’échec les rend honteux et fatalistes par rapport à un maintien dans une filière qui n’a pour eux aucun sens.
Soufiane explique : « On était un petit groupe on foutait rien en classe, on restait pas et tout et moi j’ai pas étudié, j’ai rien fait, donc j’ai été réorienté en 3P. »
Travailleuse sociale : [s’adressant à une élève] Tu t’y retrouves, dans la section secrétariat ? Tu n’as pas l’air plus que ça convaincue ?
Corina : Non… Ce n’est pas ce que je voulais faire…
Travailleuse sociale : C’est quoi ce que tu voulais faire ?
Corina : La coiffure…
Par ailleurs, on peut noter que lorsque l’on s’adresse à eux de façon positive, les jeunes se dynamisent. Ainsi, lors d’un ensemble d’animations à vocation artistique, la participation des élèves s’est avérée très bonne, ils semblaient enthousiastes et coopéraient bien, peut-être parce que les animateurs n’étaient pas là pour les juger, les évaluer.
Au niveau intermédiaire : celui de l’organisation « école »
Les élèvent pointent plusieurs problèmes à ce niveau : l’absentéisme des professeurs, l’incivilité des professeurs, et l’incompréhension des règles.
L’absentéisme des professeurs
Les élèves pointent l’absentéisme des professeurs comme cause première de la mauvaise qualité de l’enseignement.
Esteban : « (…) Il y a des profs qui ne viennent pas et ça m’énerve, on est tout le temps licenciés, parfois je ne viens pas parce que je n’ai pas cours, je viens ici pour apprendre le français et je n’ai pas mes cours, je vais au cours après l’école ».
Le préfet de discipline m’a un jour expliqué, en m’accompagnant vers un local où se déroulait une activité, que certains professeurs, pourtant présents, ne se rendaient pas en classe, et attendaient dans la salle des profs au lieu de donner leur cours. Ce préfet réclamait des blâmes et des inspections « surprise » pour ces professeurs. Un autre jour, c’était un lundi, il faisait beau, je dis à une éducatrice : « Tiens, c’est calme, il n’y a pas grand monde ? » Elle me répond : « Un lundi c’est normal, ici[5]. »Pour expliquer cet absentéisme, nous ne pouvons avancer que quelques pistes : les professeurs de cette école sont démotivés parce qu’ils ont l’impression que les élèves les empêchent, pas leur comportements perturbateurs et leur indocilité permanente, d’enseigner. Ils se sentent complètement inutiles.
L’« incivilité » de certains professeurs
Certains comportements, comme celui de fumer, parfois adopté par les professeurs, semblent également poser problème à une proportion d’élèves. Pourquoi leur déconseille-t-on de fumer si les professeurs le font ? En ce sens les élèves semblent en demande de cohérence et de justice.
Cezmi : Une prof s’est fâchée sur moi et elle m’a envoyé chez le préfet…
Travailleuse sociale : Elle s’est fâchée sur toi pourquoi ?
Cezmi : Elle fumait et on l’a mise sur Facebook, on a voulu effacer, mais elle ne veut pas.
Travailleuse sociale : Si tu vas chez le préfet, tu auras une sanction ?
Cezmi : Je ne sais pas.
J’ai été témoin pour ma part d’une scène que je n’ai pas comprise. Une élève vient, avec humilité et politesse, frapper à la porte de la salle des profs pour demander un simple renseignement et se fait traiter avec énormément de hauteur (de façon presque humiliante) par un professeur que l’on m’a désigné comme étant « du supérieur ». C’est pour moi l’indice que pour certains professionnels de cette école, les élèves et eux-mêmes forment deux groupes à part, qui ne sont pas là pour collaborer, mais pour limiter les contacts, voire pour « avoir le dessus » l’un sur l’autre.
De manière générale, nous le verrons ci-dessous, les élèves se plaignent de n’être pas suffisamment écoutés, pris en considération par les professionnels de l’école.
Des règles incompréhensibles
Les élèves de deuxième ont pointé plusieurs fois le fait qu’ils ne comprennent pas les règles qui leur sont imposées, ni leur bien-fondé : « Pourquoi on doit rester dans le froid si on arrive en retard ? Pourquoi on ne peut pas venir avec des jeans troués à l’école ? Pourquoi on ne nous écoute pas quand on explique pourquoi on est arrivé en retard ? Pourquoi les éducateurs ne nous écoutent pas ? »
Ils les comprennent d’autant moins, ces règles, que les « plus grands » dans l’école sont traités avec davantage de laxisme et peuvent porter, par exemple, des jeans troués. Nous retrouvons la même exigence de cohérence que dans l’exemple du rejet du tabagisme évoqué plus haut.
Quoi qu’il en soit, ne faisons pas d’angélisme : souligner le manque de respect des autres ou manifester une incompréhension vis-à-vis des règles est certainement, pour certains élèves, une manière de résister, de ne pas accepter la discipline. Certains élèves semblent d’ailleurs avoir compris comment «contourner le système » et ses règles, comme cette élève qui est absente mais remet consciencieusement des certificats médicaux pour ne pas risquer de rater d’office son année.
Les élèves ont parfois des initiatives, semblent en demande d’autres types d’activités, de cohésion, mais l’organisation, l’institution ou son administration leur mettent des bâtons. Ainsi, les élèves de 3 P nous expliquent qu’ils auraient aimé organiser un tournoi sportif, mais que le préfet les a laissés lanterner et ne leur en a pas donné l’autorisation.
Gürkan : « On n’attend que ça, de faire des choses ensemble, mais il faut demander au préfet… Quand on demande, il nous laisse sans réponse, et puis l’année est passée »
Une professeure et un assistant social du PMS pointent aussi une forme d’impunité qui règne dans l’école.
« Lorsque des incivilités sont commises (armoires fracturées, portes ou fenêtres cassées…), s’il n’y a pas de preuves (et il n’y a jamais de preuves), les élèves ne sont pas punis et ils le savent. »
« Par rapport aux absences, les élèves comprennent que l’école a besoin que les élèves restent inscrits, alors elle ferme les yeux et n’exclut pas. »
L’environnement
Lors des groupes de parole, les enfants ont été amenés à s’exprimer par rapport au confort dans leur école. Les locaux leur apparaissent vétustes et ils se plaignent du froid. Quand on leur demande s’ils ont fait remonter leurs doléances vers la direction, ils parlent d’une campagne d’affichage qu’ils ont organisée et qui n’a abouti à rien. Les classes sont vétustes en effet. Il n’y a pas de lavabo pour rincer l’éponge qui sert à nettoyer le tableau. Les élèves inscrits en « travaux de bureau » n’ont pas d’ordinateurs corrects. Le professeur d’arts plastiques se plaint qu’il n’existe pas de photocopieuse « couleur ». Alors, lorsqu’il veut montrer des œuvres à ses élèves, il doit les afficher sur son téléphone portable ! (Actuellement, les choses ont changé, et ce professeur dispose d’un local équipé d’un rétroprojecteur). Certaines classes sont jonchées de papiers quand nous entrons, et un épisode nous a été rapporté au cours duquel des élèves ont uriné dans des poubelles dont ils ont épandu le contenu au sol. Leurs titulaires ont dû nettoyer ensuite.
Il semble que l’on ait affaire à un cercle vicieux : l’environnement est vétuste et peu accueillant, peu de moyens sont investis dans les équipements d’éducation, dans le confort ou la convivialité des lieus d’apprentissage, ce qui pourrait expliquer que certains élèves ne les respectent pas.
En ce qui concerne les rapports de l’école avec le quartier, les élèves pensent que le quartier a une mauvaise image de l’école (à cause d’une certaine violence qui s’offre de temps en temps à voir devant l’établissement). Mais eux aussi ont une mauvaise image du quartier. En effet, les élèves, interrogés sur ce qu’est une « bonne école », font une assimilation, qui ne doit d’après nous rien au hasard, entre « bonne école » et « quartier calme » (avec le corollaire implicite : « quartier bruyant » = « mauvaise école »).
Delphine : – « On parlait des bonnes et des mauvaises écoles et vous avez cité des écoles… Quels sont selon vous les critères d’une bonne école ?
Elèves : – On voit que c’est une bonne école au comportement des élèves et des profs… S’il y a beaucoup de renvois, c’est que ce n’est pas une bonne école…
La médiatrice : – Ici, on renvoie beaucoup, pourquoi ?
Elèves : – Parce que les élèves font beaucoup de bêtises…
Delphine : – Les écoles que vous citez, comme Roi Baudouin, elles renvoient ou elles ne renvoient pas ?
Elèves : – Oui, elles renvoient, mais c’est rare… C’est un quartier tout calme !
La médiatrice : – On n’entend rien ?
Toufik : – On n’entend que les oiseaux qui chantent !
Et maintenant ?
Avant de conclure, pointons les limites de l’exercice. Il y a de toute façon une grande part d’interprétation, ne fût-ce que dans le choix des éléments qui ont été conservés, mis de côté, ou par les différentes façons dont ont été comprises les paroles. La présence d’enseignants ou de médiateurs a pu également influencer le positionnement des élèves lors de ces prises de paroles, et ils ne se sont peut-être pas toujours sentis libres de s’exprimer. Par ailleurs, ces enfants n’ont pas l’habitude de parler dans des groupes structurés et devant des adultes. Beaucoup d’entre eux se réfugient dans une forme de mutisme, également par crainte de paraître ringards aux yeux de leurs camarades. Il nous aurait fallu davantage de temps pour mieux les apprivoiser.
Tout ce que nous avons décrit ci-dessus, en essayant de ne stigmatiser ou de ne juger personne, appartiendra-t-il bientôt au passé ? Il est trop tôt pour le dire. Il nous revient que la direction qui était en fonction durant les deux années scolaires concernées a été remplacée par une nouvelle direction et que le pouvoir organisateur de l’école met en chantier la réforme du projet d’établissement. Un partenariat associant les professeurs et éducateurs du premier degré, la direction de l’école et un ensemble de partenaires extérieurs (cellule communale de lutte contre le décrochage, AMO..) a été mis sur pied pour redynamiser les projets internes visant une meilleure ambiance générale et un meilleur dialogue au sein de l’institution. Mais les professeurs les plus dynamiques croulent quelque peu devant l’ampleur de la tâche et nous envoient des signaux d’épuisement. Le nouveau directeur est surchargé de travail, et peine à boucler son « plan de rattrapage » dans les délais très courts qui lui ont été impartis par la Fédération Wallonie Bruxelles.
Peut-on se permettre quelques conseils en tant que partenaires extérieurs ?
Il nous semble qu’il conviendrait de recentrer tout le projet scolaire sur 1/ la qualité des apprentissages et 2/ la mise sur pied de quelques règles absolument incontournables et négociées avec les élèves, comme le respect des camarades et des professeurs. Mais devant le comportement de certains élèves, on se demande comment il est possible d’enseigner le respect à des personnes qui ne l’ont pas vécu, qui n’ont pas été respectées. La violence institutionnelle, la violence de la société de compétition les a sans doute convaincus que la vie était une jungle.
Une grande proportion des élèves présents dans l’école ont encore envie d’apprendre, mais pas dans n’importe quelles conditions. Le corps enseignant et éducatif doit se ressouder et montrer l’exemple. Montrer l’exemple en premier lieu en termes de respect de l’élève. Car comment demander du respect aux élèves si ceux-ci ne sentent pas qu’ils font l’objet du même respect de la part des adultes ?
Si l’école peut faire appel à des partenaires extérieurs pour mener un travail d’animation qui permettrait justement à la communauté éducative de l’école d’établir un ensemble de règles incontournables (accompagné d’un ensemble de critères qui permettent de vérifier si elles sont respectées et assorti d’un corps de sanctions « positives »), il faut aussi que chaque membre de l’organisation éducative et du corps enseignant s’empare à nouveau de sa mission d’éducation. Si la communauté éducative de l’école fait corps et est soudée, les jeunes vont comprendre que désormais « on se soucie d’eux et de leur avenir » d’une part, ce qui peut les remotiver, mais ils vont également comprendre que certains comportements ne seront plus admis ni même tolérés. La mise sur pied de « Communautés d’Apprentissage Professionnelles », dans la veine de l’expérience menée à Charleroi dans le cadre d’un projet FSE Accrojump-CAP, telles que nous les avons présentées dans un article de décembre 2017, pourrait servir de source d’inspiration[6]. Le cœur de la démarche vise à recentrer l’énergie de toute la communauté éducative d’un établissement autour des apprentissages des élèves, pour permettre à un maximum d’entre eux d’améliorer leur niveau. Pour cela, il convient d’instaurer un climat de travail propice aux apprentissages, un climat de classe qui soit agréable, bienveillant et où la confiance entre adultes et jeunes soit partagée. Par l’organisation de réunions adéquatement animées, soutenues par la direction et grâce à l’apport de coordinateurs et de formateurs, la Communauté d’Apprentissage Professionnelle vise à créer un tissu collaboratif extrêmement profond entre les membres des professionnels éducatifs, enseignants compris, au service de la réussite du plus grand nombre des élèves.
NOTES/REFERENCES
[1] Nous avons en effet collationné les apports d’un ensemble de groupes de paroles organisés avec les élèves de deuxième année différenciée (Un groupe de parole de deux heures en mai 2016 et quatre séances de deux heures de décembre 2016 à février 2017) auxquels il faut ajouter deux fois deux séances d’une heure organisées durant l’année scolaire 2016-2017 avec les élèves de 3ème professionnelle, section « travaux de bureau ».
[2] D’HONDT D., Du bon au mauvais ghetto, CGé, in TRACeS de ChanGements / TRACeS 210 – dossier Bonnes écoles ? – Mars & Avril 2013. En ligne sur http://www.changement-egalite.be/spip.php?article2606
[3] Clefs pour la Jeunesse ASBL, Clefs pour grandir : Une éducation sociale pour les 3-12 ans avec TOUKA, 2001, en ligne sur http://www.universitedepaix.eu/pdf/touka-complet.pdf.
Ce programme propose des fiches d’animation pour prévenir les problèmes de violence dans l’école en renforçant les compétences sociales des enfants de 3 à 12 ans. Il aborde: la confiance en soi, le respect mutuel, amélioration des relations interpersonnelles, le climat de classe positif.
[4] C’est en effet au réfectoire se retrouvent tous les enfants dont le professeur est absent. Les éducateurs les y encadrent.
[5] Sous-entendu : ces professeurs prolongent leur week-end.
[6] HUYBRECHT D., « CAP » sur l’école du XXIème siècle avec les Communautés d’Apprentissage Professionnelles : une expérience menée à Charleroi dans le cadre du programme FSE Accrojump, Le GRAIN, décembre 2017.